Par David Brites.
Alors que la qualité des débats politiques avait été relativement bonne lors de la primaire de la droite, en novembre, et celle de la gauche, en janvier, le traitement de l’information par les médias est redescendu depuis quelques semaines à un niveau lamentable. L’actualité des déboires judiciaires de François Fillon y est pour beaucoup. Tâchons de recentrer le débat sur des problématiques de fond, car cette présidentielle, quel qu’en soit le traitement par les JT et les journaux, a matière à intéresser les électeurs ; en effet, elle oppose des visions politiques et surtout économiques réellement divergentes (une fois n'est pas coutume), et donc de vrais choix programmatiques. Or, les deux candidats les mieux placés pour l’emporter en mai prochain : François Fillon à droite et Emmanuel Macron au centre – si l’on retient que Marine Le Pen a peu de chances de gagner le second tour – ont en commun une vision libérale de l'économie, et une approche austère de la dépense publique.
Si les cinq principaux candidats (Le Pen, Macron, Fillon, Hamon et Mélenchon) affichent des programmes bien différents, le plus probable est donc que d’ici un mois et demi, la France, à contre-courant de nombreux de ses voisins, se dote d’une majorité adepte des critères de Maastricht qui imposent aux membres de la Zone euro une certaine rigueur budgétaire. Comme si, après dix années de Sarkozy et Hollande, marquées par les hausses d’impôt et l’absence de plans de relance par l’investissement public, aucune leçon n’avait été retenue.
Que l'on soit d'accord ou pas avec les idées de François Fillon ou de Benoît Hamon, il faut reconnaître que les deux personnages portent, chacun à sa manière, un programme clair : conservateur en matière de mœurs et économiquement libéral pour le premier, post-marxiste et libertaire pour le second. Les propositions de l'un et de l'autre ont cristallisé les débats lors des deux primaires, notamment la rigueur budgétaire et la remise en cause de notre système de sécurité sociale à droite, et le revenu universel d'existence et la taxation des machines à gauche. La prestation de Fillon dans les trois débats du premier tour en octobre et novembre 2016, tout comme celle de Benoît Hamon sur France 2, dans L'émission politique le 8 décembre, puis dans ses meetings, ont représenté des tournants décisifs dans leur campagne respective. Preuve s'il en est que face aux continuelles promesses farfelues et aux marques flagrantes d'inconstance ou d'insincérité (de Sarkozy à droite, de Valls à gauche), les électeurs ont privilégié la constance idéologique, quitte à choisir pour cela les moins modérés des candidats. Une fois n'est pas coutume, le fond était donc gagnant sur la forme.
Mais voilà qu’après le flot de commentaires journalistiques haineux à l’égard du programme de Benoît Hamon, largement qualifié d’irréaliste par une profession qui prétend être objective dans ses observations – qui croit encore à cela ? –, le candidat de la droite a été pris pour cible sur la base de ses déboires judiciaires. Comme nous le disions déjà dans un article de février (Benoît Hamon, François Fillon, Emmanuel Macron : les médias feront-ils l’élection présidentielle de 2017 ?), si l’enquête confirme les accusations portées contre le candidat des Républicains, alors François Fillon doit (évidemment) être condamné. Toutefois, la présomption d’innocence primant, le travail de la Justice doit suivre son cours, sans pour autant polluer les débats de fond de la présidentielle. En outre, comment interpréter les réactions de satisfaction d’électeurs de gauche face aux « affaires » successives qui sont révélées sur Fillon, quand on constate que sa chute dans les sondages non seulement n’est pas due à des débats de fond, mais surtout (et en conséquence) ne profite nullement aux candidats de gauche (Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon), à peine à Marine Le Pen et Emmanuel Macron.
Cette campagne, parce qu’elle est totalement incertaine, fait l’objet des spéculations les plus diverses, variées et contradictoires. Comme toujours, les journalistes jouent aux apprentis-sorciers en nous annonçant, parfois des mois à l’avance, le résultat des élections, au risque de dire tout et son contraire à quelques jours d'intervalle. En septembre dernier, Alain Juppé était déjà président de la République. En novembre dernier, c’était François Fillon. En janvier, le tassement d’Emmanuel Macron autour de 18-20% des intentions de vote en faisait un candidat médiocre. Depuis le mois de février, les médias ne jurent (à nouveau) que par lui, et François Fillon peut d’ores et déjà prendre sa retraite. Le fantôme d’Alain Juppé, celui de Nicolas Sarkozy, et, comble de l’absurde, celui de François Baroin, ont même fait une brève apparition pour incarner un improbable plan B, alors que François Fillon, quels que soient ses ennuis judiciaires, bénéficie d’une légitimité très forte depuis la primaire de novembre – où rappelons-le, il l’avait emporté avec deux tiers des voix sur un total de plus de 4 millions de votants.
