Par David Brites.
Le 15 mars dernier correspondait au huitième anniversaire – morbide – du début de la Révolution en Syrie, et de la guerre civile qui s'en est suivie. Alors que la prise d'Alep en 2016 avait suscité l'émoi pour la brutalité avec laquelle le régime syrien et son allié russe avaient opéré, le conflit syrien semble avoir fortement disparu de notre fil d'actualités, surtout depuis 2017 et la perte de Raqqa et de Deir Ezzor par l'État islamique. Pourtant, l'année 2018 aura été d'une très grande importance pour les différents acteurs encore en présence, Bachar el-Assad en tête. Le régime s'est notamment attaqué aux dernières poches rebelles situées à l'ouest de l'Euphrate (Ghouta, Deraa...), de telle sorte qu'il se retrouvera bientôt, soutenu par la Russie, par l'Iran, et pourquoi pas demain par la Turquie, « seul » face aux Kurdes et à leurs alliés arabes. Ces derniers sont coalisés depuis octobre 2015 au sein des Forces Démocratiques Syriennes (FDS), appuyées logistiquement et militairement, jusque récemment, par les États-Unis.
Rétrospective sur les derniers mois du conflit, qui esquissent ce à quoi pourrait ressembler à l'avenir la carte de la Syrie, si le retrait américain du conflit, annoncé en décembre, ne change pas radicalement la donne et ne signifie pas à terme un effondrement des Forces Démocratiques Syriennes.
« Nous avons vaincu l'EI en Syrie, ma seule raison d'y être pendant la présidence Trump » : c'est par ce message, publié le 19 décembre dernier sur son compte Twitter, que le président américain a annoncé le retrait de ses troupes de Syrie. Une décision confirmée dans la soirée, par vidéo : « Nous avons gagné. [...] Il est temps que nos troupes rentrent à la maison. Nos garçons, nos jeunes femmes, nos hommes, ils rentrent tous, et ils rentrent maintenant. » Un retrait qui se voulait rapide, donc. Et une décision bien surprenante. Certes, la présence du contingent de 2 000 soldats américains ne relevait d'aucun mandat international, mais ce n'était certainement pas cela qui dérangeait Donald Trump, puisque sous la présidence Obama, il avait lui-même explicitement dénoncé le retrait d'Irak (où les Américains ne disposaient pas non plus de mandat de l'ONU) opéré en 2011.
Dans l'échiquier régional, il est clair que le rôle de ce contingent dépassait la seule mission d'éradiquer le Califat. Il tenait aussi à distance les forces du régime de Bachar el-Assad, leurs alliés iraniens, mais aussi celles de la Turquie, qui a déjà mené deux offensives dans le nord de la Syrie depuis trois ans – les opérations « Bouclier de l'Euphrate » en 2016-2017 contre Al-Bab et la poche de Jarablus, et « Rameau d'olivier » en 2018 sur le canton d'Efrîn. Rappelons qu'Ankara considère les Forces Démocratiques Syriennes comme une extension du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Or, les milices kurdes YPG (Unités de Protection du Peuple), puis les Forces Démocratiques Syriennes créées en octobre 2015, ont largement participé à l'endiguement, et finalement à l'effondrement de l'État islamique depuis 2014. Dans ce contexte, la relation des Occidentaux vis-à-vis des Kurdes de Syrie est tout simplement antinomique avec celle de la Turquie.
Hasard ou non, le retrait américain sert clairement le président turc – le site du quotidien Yeni Akit ne titrait-il pas, le 19 décembre : « Trump se retire de Syrie pour Erdogan » ? –, puisqu'il retire aux États-Unis (et aux Européens, par voie de conséquence) une capacité d'impact sur le dossier syrien, et donc la garantie d'un minimum de stabilité pour leurs meilleurs relais sur le terrain, à savoir les Kurdes et leurs alliés arabes. Le chef de l'État turc a même assuré, le 17 décembre dernier, avoir le feu vert de Washington pour que « les groupes terroristes soient chassés de l'est de l'Euphrate », avertissant : « Nous pouvons enclencher nos opérations en Syrie à n'importe quel moment à partir des territoires qui correspondront à nos projets. » Le tweet de Donald Trump, deux jours plus tard, confirme que la présidence Trump s'est pliée aux velléités turques. En outre, coïncidence surprenante, le même jour, le 19 décembre, les États-Unis ont approuvé la vente de systèmes d'interception antimissiles Patriot à la Turquie pour un montant de 3,5 milliards de dollars – une offre qui se veut une alternative aux systèmes antimissiles russes S-400 qu'Ankara s'était engagé à acheter à la Russie (au grand dam de ses partenaires de l'OTAN), avec livraison prévue pour le mois d'octobre 2019.
La situation au 1er janvier 2018. Les derniers grands évènements ayant marqué le cours de la guerre à la fin de l'année 2017 sont la reprise de Deir-Ezzor par l'armée syrienne, appuyée par l'aviation russe, et la chute de Raqqa par les Forces Démocratiques Syriennes, soutenues par les avions occidentaux, qui provoquent l'écroulement du Califat islamique dans sa dimension étatique. La position de force des Kurdes et de leurs alliés arabes incitera la Turquie de Recep Tayyip Erdogan à prendre des initiatives militaires à l'encontre des YPG. D'où le lancement de l'opération « Rameau d'olivier ».
