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Par Jorge Brites.

C'était en janvier 2011, un concert de Souad Massi, chanteuse algérienne qui faisait alors la promotion de son album « Ô Houria » (حرية« liberté » en arabe), sorti en 2010. Hasard du calendrier, le concert coïncidait avec le début du Printemps arabe, la chute du président tunisien Ben Ali et les premières manifestations en Égypte demandant la fin du régime d'Hosni Moubarak. Un vent de changement soufflait sur la rive sud de la Méditerranée. Entre deux musiques, la chanteuse algérienne lâche une rapide référence au peuple tunisien qui a osé descendre dans la rue, suivi d'un : « Vive la liberté ! » La simplicité de ces trois mots, au milieu des nombreuses analyses ou pseudo-analyses que les médias en tout genre nous offraient alors, me frappa. Sans étalage, sans blabla, l'essentiel était dit. Tout ajout aurait été superflu, et la musique pouvait reprendre.

On en aurait presque oublié que le concept de liberté n'est pas un mot vide, qu'il prend un sens concret dans la résistance à l'oppression, à la dictature et à l'obscurantisme. Quelques éléments de réflexion.

La liberté n'est pas un mot creux. Il est d'autant plus important de le souligner que depuis 2011 et malgré bien des sacrifices, les libertés ont globalement beaucoup reculé. Les guerres (en Europe de l'Est, au Moyen-Orient), les mesures sécuritaires en réponse aux attaques terroristes, les succès des forces dictatoriales, conservatrices ou extrémistes, la peur et les tensions sociales ou communautaires ; tous ces éléments instaurent un climat très défavorable aux libertés. Celles-ci n'ont pas le vent en poupe, et l'on en vient à entendre souvent les gens regretter l'époque des dictateurs et de la stabilité politique de façade. C'est vrai pour les pays du monde arabe comme pour des pays européens. En 2007 par exemple, un sondage réalisé au Portugal par la BBC plaçait António de Oliveira Salazar, pilier de la dictature qu’a connu le pays de 1926 à 1974, comme « la personnalité la plus importante de l’histoire » du pays ; une tendance confirmée depuis par plusieurs études similaires. Une erreur de jugement terrible, qui dessert d'avance le combat pour les libertés, au profit d'une pseudo-stabilité ou prospérité fantasmée. Surtout, on oublie bien souvent que si le combat pour la liberté a un prix – bien souvent le prix du sang malheureusement –, la soumission et le silence ont également un coût sur nos vies, immensurable mais pourtant terrible.

Dans les pays dits démocratiques d'Europe et d'Amérique du Nord, on oublie souvent que la liberté n'est pas une notion statique, qu'elle demande à être défendue et entretenue constamment. On prend souvent pour acquis les droits gagnés à l'issue de décennies et de siècles de lutte (la fin de l'esclavage ou du servage, le suffrage universel, l'égalité entre hommes et femmes, etc.). C'est cette certitude, ajoutée aux difficultés matérielles quotidiennes, qui explique que les gens se mobilisent si peu lorsqu'il s'agit de défendre des droits ou des libertés en danger. C'est aussi ce qui explique que les gens consentent si facilement à concéder des libertés en échange d'un sentiment de sécurité.

Image tirée du film 1984, réalisé par le Britannique Michael Radford, et inspiré du roman éponyme de George Orwell publié en 1948.

Image tirée du film 1984, réalisé par le Britannique Michael Radford, et inspiré du roman éponyme de George Orwell publié en 1948.

Résultat : sans tomber dans la caricature, notre société multiplie les similitudes, doucement mais de façon très concrète, avec le monde totalitaire décrit dans l'ouvrage 1984 de George Orwell. Mise sur écoute de la vie privée des citoyens (à travers les réseaux sociaux, voire chez eux), explosion de la vidéosurveillance (même si elle n'a évidemment pas la même finalité que chez Orwell, fort heureusement), lois d'exception appelées à devenir de plus en plus la norme, désignation d'« ennemis » honnis mais souvent insaisissables (les terroristes), destruction de la logique au profit de l'affectif et du sensationnel, guerres lointaines dont on ne voit jamais la fin et dont on ne se rappelle qu'à travers les médias de masse et un attentat de temps à autres, etc. Il manque bien quelques ingrédients au cocktail, tels que la substitution de notre langue par un langage commun simplifié – quoique… l’utilisation massive des réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter sert à la fois à mettre tout le monde « sous surveillance », et à adopter une approche de plus en plus minimaliste de la langue française, fortement épurée et frappée d’anglicismes. Bref, bon nombre d'indices laissent penser qu'un rien suffirait pour que notre système bascule.

