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Par David Brites.

Le 1er janvier 2019, le Brésil a vécu un évènement politique majeur, à savoir l’entrée en fonction du nouveau président de la République, Jair Bolsonaro, suite aux élections générales de l'automne dernier. En effet, le 7 octobre 2018, alors que le Congrès national connaissait, aux législatives, une vague droitière incontestable, celui qui s’était fait connaître pour ses frasques misogynes, racistes et homophobes, souvent comparé au président américain Donald Trump, arrivait en tête de la présidentielle avec 46,03% des voix (plus de 49 millions de voix, tout de même), loin devant le candidat du Parti des Travailleurs (PT), Fernando Haddad (29,28%). Les dés étaient jetés. Le 28 octobre suivant, Bolsonaro l’emportait au second tour avec 55,13% des suffrages exprimés.

Ce tremblement de terre électoral – le PT, mais aussi les partis traditionnels de droite : PMDB, PSDB, connaissaient une déculottée historique – a largement été commenté, analysé, expliqué. L’élection par une majorité de Brésiliens d’un candidat formulant explicitement son mépris des femmes, des homosexuels, du mode de vie des Indiens, des habitants des favelas, d’un candidat si ouvertement pro-armes à feu et promettant un tournant sécuritaire comme jamais ce pays n'en a connu depuis l’époque de la dictature (1964-1985), n’est pas le résultat du hasard. Elle dit quelque chose de la vision que bon nombre de Brésiliens (du moins ceux ayant plébiscité le programme de Bolsonaro) ont de l'altérité, du vivre-ensemble, de la notion de solidarité sociale ; mais aussi de leur vision du développement, et de leur idéal de société.

Dans le lot des « minorités » qui sont dans le viseur du nouvel exécutif, les Amérindiens trouvent une place de choix. À la fois parce que leur cause, liée à la forêt amazonienne, est connue internationalement, mais aussi parce qu’au Brésil, paradoxalement, elle mobilise si peu le citoyen lambda. Regard sur la situation actuelle, et sur ce qu’elle dit du rapport entre le Brésil et ses communautés autochtones.

Dès le mois de février 2018, bien avant le lancement officiel de la campagne électorale, Jair Bolsonaro, déjà candidat, avait annoncé que s'il l'emportait, « l’Indien n’aura plus un centimètre de terre », promettant d’en finir avec les réserves autochtones protégées (« territoires indigènes », ou terras indígenas en portugais) et les parcs nationaux. Il ajoutait alors, dans un monologue mémorable prononcé en conférence de presse : « Vous devez intégrer l’Indien à la société. J’ai été [dans l’État de] Roraime voir les problèmes là-bas. L’Indien veut de l’énergie électrique. Il veut un dentiste pour lui arracher la dent de sa bouche. Il veut un médecin pour soigner une maladie. Il veut voir la télévision. Il veut jouer au football, il veut venir au cinéma. Il veut planter du soja aussi, planter du riz. Il veut être quelqu’un, d’accord ? Alors il a besoin de ça. Et pas d’un gouvernement via les ONG ou via la FUNAI [Fondation Nationale de l’Indien]. […] Nous avons un Indien président de la Bolivie. Pourquoi est-ce que notre Indien ici doit être confiné dans un territoire indigène ? […] Je n’ai pas d’obsession. J’ai ce que les autres n’ont pas : j’ai le peuple avec moi, et j’ai Dieu aux commandes. »

Un discours alors partagé sur Twitter par Eduardo Bolsonaro, le propre fils de l’actuel président, qui y ajoutait ce commentaire : « L’Indien ne veut pas de terre, il veut de la dignité. »

Sur un affluent au sud du fleuve amazone, dans l'État d'Amazonas.

Sur un affluent au sud du fleuve amazone, dans l'État d'Amazonas.

Le Brésil : un État colonial non assumé

Pour rappel, le principe des terres réservées (terras indígenas) dans sa version moderne a été établi au Brésil dans les années 1980, au crépuscule de la dictature militaire. Des mesures diverses et souvent totalement anecdotiques avaient par le passé été adoptées pour offrir une forme de protection (de protectorat, plutôt) et surtout d'encadrement aux Indiens, mais aucune de cet ordre-là et de cette ampleur. En outre, en 1973, les dispositions du Statut de l’Indien les placèrent sous la tutelle de l’État, faisant d'eux des citoyens de seconde zone considérés comme des mineurs, irresponsables. Un droit de « possession permanente » sur les terres qu’ils occupent depuis des temps « immémoriaux » leur fut théoriquement accordé, à l’exclusion du sous-sol, mais l’État fédéral, garant de l’exercice de ces droits en tant que propriétaire des terres, se montra particulièrement laxiste avec ses propres règles, au gré des intérêts économiques du moment.