2018 : les Turcs à Efrîn, le régime dans la Ghouta et à Deraa
C’était le 20 janvier 2018, il y a plus d’un an. La Turquie d’Erdogan lançait sur le canton d’Efrîn l’opération bien mal nommée « Rameau d’olivier », afin d’appuyer ses alliés sur place, des groupes rebelles syriens, dans la conquête de ce territoire majoritairement kurde. Le moins que l’on puisse dire, c’est que s’emparer d’Efrîn ne constituait pas vraiment une manœuvre hautement stratégique. Depuis le début du conflit, ce territoire avait été relativement oublié et épargné, tout juste tenu par les milices kurdes (les YPG) depuis 2012. Mais, isolé du reste du Rovaja (nom désignant les territoires kurdes de Syrie), notamment après les offensives-éclairs de l’État islamique de 2014, et l’opération « Bouclier de l’Euphrate » menée Ankara et ses alliés syriens, en 2016-2017, cette enclave kurde représentait une victoire facile pour les troupes turques et leurs relais syriens. Ce qui sert donc la propagande d’Erdogan dans son propre pays – pendant plusieurs semaines, la prise d’Efrîn devint, dans la rhétorique gouvernementale, un enjeu de sécurité national… En outre, la conquête d’Efrîn devait permettre aux groupes rebelles de joindre leurs territoires du « couloir » de Jarablus (séparant Efrîn du Rovaja) à ceux de leur fief d'Idlib. En dépit d’une résistance courageuse des YPG, la ville d’Efrîn tombait au 58ème jour de l’offensive. En deux mois d’opération, on comptait 1 500 morts parmi les YPG, 400 côté turc et alliés, et près de 300 civils tués. Recep Tayyip Erdogan l’annonçait alors : « Les unités de l’Armée Syrienne Libre, soutenues par les forces armées turques, ont pris le contrôle total du centre-ville d’Efrîn, à 08h30 du matin. » C’était le 18 mars. L’objectif de guerre était atteint, dans l’indifférence des puissances avec qui les YPG s’étaient alliées pour lutter contre l’État islamique, notamment les États-Unis et la France (Efrîn, ou le miroir de notre inconstance diplomatique et de notre lâcheté politique). Entretemps, s’attendant à un assaut imminent, près de 250 000 habitants avaient pris la fuite par un corridor laissé ouvert par l’armée turque dans le sud de la ville.
Les soldats des YPG eux-mêmes ont évité le combat urbain et se sont retirés d’Efrîn avant l’arrivée des rebelles syriens et des Turcs. Dans le centre de la ville fraîchement conquise, sous l’objectif des caméras, un soldat turc hissait alors le drapeau de la République turque au balcon du Conseil législatif de la région d’Efrîn, au côté de la bannière de la Révolution syrienne – le 18 mars correspondait au 103ème anniversaire de la victoire turque de Gallipoli, pendant la Première Guerre mondiale. Dans le même temps, un bulldozer mettait à terre la statue de Kaveh le Forgeron, un personnage du panthéon kurde. Les rebelles syriens présents dans la ville, eux, retiraient les drapeaux des YPG et déchiraient les portraits d’Öcalan, leader du PKK. Ou quand la guerre se joue aussi sur le front de la communication et des symboles.
De son côté, le régime de Bachar el-Assad a poursuivi le redressement opéré depuis le début de l’intervention russe en septembre 2015. Dans la continuité de ses victoires de 2016-2017 (Alep, Deir-Ezzor…), il a poursuivi sa stratégie mêlant écrasement militaire et accords d’évacuation. Une fois achevée la conquête des vastes étendues orientales de la province de Deir-Ezzor, aux dépens de l’État islamique, l’armée syrienne s’est tournée vers les poches rebelles qui s’étaient maintenues depuis des années dans la province de Damas. Le 18 février 2018, une campagne de bombardements s’est amorcée, couplée à une offensive terrestre, sur quatre villes principalement : Ain Tarma, Zamalka, Arbine et Jobar. Face à la menace de massacres et au succès des militaires syriens et de leurs supplétifs, les groupes insurgés ont successivement accepté, sous médiation russe, des accords d’évacuation, à l’image de ce qui avait déjà été observé dans d’autres zones du pays, comme à Homs ou également dans les banlieues de la capitale. Le 24 mars 2018, les combattants rebelles (issus des groupes Ahrar al-Cham et Faylaq al-Rahmane) et leurs familles (7 000 personnes au total, parties par dizaines de bus) achevaient de quitter l’avant-dernière enclave de la Ghouta orientale, la poche de Harasta, pour prendre la direction de la province d’Idlib ; ils étaient accompagnés d’une centaine de combattants de Hayat Tahrir al-Cham, l’ex-branche d’Al-Qaïda connue auparavant sous le nom de Front al-Nosra. Entretemps, 110 000 civils avaient quitté la Ghouta orientale ; en un peu plus d’un mois, le bilan était déjà de 485 morts pour le régime, 310 rebelles, et 1 600 victimes civiles. La dernière poche rebelle de la Ghouta, autour de la ville de Douma, tenue par Jaich al-Islam, était quant à elle définitivement évacuée le 12 avril 2018.
