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Par Mohamed Djigo.

À Nouakchott, comme dans les autres capitales de la sous-région, les jeunes occupent une place très importante, non du point du vue de leur poids dans les sphères décisionnelles, mais plutôt par la masse qu’ils représentent démographiquement.

Les jeunes sont de plus en plus marginalisés et rarement pris au sérieux, surtout quand les positions qu’ils prennent vont à l’encontre de celles des « élites » en place. Cette situation regrettable a des racines historiques.

Les djenks, les rappeurs, cowboys ou délinquants, c’est l’image la plus assimilée à la jeunesse. Derrière cette image peu séduisante se cachent plusieurs facteurs.

L’urgence d’aujourd’hui, c’est plutôt d’essayer de « renverser cette tendance » et de faire en sorte que notre apport positif pour la bonne marche de la société soit plus apparent.

Pour refaire notre image, nous devons réfléchir à nous positionner comme force de proposition, en mutualisant notre effort dans cette perspective. Est-ce une bonne idée de laisser toujours les « ainés », les autorités, nous dire de quoi nous souffrons ? N’est-ce pas plus légitime si nos préoccupations sont portées par nous-mêmes ? Nous connaissons nos maux et sommes bien capables d’y apporter les remèdes adéquats, pour peu qu’on nous en donne la liberté et les moyens.

Les cercles ou groupes de réflexion, les fameux think tank, peuvent constituer un espace adapté pour stimuler notre potentiel. L’administration a certes ses propres canaux d’information et d’analyse, mais leur caractère objectif est discutable, car ils sont inévitablement politisés et reflètent les positions gouvernementales.

Un point de vue complémentaire avec une approche différente n’est jamais inutile. C’est là où le think tank peut avoir un rôle d’information au public, qui jusque-là est habitué à une sorte de « pensée unique », une fonction pédagogique pour décrypter les enjeux nationaux et au-delà. Un espace pour le débat contradictoire, ouvert et libre où l’on peut s’éclairer.

Il y a quelques mois, j’ai assisté à une rencontre au café Tunisie, organisée par des jeunes, avec comme invité du jour un « doyen » de la société civile. La qualité des discussions et surtout la sincérité des échanges m’ont agréablement surpris. Voilà un exemple-type de bonne initiative à notre portée, qui ne nécessite pas beaucoup de moyens et qui reste riche en enseignements si nous ne tombons pas dans ce que j’appellerais « le piège du consensus ».

Mauritanie :  comment éviter l'aliénation des esprits ? La piste de l'éducation populaire

Qu’est-ce donc que ce piège du consensus ?

Ce sont ces jeux de flatterie inutile, ce miel qu’on tartine à outrance sur nos interlocuteurs et qui n’a comme effet que de leur « gonfler la tête ».

Nous avons tous assisté à cette conférence, cet atelier ou séminaire où le modérateur prend plusieurs minutes à faire les éloges du panéliste invité, tel le « griot gnégnos » des Peulhs ou le « safaga » des Maures, sans entrer dans le vif du sujet, à savoir l’objet de la rencontre.

Reconnaissons-le, cette séquence a de quoi en énerver plus d’un, d’autant qu’elle semble un passage obligé que l’on retrouve partout ; dans la politique, dans les milieux associatifs, dans les réseaux sociaux et j’en passe. Ces éloges que nous nous faisons à longueur de journée, à coups de jolis mots sans remise en question, sont l’expression d’une société hypocrite qui se voudrait sans conflits, sans contradictions, sans alternatives, sans diversité d’opinions et d’appréciations. Il en résulte un effet très pervers : toute critique, même positive, est soit banni des cercles de discussion, soit carrément considérée comme une insulte.

Aujourd’hui, tous les « entrepreneurs » du caritatif et autres grandes gueules narcissiques de la société civile, soit disant experts en tout domaine sans aucune production écrite à leur actif, qui se soucient plus de leur image que de la cause qu’ils défendent soit disant, ont un boulevard devant eux. Les réseaux sociaux et dizaines de likes en font des pseudo-rois du pétrole. Réveillez-vous mes chers amis, ce n’est pas ainsi que nous ferons bouger les lignes. Nous ne pouvons pas condamner « les lécheurs de bottes » en continuant d’agir comme eux subtilement.