Alors tâchons de faire preuve de raison, alors que l’enregistrement définitif des candidatures à la présidentielle n’est pas encore terminé, et que les débats officiels n’ont pas démarré : l’élection n’est pas faite, et ceux qui annoncent déjà le résultat devraient faire preuve d’un peu d’humilité, car l’histoire pourrait bien leur donner tort – elle l’a déjà fait à de multiples reprises ces dernières années. À voir notamment si les débats (le premier est prévu sur TF1 le 20 mars) ne redonneront pas un avantage à François Fillon, pour qui ceux de la primaire avaient déjà été déterminants ; Emmanuel Macron en particulier a tout à perdre lors de ces confrontations télévisuelles.
En attendant, le candidat du mouvement En Marche a enfin présenté son programme dans le détail – c’était le 2 mars dernier. Et il s’inscrit, ce n’est pas une surprise, dans la continuité des gouvernements précédents pour ce qui concerne l’Union européenne et le respect des critères de bonne tenue budgétaire instaurés depuis 1993 par le traité de Maastricht, et renforcés par le Pacte budgétaire européen signé en 2012. En cela, tout comme François Fillon, il conforte cette célèbre citation de Philippe Seguin : « La droite et la gauche sont les détaillants du même grossiste, l'Europe. » La droite, la gauche, mais aussi le centre : l'UDF entre 1978 et 2007, le Modem et l'UDI ces dernières années, Macron aujourd'hui.
Sarkozy-Fillon, Hollande-Macron : des recettes qui n'ont pas fait leurs preuves
François Fillon sous son gouvernement (2007-2012), Emmanuel Macron en tant que conseiller économique de François Hollande (2012-2014) puis ministre de l'Économie (2014-2016), ont déjà eu l'occasion de mettre en œuvre leurs idées. Celui que Nicolas Sarkozy considérait comme son « collaborateur » dénonçait la situation de « faillite » de l'État français dès 2007 et, en 2010, parlait de la nécessité de la « rigueur », qu’il a largement appliquée, entre autres par des hausses d’impôt significatives. Macron a quant à lui conseillé un pouvoir qui n’a eu de cesse de poser comme objectif le retour en-deçà de la barre des 3% de déficit budgétaire imposée par les traités européens.
Et aucun des deux n'a dévié sur cette ligne. Le redressement de la France ne viendra pas d'hypothétiques plans de relance, disent-ils, mais de l'image de sérieux dont elle disposera si elle sait tenir ses comptes publics. Et s'il faut des investissements, nous pourrons compter pour cela sur le secteur privé, qui a vocation à être libéré d'un taux d'imposition considéré par les milieux libéraux comme confiscatoire. Aucune leçon n'est retenue, alors qu'il y a seulement trois ans, le président du MEDEF Pierre Gattaz arborait son pin'z promettant la création d'un million d'emplois en échange de réductions de charges aux entreprises – ce qu'il a obtenu, mais on attend encore le million d'emplois. Si la reprise n'est pas au rendez-vous, ajoutent-ils, ne cherchez pas d'explication dans l'essoufflement d'un système économique profondément injuste et inefficace, mais à l'inverse, dites-vous qu'il n'a pas été assez loin : pas assez de rigueur, pas assez de libéralisation du marché du travail, pas assez de sacrifices. Voilà la pilule qu'on souhaite nous faire avaler. Et ceux qui proposent une voie alternative sont des illusionnistes, soit naïfs soit baratineurs.