Enfin, au terme d’un mois de combats ayant fait 250 morts dans l’armée, presqu’autant de djihadistes, et 60 victimes civiles, un nouvel accord d’évacuation était conclu : le 19 et le 20 mai, le régime laissait entre 1 600 et 1 800 djihadistes de l’État islamique (sans compter leurs familles) s’échapper du camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk (et les quartiers environnants de Hajar al-Aswad et Tadamoun), d’où 140 000 civils ont fui les combats. Une opération qui permit à l’armée syrienne de reprendre pied sur ce qui constituait le dernier territoire de la province de Damas échappant encore à son autorité. Le 21 mai 2018, le pouvoir annonçait donc contrôler « totalement » la capitale et ses environs, pour la première fois depuis juillet 2012.
Les évènements s’enchaînent ensuite rapidement. Dès le 30 mai, l’armée syrienne annonce avoir achevé ses préparatifs en vue d’une offensive contre les zones rebelles de la province de Deraa, à la croisée des frontières jordanienne et israélienne. Elle s’amorce par des bombardements le 19 juin, et par la prise de Busr Al-Harir le 26 juin. En quelques semaines, ce qui fut le berceau de la Révolution, en mars 2011, tombe à la manière de dominos : les villages qui parsèment la plaine agricole du Hauran sont conquis les uns après les autres, avec le soutien de l’aviation russe. Le 3 juillet, la moitié de l’enclave rebelle est reprise, et le 6 juillet, un accord est trouvé entre la Russie et la Jordanie, le principal parrain des groupes armés présents à Deraa, pour évacuer la zone. Dès le lendemain, en échange d’une amnistie et d’une possible évacuation vers Idlib, l’armée reprend le contrôle du poste-frontière de Nassib, carrefour commercial majeur qui était aux mains des insurgés depuis trois ans – ce terminal et la zone franche adjacente généraient, avant le déclenchement de la révolte de 2011, un trafic d’une valeur estimée à 1,2 milliard d’euros par an. Le 15 octobre, après accord la veille entre Amman et Damas, le principal point de passage entre la Syrie et la Jordanie est rouvert, après trois ans de fermeture.
La situation de la Syrie à la veille de l'offensive sur Deraa, le 19 juin 2018. Au cours du premier semestre 2018, après avoir repris de vastes territoires au sud-est d'Alep (janvier-février), le régime syrien s'est emparé des dernières poches rebelles dans les provinces de Damas (mars-avril) et de Homs (mai). De son côté, la Turquie a lancé ses troupes et ses alliés syriens sur le canton d'Efrîn, de janvier à mars, jusque-là tenu par les Kurdes des YPG.
Dans le viseur du régime : le bastion rebelle d'Idlib
Dans une sorte de répétition « relocalisée » de la Guerre froide, la présence de militaires russes aux côtés de l’armée syrienne, de même que l’appui des Occidentaux aux Kurdes et à leurs alliés arabes, empêche (empêchait en tout cas, jusqu'au retrait des 2 000 soldats américains du conflit) tout affrontement trop important entre ces deux parties. C’est donc en toute logique que le régime, une fois la région de Damas pacifiée et celle de Deraa reconquise, s'est tourné vers le dernier grand fief rebelle, Idlib. À cela s'ajoutait la position stratégique de la province d'Idlib, voisine du pays alaouite, sur la côte, où la production agricole est importante, et où passe l'autoroute reliant Damas à Alep. De son côté, la Turquie voit elle aussi son avancée depuis Efrîn bloquée par le déploiement, à partir d’avril 2018, de soldats français dans la poche de Manbij, dernier territoire kurde d’importance à l’ouest de l’Euphrate. Empêché d’élargir sa zone d’influence vers l’Est, il est donc d’autant plus capital pour Recep Tayyip Erdogan de maintenir ses alliés en place dans la province d’Idlib.
L’offensive du régime syrien et de ses alliés russe, iranien et libanais sur Idlib, où vivent 3 millions de civils (dont 800 000 à 1,5 million de déplacés concentrés dans des camps du nord-ouest de la poche d'Idlib), se précise au début du mois d’août. Après 22 jours d’interruption, les avions russes reprennent, le 4 septembre, leurs bombardements dans le sud et le sud-ouest de la région, notamment Ariba, contrôlée par les rebelles, et Jisr al-Choghour, dominée par les djihadistes de Hayat Tahrir al-Cham. Les attaques russes visent à mettre sous pression les rebelles syriens et leur parrain turc, alors que le 7 septembre à Téhéran, a lieu un sommet réunissant les chefs d’État iranien, russe et turc. Moscou souhaite certes rétablir sur Idlib le contrôle du pouvoir syrien, mais il veut éviter une crise ouverte avec la Turquie, et une reconquête longue qui entraînerait un exode trop important sans s’avérer pérenne en raison de la permanence de milices dans la province reconquise. La présence de dizaines de milliers de combattants et de civils évacués d’autres bastions rebelles à travers tout le pays, rend la reconquête de cette enclave plus complexe encore.