Sans entrer dans la paranoïa, il ne semble pas exagéré de souligner la nécessité, même dans des régimes ayant atteint un degré avancé de libertés, de toujours rester vigilants. Car des gens, y compris parmi les détenteurs du pouvoir politique ou du capital économique, n'ont pas intérêt à ce que chacune et chacun soit réellement libre – et entre la liberté et un « sentiment de liberté », il y a un monde ; les publicitaires le savent bien, l'aliénation peut prendre des formes diverses. Or, dans un système représentatif (c'est-à-dire où les citoyens ne sont sollicités pour participer à la vie de la Cité que ponctuellement, mais peuvent s'en désintéresser par ailleurs) caractérisé par des médias de masse incultes et en connivence avec la classe politique et les milieux économiques et financiers, rien ne fait plus de mal aux libertés que le désintérêt des gens. Souhaitons donc que le roman La lucidité (2004), de José Saramago, ne s'avère jamais prophétique. Dans son ouvrage, l'auteur portugais (Prix Nobel de littérature en 1998) décrit, dans la capitale sans nom d’un pays sans nom, un gouvernement désemparé après des élections municipales marquées par 83% de votes blancs. Incapables de concevoir un rejet de leur politique, les dirigeants soupçonnent une conspiration, voire un complot anarchiste international qui les autorise à pratiquer une répression violente… et de fait à porter atteinte à la démocratie. Pas plus que les libertés, aucun régime de droits politiques ou civiques n'est indéfiniment garanti. Il faut entretenir la lutte, faire vivre les droits acquis et toujours rester vigilants car, en face, les ennemis de la liberté ne baissent pas la garde. Nous ferions bien de garder cela en tête, en ces temps de montée de l'extrême-droite en Europe. L'obstruction et la faible présence dans les hémicycles où ils sont présents, ne sont que le reflet de leur absence de considération pour le principe de démocratie et de leur antiparlementarisme intrinsèque. Les fascistes italiens usaient du même stratagème durant l'entre-deux guerres, à savoir l'obstruction parlementaire, pour bloquer le système qu'ils méprisaient.

Photo de la militante libyenne Intissar Hassaïri.

La violence des extrêmes : quel rapport de force construire ?

Le 24 février de l'année dernière était marqué par la mort d'Intissar Hassaïri, militante anti-islamiste libyenne et cofondatrice du mouvement Tanwir (Lumières) avec Mahmoud Jibril, l'ancien Premier ministre libyen. Le corps de cette jeune activiste avait été retrouvé criblé de balles dans le coffre de sa voiture, à Tripoli. Son crime : s'être opposée aux groupes islamistes et avoir fait usage de sa liberté d'expression pour condamner des attentats de l’État islamique dans l'Est libyen.

Intissar Hassaïri n'était alors, malheureusement, venue qu'allonger la liste des femmes assassinées en Libye pour leurs positions politiques. Le 17 février 2015, un sniper avait déjà abattu Zeyneb Abdelkarim, épouse de l'ancien directeur de la sécurité à Benghazi (elle était décédée trois jours après à l'hôpital). Le 25 juillet 2014, la militante des droits humains Salwa Boukaakiî était tuée à son domicile à Benghazi. Huit jours plus tôt, c'est Fariha Barkaoui, députée (et proche de la coalition des milices Fajr Libya qui contrôle la région de Tripoli) qui était exécutée par balles alors qu'elle conduisait sa voiture à Derna. Dernier exemple, le 29 mai 2014, la journaliste Nassib Miloud Korfana était égorgée chez elle dans la ville de Sebha, à la lisière du Sahara libyen.

Au Bangladesh, scénarios similaires : après le meurtre à la machette de deux blogueurs, Ahmed Rajib Haider en février 2013 et Avijit Roy en février 2015 (tués à leur domicile respectif à Dacca pour avoir affiché leur athéisme et promu la sécularisation de leur pays), le 30 mars 2015 c'est au tour de Washiqur Rahman d'être assassiné. Âgé de 27 ans, il écrivait sous le pseudonyme de « vilain petit canard », prônait la laïcité et ridiculisait parfois les fondamentalistes islamistes. Il a été tué à Dacca à coups de couteau, près de chez lui, par des étudiants. Face à une recrudescence d'attaques contre les avocats de la laïcité, les partisans de la sécularisation du pouvoir dénoncent la culture de l'impunité qui règne dans le pays.