La Constitution de 1988 contient un chapitre reconnaissant les droits des autochtones sur les terres qu’ils occupent traditionnellement, déclarées « inaliénables et indisponibles, et donc sans possibilité aucune de négociation ou de prise en compte des intérêts économiques […] ou politiques […] ». L’assimilation n’est plus mentionnée. Dans les faits, la délimitation (demarcação) des territoires autochtones, reconnue par l’article 231 de la Loi fondamentale, est un processus toujours en cours depuis son adoption. Jetant ses bases sur des études cartographiques, environnementales, ethnologiques et historiques, avec l’appui de la Fondation Nationale de l’Indien (FUNAI), elle consiste à reconnaître les contours de la réserve, à en marquer les limites sur le terrain, à la faire homologuer à l’échelle nationale… Une démarche rendue laborieuse par l’interférence d’intérêts particuliers menacés, qui contestent certaines décisions en justice, par exemple en proposant la création de réserves écologiques « à vocation économique », ou en niant l’identité autochtone de certains peuples.

Aujourd’hui, le Brésil compte entre 800 et 900 000 Indiens qui occupent 672 « territoires indigènes » (délimitées ou en cours de délimitation), sur un total de plus de 100 millions d’hectares, soit 13% du territoire brésilien. Derrière le terme « Indien », « indigène », « Amérindien », « natif », « autochtone », ou encore « habitant du fleuve » (ribeirinho, expression usuelle au Brésil), on compte en fait 215 ethnies répertoriées, utilisant 188 langues et dialectes. Sans compter plusieurs groupes n’étant pas encore entrés en contact avec le reste du monde.

« L’Indien ne veut pas de terre, il veut de la dignité » : en une phrase, Eduardo Bolsonaro résumait ainsi, globalement assez bien, la pensée de son père, maintenant président de la République. L’Indien ne veut pas de terre, il veut de la dignité. L’Indien. L’Indien veut ci, il veut ça. Ne nous attardons pas sur ce que dit en soi l’usage de cette formule, « l’Indien », essentialisation caractéristique d’un regard profondément occidentalo-centré. Cette phrase, prise dans son intégralité, dit elle-même beaucoup de choses. D'abord que, de toute évidence, les Bolsonaro n’ont pas compris le but des territoires autochtones, dont l’existence ne vise évidemment pas à « enfermer » les communautés amérindiennes loin de la « civilisation ». L’objectif est double.

Sur l'un des bateaux de liaison Manaus-Belém.

Tout d’abord, les terras indígenas visent à rétablir un soupçon de justice, sur le plan historique autant que foncier. Alors que beaucoup de détracteurs des réserves expliquent qu’« il n’est pas normal que 13% du territoire national soit réservé à moins de 1% de la population », le principe de concéder une primauté sur la terre aux Indiens n’est pas dû au hasard. Symboliquement, il vient corriger une profonde injustice qui est celle de la colonisation, de l’expropriation et de l’expulsion en masse, voire bien souvent des massacres, dont ont été victimes les populations autochtones. Assurer des territoires « protégés » aux Indiens, c’est un message extraordinaire qui leur est lancé : c’est leur garantir que le processus de colonisation dont ils ont été victimes, depuis l’arrivée de Pedro Álvares Cabral en 1500 jusqu’à la restauration de la démocratie parlementaire 1988, ne se poursuivrait pas, au moins pour ce qui concerne les territoires délimitées.

En effet, il existe une continuité très claire entre l’État colonial portugais (1500-1822) et l’État brésilien depuis 1822. Quand le Brésil proclame son indépendance, c'est par le biais de Pedro Ier, le propre fils du roi du Portugal, qui devient empereur du nouvel État – il est officiellement proclamé roi du Portugal (sous le nom de Pedro IV) en 1826, et après son abdication du trône brésilien en 1831 au profit de son jeune fils Pedro II, il part assurer les droits à la couronne portugaise de sa fille Maria II. De 1834 à 1853, dates du règne de Maria II du Portugal, les deux monarchies sont d'ailleurs dirigées par deux frère et sœur, illustrant les liens tenaces entre les deux pays. Après l'indépendance, l'administration et les forces armées brésiliennes demeurent globalement les mêmes qu'auparavant. Depuis 1808, Rio de Janeiro était même déjà la capitale de facto de la monarchie, formellement proclamée Royaume uni du Portugal, du Brésil et des Algarves en 1815. L’esclavage ne sera aboli au Brésil qu’en 1888, autrement dit jusqu’à cette date, l’indépendance ne concerne réellement que la partie blanche européenne de la population, non les afro-descendants – et la colonisation du territoire se poursuivra largement dans les zones reculées peuplées d'autochtones, la forêt amazonienne en tête.

Encore dans les années 1970, c'est-à-dire à une époque relativement récente, le Brésil se lança dans une politique de développement et de peuplement dans ses marges géographiques, qui eut des conséquences désastreuses pour la forêt. Les routes censées faciliter le peuplement de l’intérieur ont en fait ouvert la voie au pillage galopant de l’Amazonie. Au Rondônia, la population est passée de 111 000 à 1,13 millions d’habitants entre 1970 et 1991, mais dans le même temps 20% de la forêt de l’État disparaissait. Dans les années 70, dans le nord de l’Amazonie et du Roraima, le lancement de la construction de la route BR-210 a mis brutalement en contact les communautés Yanomami, l’une des plus grandes ethnies autochtones du Brésil, avec des ouvriers et d’autres étrangers. Résultat : elles succombèrent à la rougeole, à la grippe et aux maladies vénériennes transmises par les nouveaux venus ; plusieurs villages disparurent complètement. Au milieu des années 1980, une ruée vers l’or entraîna 40 000 mineurs dans les territoires des Yanomami, polluant les rivières et détruisant la forêt. En 1988, un projet du gouvernement, qui privait cette ethnie de 70% de son territoire traditionnel au profit de l’exploitation minière, fut certes abandonné par la suite, mais ses préparatifs eurent tout de même des conséquences irréversibles sur le terrain. Entre 1986 et 1993, près d’un cinquième de la population des Yanomami mourut, principalement de maladies. Il faudra attendre 1991 pour voir le Brésil (dans la foulée du Venezuela) créer une Terra Indígena Yanomami ; d’une superficie de 96 650 km², celle-ci constitue le plus vaste territoire autochtone du Brésil. Cette relation de colonisateur à colonisé a donc perduré jusque très récemment, et menace de repartir de plus belle à présent.

