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Par David Brites.

Dans les rues de Maputo.

Le jour même de son accession au pouvoir, le nouveau chef de l'État mozambicain déclarait : « Le peuple mozambicain est mon chef. » Fort de 57,03% des voix, Filipe Jacinto Nyusi a remporté les élections du 15 octobre 2014, avant de prendre officiellement ses fonctions le 15 janvier suivant. C'était il y a deux ans. Son style apparemment plus ouvert et décontracté rompait alors avec celui de son prédécesseur Armando Emílio Guebuza (2005-2015), cloîtré dans le nouveau palais présidentiel qu'il s'était fait bâtir. Mais, avant même d'être arrivé à la moitié du quinquennat, le président Nyusi a déçu beaucoup de Mozambicains qui espéraient le « changement » (mudança, en portugais) promis dans les innombrables affiches électorales.

Dès 2015, les visites de Nyusi dans deux écoles primaires, l'une à Maputo en mars, l'autre dans la province de Gaza en avril, étaient emblématiques : si elles ont apparemment été l'occasion d'entendre les doléances des instituteurs, elles se sont surtout résumées à des opérations de communication, sans traduction concrète sur la qualité de travail et les moyens des professeurs. Certes le budget de l'Éducation a un peu augmenté, toutefois le Centre d'Intégrité Publique (CIP), une organisation indépendante, a critiqué, toujours en 2015, un budget de l'État qui donne toujours la priorité au secteur de la Défense. Il en est ainsi sur à peu près tous les sujets : beaucoup de communication, et aucune rupture avec la présidence Guebuza, qui avait été marquée par la corruption et le clientélisme.

Pour rappel, la candidature de Nyusi en 2014 était le fruit d'un compromis, au sein du mouvement qui dirige le pays depuis l'indépendance, le Front de Libération du Mozambique (Frelimo), entre deux « clans », celui du président sortant, Armando Emílio Guebuza, et celui de Joaquim Alberto Chipande, ancien ministre de la Défense de 1975 à 1986, cacique du parti et parrain politique de son neveu, un certain... Filipe Jacinto Nyusi. Sans doute le choix d’un candidat relativement jeune (55 ans, au contraire d'un Chipande âgé de 75 ans ou d'un Guebuza de 71 ans) visait aussi à cacher l’essoufflement d’une formation politique au pouvoir depuis tout de même quarante ans. Quoi qu'il en soit, un rapport de force s'est rapidement établi, au sein même du Frelimo, entre le président de la République sortant et son remplaçant. Il aura fallu attendre le Comité central du Frelimo organisé en mars 2015 pour que la présidence du parti, à laquelle s'accrochait encore Guebuza, soit acquise à Nyusi. Pour autant, la lustration espérée par beaucoup d'opposants pour évincer les proches de l'ex-chef de l'État n'a pas eu lieu, et le 5 février 2016, lors du premier Comité central conduit par Nyusi en sa qualité de président du parti, l'opération de « nettoyage » du secrétariat du Comité central, censé atteindre la Commission politique du Frelimo, a été avortée. « Le président du Mozambique n'a pas le capital politique pour faire les grandes réformes à l'intérieur du parti Frelimo », déclarait dans la foulée le politologue João Pereira. Tous les observateurs constataient alors que le « guébuzisme » n'était pas décapité. Surtout, c'est le principe même de « clans » au sein du Frelimo qui n'a pas été remis en cause. « Chipande est le président de la République, Nyusi est à peine une couverture », dénonçait au Magazine Independent un élu local d'opposition, Manuel de Araújo, en août 2016.

Une gestion économique désastreuse...

Depuis plus d'un an, la hausse des prix des denrées alimentaires a été prodigieuse au Mozambique. À l'origine de cette inflation : la chute du métical, la devise mozambicaine, a entraîné la pire récession que le pays a connue depuis la guerre civile, c'est-à-dire depuis 25 ans. Au cours du seul troisième trimestre 2015, le PIB a reculé de 4,5%. L'effondrement des prix des matières premières, dont l'économie nationale est très dépendante, et l'augmentation soudaine de la dette publique expliquent cette situation. Et pour cause, même sans la dégradation de ses taux d'intérêt, le remboursement de la dette était déjà une gymnastique compliquée pour le gouvernement.

La rigueur financière de la Première ministre Luísa Diogo avait laissé stables, entre 2004 et 2010, les indicateurs macro-économiques du pays – le nouveau métical, introduit le 1er juillet 2006, était le symbole de cette stabilité. Mais le second mandat de la présidence Guebuza (2010-2015) a été marqué par une recrudescence de la corruption dans les sphères du pouvoir, et par une politique dépensière de grands travaux surfacturés, qui ont entraîné une lourde fragilisation des comptes publics. L'opinion publique n'en a réellement compris l'ampleur qu'en novembre 2015, lorsque le ministère de l'Économie et des Finances a dévoilé des chiffres inquiétants. Sans même parler de la dette privée, elle-même préoccupante, la dette publique externe est passée de 4,8 milliards de dollars en 2012 à 7 milliards en 2014. De cette valeur, à peu près 1,5 milliard provient du financement de trois projets : le pont Maputo-KaTembe (plus de 700 millions de dollars), la Voie Circulaire autour de la capitale (plus de 300 millions) et la protection côtière (500 millions).

Le 17 février 2015, le web-journal África Monitor dénonçait le « calice empoisonné » laissé par Guebuza à Nyusi : « Le Mozambique a triplé son endettement entre 2000 et 2015, surtout dans les années d'administration Armando Guebuza. Beaucoup de dépenses abusives sont liées à des projets d'intérêt douteux et, selon des analystes, qui servent avant tout à enrichir des gens liés au Frelimo. [...] Le travail de Nyusi est à présent d'éviter les gaspillages, de traiter avec le FMI et de gérer l'élite qui s'est "engraissée" avec la politique clientéliste de ces dernières années. [Les chantiers] sont souvent assumés par des entreprises chinoises. Entretemps, la Chine est déjà devenue le plus grand créancier du Mozambique. » Dans une conférence sur le développement économique, l'ex-Première ministre Luísa Diogo rappelait même, en août dernier, l'imprudence de la présidence Guebuza, qui a porté l'État garant des dettes supérieures à deux milliards de dollars contractées par des entreprises publiques liées aux secteurs de la pêche et de la sécurité maritime. Surtout, celle qui fut aussi ministre des Finances de 1999 à 2005 ajoutait, face au même auditoire : « C'est encore plus grave quand l'État assume, à travers des garanties, que, si les acteurs privés ne payent pas leurs dettes, l'État paiera. La réalité, c'est que la gestion de la dette n'a pas été correctement faite, [elle] n'a été ni sérieuse ni responsable. »