Le débat d’idée, composé d’opinions contradictoires, est plus que jamais nécessaire pour dépasser celui des simples « chitaaris » et élever le niveau.

Vers l’idée d’une Université de l'éducation populaire…

On peut essayer de se jeter dans une explication de ce concept.

Les démarches de l’éducation populaire visent généralement deux objectifs et lient toujours les dimensions individuelles, collectives et politiques (à ne pas confondre avec partisanes !).

Mauritanie :  comment éviter l'aliénation des esprits ? La piste de l'éducation populaire

Primo : commencer par dénouer les chaînes de l’esprit

L’idée, c’est de nous permettre de gagner en audace, en créativité et en capacité de penser par soi-même. C’est de nous éveiller en nous questionnant sur l’existant, pour que naisse notre esprit critique. C’est de se sentir « capable de » : capable de ne pas s’autocensurer ni de s’autolimiter à la place qui nous est assignée dans les rapports sociaux, par l’ethnie, la religion, le genre… L’idée, c’est celle d‘une éducation de toutes et tous, par toutes et tous, une mise en valeur des savoirs de chacun. Le postulat de départ : l’accès au savoir doit être ouvert à tous, et nous avons tous matière à « enseigner » et « transmettre » aux autres.

Le fondement de toute émancipation, et l’histoire regorge d’illustrations à cet égard, c’est de prendre conscience des rapports de domination subis qui peuvent être structurels (patriarcat, racisme) voire même spécifiques à chaque groupe (par la détention du savoir par exemple, ou encore l’ancienneté). Il s’agit de tuer le pessimiste que l’’on a dans la tête et de se libérer des dominations que nous avons intériorisées. À ne pas confondre avec « le développement personnel », concept en vogue et qui se résume bien souvent à des méthodes pour être « heureux » malgré les rapports de domination que nous subissons au quotidien.

Ceux qui ont eu la chance d’étudier ont un devoir de partager leurs savoirs pour éveiller les autres. Sans cela, ils se posent en élite et veulent donner l’illusion que leurs diplômes cacheraient des connaissances inaccessibles au commun des mortels. Au contraire, il faut rendre le savoir « populaire », le vulgariser pour éveiller les esprits. Surtout que ceux qui n’ont pas étudié maîtrisent bien souvent les connaissances pratiques, acquises à l’école de la vie et à la sueur de leur front, et ils peuvent sans complexe enseigner aux autres.

Secundo : aller à la quête d’une amélioration de notre société

L’autre objectif de notre « Université populaire » serait d’éveiller cette envie qui frôle la folie, si possible d’améliorer la société.

Ici, il s’agira de s’exercer à aller d’un pouvoir intérieur (puisé de notre expérience, de notre vécu) vers un pouvoir de (mettre en place des initiatives pour échanger et partager nos connaissances), puis à un pouvoir sur (les autorités qui seront obligées des prendre en considération nos préoccupations).

La finalité de cette Université populaire, c’est de nous pousser à libérer notre esprit créatif et à oser l’utopie. C’est aussi une manière de nous efforcer à accroître notre conscience d’appartenir à une société, et donc à y participer, à être acteur de ses dynamiques et de son identité collective. Par l’action politique, culturelle et sociale, l’idée de fond est de promouvoir la participation des habitants. Ceux-ci doivent donc être intéressés à la chose publique et organisés pour échanger, apprendre, proposer.

Notre pouvoir d’agir dépendra de notre capacité à nous mettre dans une dynamique ou l’on va produire l’Histoire, et non la subir. D’où justement l’idée de ne pas s’arrêter à un pouvoir de, mais de viser un pouvoir sur, qui donnera le sentiment que oui, nous pouvons transformer la société.

« Cherchez un peu, vous allez trouver. La pires des attitudes est l’indifférence, dire "je n’y peux rien, je me débrouille". En vous comportant ainsi vous perdez l’une des composantes essentielles qui fait l’humain, une composante indispensable : la faculté de s’indigner et l’engagement qui en est la conséquence ». Ainsi s’exprimait Stéphane Hessel dans son livre Indignez-vous.

Mauritanie :  comment éviter l'aliénation des esprits ? La piste de l'éducation populaire
Tag(s) : #International
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