Alors que la population autochtone du territoire brésilien est estimée à 3 ou 4 millions d’habitants en 1500 (pour au moins mille tribus différentes), l’esclavage, les maladies, les conflits armés et la perte des territoires lui ont porté un coup terrible. Les bandeirantes, aventuriers sans scrupules qui assumèrent la conquête des territoires du centre et du nord du Brésil au XVIIème et au XVIIIème, participèrent activement à la disparition physique des Indiens, tandis que les Jésuites entamèrent leur destruction culturelle. Pourtant, les évolutions politiques depuis le rétablissement de la démocratie sont encourageantes, puisque pour la première fois en plus de cinq siècles, la population autochtone croît. De 300 000 dans les années 1980, leur nombre a été multiplié par trois en moins de 40 ans. Évidemment, l’adoucissement des politiques publiques d’aménagement du territoire et la création des territoires protégés ne sont pas pour rien dans cette évolution.

Deuxième objectif des terras indígenas : préserver l’écosystème qui s’y trouve. Autrement dit, l’État a pris acte (on suppose) de la menace réelle qui pèse sur l’ensemble des Brésiliens en cas de disparition totale ou quasi-totale des réserves forestières amazoniennes (rappelons que les forêts atlantiques, ou mata atlântica, ont quant à elles pratiquement disparues en quelques siècles d’occupation du littoral). Le message étant : le mode de vie des communautés indiennes est compatible avec le respect des écosystèmes amazoniens, voire y est intrinsèquement lié, et donc la protection établie sur les territoires autochtones sert également la faune et la flore qui s’y trouvent. En quelque sorte, la permanence des Indiens sur leurs terres, induisant la préservation de leur mode de vie, a un effet « parapluie » sur la nature ; nature qui elle-même pourvoit à leurs besoins. Un cercle vertueux.

Même dans le Cerrado, région de savane située dans le centre du pays, les territoires autochtones se configurent comme des îlots de végétation conservant la biodiversité, entourés d'aires déboisées très étendues où la déforestation a largement affecté l'environnement, desséché les cours d'eau, accentué les temps de sécheresse et accru l'érosion des sols. Ils jouent donc un rôle essentiel dans la conservation des ressources locales, notamment en eau. C'est le cas, par exemple, du territoire de l'ethnie Krahô, sur plus de 300 000 hectares dans le nord-est de l'État du Tocantins. Les terres du Parc National du Xingu, le plus grand du Cerrado, affrontent quant à elles des difficultés liées à la contamination des eaux fluviales, la plupart des sources se trouvant en dehors de l'aire protégée.

La deuxième moitié de la phrase de Bolsonaro fils, « l’Indien veut de la dignité », nous dit encore autre chose, cette fois sur la vision de beaucoup de Brésiliens sur le mode de vie autochtone. Car opposer l'existence des territoires protégés à « la dignité », comme il le fait, c’est induire que, en l’état actuel, dans sa réserve, « l’Indien » n’a pas de dignité. Cela traduit une vision profondément euro ou occidentalo-centrée, coloniale, des peuples non-blancs, de la figure que l’on a si longtemps qualifié de « bon sauvage ». Derrière cette vision, on retrouve tout ce qu’on aime : l’idée que la civilisation, la vraie, moderne, progressiste, ne peut être que la nôtre, connectée au reste du monde, globalisée. Qu’un mode de vie « digne » ne peut être que de type occidental, capitaliste et consumériste – Bolsonaro père le disait d’ailleurs très bien : « L’Indien veut de l’énergie électrique. […] Il veut voir la télévision. Il veut jouer au football, il veut venir au cinéma. » L’Indien serait même un productiviste en puissance : « Il veut planter du soja aussi, planter du riz. » Compte tenu des sympathies affichées par le nouveau président à l'égard de l'Église évangélique, on peut supposer que pour les Bolsonaro, un mode de vie « digne » serait également associé à l’adoption de la religion chrétienne. Une représentante de la communauté des Munduruku (autochtones de la vallée du fleuve Tapajós, dans l'État du Pará), déclarait d'ailleurs, lors d'une audience publique au Parlement il y a quelques jours, mettant en cause le laisser-faire du gouvernement sur cette question : « Les évangéliques s'introduisent dans notre terre, pour diviser notre peuple, nous enlevant notre culture. Jusqu'à enlever notre âme, notre âme ! »