En termes de gestion des comptes publics, le cas le plus choquant est la fameuse affaire Ematum, acronyme d'Entreprise Mozambicaine de Thon ; pour rappel, cette société-écran a été enregistrée en décembre 2012 par le président Guebuza, avec la complicité de ses ministres des Finances, Manuel Chang, et de la Défense, un certain... Filipe Jacinto Nyusi. Pour le compte de cette entreprise, l'État mozambicain s'est endetté de 850 millions de dollars, dont l'usage est resté en grande partie opaque. « Les bateaux rouillent dans le port, l'argent est gaspillé et personne n'est capable d'expliquer à quoi il a servi », résumait en janvier 2016 Ivone Soares, députée d'opposition. Le 6 avril 2016, le journal Canal de Moçambique ajoutait même : « Finalement Guebuza n'a pas juste demandé un emprunt de 850 millions pour Ematum. Il a endetté l'État de 1,6 milliard de dollars. C'est seulement le 24 mars 2016, un jour après que la restructuration de la dette des 850 millions d'Ematum ait été entérinée, que la banque "Crédit Suisse" a informé de l'existence d'une autre dette, de 787 millions de dollars. [...] Ce second emprunt a servi à acheter des armes et autres matériels pour équiper une entreprise créée par Guebuza et Manuel Chang en décembre 2012. » Outre Ematum et ses 850 millions, deux autres sociétés, MAM (State-owned Mozambique Asset Management) avec 535 millions d'emprunts occultes, et ProIndicus avec 622 millions, font l'objet d'investigations de la Procureure-générale de la République, Beatriz Buchili.

Dans un tel contexte de révélations, la pression internationale s'est amplifiée au fil des mois. Le 15 avril 2016, le Fonds Monétaire International suspendait de manière provisoire sa coopération avec le Mozambique, exigeant des clarifications sur ces emprunts opaques. Une décision qui a eu des conséquences à court terme sur les prêts de l'institution au Mozambique. « C'est probablement un des pires cas de transfert de données erronées de la part d'un gouvernement que le FMI a observé dans un pays africain ces derniers temps. Ils nous ont caché délibérément au moins mille millions de dollars, potentiellement plus, en emprunts cachés », avait alors déclaré une source du FMI. Comprendre : le président Nyusi a certes hérité de finances dans un état catastrophique, toutefois son gouvernement a masqué une dette colossale à ses partenaires internationaux. En mai 2016, dans la foulée de l'interruption de nombreuses aides, un groupe de quatorze donateurs majeurs exigeaient de l'exécutif mozambicain, en vain, un audit sur l'usage des dons qui ont bénéficié aux trois entreprises que sont Ematum, MAM et ProIndicus.

La situation financière de la nation mozambicaine, désormais l'une des plus endettées au monde, est très préoccupante. Une conjonction de mauvais signaux est observée depuis l'automne 2015, notamment parce que le prix des rares biens exportés par le Mozambique, parmi lesquels le charbon, a largement chuté. Le pays est entré dans un cercle vicieux, où : 1) l'explosion des déficits entraîne une dégradation de l'image du pays, et donc de sa note sur les marchés financiers (et par contrecoup une chute de la monnaie) ; et où 2) l'effondrement du métical fait artificiellement gonfler la dette publique, affectant significativement le budget de l'État. En mars 2015, l'économiste Nuno Castel-Branco déclarait déjà au web-journal allemand Deutsche Welle : « Nous commençons à entrer dans le piège des dettes en série. Nous contractons de la dette pour payer de la dette, nous repoussons cette dette par petits bouts pour le futur, probablement avec des taux d'intérêt plus élevés, et cela pour payer une dette courante. »

Fin mars 2015, le voile est levé sur les comptes publics catastrophiques hérités de la présidence Guebuza. Sous Nyusi, le gouvernement se montre bel et bien incapable de faire face aux nouveaux défis économiques et budgétaires. En juillet 2016, le ministre des Finances de 2010 à 2014, Manuel Chang, actuellement député au Parlement, était entendu par la Procureure-générale de la République, dans le cadre du recueil de son enquête sur la « dette occulte ».

Fin mars 2015, le voile est levé sur les comptes publics catastrophiques hérités de la présidence Guebuza. Sous Nyusi, le gouvernement se montre bel et bien incapable de faire face aux nouveaux défis économiques et budgétaires. En juillet 2016, le ministre des Finances de 2010 à 2014, Manuel Chang, actuellement député au Parlement, était entendu par la Procureure-générale de la République, dans le cadre du recueil de son enquête sur la « dette occulte ».

Les commentaires de citoyens pris au hasard illustrent la gravité de la situation, avec la dépréciation du métical face au dollar, et l'inflation qui en découle. « Les choses vont mal, les prix de nombreux produits, principalement alimentaires, sont chers », expliquait dès décembre 2015 Gilda, activiste écologiste à Maputo, ajoutant que les gens attendent plus un affaiblissement du dollar qu'une action gouvernementale. « La situation est très mauvaise, même le pain est passé de 5 à 7 méticals, déclarait à la même époque un résident de Zimpeto, une banlieue de Maputo. Tout a augmenté et le salaire continue pareil. On n'arrive déjà plus à acheter le riz pour nos foyers. » Et Clotilde, membre d'une association féministe à Maputo, de préciser : « Les prix sont horribles, les gens des communautés vont passer Noël et la fin de l'année dans de grandes difficultés. Là, la tendance est à la baisse, on en est à 52 méticals pour 1 dollar [c'était en décembre 2015]. On va voir ce qui va se passer d'ici la fin de l'année. » En août 2016, l'Institut National de Statistiques indiquait « une augmentation des prix de l'huile alimentaire (7,0%), du riz (2,2%), des oignons (5,5%), du poisson-chinchard dit "carapau" (4,7%), du maïs (11,8%), de la farine de maïs (1,3%) et du poisson séché (4,8%) » – une « inflation mensuelle par produit » toujours considérable, mais dont la donnée n'est que partielle, puisqu'elle n'est mesurée que sur le prix de certains biens dans les seules villes de Maputo, Beira et Nampula. Un dollar valait 72,85 méticals à la date du 15 août, soit 7 méticals de plus qu'un mois auparavant ; en conséquence, les importations ont continué à peser sur l'économie.