C'est sur cette posture inflexible que François Fillon a remporté, très largement, la primaire de novembre. Il entend réduire les dépenses de l'État et lâcher du lest sur la fiscalité des entreprises. Il ne promet rien de moins que 50 milliards d'allégements fiscaux et sociaux à destination essentiellement des entreprises (35 milliards) et des hauts revenus avec la suppression de l'Impôt de Solidarité sur la Fortune (5,5 milliards). En revanche, pas de réduction de l'impôt sur le revenu. Pour financer les allégements aux entreprises et aux catégories sociales supérieures, il promet d'augmenter de 2% le taux de TVA et de réduire de 100 milliards (!) les dépenses publiques sur cinq ans. Les économies seraient imputées à hauteur de 30% sur le train de vie de l'État, 20% pour les collectivités locales et 50% pour les administrations de sécurité sociale (retraite à 65 ans, dégressivité et baisse des allocations-chômage). Et ce ne sont là que quelques exemples, qui viennent s'ajouter à la suppression de 500.000 postes de fonctionnaires.
Pour relancer l'économie française, le parti pris de Nicolas Sarkozy, de son Premier ministre François Fillon, puis de François Hollande a été de miser sur une baisse de charges aux entreprises, compensée par des hausses d'impôts aux ménages, et d'attendre ensuite que les créations d'emplois se fassent naturellement. Sous Hollande, cela s'est traduit par l'entrée en vigueur d'un Pacte pour la croissance, la compétitivité et l'emploi (2013) prévoyant le CICE, et par celle du Pacte de responsabilité (2014). Il espérait que les mesures adoptées donneraient un bol d'air suffisant aux entreprises pour leur permettre d'investir massivement – 41 milliards de déductions de charges par an n'ont finalement entraîné la création que de quelques dizaines de milliers d'emplois.
Longtemps favori à droite, Alain Juppé avait adopté la même posture, comme il le résumait le 6 octobre 2016, lorsque dans L'Émission Politique sur France 2, il était interrogé sur l'impact de ses promesses de baisses d'impôts sur les ménages aisés : « C'est toute la logique de mon plan, et je pense que cela fonctionnera. Parce qu'ils auront intérêt à placer leur argent. S'ils ont de l'argent, ils le placeront pour que l'argent leur rapporte. Ils le placeront dans des entreprises françaises, qui sont des entreprises en croissance. [...] Je veux que les riches aident au développement de nos entreprises. [Pour] créer des emplois, il faut qu'il y ait des gens qui investissent. Arrêtons de vilipender les riches. [...] C'est grâce à ceux qui ont de l'argent qu'on pourra développer les entreprises qui donneront de l'emploi à nos jeunes. » Encore et toujours cette double erreur, déjà commise sous Hollande, et largement reprise par Fillon : miser sur une politique de l'offre pour relancer la croissance ; et penser que la croissance, quand bien même elle serait au rendez-vous, suffit à créer des emplois (quelle que soit la qualité de ces emplois), alors que cet objectif de croissance ne garantit pas le bien-être des citoyens, pas plus qu'il n'assure un développement réellement durable.
Emmanuel Macron s'inscrit clairement dans cette école de pensée. Il souligne à qui veut l'entendre son amour pour la construction européenne et la nécessité de tenir nos engagements en termes de finances publiques, au prétexte que le sérieux budgétaire est une étape incontournable pour être en capacité de négocier avec l'Allemagne tout changement de politique économique dans la Zone euro. Toutefois, la rhétorique du candidat centriste se concentre bien plus sur la question de la flexibilisation du marché du travail que sur la réduction du déficit ou de la dette. La liberté pour les entreprises et les entrepreneurs, voilà ce que le candidat d'En Marche nous promet. En cela, il partage clairement un socle idéologique commun avec François Fillon, qui déclare, et ce depuis longtemps, porter
(14 octobre 2015, sur Paris Première).Alors que les candidats des Républicains se sont chamaillés pendant des mois sur le nombre adéquat de postes de la fonction publique à supprimer (