Les forces turques, qui encadrent le Front National de Libération (FNL) – un assemblage hétéroclite de groupes armés (dont Ahrar al-Cham et des factions de l’Armée Syrienne Libre) constitué il y a quelques mois –, n’ont jamais réussi à isoler Tahrir al-Cham, qui contrôle toujours 60% de la province d’Idlib. Or, le 31 août, Ankara, soucieuse tempérer les ardeurs de Damas et de Moscou à reconquérir cette poche rebelle, a enfin qualifié l'ex-al-Nosra de « groupe terroriste ». Une décision qui illustre les dissensions existantes dans l’enclave d’Idlib entre les milices proches d’Ankara et les groupes djihadistes plus radicaux qui n’entendent pas négocier quoi que ce soit avec Bachar el-Assad et ses alliés. La Turquie n’en demeure pas moins un acteur clef pour assurer le rétablissement de l’autorité du régime dans la province. Dans la continuité des négociations à trois (Russie, Iran, Turquie) ayant abouti à l’établissement de « zones de désescalade » en 2017, des discussions se sont donc ouvertes sur le sort d’Idlib. En dépit de la situation de vulnérabilité des groupes alliés à Ankara, le président turc parvient ainsi à se maintenir dans le jeu, tel un caillou dans la chaussure du géant russe. Et le 17 septembre à Sotchi, en Russie, Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan sont parvenus à un accord bancal, prévoyant un cessez-le-feu et la création d’une zone-tampon démilitarisée de 15 à 20 km de large, le long de la ligne de front – débarrassée de tout combattant rebelle.
Prévue pour le 15 octobre, l’entrée en vigueur de cet accord restait suspendue à l’attitude des 10 000 combattants de Hayat Tahrir al-Cham, ainsi qu’à celle du Front National de Libération. La veille, le 14 octobre, Tahrir al-Cham annonçait poursuivre le combat contre le régime, excluant de rendre les armes ; le communiqué officiel alors diffusé ménage toutefois Ankara en valorisant ses efforts pour protéger « les zones libérées et empêcher leur destruction ou des massacres ». Mais la création d'une zone démilitarisée ne voit pas le jour, en dépit du retrait des armes lourdes opéré par le FNL. Il faut dire que les djihadistes, tout comme les groupes alliés à la Turquie, avaient de quoi se méfier puisque parmi les quatre « zones de désescalade » définies en 2017, il ne restait que celle d’Idlib aux mains des rebelles : entre janvier et juillet 2018, les trois autres, autour de Homs, dans la Ghouta orientale et autour de Deraa, ont toutes été in fine reprises par l’armée syrienne.
Pour la Turquie, la sauvegarde de l’accord du 17 septembre était un enjeu de taille, car une reconquête de la province par le régime pourrait entraîner un afflux massif de réfugiés sur son sol, ainsi que l’arrivée de nombreux djihadistes. Deux options s'ouvraient alors : soit la Turquie et ses alliés du Front National de Libération lançaient une offensive militaire contre Tahrir al-Cham, afin de faire respecter l'accord, soit la Russie et le régime syrien saisissaient l'occasion pour entrer à Idlib. Bachar el-Assad ayant d'emblée qualifié de « temporaire » l'accord de Sotchi, le second scénario s'annonçait le plus probable. Pourtant, pendant un temps, le premier sembla en bonne marche. En effet, au cours des deux dernières semaines d'octobre, une dizaine de commandants militaires et de responsables de Hayat Tahrir al-Cham étaient assassinés par des rebelles proches de la Turquie ; le meurtre de deux autres dirigeants de Tahrir al-Cham, le 29 octobre, entraînait une riposte contre les positions du FNL dans le village de Kfar Hamra, provoquant des combats dans plusieurs localités au nord et à l'ouest de la province d'Alep.
Mais dans le même temps, l'armée syrienne acheminait d'importants renforts à l'ouest d'Alep, après le rejet par les djihadistes d'un ultimatum pour se retirer de la banlieue d'al-Zahraa, localité à majorité chiite de la province alépoise. Le 9 novembre, un premier assaut des forces gouvernementales a lieu dans une zone théoriquement « démilitarisée » à l'entrée de la province d'Idlib. Le 1er janvier 2019, des affrontements éclatent dans le gouvernorat d'Idlib et à l'ouest de celui d'Alep, entre le Front National de Libération et Hayat Tahrir al-Cham, qui prend le contrôle de l'ouest de la région alépoise, sans réaction turque. Un accord de trêve conclu le 10 janvier fragilise les factions du FNL, et de fait, la poche d'Idlib passe alors presque entièrement sous le contrôle, direct ou indirect, de Hayat Tahrir al-Cham. Un adversaire « idéal » pour le régime.
Dans ce jeu à trois (Turquie, Russie, Iran), les Occidentaux sont absents. Et les avertissements de Donald Trump début septembre ne font pas illusion, quand il déclarait, par le biais d’un communiqué de la Maison Blanche : « Soyons clairs, notre position, ferme, reste inchangée : si le président Bachar el-Assad décide d’utiliser une nouvelle fois des armes chimiques, les États-Unis et leurs alliés répondront rapidement et de façon appropriée. » Une façon de s’attacher à une « ligne rouge » (contestable) sans traiter vraiment de l’essentiel – en avril 2017, seul, et en avril 2018, avec les armées française et britannique, Washington avait déjà mené des frappes punitives après l’usage d’armes chimiques, sans aucune conséquence sur le cours du conflit. Un sommet à Istanbul, le 27 octobre 2018, réunit certes la Russie, la Turquie, la France et l'Allemagne, mais, comme tant d'autres rencontres internationales de ce type, il ne découla que sur des déclarations d'intention, sans aucun impact sur les manœuvres de Damas et Moscou sur le terrain.