Pour l'économiste António Francisco, directeur d'investigation à l'Institut d'Études Sociales et Économiques (IESE), seule « bonne » nouvelle : la population mozambicaine était déjà dans une telle situation de pauvreté qu'elle ne sent pas réellement l'impact des hausses de prix. En effet, la majorité des Mozambicains n'ont accès ni à l'électricité, ni à l'eau en canalisation, ni à des denrées alimentaires de base comme le pain, ni à d'autres biens importés : « Ils ne font pas partie de [cette] économie, [...] ils n'ont même pas une carte d'identité. » Les plus affectés sont ceux qui consomment, surtout dans la zone d'étalement urbain du Grand Maputo. Toutefois, la situation est désormais explosive. Après une année 2015 déjà difficile, les récoltes du Mozambique, dans un pays très majoritairement paysan, ont été durement affectées courant 2016 par le phénomène climatique El-Niño, venu du Pacifique et responsable de fortes perturbations climatiques (sécheresses, inondations...) qui ont affecté la résilience de toute l'Afrique orientale – l'Afrique du Sud elle-même a importé 750.000 tonnes de maïs en 2016 pour pallier ses pertes. Énième symptôme alarmant : depuis 2014, la hausse du carburant diesel a été de 25%, celle du kérosène de 15%, et celle de l'essence de 5%. Confirmant ces tendances, le 21 octobre dernier, la Banque centrale révélait des prévisions d'inflation atteignant 30% d'ici la fin de l'année 2016, justifiées non seulement par la poursuite de la dépréciation du métical, mais aussi par l'augmentation du coût de l'essence. Or, en février 2008, en septembre 2010 et en novembre 2012, Maputo, sa voisine Matola et quelques villes de province avaient connu des « émeutes de la faim » suite à une inflation dans l'alimentaire et dans le transport public. À terme, cette hausse du coût de l'essence est donc explosive.

En dehors de mesures vaines prises en novembre 2015 pour mieux contrôler les flux de dollars et de méticals, et d'une hausse inappropriée des taux d'intérêt par la Banque centrale en août et en octobre 2016, l'exécutif a semblé bien incapable de répondre à la crise. « Nous n'avons pas les moyens de contrôler la tendance mondiale de l'économie, ça ne dépend pas de nous », expliquait devant les députés, le 16 décembre 2015, un président Nyusi qui rejetait la responsabilité de la situation sur la conjoncture mondiale. Interrogé par le journal portugais Lusa le 17 décembre 2015, Castel-Branco dénonçait l'incapacité des autorités à s'attaquer aux causes profondes de la crise : « La Banque centrale ne sait pas quoi faire, elle ne touche pas aux questions de fond, et prend à peine quelques mesures classiques pour contenir le chute du métical et la fuite de capitaux, mais les mécanismes qui sont utilisés influent à peine sur de petites choses. » Et la nomination, le 1er septembre 2016, d'un économiste sorti du sérail du FMI, Rogério Lucas Zandamela, au poste de gouverneur de la Banque centrale du Mozambique, n'y a pas changé grand-chose. Le jour même de sa prise de fonction, un analyste, Nini Satar, expliquait sur le site internet de TVE24 : « [La Banque centrale] a ses coffres totalement vides, les réserves internationales pratiquement n'existent pas, le pays n'exporte rien pour l'obtention de devises, le FMI et la Banque Mondiale ont suspendu leurs relations avec le Mozambique à cause des fameuses dettes cachées. [...] Je doute qu'à court terme [Zandamela] parvienne à inverser la situation actuelle de marasme économique. » Dans l'hebdomadaire O País, l'économiste Roberto Júlio Tibana expliquait, en août 2016, que le remboursement de la fameuse « dette cachée » (dívida escondida) passerait par des coupes budgétaires au sein de l'appareil d'État et par le retour d'un climat politique apaisé. Or, le gouvernement, qui se contente de mesures d'austérité inadaptées à une économie comme celle du Mozambique, n'a pas encore pris la mesure des réformes à engager.

La dégradation des indicateurs économiques, déjà alarmants, s'est brusquement accélérée cet automne, alors que des soupçons sont apparus sur une nouvelle « dette cachée », cette fois de 900 millions de dollars, et qui concernerait plusieurs entreprises liées au parti au pouvoir, le Frelimo. Elle s’ajoute à des emprunts opaques d’une valeur totale de 300 millions de dollars, révélés dans la même période, réalisés en faveur de la société Aéroports de Mozambique ces huit dernières années, et qui n’avaient pas non plus été inscrits dans les comptes publics… Le 25 octobre, le ministère des Finances révélait que l'État était dans l'incapacité de respecter les délais de paiement à venir relatifs au remboursement de la dette des entreprises Ematum, MAM et ProIndicus. Début novembre, les intérêts de la dette publique, avec plus de 25% par an, sont devenus les plus élevés du monde, dépassant ceux du Venezuela, et faisant du pays l'un des plus risqués pour investir. La situation des comptes publics accule finalement le gouvernement. La question d'une restructuration de la dette relative aux trois entreprises susmentionnées (Ematum, MAM et ProIndicus) est à présent posée. Pire, une nouvelle aide du FMI s'avère désormais nécessaire pour éviter le défaut de paiement. Dans cette perspective, l'exécutif a engagé depuis près de trois mois les procédures nécessaires pour que soit mené par un prestataire privé étranger (le bureau d'étude anglais Kroll) un audit de la dette, condition sine qua non imposée par le FMI avant tout nouveau plan de soutien.