En 2018, Bolsonaro avait déjà déclaré, à une autre occasion : « L’indigène ne peut pas rester confiné dans une zone délimitée comme s’il s’agissait d’un animal dans un zoo. » Il précisait alors que les Indiens sont des « êtres humains comme nous, qui veulent évoluer, avoir l’électricité, un médecin, un dentiste, Internet, jouer au football ». Certes, il y a bien des problèmes dans le niveau de vie et les carences des communautés autochtones en termes d’infrastructures et de services publics – on peut douter que le modèle économique libéral promu par Bolsonaro puisse d’une quelconque façon corriger cette réalité-là. Mais précisons que l’existence des réserves n’empêche pas les Indiens d’en sortir : elle est là pour les protéger des menaces extérieures. Enfin, on en revient encore et toujours à un modèle de société de type occidental, avec Internet, le football, l’électricité… Les communautés autochtones n’ont quant à elles jamais déclaré se sentir comme « un animal dans un zoo » dans leurs territoires. Mais peut-être ne veulent-elles pas être des « êtres humains comme nous, qui veulent évoluer » ?

Cette vision purement raciste, qui établit une hiérarchie dans la dignité en fonction des modes de vie (le mode de vie occidental étant tout en haut de l’échelle), est largement partagée au Brésil, et en cela, la victoire de Bolsonaro aux dernières élections traduit la permanence d’une mentalité de type coloniale, depuis le citoyen lambda jusqu'aux plus hautes sphères du pouvoir. Cette posture ne considère pas les autochtones comme des adultes. « Vous devez intégrer l’Indien à la société », « il a besoin de ça », relève d’une forme prononcée de paternalisme, avec, cerise sur le gâteau, cette dimension raciste ô combien délicieuse : « Il veut être quelqu’un, d’accord ? » Car pour l’instant, il n’est personne. On croirait entendre Nicolas Sarkozy qui, en 2007 à Dakar, venait expliquer à des étudiants sénégalais que « l’Homme africain [...] n'est pas assez entré dans l’Histoire », enfermé dans un « ordre immuable » qui ne laisse « de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès ». Idem pour les populations autochtones : elles demeurent dans l’ombre, elles ne sont rien ni personne.

Sur le fleuve Amazone, dans l'État d'Amazonas.

Sur le fleuve Amazone, dans l'État d'Amazonas.

De Temer à Bolsonaro : l’offensive a déjà commencé

L’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro a fait beaucoup de bruit sur le plan international, à la fois au regard de la radicalité de ses propos (il est classé à l’extrême-droite de l’échiquier politique brésilien, ultra-libéral sur le plan économique, proche des milieux militaires nostalgiques de la dictature, et évangélique fervent), et du fait du score spectaculaire qu’il a réalisé dès le premier tour – la surprise des observateurs a rappelé celle qui avait accompagné l’élection de Donald Trump deux ans auparavant. Pourtant, on peut noter une forme de continuité assez claire entre les présidences de Temer et de Bolsonaro. Pour rappel, Michel Temer avait accédé à la vice-présidence de l’État suite à l'élection, en octobre 2010, puis à la réélection, en octobre 2014, de Dilma Rousseff. Il était issu du Parti du Mouvement Démocratique Brésilien (PMDB), une formation d’élus et de barons locaux, principal parti de centre-droit au Brésil, qui dominait jusque récemment le Congrès national – il a subi un revers aux législatives de 2018, mais reste un acteur majeur de la vie politique brésilienne. Après avoir appuyé la destitution de Dilma Rousseff par le Parlement, Temer a officiellement accédé à la présidence suite à l’impeachment, dont la procédure a définitivement abouti le 31 août 2016.

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en seulement deux ans, le président Temer a su maximiser le temps qui lui était donné pour faire adopter une série de lois… carabinées. De l’amendement constitutionnel établissant un gel des dépenses publiques pour une période de vingt ans (décembre 2016) à la légalisation du « rétropédalage budgétaire » (une procédure pour laquelle Dilma Rousseff avait pourtant été destituée), en passant par des vagues de privatisations (autoroutes, ports, aéroports…), le nouveau gouvernement de droite a semblé oublier qu’il n’avait pas de mandat du peuple pour appliquer un tel programme. En outre, 2017 a représenté l’année ayant connu la plus forte déforestation de toute l’histoire du pays, au profit de l’agrobusiness comme des investisseurs miniers. En juin 2017, la Norvège, principal bailleur de fonds pour la protection de la forêt amazonienne, annonçait d’ailleurs diviser par deux ses paiements au Brésil du fait de l’accélération de la déforestation.

Non pas que sous Lula da Silva et Dilma Rousseff, la situation était idéale. On se souvient notamment de la démission avec bruit de la ministre de l’Environnement Marina Silva en 2008, et de la validation du projet controversé du barrage de Belo Monte en 2011. Symbole des renoncements des années PT : le 22 mars 2013, à trois mois de la Coupe des Confédérations, et à un an de la Coupe du Monde de football, vingt-trois familles d'Amérindiens de différentes ethnies, qui vivaient depuis 2006 dans des paillotes traditionnelles autour de l'ancien musée de l'Indien situé près du stade Maracanã, à Rio de Janeiro, étaient expulsées par la police militaire. Le message était clair : les autorités voulaient ainsi faire place nette aux investisseurs autour de ce centre névralgique du football brésilien. Mais au moins les deux, Lula et Dilma Rousseff, étaient-ils parvenus, l’un puis l’autre, à ralentir sensiblement le rythme du déboisement. Selon les données du ministère de l’Environnement, la déforestation de l’Amazonie avait connu, entre 2004 et 2012, une chute record de 80% ; si le rythme avait repris avec plus d’intensité depuis, la tendance peu avant la destitution de Dilma Rousseff indiquait à nouveau une réduction.