La situation dans le nord-ouest de la Syrie, en octobre 2018, lors de l'entrée en vigueur de l'accord de Sotchi signé le 17 septembre par la Russie, l'Iran et la Turquie.
Après le retrait américain, quel avenir pour les Forces Démocratiques Syriennes ?
Près d'un an et demi après la prise de Raqqa, les Forces Démocratiques Syriennes (en dépit des pressions turques persistantes depuis le couloir de Jarablus) et le régime de Bachar el-Assad sont clairement les deux grands gagnants du conflit – même si, avec plus de 380 000 morts et deux millions de blessés (décompte de l'Observatoire Syrien des Droits de l'Homme), on peut se demander si quelqu'un ressort gagnant de tout cela. En septembre 2018, les FDS amorçaient une offensive sur le dernier bastion territorial de l'EI, dans la province de Deir Ezzor, et après l'encerclement (le 25 janvier) et la prise (annoncée hier, le 23 mars) des bourgades d'Al-Marachida et de Baghouz, isolées entre deux bras de l'Euphrate, les FDS ont mis fin à la dimension territoriale du Califat. Cinq mois de lutte, qui ont entraîné la mort d'environ un millier et demi de djihadistes, de plus de 700 membres des FDS, ainsi que de plus de 600 civils. C'est surtout l'épilogue d'une longue campagne qui, depuis 2014, a coûté la vie à dix mille hommes et femmes des YPG et des FDS.
Bien entendu, l'État islamique n'a pas disparu. À travers ses cellules dormantes, il conserve une capacité de nuisance, y compris dans des territoires contrôlés par le régime ou les FDS, comme il l'a encore prouvé le 25 juillet 2018, en commettant, dans la province méridionale de Soueïda, pourtant totalement contrôlée par le régime, une série d’attaques (au prix de plus de 220 morts, dont 130 civils). Autres exemples, le 16 janvier dernier, un kamikaze tuait quatre Américains à Manbij, et quatre jours après, des attentats à la bombe frappaient Efrîn et Damas. Pour autant, il est clair que l'EI semble momentanément incapable de reprendre le contrôle des territoires perdus depuis 2015-2016, et que le cours de la guerre semble plié. Il a perdu sa dimension étatique avec la chute de Mossoul en Irak, de Raqqa et de Deir-Ezzor en Syrie, en 2017, ainsi que ses sources de financement. En outre, le flux de combattants venus d'Europe pour rejoindre l'autoproclamé Califat s'est tari. À la fin de l'année dernière, au terme de trois mois d'offensive des FDS (et notamment après leur succès à Hagine le 14 décembre), l'État islamique contrôlait une zone inférieure à 20 km², le long de l'Euphrate, à Abu Kamal, et les 4 000 djihadistes se trouvant dans la zone ne parvenait à ralentir leurs bourreaux qu'au prix de l'usage régulier de véhicules piégés. Pour revenir sur la chute du Califat islamique, cet article de novembre 2017 : Après celle d’Alep, les batailles de Raqqa et de Deir Ezzor annoncent-elles la fin de la guerre en Syrie ?
En aucun cas la solution ne pourra être que militaire, et cela pourrait induire la perspective prochaine de grandes négociations opposant, pour faire court, Bachar el-Assad, allié aux Russes et aux Iraniens, aux FDS soutenus par les Occidentaux. De leur côté, les Turcs restent garants de la permanence des groupes rebelles à Idlib, et surtout dans le nord de la province d'Alep (Jarablus, Al-Bab, Azaz, Jindires, Efrîn). À l'inverse, le renversement du régime syrien à Damas, ou même le remplacement de Bachar el-Assad à la tête de l'État – rappelons qu'en 2021, il peut encore se représenter à un nouveau mandat de 7 ans –, est totalement improbable. Comme nous l'expliquions déjà en mars de l'année dernière (Syrie : comment penser la paix demain ? (1/2) Un compromis politique, seule garantie de mettre fin à la guerre), cette situation de « conflit gelé », reproduisant indirectement la vieille opposition Washington-Moscou de la Guerre froide, accentue le risque d'une partition durable du pays.