« Le devoir de chacun de nous est de tout donner au peuple, d'être les derniers quand il s'agit de bénéfices, les premiers quand il s'agit de sacrifices, disait en son temps Samora Machel, premier président du Mozambique (1975-1986). C'est cela, servir le peuple mozambicain. » L'anathème a depuis longtemps été jeté sur ces quelques mots de bon sens. Comme le rappelait le 1er septembre dernier l'analyste Nini Satar (toujours sur le site de TVE24), alors qu'Ernesto Goveia Gove quittait le gouvernorat de la Banque centrale du Mozambique qu'il dirigeait depuis 2006 : « Quand la presse internationale et locale a abordé le sujet [des "dettes cachées"], Gove a nié savoir quoi que ce soit [...]. Dans sa dernière conférence de presse, [...] il n'a pas voulu faire de commentaires sur les "dettes cachées". Bref, les dettes occultes n'ont pas été contractées avec l'autorisation d'Ernesto Gove. C'est resté loin de sa sphère de décision. Il y a eu une opération machiavélique de qui a réellement pris la décision. » Pour l'anecdote, ce même Ernesto Gove prenait, dans la foulée de son remplacement, des vacances de luxe sur les plages de Miami, aux États-Unis, comme un bras d'honneur franc et sincère envoyé à tous ses concitoyens mozambicains à qui on demandait au même moment de se « serrer la ceinture ». Le 7 octobre dernier, interrogé sur VOA, Adebe Selassie, directeur de la branche mozambicaine du FMI, enfonçait le clou : « Ce n'est pas le FMI qui a été trompé, c'est le peuple mozambicain. » Et comme si cela ne suffisait pas, quelques jours plus tard, le gouvernement, par la voix du ministère de l'Économie et des Finances, annonçait une hausse des indemnités parlementaires, en même temps que des coupes sèches dans les services de la fonction publique, et le gel des salaires des fonctionnaires de basse catégorie – soit les plus nécessiteux. Même en termes de communication, l'exécutif est d'une nullité surprenante. Il y a tout juste quelques jours, l'année 2016 s'est conclue avec une réduction de 50% du « 13ème mois » de salaire dans la fonction publique.

« Le Mozambique suit le bon chemin, ne vous préoccupez pas de la montée du dollar, il n'y a pas de raison de s'alarmer à cause de la crise, déclarait à la presse dès novembre 2015 Alberto Chipande, le parrain politique du président Nyusi. C'est vrai qu'on parle de vol ou de détournement d'argent, mais ça ne peut pas être motif à s'alarmer... Les vols vont continuer parce que nous sommes humains et, comme si ça ne suffisait pas, nous ne sommes pas des saints. » Le message est on-ne-peut-plus clair. Les dirigeants d'hier et d'aujourd'hui s'en sortent sans une égratignure. Pire, le peuple mozambicain sait bien qu'il paiera les pots cassés des dérapages budgétaires ; ainsi, en novembre 2016, le ministre de l'Économie et des Finances Adriano Maleiane déclarait : « Je demande patience aux Mozambicains, nous allons encore souffrir. » Le mois dernier, il confirmait le maintien en 2017 de lourdes mesures d'austérité budgétaire. Auparavant, le 8 juin 2016, en session extraordinaire du Parlement, le même Maleiane annonçait que le remboursement de la dette publique prendrait, selon ses prévisions, dix ans et neuf mois... Autrement dit, si Filipe Jacinto Nyusi est réélu en 2019 (ce qui est plus que probable), il aura passé presque toute sa présidence à gérer les dettes contractées par son prédécesseur – et dont il est lui-aussi comptable, puisqu'il était tout de même ministre de la Défense entre 2008 et 2014. Beau changement !

Dans la zone de Museu, dans le centre-ville de Maputo, où se concentrent un grand nombre de transports publics.

Dans la zone de Museu, dans le centre-ville de Maputo, où se concentrent un grand nombre de transports publics.

... qui s'ajoute à des pratiques népotiques persistantes

Le monde politique, lui, ne change pas ses habitudes. Alors que le voisin tanzanien a engagé depuis deux ans des économies drastiques dans le train de vie de la présidence de l'État et des ministères, le Mozambique est encore loin de suivre ce bon exemple. En 2016 par exemple, en pleine période de « vaches maigres » pour les Mozambicains, le ministère de l'Économie et des Finances gaspillait des millions de méticals dans... l'acquisition de voitures de fonction. Autre exemple, alors qu'un voyage présidentiel coûte entre 300.000 et 500.000 dollars au contribuable mozambicain, les séjours de Nyusi à l'étranger se multiplient, parfois de façon injustifiée. En 2015 par exemple, Nyusi s'est rendu à Malte pour la Rencontre des chefs de gouvernement du Commonwealth ; le Premier ministre mozambicain, Carlos Agostinho do Rosário, était alors en visite en France, où sa délégation est restée 17 jours (!), composée de ministres, de journalistes, de conseillers, etc. Énième exemple de gaspillage : quand le 8 juin 2016, était réalisée une session extraordinaire de l'Assemblée de la République pour un coût de 14 millions de méticals... et pour, comble de l'ironie, débattre de la dette ! Une dépense qui aurait pu être évitée, si le groupe parlementaire du Frelimo avait accepté, quelques semaines auparavant, la demande de l'opposition de pouvoir interpeller le gouvernement au moment où étaient découverts les emprunts occultes.

La crise mozambicaine vient de loin, comme l'avaient déjà illustré les « émeutes de la faim » de 2008 et de 2010. L'économie mozambicaine présente de lourdes fragilités structurelles, accentuées par les mauvais choix gouvernementaux. La volatilité de la monnaie, mais aussi des cours mondiaux des produits alimentaires et des matières premières, entraînent régulièrement, tous les deux ou trois ans, des hausses de prix. La croissance du pays est par ailleurs artificiellement gonflée par l'exportation de matières premières et des travaux d'infrastructure lourds, alors que les conditions de vie de la majorité de la population ne s'améliorent pas vraiment. En outre, le climat politique et la lourdeur de l'administration, minée par la corruption, entravent l'essor du secteur privé.

Corruption, clientélisme, manque d'infrastructures, cas de rapts d'entrepreneurs étrangers (surtout asiatiques), guerre « de basse intensité » menée par le bras armé de l'opposition : le contexte national « marécageux » freine les investissements étrangers : « Aucun étranger ou Mozambicain qui a la possibilité d'avoir une épargne significative ne la laisse ici, expliquait en novembre 2015, au journal @Verdade, l'économiste António Francisco. Le Mozambique a toujours été un repoussoir. » La dépendance vis-à-vis des créanciers extérieurs est considérable  encore le 18 décembre 2015, un emprunt d'urgence de 283 millions de dollars était concédé par le FMI, pour soutenir l'activité et rééquilibrer les finances. La dette publique a atteint en 2016 le triste record de 112,6% du PIB. Une étude de la Banque du Mozambique indiquait en 2014 qu'à peine 2% des Mozambicains détenaient une épargne, et qu'une grande partie de l'épargne nationale provenait en fait des entreprises ; à peine 500.000 personnes sont donc concernées, sur un total de 26 millions d'habitants. António Francisco précisait ainsi, dans le même interview : « Consciemment ou inconsciemment, [l'État] a opté pour ne pas investir dans son épargne, mais pour utiliser l'épargne des autres. [...] Avant 2020, nous arriverons à une situation de dette impayable et ensuite, comme nous sommes de bons garçons et de petits pauvres, parce qu'on nous a déjà pardonné auparavant nos errements, pourquoi ne le ferait-on pas une autre fois ? »

Des scandales divers de corruption et d'abus de fonds publics qui ont eu lieu sous la présidence Guebuza et sous celle de Nyusi ont fait la Une des médias mozambicains. Le cas Ematum a été volontairement occulté parmi les Unes ci-dessus, mais évidemment, il a lui-même fait l'objet d'innombrables articles depuis le début du mandat Nyusi.