), voilà ce que répondait Emmanuel Macron à un journaliste qui l'interrogeait sur ce point précis lors de la présentation de son programme, le 2 mars dernier : « D’abord, je ne compte pas aborder la question de l’action publique et de la fonction publique par ce biais. Parce qu’il ne faut jamais oublier qu’on ne parle pas d’un tableau de chasse, d’un livre de botanique ou de zoologie, mais de femmes et d’hommes qui chaque jour font leur travail et dont nous nous félicitons de l’action lorsqu’il y a une attaque terroriste, lorsqu’il y a un risque naturel, ou chaque jour lorsqu’on est malade ou qu’on amène ses enfants à l’école. Donc je m’oppose à ce discours de l’action politique qui consiste à voir les fonctionnaires comme un coût ou comme des têtes qu’il faut couper. » On peut au moins reconnaître à Emmanuel Macron d’aborder cette question autrement que ne le fait le parti Les Républicains dans sa quasi-totalité, c'est-à-dire sous un prisme purement comptable. En outre, il ajoute aussi : « Je ne pense pas que ce soit à un candidat […] ou à un président de la République de dire combien de postes de fonctionnaires il supprime. »Toutefois, il reconnaît avoir « donné un référentiel : 120.000 entre les trois fonctions publiques », notamment entre État et collectivités territoriales – la fonction publique hospitalière serait apparemment préservée, ainsi que l'appareil de sécurité (police, armée, services de renseignement...). La manière diffère, l'ampleur peut-être aussi, mais la ligne directrice est finalement assez similaire. D'ailleurs, toujours le 2 mars, Emmanuel Macron précisait : « Le renouveau démocratique passe par une vraie responsabilité politique, elle est indispensable. […] Responsabilité des ministres […], dont je fixerai la feuille de route, et qui seront responsables, pleinement, de la gestion de leur portefeuille ministériel. Et en particulier des engagements de finance publique que je prends. Cela sera évalué chaque année, avec, si le respect n’est pas plein et entier, des décisions qui seront prises en termes de maintien dans le gouvernement. » Comprendre : une gestion austère de leur portefeuille conditionnera l'évaluation (et donc le maintien) des ministres de Macron. Cela dans une confusion malsaine entre responsabilité politique et financière. On se doute des conséquences que peut avoir sur l'action gouvernementale une telle approche.
Cure d'amincissement pour la fonction publique et flexibilisation du marché du travail sont les deux piliers de la politique économique proposée par les deux candidats les mieux placés pour l'emporter en mai prochain. Ils négligent ainsi le rôle de filet social qu'ont pu avoir les services publics (et leurs fonctionnaires) et les différents outils de protection sociale (tels que l'assurance-chômage) depuis 2008.
Une philosophie qui néglige l'humain
Bien sûr, une gestion inconséquente des finances publiques, de même qu'un alourdissement des charges ou des démarches administratives pour les entreprises, rien de tout cela n'est souhaitable. En outre, des mesures majeures doivent être adoptées pour favoriser l'entrepreneuriat, et elles doivent avant tout soutenir les petites et moyennes entreprises. L'emploi augmentera en France non seulement si l'État s'engage dans des projets d'avenir majeurs, mais aussi si les forces vives de la nation sont mobilisées, et cela vaut aussi pour le secteur privé. Mais cela ne passe pas par une refonte d'un Code du Travail que la droite et le centre-gauche se plaisent à caricaturer, plutôt par un retour à un climat de confiance dans notre société, actuellement sous-tension ; et par une baisse massive des charges qui pèsent sur la masse de TPE et de PME qui, bien plus que les grandes sociétés, sont pourvoyeuses d'emplois.
Même Thomas Piketty, économiste pourtant étiqueté à gauche, expliquait dans une tribune du 17 octobre 2016, dans Le Monde : « Concernant les baisses de prélèvements, la priorité devrait être l’allègement de la taxe foncière pour ceux qui cherchent à accéder à la propriété, et la réduction structurelle des cotisations pesant sur le travail, en lieu et place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), usine à gaz illisible et inefficace inventée par la gauche au pouvoir. » Non plus des mesurettes par-ci par-là pour donner l'illusion d'un allégement de charges, compensant par là des hausses diverses de prélèvements, mais une politique cohérente, à la fois d'investissements à l'échelle de l'État, et de libération des capacités des citoyens. Une logique qui induit, au moins pendant un temps, de laisser filer le déficit public. Si les partis de la gauche radicale abordent largement cette question des investissements publics, ils négligent toutefois le rôle du citoyen (et de l'entrepreneuriat) dans les dynamiques collectives et le retour à un climat de confiance. À n'en pas douter, le retour à l'emploi, et notamment à un emploi stable et de qualité, dans le cadre d'un Code du Travail qui assure les filets de sécurité acquis au prix de décennies de luttes sociales, passe par cet allègement de charges, charges financières, mais aussi charges administratives. Il est temps qu'à droite, où ce mantra ne débouche jamais sur des mesures concrètes, comme à gauche, on s'empare de cet enjeu.