Car, nous le mentionnions tantôt, l’appui apporté par les Occidentaux aux YPG, voire la présence de soldats occidentaux (américains jusque récemment, français et britanniques encore aujourd'hui) sur le sol syrien auprès des FDS, rend difficile une offensive directe de longue durée de Damas contre les Kurdes et leurs alliés arabes. Même si l’exemple d’Efrîn, conquise par les rebelles soutenus par la Turquie, montre que ce raisonnement a ses limites, et que les lignes de front peuvent encore être modifiées. Encore le 30 octobre dernier, la Turquie lançait une nouvelle campagne de bombardements contre les FDS, contraignant momentanément ces dernières, aux prises à une contre-attaque djihadiste dans l'est du pays, à suspendre son offensive contre le dernier réduit de l'État islamique. L'administration Trump n'a alors exprimé que mollement ses « préoccupations » face à l'agression de ses alliés par Ankara, et le 1er novembre, dans un souci d'apaisement, des patrouilles conjointes américano-turques ont même ont lieu aux abords de la ville de Manbij, où des troupes américaines et françaises étaient déployées. À présent que Donald Trump a retiré ses troupes de l'échiquier, et au vu des déclarations d'Erdogan, les risques d'offensive large de la Turquie (ou de ses alliés rebelles) sur les territoires contrôlés par les FDS est grand, même s'il reste conditionné par une validation de principe des grandes puissances que sont les États-Unis et la Russie.
Dans la région alépoise, au nord-ouest de la grande métropole septentrionale. (Crédit photo © Haissam Ibrahim, 2009)
Le 23 décembre dernier, le Pentagone a confirmé le départ proche des troupes américaines de Syrie, précisant que l'ordre de retrait avait été signé par le président des États-Unis. Le début du retrait s'est amorcé le 11 janvier. La décision de Donald Trump, qui semble avant tout le résultat de ses sautes d'humeur chroniques et de ses erreurs stratégiques, est d'autant plus incompréhensible qu'elle semble faire l'unanimité contre lui dans son propre camp, chez les Européens, mais aussi dans son administration. Le Pentagone et le département d'État ont en effet longtemps milité pour le maintien des forces spéciales américaines. À la fois pour éviter une résurgence du djihadisme, et pour se donner les moyens de faire pression sur le régime afin que celui-ci accepte de négocier, à terme, avec les FDS. « La campagne contre l'EI n'est pas terminée », maintenait le Pentagone à la suite du tweet de Trump, dans l'espoir que celui-ci change d'avis. Les dissensions explicites apparues entre le chef de l'État et ses équipes sur cette question entraînaient même la démission de son secrétaire d'État à la Défense, James Mattis, le 20 décembre 2018, puis, deux jours plus tard, celle de l'envoyé spécial du président chargé de la « coalition internationale » en Syrie Brett McGurk, les deux hommes entendant ainsi se désolidariser de l'option retenue par Donald Trump.
Bien légitimement, les Kurdes de Syrie sont les premiers à regretter la décision américaine. Le scénario qui mettait en scène le régime syrien, allié de la Russie et de l'Iran, et les Forces Démocratiques Syriennes, soutenues par les États-Unis, est complètement remis en cause. Et l'échéance de la fin de la guerre encore une fois repoussée. Paradoxalement, parce que les Kurdes entendent éviter des pertes territoriales conséquentes à l'est de l'Euphrate, la décision de Donald Trump pourrait précipiter un accord entre les FDS et le pouvoir à Damas. Rappelons qu'après le lancement de l'opération « Rameau d'olivier », les autorités kurdes avaient appelé à une intervention de l'armée syrienne pour « faire face à cette agression [...] contre la souveraineté de l'État syrien ». Le 20 février 2018, les YPG indiquaient même que des unités militaires fidèles à Damas, les Forces de défense nationale (des supplétifs de l'armée), allaient prendre position à la frontière pour prévenir toute pénétration turque. Une séquence qui aurait pu être l'occasion pour les Kurdes d'amorcer un rapprochement avec Damas, permettant à la fois à Bachar el-Assad de rétablir la souveraineté de l'État syrien sur la frontière septentrionale, et aux Kurdes de tuer dans l'œuf les manœuvres d'Erdogan et de garantir leur sécurité sur le long terme, avec en prime leur réintégration dans l'État syrien. Mais cet accord survenait trop tard pour renverser le cours de l'opération « Rameau d'olivier ».
À présent, la leçon à tirer du retrait des Américains, avec la menace turque qui se profile derrière, pourrait (devrait) être de réitérer un tel accord dans les zones où Erdogan prétend relancer ses pions. Les territoires de Tall Abyad, ville frontière prise à l'EI par les YPG en juin 2015 (et qui permet aux Kurdes d'assurer une continuité territoriale entre Kobané et le reste du Rojava), et de Manbij, tous deux majoritairement peuplés d'Arabes, seraient les premières cibles dans le viseur de la Turquie. Le déploiement de soldats syriens dans ces localités, voire le long de la frontière turco-syrienne, donnerait un véritable coup d'arrêt aux excès d'Ankara. En outre, si tant est que l'interventionnisme turc en Syrie ait jamais eu une quelconque légitimité, la restauration de la souveraineté de Damas dans cette région délégitimerait définitivement les manœuvres turques, puisque celle-ci a été initiée au prétexte de la permanence des « terroristes » kurdes le long de sa frontière.