Des scandales divers de corruption et d'abus de fonds publics qui ont eu lieu sous la présidence Guebuza et sous celle de Nyusi ont fait la Une des médias mozambicains. Le cas Ematum a été volontairement occulté parmi les Unes ci-dessus, mais évidemment, il a lui-même fait l'objet d'innombrables articles depuis le début du mandat Nyusi.

Le principe même d'intérêt général n'est plus pris en compte, alors que l'administration toute entière est fortement marquée par le clientélisme et le népotisme, qui jettent leurs bases sur l'allégeance au parti au pouvoir. À l'heure où le pays s'est ouvert aux investisseurs étrangers, au risque de sacrifier ses ressources naturelles et son écosystème sur le long terme (nous l'expliquions largement dans cet article de juillet 2015 : Au Mozambique, la croissance économique assure-t-elle le développement ? (1/2) Agriculture intensive, industries extractives, méga-projets : quelles sont les victimes collatérales du « progrès » ?), l'accaparement des leviers de pouvoir et des richesses produites par une minorité n'est donc pas dû au hasard. Or, sur ce point, la gouvernance Nyusi perpétue les pratiques de son prédécesseur. Celles-ci sont aussi inefficaces économiquement qu'injustes socialement, car elles soumettent à l'appétit d'investisseurs voraces une population de « petits paysans » très vulnérable – pour rappel, huit Mozambicains sur dix pratiquent l’agriculture, en majorité sur des parcelles de moins de deux hectares. Depuis six mois, la Loi de Contenu Local, qui vise à réglementer les liens entre les grands projets entrepreneuriaux et les petites et moyennes entreprises mozambicaines (et à donner la part belle à ces dernières), traîne en longueur, comme un symbole de l'incapacité du gouvernement à engager des réformes de fond ; annoncée par le journal Notícias le 17 août dernier, elle pourrait sortir tronquée et finalement servir les intérêts de la bourgeoisie nationale. Compte tenu du contexte, ce ne serait pas une surprise. Rappelons par exemple qu'il y a un an, le Centre d'Intégrité Publique exprimait de sérieux doutes sur le nouveau consortium de deux entreprises (sud-africaine et chinoise) devant construire, pour un coût de 6 milliards de dollars, un gazoduc entre la province de Cabo Delgado, et celle, en Afrique du Sud, du Gauteng : le CIP notait alors une « promiscuité entre les négociants de l'État et les partenaires privés », alors que les interlocuteurs privés mozambicains investis dans le projet étaient issus du sérail du parti au pouvoir.

Les caciques du Frelimo, qu'ils soient proches de Guebuza ou de Nyusi, sont à l'origine de situations de conflits d'intérêt plus qu'opaques. Ils ont créé des sociétés de commercialisation, d'import-export, de conseil ou de sous-traitance pour profiter de la présence d'entreprises étrangères et du boom de l'économie. La liste de membres du gouvernement ayant un pied dans le secteur privé et bénéficiant de facilités de l'État pour prospérer est considérable : le ministre de la Mer et des Pêches et celui de l'Industrie et du Commerce dans l'immobilier, le ministre de l'Intérieur dans les secteurs pharmaceutique et minier, le ministre de la Justice dans les transports, l'hôtellerie et la logistique commerciale, le ministre des Travaux publics dans l'élevage... Tous détiennent des participations importantes ou dirigent des entreprises privées, dans des domaines divers, mais presque toujours liés à l'État. Encore le 17 octobre dernier, était nommée au poste de ministre des Ressources naturelles Letícia da Silva Klemens, une femme d'affaires issue du secteur bancaire, et qui conservait des intérêts puissants, en lien avec d'autres ténors du Frelimo, dans de nombreuses sociétés, certaines liées à l'extraction minière ; selon le journal @Verdade, « sa nomination tient à un lobby qui prend ses racines sur le plateau makondé », en référence à la terre natale de l'actuel chef de l'État (et de son oncle Alberto Chipande), dans la province de Cabo Delgado.

Les proches de la vieille garde du Frelimo ne sont pas en reste. Le cas des enfants Guebuza est emblématique. Dernier exemple en date, le 29 juin 2016, l'hebdomadaire Canal de Moçambique révélait que les 450 caméras de surveillance alors installées dans les villes de Maputo et Matola étaient montées par une entreprise détenue par l'un des fils Guebuza, et que le projet, basé sur une demande d'ordre militaire, incluait des écoutes téléphoniques. Et le fils de l'actuel président, Florindo Jacinto Nyusi, semble bien parti pour devenir lui-aussi, pour reprendre le mot de Canal de Moçambique en novembre 2015, l'« enfant riche d'un pays pauvre ».

Définitivement, ce pays souffre de profondes carences en termes de transparence des finances publiques, mais aussi de l'absence d'une condamnation sincère des abus actuels et passés. Le 22 juin 2016 par exemple, la Procureure-générale de la République affirmait ne pas avoir assez de matière pour ouvrir une enquête contre Armando Emílio Guebuza, sur un cas avéré de corruption impliquant la société italienne de pétrole ENI. « Monsieur 5% » (un sobriquet donné à Guebuza pour les « commissions » qu'il s'octroyait lors de l'attribution des contrats publics) s'en sortait à bon compte, une fois encore. Or, cet état d'impunité prévaut tant que le président Nyusi demeure passif sur les questions de conflit d'intérêt et de transparence des comptes publics. En décembre 2015, cas emblématique, le groupe du Frelimo à l'Assemblée empêchait la constitution d'une commission parlementaire chargée d'enquêter le cas Ematum.