Si c'était là le programme de nos deux compères, on pourrait évidemment s'en satisfaire. Mais nous n'en sommes pas là. Tout d'abord parce qu'en dépit de leurs promesses de baisses de charges, ils annoncent une hausse significative de certains prélèvements sur le dos du citoyen lambda : la TVA si le candidat Les Républicains l'emporte, la CSG si c'est celui d'En Marche. Surtout, cette logique d'« allègement » se traduit chez Macron comme chez Fillon par une promesse de régression sociale. Chez l'un comme chez l'autre, la flexibilisation du marché de l'emploi signifie une précarisation des conditions de travail, comme le révélaient déjà, en 2015, la libéralisation partielle du travail le dimanche avec la Loi Macron, et en 2016, un vote de la droite majoritaire au Sénat visant à supprimer les 35 heures (La suppression des 35 heures au Sénat annonce-t-elle la couleur pour 2017 ?). Côté Les Républicains, la réglementation relative à la durée légale du temps de travail hebdomadaire est une obsession. François Fillon veut tout bonnement retirer de la loi toute référence à la durée
Constante du dogme de la « flexi-sécurité » qu'on nous vend depuis des années, l'idée que faciliter les licenciements favoriserait la création d'emplois est largement reprise par le candidat Les Républicains. Les entreprises pourront ainsi invoquer un motif de « réorganisation » dans les procédures de licenciement collectif. Quant au dialogue social dans les entreprises, l'ancien Premier ministre veut que celui-ci s'appuie, en cas d'échec, sur le référendum d'entreprise. Tout comme l'ont fait le Royaume-Uni de Thatcher et l'Allemagne de Schröder, l'idée est bien de privilégier un système massif d'emplois précaires, sous-payés et à temps partiel, aux dépens d'un modèle social proposant des contrats de travail moins souples mais qui, en période de récession ou de dépression, ne permettrait pas aux entreprises d'embaucher facilement – puisque leur carnet de commandes ne leur donne pas la visibilité nécessaire pour recruter avec assurance.
Les demandeurs d'emploi sont les premiers visés par cette logique libérale portée par les deux favoris de l'élection. François Fillon souhaite
la présentation de son programme lui a permis d'expliquer la logique dans laquelle s'inscrit sa propre réforme du système d'indemnités-chômage. Il entend « remettre en ordre » les équilibres « que nous avons construit avec le compromis social de 1945 », notamment le trop grand rôle des partenaires sociaux dans la vie politique, et leur absence dans le dialogue social de l’entreprise. « Qu’est-ce que cela veut dire ? Ça veut dire que pour le chômage, je propose de changer la gouvernance du système, pour le transformer sur le mode de ce que nous avons fait pour l’assurance-maladie. Et donc d’acter qu’aujourd’hui le chômage n’est plus un risque sur lequel les salariés se couvrent seuls et qui les concernent seuls, et qui devrait simplement être financé par les cotisations sociales. Je dis : le chômage est un risque universel qui touche toutes les catégories, et qui doit faire l’objet d’une protection universelle, beaucoup plus égale, entre toutes les catégories, agriculteurs, artisans, commerçants, entrepreneurs… et qui doit donc davantage être financé par l’impôt. »Jusque-là, on ne peut qu'être d'accord avec le candidat centriste. Mais il ajoute encore : « Et derrière, je dis : la gouvernance du système doit être différente. L’État doit reprendre son rôle et prendre les décisions sur ce système d’assurance-chômage, qui devient un système universel. […] J’en change la règle, parce que je dis : c’est un système universel, et donc j’indemnise tout le monde. Mais derrière, comme c’est universel, il n’y a pas de "droit acquis" au chômage. Et donc je peux contrôler tout le monde. C’est un système de devoir. Si je vous [propose] une offre décente d’emploi, après un bilan de compétences, vous pouvez avoir un refus, mais pas deux. Et donc vous ne pouvez plus dire : "J’ai droit au chômage pendant x mois parce que j’ai cotisé x mois pour avoir ce droit." C’est fini. » Bref, l'indemnité-chômage pour tous, mais dans les faits peu de temps, juste assez pour se voir proposer deux offres d'emploi, avec au maximum 25% de salaire en moins par rapport au dernier poste – et quand on connait le degré de pertinence des propositions des conseillers Pôle emploi en l'état, il y a matière à s'inquiéter d'une telle idée.