Les responsables kurdes semblent désormais privilégier cette option, ce que confirme l'actualité récente, à savoir le déploiement de troupes du régime dans la poche de Manbij. Passée inaperçue, la présence de forces favorables à Bachar el-Assad dans des zones contrôlées par les FDS pourrait pourtant bouleverser l'évolution du conflit, en damnant le pion à Erdogan et ses alliés. Déclaration d'un responsable kurde cité par le journal Le Monde, en décembre dernier : « En cas de retrait des forces de la coalition et d'agression turque, nous n'aurons d'autre choix que d'appeler Damas à prendre ses responsabilités, y compris sur le plan militaire pour défendre le territoire syrien. L'inquiétude est très grande. » Sauf que le retrait américain les met en position défavorable pour négocier avec Bachar el-Assad. Lucide, Hassan Mohammed, haut responsable kurde lui-aussi cité par le quotidien français, indiquait, toujours en décembre : « Nous pouvons œuvrer à un accord avec Damas pour éviter la guerre, mais nous ne voulons pas du statu quo ante. Or, le régime peut profiter de notre situation pour tenter d'imposer des conditions inacceptables. » Le 24 janvier dernier, Recep Tayyip Erdogan était en déplacement à Moscou pour obtenir, comme il l'a fait avec son partenaire américain le 14 janvier, le soutien de son homologue russe à la création d'une zone de sécurité de 32 km contrôlée par l'armée turque, aux dépens des FDS. Mais, en rejetant ce projet au prétexte qu'il constituerait une atteinte à la souveraineté de l'État syrien, Vladimir Poutine a bien confirmé que le véritable gagnant de cette séquence, plus qu'Ankara, est le régime de Damas, et avec lui son allié russe. De leur côté, les États-Unis ont annoncé le 17 février, par la voix du général Paul LaCamera, commandant de la « coalition internationale », qu'ils cesseraient toute assistance aux FDS si celles-ci s'alliaient à Moscou et à Damas : « Une fois la relation rompue, parce qu'[elles] s'allient au régime, avec qui nous n'avons pas de relation, ou avec la Russie [...], nous ne serons plus leurs partenaires ». Ou comment mettre les Kurdes face à un terrible dilemme.
Quelle place pour les Européens dans l'échiquier syrien ?
Le 21 février dernier, sans doute pour répondre à la fois aux inquiétudes des partenaires européens, des Kurdes de Syrie, voire des parlementaires républicains critiques sur la décision de Donald Trump, la porte-parole de l'exécutif américain, Sarah Sanders, annonçait qu'« un petit groupe de maintien de la paix d'environ 200 soldats restera en Syrie pour un certain temps », afin de convaincre les gouvernements européens de participer à une force d'observation d'un millier d'hommes. Dans la foulée, le sénateur républicain Lindsey Graham, qui s'était publiquement opposé au retrait total de Syrie, s'est réjoui de ce qu'il qualifie de « très bon plan » Sans crainte du ridicule, il ajoutait même : « Ces 200 soldats vont probablement attirer 1 000 Européens. [...] Des milliers d'Européens ont été tués par des combattants de l'EI venus de Syrie en Europe. Maintenant, la tâche incombe à l'Europe. 80% de l'opération devrait être européenne et peut-être 20% pour nous. » Outre que le sénateur exagère un chouia le nombre de victimes des attentats attribués à l'État islamique en Europe – selon les estimations du Global Terrorism Index (établi chaque année par l'Institute for Economics and Peace), le terrorisme a fait quelques 700 morts en Europe depuis 2014 –, il y aurait aussi beaucoup à redire sur son raisonnement « comptable ». Mais la logique s'insère en tout cas parfaitement dans l'objectif stratégique du président américain qui, déjà lors de sa campagne électorale en 2016, avait affiché son souhait de voir les efforts économiques et militaires mieux partagés avec les Européens, notamment dans le cadre de l'Alliance atlantique.
Du côté européen, il y a sans doute une carte à jouer, certes délicate, mais audacieuse, face au retrait de 90% des troupes américaines. Par la voix de l'un de leurs hauts responsables, Aldar Khalil, dans un entretien à l'AFP le 17 février dernier, les Kurdes syriens exhortaient d'ailleurs les Européens à ne pas les abandonner, une fois l'État islamique vaincu : « Ces pays ont des engagements politiques et moraux. [...] S'ils ne les tiennent pas, ils nous lâchent. » Le même en appelait en particulier à Paris : « La France peut faire une proposition au Conseil de sécurité pour notre protection : elle peut proposer une force internationale entre nous et les Turcs, dont elle fasse partie, ou protéger notre ciel. » Pour les Européens, ce serait l'occasion d'affirmer une ligne claire et cohérente, face aux changements de cap fréquents observés à Washington depuis 2011. La décision des États-Unis de se retirer de Syrie n'est d'ailleurs que le dernier exemple des tergiversations américaines. Stratégiquement, ce choix apparaît à contrecourant de la posture foncièrement anti-iranienne adoptée par Donald Trump depuis son accession à la présidence. Ce dernier abandonne effet un terrain sur lequel l'influence de Téhéran s'est accrue à mesure que Bachar el-Assad dépendait de ses alliés chiites pour l'emporter. Encore quelques jours avant l'annonce du retrait des 2 000 soldats américains, des sources politiques kurdes indiquaient avoir reçu de responsables américains l'assurance que leurs forces militaires et leur personnel diplomatique allaient rester sur le long terme. En septembre dernier, c'était le conseiller à la sécurité nationale de la présidence américaine John Bolton qui rappelait, en marge de l'Assemblée générale de l'ONU : « Nous ne partirons pas tant que les troupes iraniennes resteront à l'extérieur des frontières iraniennes, ce qui vaut également pour les milices iraniennes [en Syrie]. » Comprenne qui pourra.