La corruption touche tous les niveaux de l'administration publique, des ministères à la petite main. En novembre 2015, une grève des chapas (transports collectifs) à Maputo est venue l'illustrer : les chauffeurs et rabatteurs de certaines lignes spécifiques protestaient alors contre l'extorsion systématique organisée sur leurs activités par les polices municipale et routière. En février 2016, la campagne (Cf. image ci-contre) menée par le Conseil municipal de Maputo pour lutter contre la corruption policière à l'échelle citoyenne illustrait l'ampleur du défi à relever. Exemple frappant : il y a à peine trois semaines, un agent de la circulation, suspendu pour avoir soutiré de l'argent à des touristes étrangers (le fameux « refresco »), s'est vu confisquer la somme de 28.000 meticals trouvée sur lui sous la forme de diverses devises, et dont l'origine douteuse semble clairement être l'extorsion aux automobilistes.

En mars 2016, un rapport du Centre d'Intégrité Publique sur la corruption dans le milieu des affaires au Mozambique donnait au pays une note de zéro sur une échelle de 0 à 100, tant pour la mauvaise application des lois anti-corruption que pour l'absence de mesures visant à lutter contre les conflits d'intérêt, notamment avec la sphère politique. En théorie, dit le rapport, soudoyer les fonctionnaires est interdit, mais « l'efficacité [en la matière] n'est pas évidente ». Il ajoute qu'« un nombre significatif d'entreprises qui rencontrent le succès aujourd'hui ont eu un accès privilégié aux ressources du secteur public, en conséquence de leurs liens politiques. [...] Résultat, les incitations pour promouvoir l'intégrité publique [...] sont très limitées. » Quant à la qualité du travail du Cabinet Central chargé du Combat contre la Corruption, elle n'est pas questionnée.

L'actualité récente est à ce titre illustrative. Le 23 novembre dernier, le Parlement votait à l'unanimité une loi interdisant l'exportation de bois du Mozambique, quelle qu'en soit l'espèce. L'objectif étant de mettre fin au déboisement délirant dont sont victimes plusieurs provinces. Là encore, le problème est pris par le mauvais bout : certes, les quotas d'exportation étaient trop élevés pour ce que l'écosystème mozambicain pouvait supporter en termes d'exploitation, toutefois les abus dans ce domaine ne relèvent pas d'une carence législative, mais de la corruption à tous les niveaux (du petit fonctionnaire des douanes à l'élu local ou national). Sans lutte réelle contre la corruption, le problème reste entier. Idem pour la sauvegarde de la biodiversité : ces cinq dernières années, au moins 124 éléphants auraient été abattus par des braconniers (mozambicains ou tanzaniens) dans la seule région montagneuse de Taratibo, dans le Parc national des Quirimbas (province de Cabo Delgado). Cette cadence mortifère ne s'est nullement ralentie depuis l'arrivée au pouvoir du président Nyusi, bien au contraire : alors que la zone de Taratibo comptait fin 2015 quelques 200 éléphants, le dernier inventaire faisait état d'à peine 30 de ces pachydermes. Or, il est de la responsabilité des pouvoirs publics de préserver l'écosystème mozambicain, si riche et en même temps si menacé. Cerise sur le gâteau, le 27 novembre, le Ministère de la Mer, des Eaux Intérieures et des Pêches annonçait estimer à 57 millions de dollars les pertes annuelles du Mozambique liées à la pêche illégale et à l’inexistence d’une fiscalisation maritime effective le long des 2.800 kilomètres de côte. Un comble quand on se rappelle des montants des « dettes opaques » liées au scandale Ematum et à la protection maritime…

Le changement annoncé par Nyusi pendant sa campagne n'est pas encore arrivé. Sur divers aspects, sa présidence s'inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs. De gauche à droite : Samora Machel (1975-1986), considéré comme le « père de la nation », Joaquim Chissano (1986-2005), Armando Emílio Guebuza (2005-2015) et Filipe Jacinto Nyusi.

Le changement annoncé par Nyusi pendant sa campagne n'est pas encore arrivé. Sur divers aspects, sa présidence s'inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs. De gauche à droite : Samora Machel (1975-1986), considéré comme le « père de la nation », Joaquim Chissano (1986-2005), Armando Emílio Guebuza (2005-2015) et Filipe Jacinto Nyusi.

Un climat général nauséabond

La posture faussement ouverte de Filipe Jacinto Nyusi avec le principal parti d'opposition n'a pas empêché celui-ci, la Résistance Nationale du Mozambique (Renamo), de renouer, comme en 2013-2014, avec des pratiques de maquis et d'accrochages sporadiques visant à déstabiliser le pays. Ce même parti d'opposition qui avait, entre 1977 et 1992, mené la lutte contre le régime du Frelimo et entraîné le pays dans la guerre civile. Comme nous le décrivions en avril 2016 (Décentralisation au Mozambique : après l'impasse politique, la guerre ?), les affrontements qui ont opposé le bras armé de la Renamo aux forces gouvernementales depuis près de deux ans ont largement repris depuis deux ans. Cela contribue à la fois à la dégradation des comptes publics, en justifiant à un niveau élevé les dépenses militaires, et au maintien du pays dans un état d'insécurité persistant. En outre, des divergences de fond existent entre Nyusi et son état-major d'une part, et d'autre part la vieille garde du Frelimo, très conservatrice dès qu'il s'agit de la Renamo. Au final, rien ne bouge : la Renamo maintient une guérilla « de faible intensité », et le Frelimo se refuse à réformer la Constitution pour amorcer la décentralisation au niveau des régions. L'une des conséquences en est le déplacement de milliers de personnes dans le centre et le nord du pays – 12.000 réfugiés sont actuellement recensés au Malawi. Signe que l'approche sécuritaire reste de mise, le 9 mars, le 27 mai et le 22 juillet 2016, l'armée a procédé à des offensives lourdes sur le maquis du Gorongosa, où se trouve le QG de la Renamo, dans la province de Sofala ; en septembre dernier, elle s'est emparée de deux bases rénamistes, l'une dans le district de Morrumbala, dans la province de Zambézie, l'autre dans le Gorongosa, et en octobre, elle en a démantelé une autre base dans le district de Mocuba, en Zambézie.