Il est indispensable, nous dit-on, de flexibiliser le travail dans toutes ses dimensions, de l’embauche au licenciement, en passant par le temps de travail et par les modalités de congés ou d’astreinte. L’exigence de compétitivité que suppose la concurrence permanente imposée de fait par la mondialisation vient compléter la réalité du chômage de masse. Le travail doit prendre une place centrale dans la vie des individus, y compris en termes de volume-horaire. Pour rappel, en mai 2016, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) publiait un rapport de 105 pages estimant que la réduction du temps de travail hebdomadaire avait créé 350 000 emplois entre 1998 et 2002 et qu'en moyenne, les Français ne travaillaient pas moins que leurs voisins. « S'agissant de l'effet négatif des lois Aubry sur la compétitivité, ajoutent les auteurs, aucun élément ne permet de confirmer cette affirmation. » Peu importe, ce type de bilan, pourtant dressé par l'administration publique, est mis de côté, oublié, et sous couvert de pragmatisme, de réalisme, c'est le dogme libéral qui s'impose. (Une première dans l'histoire de l'IGAS, le document n'a pas été envoyé au gouvernement à l'époque, un syndicat interne dénonçant « une censure ». Mais son contenu a finalement été dévoilé par Mediapart et Le Monde.) Ce qui compte, c'est de s'adapter aux besoins extensibles des entreprises, quels qu'ils soient. Le postulat est simple (trop simple) : les performances statistiques d'ordre macro-économique feront de la France une grande puissance dès lors qu'elle aura engagé les réformes nécessaires, et c'est là le plus important. Peu importe que la France se soit distinguée depuis deux siècles par l'amélioration constante des conditions de travail des catégories socio-professionnelles les plus précaires, y compris en augmentant les moments de temps libre.
À n'en pas douter, la prochaine élection devrait opposer au second tour un tenant de la mondialisation à un candidat souverainiste et eurosceptique ; voilà le nouveau clivage, qui transcende l'habituelle ligne de fracture droite-gauche. L'impasse tenant justement dans le choix entre le héraut du système (Fillon ou Macron) et l'épouvantail du Front national. France en 2005, Royaume-Uni en 2016 : quelles leçons tirer du vote des catégories populaires sur l'Union européenne ?). Plus encore que François Fillon, qui capte relativement bien l'électorat conservateur et retraité mais reste momentanément en berne dans les sondages, c'est Emmanuel Macron – figure du banquier adepte des concepts dévoyés de modernité et d'ouverture qui sont si chers aux bénéficiaires de la mondialisation – qui concentre les attaques du Front national (et de l'extrême-gauche, accessoirement). Un duel Macron-Le Pen au second tour aurait cet intérêt, aux yeux du FN, d'incarner l'alternative entre mondialistes et patriotes, ou encore entre les métropoles, grandes gagnantes de la mondialisation, et les milieux ruraux et périurbains déclassés.
– sauf grande surprise – Marine Le Pen le 7 mai aura bien du mal à recueillir les voix des catégories populaires qui se sont détournées ces dernières années de l'Union européenne et des partis dits de gouvernement. C'est parce qu'ils ne répondent pas à leurs besoins de protection (économique, identitaire) que les partisans de la construction européenne ont perdu l'appui de ces catégories sociales ces dernières décennies, comme nous l'abordions déjà dans un article de janvier (Au-delà des sondages d'intentions de vote et de l'information que traitent les médias traditionnels, il incombe aux citoyens de s'informer sur les propositions des uns et des autres pour faire un choix en conscience. Donner du sens et du contenu à son vote passe aussi par une réflexion en amont, par la recherche d'information, par la lecture et l'écoute... Méditons sur ces quelques mots de l'écrivain et philosophe français Jean-François Revel, prononcés en 1988 :
Si elle mériterait d'être nuancée, cette citation a le mérite de rappeler que parfois, le peuple peut voter contre ses intérêts, ce qui suppose de remettre un peu en cause certains fondamentaux de notre système d'information et de prise de décision.