Les exemples sont encore nombreux. L’Égypte en compte à la pelle, notamment depuis le putsch mené par l’armée en juillet 2013. Après avoir maté la contestation des Frères musulmans, le régime d’Abdel Fattah al-Sissi s’en est pris sans distinction aucune à tous les opposants, y compris aux militants des droits humains. Des milliers de personnes ont été soit exécutées au cours de rassemblements violemment dispersés et réprimés, soit arrêtées de façon totalement arbitraire. Le 24 janvier 2015, Shaimaa el-Sabbagh, militante de 32 ans qui avait combattu la présidence islamiste de Mohamed Morsi, était tuée, touchée par des tirs de chevrotine de la police, lors d’une manifestation pacifique qui commémorait la Révolution de 2011 ; mariée et mère d’un enfant, elle était surtout connue dans la région d’Alexandrie pour son action aux côtés des travailleurs en lutte.

La violence frappe partout. Le 9 janvier 2013, c'est en plein Paris et en plein jour que trois militantes kurdes étaient tuées : Sakine Cansiz, dirigeante fondatrice du PKK en 1979 ; Fidan Dogan, dirigeante du Centre d’Information du Kurdistan ; et Leyla Soylemez, jeune activiste de la cause kurde. Un crime que la France a largement passé sous silence au nom de la raison d’État, alors que la responsabilité des services secrets turcs a été établie.

Que nous enseignent ces événements dramatiques ? Outre les meurtres odieux, c'est bien la liberté qui est attaquée. Il est temps d'être clair dans le vocabulaire, de cesser de contourner les sujets qui fâchent, pour constater clairement qu'il existe des partisans et des ennemis de la liberté, qu'un rapport de force est à l'œuvre et que ses ennemis sont actuellement en train de l'emporter. Il est des lieux où il n'y a pas de bons ou de mauvais chrétiens ou musulmans, de bons ou de mauvais républicains ou monarchistes, etc. Il n'y a que des partisans et des ennemis de la liberté. Ses partisans doivent assumer d'être radicaux et sans concession dans leurs positions, parce qu'en face, ses adversaires assument leur radicalité et ne laissent aucune place au dialogue ou au compromis.

Rappelons au passage que le combat pour la liberté peut recouvrir des dimensions très diverses, allant de la sphère privée (la liberté de conduire pour la femmes saoudiennes, par exemple) à des luttes collectives comme celle pour la liberté d'expression, ou encore la liberté de croyance. Les exemples fréquents, en Afghanistan ou au Pakistan, de femmes assassinées ou défigurées (souvent sous la main de parents proches) pour avoir refusé un mariage décidé par leur famille, montrent bien que le terme liberté n'a pas (ne peut pas avoir) le même écho partout. Le cas désormais connu de Nojoud Ali, jeune yéménite née en 1998, victime d'un mariage forcée, mais qui est parvenue à s'enfuir à l'âge de dix ans avant d'obtenir le divorce, est tout aussi illustratif.

Risquer sa vie, ou plier ?

Pourtant, comment en vouloir, dans ce contexte, dans des situations où le monopole de la violence semble appartenir aux acteurs et aux forces les plus obscurantistes, aux gens modérés qui courbent l'échine ? Des réponses radicales systématiques présenteraient le risque, d'une part, de développer un cycle de violences, et d'autre part de nous faire basculer dans des positions et des modes d'action que nous rejetons par principe. Pour autant, il existe bien des façons de résister à la violence. Aucune n'est sans risque. On peut notamment évoquer l'action non-violente telle qu'initiée par le Mahatma Gandhi face à la colonisation britannique. Portée par des objectifs socio-politiques, cette stratégie peut se décliner par des actes symboliques, le boycott, la non-coopération ou encore la désobéissance. La résistance s'opère par inertie, et non par antagonisme actif. Les formes d'actions non-violentes sont extrêmement variées. Elles incluent par exemple la guerre de l'information (de l'édition de tracts à celle de journaux), l'art protestataire (graphisme, musique, poésie), le lobbying pour impliquer une communauté ou sensibiliser la société, le sabotage matériel ne mettant pas en danger la vie d'autrui, le refus de récompense ou honneurs, etc.

Place de la République, après les attentats du 13 novembre à Paris. Comme après l’attaque contre le journal Charlie Hebdo en janvier 2015, les Français et étrangers qui se sont recueillis sur la place de la République au cours des semaines suivantes ont souhaité exprimer leur solidarité envers les victimes, autant que leur détermination à défendre des valeurs aussi basiques que la liberté (liberté de s’habiller, de croire, de circuler, de consommer comme on le souhaite) ou que le droit à la création.