Carte des États du Brésil.

Dès août 2017, le président Temer annulait la démarcation du Jaraguá, une terra indígena de 532 hectares située dans l'État de São Paulo et peuplée d'Indiens Guanari – ces derniers, rejoints par les Guarani Kaiowu du Mato Grosso du Sud, initièrent alors une laborieuse campagne de résistance. Le même mois, Temer, toujours lui, abrogeait le statut de réserve naturelle (accordé en 1984) de Carajás, une zone de quatre millions d’hectares située à la croisée des États du Pará et de l’Amapá, rendant cet espace désormais exploitable par des entreprises minières ; le décret stipulait alors que cela « ne remet pas en cause l’application de la loi concernant la protection de la flore et des territoires autochtones » – comprenne qui pourra. La course à l’or, au fer, au manganèse et au tantale était lancée, momentanément interrompue, quelques jours après l’adoption du décret présidentiel, par une décision de la Justice fédérale brésilienne qui réclamait un vote au Congrès pour l’abrogation du statut de la réserve. Quand on sait le degré de sécurité existant sur les sites d’exploitation minière au Brésil, il y a de quoi s’inquiéter de ce type d’initiative – les désastres environnementaux issus de la rupture des barrages de Bento Rodrigues, en novembre 2015, et de Brumadinho, en janvier 2019, tous deux dans l’État de Minas Gerais, ont servi de piqûre de rappel aux Brésiliens, au prix de millions de tonnes de boues déversées (y compris dans des zones habitées) provenant d’exploitations minières (et qui ont notamment contaminé les eaux du Rio Doce jusqu’à l’Atlantique).

Par ailleurs, le nombre d’invasions des territoires autochtones avait déjà considérablement augmenté entre 2016 et 2017, passant de 59 à 96 cas, illustrant le peu d’importance que donnait le gouvernement Temer à la protection de ces territoires face aux incursions de milices privées mises au service d’investisseurs peu scrupuleux. D’après le Conseil Missionnaire Indigène (CIMI), plusieurs centaines d’Indiens seraient déjà morts ces dernières années, dans des d’affrontements ou assassinats ciblés survenant lors de conflits liés à la déforestation et à l’invasion de terres. L'un des cas les plus connus est celui de Maria da Lurdes Fernandes Silva, militante communautaire du droit foncier qui dénonçait l'appropriation illégale de terres dans sa région, dans l'État du Pará, recevant régulièrement, pour cela, des menaces de mort ; elle a été tuée par balles à son domicile, ainsi que son mari, le 26 juillet 2017 – et évidemment, les meurtriers n'ont jamais été arrêtés ni même identifiés.

En dépit de cette situation déjà préoccupante, le contexte s’est encore (déjà !) aggravé depuis l’entrée en fonction du nouvel exécutif il y a quatre mois. Les incursions dans les territoires autochtones auraient connu une énième accélération dans la foulée de l’élection de Bolsonaro. Et la déforestation aurait augmenté de 54% en Amazonie dès le mois de janvier, par rapport à la même période l’année dernière, selon les premières données de 2019 relevées par le Système d’alerte de déforestation publiées par l’Institut de l’Homme et de l’Environnement de l’Amazonie (IMAZON). Au total, 108 km² auraient été déboisés, dont 37% rien que dans l’État du Pará, suivi par ceux du Mato Grosso (32%), du Roraima (16%), de Rondônia (8%), de l’Amazonas (6%) et de l’Acre (1%). Surtout, la majeure partie de la déforestation se serait produite dans des zones privées, préservées et occupées par des Indiens, ce qui signifie un relâchement du contrôle gouvernemental, ainsi qu’un arrêt des délimitations et une course au déboisement.

Avant même son élection, Jair Bolsonaro avait annoncé la couleur, se déclarant très favorable au lobby de l’agrobusiness, particulièrement puissant au Brésil. Peu après son élection, il précisait par ailleurs qu’il comptait revoir la carte des réserves indigènes, les jugeant « surdimensionnées », notamment afin d'ouvrir les zones concernées à l'exploitation minière et de légaliser l'orpaillage, pourtant accusé de polluer les cours d'eau au mercure. Enfin, le ton était donné dès son entrée en fonction le 1er janvier dernier, puisque la responsabilité de l’identification, de la reconnaissance et de la délimitation (demarcação) des territoires autochtones était alors transférée au ministère de l’Agriculture, actuellement dirigé par Tereza Cristina Dias, leader du Front parlementaire agroalimentaire (FPA) et fervente défenseuse de l’agrobusiness – elle favorise l'usage massif de pesticides hautement toxiques pour les êtres humains et les sols tout en modifiant la réglementation sanitaire afin d'afficher une moindre dangerosité. La Fondation Nationale de l’Indien (FUNAI) a quant à elle perdu le peu de pouvoir qu’elle possédait et est désormais subordonnée au nouveau ministère de la Femme, de la Famille et des Droits humains. Il convient de rappeler que le Congrès national, dans sa composition issue des dernières législatives, voit cohabiter en son sein trois mouvances informelles, trois lobbies particulièrement puissants, qui transcendent les partis siégeant sur les bancs parlementaires. Ce sont les fameux « BBB », identifiés selon les intérêts défendus : le lobby pro-Bible, pro-balles et pro-bœuf, le premier porté par les évangélistes et caractérisé par sa défense des valeurs traditionnelles liées à la famille (très anti-avortement et anti-mariage homosexuel), le second favorable à la libéralisation la plus totale des armes à feu et à une « privatisation » de la sécurité, et le troisième pro-agrobusiness. Autant dire que ces trois bancadas parlamentares ont été unanimement satisfaites du résultat de la dernière présidentielle, puisque le nouveau chef de l'État répond très favorablement à chacune d'entre elles.