Tout n'est pas de la faute du pouvoir, puisque la Renamo, en toute illégalité, maintient une branche armée et poursuit ses actions violentes. En septembre dernier, par exemple, l'armée a dû intervenir pour faire échouer un assaut des miliciens rénamistes sur le chef-lieu du district de Nhamatanda, dans la province de Sofala, et sur un poste de police du district de Lugela, en Zambézie. Idem début octobre, les Forces de Défense et Sécurité ont dû riposter à trois attaques rénamistes dans la zone du fleuve Fudza, aux confins des provinces de Zambézie et de Sofala. En outre, courant octobre, les miliciens de la Renamo ont visé par balle à au moins trois reprises un convoi de la ligne ferroviaire Nampula-Cuamba, dans le nord du pays. Dans la même période, dans la province de Nampula, des chefs communautaires du district de Meconta dénonçaient des persécutions présumées menées par la Renamo. Le 31 octobre dernier, la police mozambicaine confirmait quant à elle l'assassinat par la Renamo de deux secrétaires locaux du parti Frelimo dans la province de Sofala (et une tentative de meurtre sur un troisième). Enfin, le 8 novembre dans la province de Manica (dans un contexte de recrudescence des flux de déplacés dans cette région), puis le 19 décembre dans celle de Sofala, la Renamo attaquait des convois civils, pourtant escortés par des militaires.

Toutefois, le rapport de force voulu par Nyusi, dont les troupes ont cherché, à l'automne 2015, à désarmer manu militari la Renamo, illustre son manque de clairvoyance. Le chef de l'État aborde, comme son prédécesseur le faisait déjà, le différend politique avec la Renamo comme un problème purement sécuritaire – les députés du Frelimo ont d'ailleurs déposé le 27 octobre dernier une demande auprès de la Procureure-générale pour déclarer illégale la Renamo, accusée d'« attaques sur des unités sanitaires, sur des autocars et trains de transport de passagers et de marchandises », et d'« agir contre les lois ». Pourtant, au-delà des postures partisanes opportunistes (de part et d'autre), le conflit relève, comme l'expliquait déjà un article de septembre 2015 (Mozambique : les plaies de la guerre civile toujours ouvertes), de questions identitaires très profondes dont la persistance remet en cause, à long terme, l'unité territoriale du Mozambique. En outre, comme l'a rappelé la Renamo en septembre dernier, depuis 22 ans, y compris sous la présidence Nyusi, de larges pans de l'accord de paix ayant mis fin à la guerre civile, signé à Rome en 1992, n'ont jamais été mis en œuvre par le pouvoir. C'est notamment vrai s'agissant de la neutralité de l'État (despartidarização do Estado), ou encore de l'intégration des miliciens rénamistes dans les Forces armées de défense du Mozambique (FADM), dans la Police de la République du Mozambique (PRM) et dans les Services d'Information et de Sécurité de l'État (SISE).

Le 23 février 2016, Human Rights Watch dévoilait le témoignage de dizaines de réfugiés au Malawi, portant des allégations graves relatifs à des cas d'exécutions sommaires, d'abus sexuels et de mauvais traitements perpétrés par l'armée mozambicaine, en particulier dans la province de Tete. Surtout, la découverte par des campagnards, le 27 avril, d'une fosse commune comportant 120 cadavres, près du Gorongosa, révélait des pratiques de rapts, d'assassinats et de violences intolérables dans un État de droit qui aspire à la démocratie. Et ça n'est là que la partie visible de l'iceberg. Les offensives successives contre les positions de la Renamo révèlent un « niveau extrême d'intolérance politique au Mozambique », expliquait le 31 mars 2016 le politologue João Pereira, qui mettait alors en exergue le double discours de la présidence de la République, principal frein, selon lui, au rétablissement d'un semblant de confiance avec l'opposition. L'actualité ne manque pas d'exemples pour l'illustrer : le lynchage d'un opposant politique, Saousa Matola, dans la ville de Tete en décembre 2015 ; le meurtre par balle d'un responsable militaire de la Renamo, José Manuel, le 9 avril 2016 à Beira ; la découverte, le 14 juillet 2016, du corps sans vie d'un ancien député de la Renamo, Manuel Francisco Lole, kidnappé deux jours auparavant dans la localité de Chimoio ; ou encore les assassinats par balle, le 8 octobre dernier à Maputo, de Jeremias Pondeca, représentant de la Renamo au sein du « dialogue national », et le 30 octobre à Beira, de Juma Ramos, président du groupe rénamiste à l'assemblée provinciale de Sofala. Ces faits sont non seulement graves et inquiétants, mais en l'occurrence, ils éloignent toujours plus le pays de la paix et de la démocratie. En avril 2016, Canal de Moçambique divulguait une liste de membres de la Renamo qu'un supposé « Escadron de la mort » constitué par le pouvoir serait chargé d'éliminer.

Pire, les personnalités politiques ne sont pas les seules visées. Le 3 mars 2015, l'assassinat par balle du constitutionnaliste franco-mozambicain Gilles Cistac, quelques semaines à peine après l'apparition dans les réseaux sociaux de lourdes menaces de mort visant quatre intellectuels critiques à l'égard du pouvoir, illustrait les tensions entourant le débat passionné sur la décentralisation. Le 8 décembre 2015, la tentative de meurtre (par balle là-aussi) de l'analyste politique Carlos Jeque relevait de la même dynamique morbide. Le 23 mai 2016, suivant le même mode opératoire – meurtre par balle, en plein jour et en pleine rue dans la capitale –, des individus non-identifiés assassinaient le politologue et commentateur-TV José Jaime Macuane.

Plus généralement, le pouvoir mozambicain a encore du mal à accepter les critiques contre sa politique, voire la remise en cause de sa légitimité. Quelques exemples suffisent à s'en convaincre. En septembre 2015, s'achevait le (long) procès de l'économiste Nuno Castel-Branco et de l'éditeur du quotidien Mediafax Fernando Banze, respectivement accusés par la Procureure-générale de « crime contre la sécurité de l'État » et « abus de la liberté de la presse » pour avoir publié en 2013 une tribune acerbe contre la gouvernance du président de l'époque, Guebuza. Si le verdict a tranché sur l'innocence des deux accusés, le procès en soi était déjà problématique, car il illustrait la vision étriquée de la liberté d'expression portée par le régime. Autre symbole : le 18 novembre 2015, les députés du Frelimo ont approuvé l'adoption d'un instrument qui donne des largesses aux autorités pour opérer des écoutes téléphoniques de citoyens mozambicains. En outre, les mouvements de protestation sont très mal vu par le pouvoir, et cela s'ajoute à un très faible degré de professionnalisme des forces de l'ordre. En janvier 2015 par exemple, des armes à feu ont été utilisées pour disperser une manifestation de protestation à Manhiça, une banlieue de Maputo – le porte-parole de la police avait alors déclaré : « Nous utilisons des balles réelles pour rétablir l'ordre à Manhiça, mais il n'y avait pas intention de tuer... » Le 30 mars 2016, c'est l'expulsion du territoire d'une citoyenne espagnole ayant participé, avec des activistes mozambicains, à une manifestation non-autorisée pour défendre l'intégrité des filles dans les écoles, qui a rappelé le niveau d'intolérance du gouvernement.