Place de la République, après les attentats du 13 novembre à Paris. Comme après l’attaque contre le journal Charlie Hebdo en janvier 2015, les Français et étrangers qui se sont recueillis sur la place de la République au cours des semaines suivantes ont souhaité exprimer leur solidarité envers les victimes, autant que leur détermination à défendre des valeurs aussi basiques que la liberté (liberté de s’habiller, de croire, de circuler, de consommer comme on le souhaite) ou que le droit à la création.

Le rôle de la société civile (les associations, mais aussi les syndicats) est évidemment primordial dans la lutte pour les droits et les libertés. Mais un mouvement national soudé est bien souvent nécessaire si l'on veut que celle-ci puisse dépasser le stade des manifestations ponctuelles menées par une seule association, pratiquer un activisme mieux financé et visant le long terme, surveiller les activités du gouvernement et disposer d'une communication capable de rivaliser avec les messages simples et populistes des extrêmes. Surtout, pour parvenir à tisser de véritables solidarités entre partisans de la liberté et de la tolérance, au-delà de leurs querelles de personnes ou de communautés.

Fait préoccupant, la société civile réagit trop souvent de façon différenciée face à des problèmes qui, comme les atteintes aux droits humains, devraient engendrer systématiquement une forte action collective. Prenons l'exemple du Pakistan, où militants des droits et des libertés font régulièrement l'objet de menaces ou d'agressions, quand ils ne sont pas tout simplement attaqués et tués. Ainsi en mai 2012, une vidéo montrant quatre femmes et deux hommes en train de chanter et de danser a été exhibée dans un district conservateur du Kohistan, dans le nord du pays. Nul ne sait si les femmes sont encore en vie ou si elles ont été exécutées, mais les six personnes ont été condamnées à mort au cours d'une assemblée tribale. En revanche, le cas de Malala Yousafzai, militante des droits des femmes victime le 9 octobre de la même année (à l'âge de 15 ans) d'une tentative d'assassinat, avait soulevé l'indignation des politiques comme du milieu associatif. Au point que son combat et ses efforts aient été récompensés par l'attribution du prix Nobel de la paix en 2014. La réaction peut donc être asymétrique. Or, cette asymétrie nuit à la cohérence du combat pour la liberté, qui doit rester cohérent et global, face aux forces conservatrices qui trouveront toujours matière, dans leurs croyances ou leurs traditions, à motiver leurs atteintes à la liberté. Les pratiques et les croyances traditionnelles ne suffisent pas à justifier des crimes ou l'incarcération, voire l'exécution de personnes accusées de blasphèmes, d'apostasie ou d'amoralité. Surtout, critiquer ne revient ni à insulter, ni à tout renier. Conscience doit être prise que ce qui a été durant des siècles n'a pas forcément été bénéfique, juste ou pertinent.

Photo de Malala pour une campagne de solidarité suite à l'enlèvement par le groupe islamiste Boko Haram des 276 lycéennes de Chibok, au Nigéria, en avril 2014.

Photo de Malala pour une campagne de solidarité suite à l'enlèvement par le groupe islamiste Boko Haram des 276 lycéennes de Chibok, au Nigéria, en avril 2014.

L'enjeu de la solidarité entre partisans des libertés individuelles et des droits sociaux est crucial. Les efforts d'un individu, a fortiori s'il s'agit d'une femme, pour s'émanciper de sa société conservatrice et patriarcale n'ont de sens, n'offrent de perspective que s'il sent, s'il sait, que ses difficultés sont partagées et résultent d'enjeux sociaux – et que la réponse doit donc s'appuyer sur des liens de solidarité et des actions collectives qui bravent les tabous.

Pour que la lutte continue et porte ses fruits : assumer le rapport de force

Une multitude de petites actions « coup de poing » sont envisageables et mériteraient d'être creusées : des graffitis sur les murs de bâtiments abandonnés aux lâchers de ballons de baudruche avec des messages écrits dessus, en passant par les sit-in, les concepts d'occupation temporaire d'un espace (les terrasses de café par les femmes par exemple), les radios clandestines, les pétitions, les vidéos et messages sur les réseaux sociaux, la mise en dérision (dans les journaux, le théâtre, sur la toile, etc.), ou encore le boycott. Et Internet ne fait qu'augmenter la palette de possibilités. Mais pour résister, il faut déjà et avant toute chose accepter le principe du rapport de force. Cesser les discours de conciliation permanente, de recherche du consensus, assumer qu'il y a une lutte pour la liberté et les droits fondamentaux, et qu'en face se trouvent des ennemis de la liberté avec qui la tolérance et le compromis signifient en fait des concessions sur nos libertés, le jour où ils détiennent le pouvoir (et avec lui le monopole du recours à la « violence légitime »).