Le ministère de l'Environnement a connu ces deux dernières semaines une vague de démissions, de mises à pied des cadres dirigeants, et leur remplacement. Et face à l'autoritarisme du ministre Ricardo Salles, le président de Institut Chico Mendes de la Conservation de la Biodiversité (ICMBio, responsable des unités de conservation forestière du pays), Adalberto Eberhard, a démissionné, suivi de deux directeurs, ainsi que du président suppléant du même Institut. Pour remplacer tout ce petit monde, à l'ICMBio et au ministère : des officiers de la police militaire de São Paulo – pas moins de trois colonels (dont Homero de Giorge Cerqueira, nouveau président de l'ICMBio), un lieutenant-colonel et un major – et un représentant de l'agrobusiness. Le processus de militarisation du secteur environnemental a lieu sous la direction du président de la République lui-même, et de Ricardo Salles. L'objectif est, selon Bolsonaro, de « mettre fin au cadre idéologique du secteur, dirigé par des ONG et des entités qui s'occupent de l'environnement » ; le gouvernement axera désormais la politique environnementale sur les villes, pour laisser l'espace rural « libre ». Déjà le 13 avril dernier, le chef de l'État avait refusé l'inspection de l'IBAMA (Institut Brésilien de l'Environnement et des Ressources Naturelles Renouvelables), la branche administrative du ministère de l'environnement, dans la forêt nationale de Jamari, dans l'État de Rondônia, alors qu'elle est l'une des dix forêts à avoir connu le plus fort déboisement en mars de cette année (données IMAZON).

Bien évidemment, tout cela s'accompagne de coupes drastiques dans les budgets de l'IBAMA (24% du budget annuel, soit un trimestre de dépenses prévues en 2019, lui ont déjà été retirés) et de l'ICMBio. Prochaines étapes dans l'agenda politique : le gouvernement souhaite autoriser les producteurs ruraux à posséder une arme à feu, et veut fusionner l'IBAMA et l'ICMBio.

Sur un affluent du fleuve Amazone, dans l'État d'Amazonas.

Sur un affluent du fleuve Amazone, dans l'État d'Amazonas.

L'urgence : reconsidérer le rapport des sociétés humaines à la nature

« Depuis l’élection de Jair Bolsonaro, nous vivons les prémices d’une apocalypse » : c’est en ces termes que s’exprimaient quatorze représentants de peuples autochtones de différents continents, parmi lesquels on comptait de nombreux représentants de communautés amazoniennes, dans une tribune publiée le 10 avril 2019 (dans le quotidien Le Monde) appelant à protéger le caractère « sacré » de la nature et à s’opposer aux projets du chef de l'État. « Aujourd’hui nous sommes particulièrement inquiets de la situation au Brésil, depuis l’élection du nouveau président Jair Bolsonaro, écrivent-ils. Depuis cent jours, nous vivons les prémices d’une apocalypse, dont les peuples indigènes sont les premières victimes. »

Parmi les nombreux projets appuyés par l’exécutif, on peut noter l’exploitation de la réserve de Raposa Serra do Sol. Cette zone située à la frontière du Venezuela et de la Guyana (État du Roraima), sur laquelle vivent 17 000 autochtones, gigantesque territoire, est aussi, pour son plus grand malheur, la deuxième plus grande réserve d’uranium au monde. Délimitée en 2005, s’étendant sur 17 000 km², elle renferme également d’importants gisements de minerais comme l’or, l’étain, le cuivre, ainsi que le niobium, un métal léger utilisé dans la sidérurgie et l’aéronautique. « C’est la région la plus riche du monde, déclarait le 17 décembre dernier le tout fraîchement élu Jair Bolsonaro, à quelques jours de son entrée en fonction. Il y a moyen d’exploiter de manière rationnelle. Et du côté des indigènes, de leur verser des redevances et de les intégrer à la société. »

Dans la foulée, il remettait en question la participation de son pays à l’accord de Paris sur le changement climatique, et annonçait sa volonté de permettre la reprise d’études pour la construction de centrales hydroélectriques en Amazonie. Une initiative qui bouleverserait les écosystèmes liés au fleuve Amazone et à ses affluents, et forcerait le déplacement des populations.