Pour l'heure, la stratégie volontariste des Français au Levant est clairement affectée par le choix de Donald Trump – et pour cause, elle ne vaut que tant que la France reçoit l'appui diplomatique, militaire et logistique de la puissance américaine (une source diplomatique française n'affirmait-elle pas récemment à l'AFP : « Il est totalement hors de question d'avoir des Français au sol sans les Américains » ?). Déjà sous François Hollande, la France était à l'avant-garde sur le conflit syrien, notamment lorsqu'elle s'était montrée ouvertement va-t-en-guerre, en septembre 2013, lors de la crise diplomatique liée à l'usage d'armes chimiques par le régime dans la banlieue de Damas. Sous Emmanuel Macron également, avec un retard désolant – puisqu'il a permis aux Turcs et à leurs alliés d'occuper Efrîn –, Paris a poursuivi son engagement sur place en envoyant plusieurs dizaines de soldats français à Manbij, pour servir de force d'interposition aux côtés des Américains... Les voilà désormais seuls, face au risque d'offensive des groupes rebelles. Emmanuel Macron n'a pas manqué, le 23 décembre, de critiquer la décision de Washington, et de rappeler qu'un allié « se doit d'être fiable ». Une source diplomatique française citée par le journal Le Monde le 21 décembre dernier précisait même : « Ce retrait est une erreur aux conséquences aussi dévastatrices que celles de 2013 quand Barack Obama, malgré ses engagements, avait renoncé à mener les frappes contre le régime syrien qui avait utilisé le gaz sarin. »
Prendre le relai des États-Unis pour assurer une forme de protection aux FDS supposerait malheureusement un minimum de courage politique, qui fait affreusement défaut aux dirigeants européens. En outre, cela exigerait aussi un investissement supplémentaire important, puisqu'il n'y a sur le sol syrien, à l'heure actuelle, que 200 soldats français, et à peine quelques dizaines de Britanniques. On est loin de pouvoir supplanter le contingent de 2 000 Américains, et encore moins leur capacité aéronavale. Rappelons que depuis 2010 et les réformes de l'ancien Premier ministre David Cameron, l'armée britannique a connu une « saignée » budgétaire et une réduction de ses effectifs qui a considérablement diminué sa capacité de projection ; si les Forces armées françaises s'en sortent un peu mieux, leur mobilisation en nombre représente un coût conséquent difficilement tenable sur la durée – le 19 juillet 2017, le général Pierre de Villiers démissionnait d'ailleurs de ses fonctions de chef d'état-major pour acter son désaccord avec le chef de l'État sur la réduction du budget de la Défense (de l'ordre de 850 millions d'euros pour la seule année 2017).
« L'organisation [État islamique] conserve des positions territoriales dans l'est. Leur reprise par les Forces Démocratiques Syriennes avec le soutien de la coalition est l'absolue priorité, déclarait le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, le 18 décembre. Il faut stabiliser les zones libérées de l'organisation terroriste, notamment par les forces kurdes et arabes que nous avons soutenues et qui ont consenti dans ce combat un sacrifice éminent. » L'objectif est de « sanctuariser » la rive gauche de l'Euphrate jusqu'à ce qu'une transition politique « inclusive » soit mise en œuvre dans le cadre de négociations de paix. Encore faut-il se donner les moyens de tels objectifs, en assurant à nos alliés des garanties de protection face au risque d'offensives, de la Turquie aujourd'hui, et qui sait demain, peut-être du régime syrien. Ankara ne s'y trompe d'ailleurs pas. Dès la fin du mois de décembre, le chef de la diplomatie turc Mevlut Cavusoglu déclarait, lors d'une rencontre avec des journalistes turcs : « Ce n'est un secret pour personne que la France soutient les YPG. Emmanuel Macron a rencontré leurs représentants. [...] Nous n'avons pas d'information sur l'envoi de nouveaux soldats [français] mais ils maintiennent leur présence actuelle. S'ils restent pour contribuer à l'avenir de la Syrie, alors merci. Mais s'ils restent pour protéger les YPG, cela ne sera bénéfique pour personne. »
S'ils ne s'engagent pas plus fortement sur le plan militaire, dans le conflit syrien, les Européens prennent le risque de devoir se contenter du levier de la reconstruction pour préserver une influence sur le cours des choses, dans un pays qui aura besoin de centaines de milliards de dollars pour se relever des ruines. Ce levier semble d'autant plus mince que les Russes auront sûrement la part belle dans l'octroi des contrats liés à la reconstruction du pays. La présence des Occidentaux au Proche-Orient est questionnable en soi, mais à présent que nous sommes impliqués dans le conflit, il est tout simplement irresponsable de partir sur un coup de tête, sans assurer à nos alliés sur place le minimum de sécurité qui leur permette de négocier une paix acceptable avec Damas. À l'heure – critique – où il faudrait aux dirigeants européens un soupçon de courage et d'audace pour jouer ce rôle, suite au désengagement américain, pas sûr que les Forces Démocratiques Syriennes, qui n'ont pas démérité dans la lutte contre l'État islamique ces cinq dernières années, trouvent en nous des partenaires à la hauteur.