Le rapport de force induit un rôle central dédié à la communication. Loin de tout sentiment de supériorité ou de tout mépris pour les masses, les activistes qui se prétendent démocrates ont un devoir de pédagogie auprès des gens sur leurs droits. Ils doivent prendre conscience que le combat pour les libertés se gagne aussi par la capacité des uns et des autres à passer des messages qui vont changer la donne. À ce titre, le rôle des médias est primordial. Si l'on prend l'exemple d'un pays comme la Mauritanie, on constate que les programmes et émissions à caractère islamiste ont envahi, en quelques années, la plupart des médias. Leurs opposants se sont laissés dépassés, et n'ont rien vu venir. Quelques jeunes ont compris qu'une bataille de l'image était à l'œuvre et tentent de faire régulièrement passer des messages à travers des clips ou autres vidéos courtes qu'ils diffusent ensuite sur Internet. On peut citer l'exemple de MicroMbedda (« micro de la rue », en langue pulaar), un groupe de jeunes artistes du quartier Arafat, dans la capitale Nouakchott, qui a réalisé il y a un an la vidéo Boko Halal où ils défendent la place de la musique dans la société musulmane qui est la leur. Cette association appuie les jeunes de leur commune pour qu'ils s'épanouissent dans des activités concrètes : le hip-hop, la vidéo, le sport (y compris le sport féminin), etc., défendant par leur propre action le droit de chacun à s'épanouir personnellement. Mais les initiatives de ce type restent relativement marginales, même si elles ont beaucoup de mérite, et disposent de peu de moyens.

En outre, s'il est une leçon qu'il convient de retenir des expériences arabes, c'est que tout mouvement qui viserait à changer les équilibres du pouvoir en place pour promouvoir plus de libertés, doit préalablement poser la question des rapports de force politiques, économiques et sociaux qui se profilent derrière. Un mouvement d'opposition, dans un régime tyrannique, doit donc s'interroger sur les lendemains, sur l'après des « grands soirs ». Or, le crédit sur le terrain vient par la capacité (démontrée) d'un acteur à améliorer la vie des gens. Comme le Parti communiste français au cours des années 1960 et 1970, comme les Frères musulmans en Égypte jusqu'à leur accession au pouvoir en 2012, et comme les partis grecs Syriza et Aube Dorée aujourd'hui, la popularité d'un mouvement repose d'abord et avant tout sur son activisme dans le domaine social. Et avec cette popularité, cette sympathie, vient une adhésion plus évidente aux idées, au projet, aux personnes. On ne rappellera jamais assez cette citation d'Amílcar Cabral, leader de l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert, au cours d’un séminaire à Conakry en 1969 : « Nous devons toujours nous rappeler que les gens ne se battent pas pour des idéaux ou pour ce qui ne les intéresse pas directement. Les gens se battent pour des choses pratiques : pour la paix, pour vivre mieux en paix, et pour l’avenir de leurs enfants. La liberté, la fraternité et l’égalité restent des mots vides […] s’ils ne signifient pas une réelle amélioration de leurs conditions de vie ». La lutte idéologique doit s'accompagner d'actions concrètes qui démontrent la sincérité de ceux qui la portent (et leur intégrité, accessoirement). C'est non seulement essentiel pour contribuer à améliorer la vie des gens, mais c'est aussi stratégiquement indispensable pour faire valoir ses valeurs.

Cette photo a été prise par le photographe David Lagerlof le 1er mai 2016 à Borlange, en Suède, lors d'une manifestation anti-immigration organisée par un groupe néonazi, le Mouvement de Résistance Nordique. On y voit Tess Asplund, une militante antiraciste, devant trois leaders du groupe, brandissant pacifiquement et silencieusement le poing en signe d'opposition.

Cette photo a été prise par le photographe David Lagerlof le 1er mai 2016 à Borlange, en Suède, lors d'une manifestation anti-immigration organisée par un groupe néonazi, le Mouvement de Résistance Nordique. On y voit Tess Asplund, une militante antiraciste, devant trois leaders du groupe, brandissant pacifiquement et silencieusement le poing en signe d'opposition.

Ce poème de Paul Éluard, publié en avril 1942 dans le recueil clandestin Poésie et vérité 1942, est une ode à la liberté. Écrit dans la France occupée de la Seconde Guerre mondiale, le texte fût parachuté la même année à des milliers d'exemplaires par des avions britanniques de la Royal Air Force au-dessus du sol français.

LIBERTÉ

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom

[…]

Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom

Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté.

Paul Éluard, « Poésie et vérité 1942 », 1942.

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