Partout, ceux que l’on qualifie de « peuples autochtones » nous invitent à reconsidérer notre regard sur la nature, pour la considérer non comme une propriété, mais comme un sujet en tant que tel – un sujet juridique, pourrions-nous dire aussi. Le concept de « Forêt vivante » suppose une cosmovision par laquelle la terre, le cosmos, les êtres humains, les animaux, la flore, les pierres, les montagnes, les lacs, forment un tout. Un tout qui constitue un équilibre. Sous la présidence de Rafael Correa, l’Équateur, où les enjeux de protection de la nature sont prégnants face aux exploitants pétroliers (Équateur : l'échec de l'initiative Yasuni-ITT, révélateur d'un tournant dans la présidence Correa ?), était devenu le premier pays au monde à avoir inscrit les droits de la nature dans sa Constitution, adoptée par référendum en septembre 2008. En mars 2017, première mondiale, un fleuve considéré comme sacré par les Maori, Whanganui (Te Awa Tupua en maori), a été reconnu par le Parlement de Nouvelle-Zélande comme une entité vivante, un statut qui doit avoir pour traduction concrète que les intérêts du cours d'eau seront défendus dans les procédures judiciaires par des avocats. Selon la loi, c'est un être vivant unique, « partant des montagnes jusqu'à la mer, y compris ses affluents et l'ensemble de ses éléments physiques et métaphysiques ». Dans la foulée, la tribu maori locale a également reçu 80 millions de dollars néo-zélandais (52 millions d'euros) au titre de frais de justice (après un long marathon judiciaire), ainsi qu'une somme de 30 millions de dollars (19,5 millions d'euros) pour améliorer l'état du cours d'eau ; les riverains luttaient pour la reconnaissance de leurs droits sur le fleuve depuis les années 1870.

Enfin, bien que de nature différente, rappelons le statut particulier du territoire de l'Antarctique. Dans un contexte, à la fin du XIXème, marqué par la multiplication des missions d'exploration sur le plus méridional des continents, apparut la nécessité d'encadrer la pénétration humaine sur ce territoire encore vierge. Signé le 1er décembre 1959 par douze pays (rejoints depuis par plusieurs dizaines d'autres), le traité de l'Antarctique donne à ce territoire un statut unique destiné à la science, aux actions pacifiques, à la préservation des ressources naturelles et à la protection de la biodiversité. La Convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique en 1982, le protocole de Madrid en 1991 et des programmes de recherche internationaux comme le recensement de la vie marine de l'océan Austral (2003-2010) illustrent la volonté des États de poursuivre les objectifs établis en 1959. L'objectif principal du traité est de s'assurer, dans l'intérêt de toute l'humanité, que l'Antarctique continuera à être employé exclusivement à des fins pacifiques et ne deviendra ni le théâtre ni l'enjeu de différends internationaux. Pourquoi ne pas imaginer, à l'avenir des conventions s'inspirant d'un tel modèle, négociées de bonne foi entre États (voire dans le cadre de l'ONU) partageant des espaces de biodiversité exceptionnels comme la forêt amazonienne ?

La résistance autochtone s'organise, de façon diverse, laborieuse, face à des intérêts tellement plus puissants. L'une des grandes figures amérindienne au Brésil, visage connu à l'international, le chef Raoni (cacique du peuple Kayapo), aujourd'hui âgé de 87 ans, s'apprête, dans l'indifférence générale, tout comme il l'avait déjà fait il y a quelques années sur le dossier du barrage de Belo Monte, à entamer une tournée de plusieurs semaines en Europe afin d'alerter sur les conséquences terribles de la déforestation. Il espère notamment récolter un million d'euros pour protéger le territoire autochtone de Xingu (État du Mato Grosso), qui est désormais menacé par le développement des exploitations forestières et des industries agroalimentaires.

Le 24 avril, et pendant trois jours, environ 4 000 représentants de tribus autochtones se sont installés au cœur de la capitale brésilienne, devant les centres emblématiques du pouvoir, pour leur mobilisation intitulée « Camp Terre Libre » (Acapamento Terra Livre), qui réunit depuis 2004, chaque année, au minimum plusieurs centaines de personnes. Alors que des forces de l’ordre nombreuses ont été déployées dans le centre de Brasilia, et des cordons de sécurité installés, le président Bolsonaro avait déjà donné le ton au début du mois en déclarant : « Nous souhaitons le meilleur aux indigènes du Brésil […] mais cette fiesta va devoir cesser sous notre gouvernement. » Et le chef de l’État d’ajouter, sur son compte Facebook : « Dix mille indigènes sont attendus ici à Brasilia. […] Et qui va payer la facture pour ces 10 000 Indiens qui vont venir ? Vous ! » Une allégation réfutée par les organisateurs, qui ont assuré que le rassemblement était financé sur leurs propres ressources. Habituellement pacifique, le campement a eu lieu cette fois dans une ambiance particulièrement tendue. Pourtant les manifestants, en tenue traditionnelle, corps tatoués et masques de plumes multicolores, se sont contentés de chanter et de déployer des bannières où on pouvait lire : « Nos terres sont sacrées. Pas d’extractions minières sur nos territoires », ou encore : « Nous exigeons les démarcations de nos terres ».