Beaucoup plus récemment : la Loi sur les Transactions Électroniques, approuvée à l'unanimité de l'Assemblée le 17 novembre et promulguée ce lundi 9 janvier, établit certes des mesures générales somme toute banales, comme un régime de sanctions visant les « infractions cybernétiques », pour rassurer les citoyens qui seraient frileux à l'idée de mener des transactions électroniques, ou encore l'obligation pour les fonctionnaires et agents de l'État d'utiliser le domaine Internet « mz » ; plus inquiétant toutefois, la même loi criminalise la circulation de textos, de mails ou de messages sur Internet qui seraient considérés comme insultants ou comme mettant en cause la sécurité de l'État. Autre cas emblématique : suite à un appel à manifester pacifiquement, diffusé sur les réseaux sociaux, visant probablement à dénoncer les scandales financiers révélés quelques semaines auparavant, les autorités ont déployé, vingt-quatre heures avant le rendez-vous pris sur la toile (le 29 avril 2016), un arsenal impressionnant de policiers, de militaires, de chiens et de voitures de guerre dans toute la capitale. Pas de protestation ce jour-là... Tout n'est pas de la faute du chef de l'État, mais ce type de réaction disproportionnée, d'autant plus étonnante qu'en face, les abus d'une élite qui s'accapare toutes les richesses font l'objet d'une impunité totale, sont clairement de la responsabilité de la majorité en place.

Il en est de même pour la lutte contre l'insécurité, notamment en milieu urbain, où elle est en hausse exponentielle. Sans atteindre les statistiques des vols et des homicides de sa voisine Johannesburg, Maputo est victime de phénomènes qui lui étaient encore inconnus il y a une quinzaine d'années : trafics d'armes, kidnappings, vols à main armée, etc. Pire, les statistiques officielles sont incomplètes, comme le confirmait la Procureure-générale Beatriz Buchili en octobre dernier, quand elle déclarait à DW Afrique, que « les autorités judiciaires et policières mozambicaines ne disposent pas de ressources [...] suffisantes pour évaluer l'onde de criminalité », dans laquelle les pratiques de corruption et le blanchiment d'argent prennent une place toute particulière, et pour cause, ils relèvent bien souvent d'un « crime organisé transnational » grandissant. Elle manifestait alors sa préoccupation face à la « pénétration [du crime organisé] dans les institutions d'État, y compris le secteur judiciaire », ajoutant même : « Le fait est que les autorités mozambicaines affrontent de sérieuses difficultés pour traiter tous ces crimes, y compris ceux de nature économique et financière. » En outre, elle déplorait également le manque de « coopération juridique et judiciaire pour accélérer les investigations » sur les crimes tels que les assassinats politiques.

Dans ce contexte, deux faits sont à noter dans la lutte contre la grande insécurité. Tout d'abord, l'arrestation du mandataire supposé de nombreux rapts, Danish Abdul Satar, en décembre 2015, même si elle ne doit rien aux autorités mozambicaines, puisqu'il a été interpellé en Italie par Interpol, avant d'être transféré à Maputo... Surtout, elle était suivie, le 11 avril 2016, du meurtre par balle du procureur de la République Marcelino Vilanculo, à Matola ; tout comme le juge de l'inspection criminelle Dinis Silica, tué lui-aussi (en mai 2014), il investissait sur plusieurs cas de rapts, et notamment sur la mise en accusation de ce même Danish Abdul Satar. Seconde actualité encourageante : le 2 mars 2016, le président Nyusi a démis de ses fonctions Jorge Khalau, Commandant-général de la Police du Mozambique – celui-là même qui, en poste de 2008 à 2016, a laissé croître le nombre de rapts, d'assassinats, et le crime organisé.

Centre-ville de Maputo.

Centre-ville de Maputo.

« On va bien voir ce qu'il va faire, peut-être qu'il fera de bonnes choses » est une phrase que l'on entendait souvent à l'époque où Filipe Jacinto Nyusi a pris ses fonctions, y compris dans la bouche de citoyens n'ayant pas voté pour lui. Le temps qui passe indique malheureusement que le « changement » espéré n'est pas pour tout de suite. Le gouvernement se contente d'expliquer la crise économique par des facteurs exogènes, sans autocritique, et sans apporter une vision claire sur la conduite du pays. Sur le dossier de la crise post-électorale, à peine les Mozambicains peuvent-ils jeter leurs espoirs sur le cessez-le-feu proclamé par la Renamo le 27 décembre ; le lendemain, en signe d'apaisement, la police mozambicaine suspendait l'escorte systématique des convois civils, mise en place moins d'un an auparavant sur certains tronçons routiers, dans le centre du pays. Au cours de la première semaine de janvier, au moins trente familles déplacées sont même revenues dans leur localité, dans le district de Mopeia, en province de Zambézie, où les accrochages avaient été parmi les plus violents en 2016 ; trois écoles y ont d'ailleurs rouvert. Mais cette trêve, loin d'être la première, reste fragile, comme venait de le rappeler, le 29 décembre, la mort par balle d'un responsable local de la Renamo dans la province de Nampula, et quelques jours plus tard, l'assassinat d'un autre membre du parti d'opposition, dans la province de Tete. Surtout, restent irrésolus les différends politiques profonds opposant depuis des décennies le Frelimo à la Renamo.

Au-delà de la crise sécuritaire et de ses conséquences dramatiques, la situation sociale, la chute de la devise mozambicaine, et surtout la découverte de la « dette cachée », avec en perspective un nouvel état de dépendance vis-à-vis du FMI, tout atteste que les injustices perdurent et que le niveau de vie ne va pas d'améliorer de sitôt, et cela, le citoyen lambda en a bien conscience. « On ne sait même pas comment passer Noël et le Nouvel an avec la famille, expliquait en décembre 2015 Borges, un citoyen las, résidant à Zimpeto, une banlieue de Maputo. Notre gouvernement, c'est de la merde. »

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