Les représentants du Camp Terre Libre ont été reçus par la Suprême Cour Fédérale, et plusieurs figures du mouvement autochtone ont participé à des audiences publiques au Congrès national ou été reçus par les présidents de la Chambre des députés, Rodrigo Maia, et du Sénat, Davi Alcolumbre, qui ont déclaré qu'ils « soutiennent la restauration de la compétence de la FUNAI en matière de démarcation des terres autochtones et son retour au ministère de la Justice ». Malgré cela, et en dépit de l'appui de plusieurs institutions scientifiques et universitaires aux revendications autochtones contre les régressions de la politique gouvernementale en matière d'environnement, l'avenir de la protestation paraît bien incertain, avec la militarisation toute fraîche – évoquée plus haut – des institutions publiques ou semi-publiques œuvrant dans le secteur de l'environnement.

La veille du début du Camp Terre Libre, le 23 avril, une cinquantaine d’Indiens brésiliens portant plumes et maquillages ont également manifesté à New York, aux cris de « L’Amazonie n’est pas à vendre ! » Soutenus par des militants écologistes nord-américains, ils ont remis une pétition de quelque 12 000 signatures à la mission brésilienne de l’ONU. « Il est urgent que le monde entende la voix, le cri des peuples indigènes. Nous sommes menacés par l’agrobusiness, l’hydro-électricité, la déforestation et l’industrie minière », y déclarait Sonia Guajajara, coordinatrice nationale de la Coalition des Peuples Indigènes du Brésil (APIB). Quelques jours auparavant, lors d’un entretien à l’AFP, Vicky Tauli-Corpuz, rapporteuse spéciale de l’ONU pour les droits des peuples autochtones, s’était déclarée « très inquiète » de la situation au Brésil, précisant même, en référence aux populations déplacées dans le centre-ouest du pays à cause des plantations de soja : « Elles ont toujours fait l’objet de violences des services de sécurité des plantations, mais elles sont visées de plus en plus par les autorités de l’État. » En outre, elle a pointé du doigt à cet égard les Églises évangéliques qui « soutiennent le président » et « qui se déploient dans des zones habitées par des autochtones et volontairement isolées, ce qui est la chose la pire qui puisse leur arriver ».

Sur un affluent méridional du fleuve Amazone, dans l'État d'Amazonas.

Sur un affluent méridional du fleuve Amazone, dans l'État d'Amazonas.

Entre autres, les peuples autochtones de la région du fleuve Tapajós (sud-ouest de l'État du Pará) ont été durement touchés par les coupes sèches effectuées par le gouvernement dans les ressources et le personnel de la FUNAI. Alessandra Korape Munduruku, coordinatrice de l'association autochtone Pariri-Munduruku Médio Tapajós, a eu l'occasion, il y a quelques jours, en marge du Campement Terre Libre, d'intervenir lors d'une audience publique au Congrès national, à Brasilia. Elle déclarait alors un vibrant plaidoyer pour son peuple : « Nos terres sont envahies ! [...] Et nos terres ne sont pas délimitées, pourquoi nos terres ne sont pas délimitées ? [...] Le gouvernement ne donne pas obligation de délimiter nos terres ! La FUNAI est sortie, elle n'existe plus. On a mis la FUNAI à l'agriculture. [...] Cette femme [la ministre] ne représente pas les indigènes, non ! [...] Elle ne connaît pas qui est indigène, elle ne connaît pas la terre indigène, elle ne connaît pas l'Indien, elle ne connaît pas la vie. Tereza Cristina ne sait pas. » Elle ajoutait enfin, dans un cri du cœur désespéré : « Respectez notre territoire, respectez notre droit, respectez nos ancêtres. Parce que depuis 519 ans, nous résistons, disant : même si vous retirez la racine, il y a une semence qui grandit, qui va créer des fruits, et les fleurs vont se répandre !... »

Nous conclurons avec cet extrait de la tribune publiée le 10 avril 2019, dans le journal Le Monde, où quatorze représentants de peuples autochtones, empreints du sentiment de devoir de protection vis-à-vis de la nature, appellent l’humanité à un réveil salutaire.

Nous, gardiens et enfants de la Terre Mère, peuples indigènes et alliés, nos prophéties, notre sagesse et nos savoirs nous ont permis de constater que la vie sur la Terre Mère est en danger et que l’heure d’une grande transformation est arrivée. Les peuples indigènes ont toujours pris soin de la Terre Mère et de l’humanité. Nous représentons 370 millions de personnes dans le monde, répartis sur 22% de la planète et couvrant 80% de la biodiversité mondiale.

Nous appelons l’humanité à prendre des mesures pour protéger le caractère sacré de l’eau, de l’air, de la terre, du feu, du cycle de la vie et de tous les êtres humains, végétaux et animaliers. Il est vital de transformer notre approche de la nature en l’envisageant non comme une propriété, mais un sujet de droit, garante de la vie. Partout dans le monde, les droits des peuples indigènes et de la nature sont bafoués, des leaders indigènes sont assassinés. Des millions de nos frères et sœurs ont été tués pour prendre le contrôle de leurs territoires et on continue à nous détruire avec de belles paroles et de l’argent, cette malédiction du monde.

Appel des peuples indigènes : « Depuis l’élection de Jair Bolsonaro, nous vivons les prémices d’une apocalypse ». Le Monde, 10 avril 2019.

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