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Par Jorge Brites.

Bien loin des conséquences de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, des problèmes de nos Urgences hospitalières et de nos pompiers, ou encore de l'urgence écologique, sachez-le bien : le sujet du moment, c’est de savoir si les femmes portant le foulard doivent être autorisées ou non à accompagner les enfants lors des sorties scolaires… Et pour en débattre, quoi de mieux qu'une belle polémique sur le voile – quelques jours après un attentat meurtrier, l'assassinat de quatre policiers au couteau à la préfecture de police de Paris, le 3 octobre dernier. Les récents propos du gouvernement laissant supposer que la simple conversion à l'islam constituait en soi un indice de radicalisation et qu'il convenait de le dénoncer aux autorités, avaient déjà bien préparé le terrain. Et c'est là que le Rassemblement national est entré en scène, quand Julien Odoul, président du groupe RN au Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, a interpelé en pleine séance la présidente de Région, ce vendredi 11 octobre, lui demandant de réagir à la présence d’une dame portant un foulard, qui accompagnait des enfants d'une classe de CM2 – parmi lesquels son propre fils. S'en sont suivis un rappel du règlement et de la loi par la présidente, au micro, et des images fortes qui ont largement fait le buzz, à savoir la fameuse maman embrassant son enfant, en pleurs dans ses bras.

Les éternels et redondants débats sur l'islam ponctuent depuis des années la vie politique et médiatique française (De la surmédiatisation du phénomène religieux : l'empire de l'intolérance contre-attaque). Pourtant, parler de l'islam et des musulmans est déjà bien ambitieux, attendu que la définition de cette communauté reste floue : tantôt l'on parle de « communauté », tantôt de personnes de « culture musulmane » ou simplement de « musulmans » – sans oublier qu'on y mêle souvent, sans distinction, des Français et des étrangers, ou encore des pratiquants rigoristes et de simples croyants ou des agnostiques. Tout en condamnant la méthode de l'élu RN, de nombreux médias en ont profité pour remettre sur la table la question du port du foulard dans l'espace public. Que nous dit cette polémique sur le rapport de la société française à la tolérance et à la diversité ?

Dernier évènement en date de cette séquence surmédiatisée : l'adoption par le Sénat, le 29 octobre, d'une proposition de loi déposée par une élue du parti Les Républicains, à 163 voix contre 114, qui vise à « assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation » – proposition de loi qui sera probablement rejetée par l'Assemblée nationale, puisqu'une bonne partie des députés La République En Marche y est opposée.

Depuis l'évènement au sein du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, chacun y est allé de sa plume et de ses mots, pour souligner la violence symbolique que représenterait le foulard islamique dans les sociétés occidentales, l'évidente contrainte que constitue le foulard pour toutes ces femmes opprimées, ou encore le péril que ce vêtement ferait peser sur « le mode de vie à la française ». Les armées de chroniqueurs, politiciens, journalistes qui occupent la scène médiatique, chaînes TV, radios ou presse écrite, se sont succédé durant plus de deux semaines pour (im)poser ce thème dans le débat public. Il est d'ailleurs effrayant de constater l'absence quasi-systématique de musulmans sur les plateaux de télévision, et notamment de femmes voilées capables d'apporter leur propre regard sur cette question (une vision qui probablement diffèrerait de l'opinion générale exprimée) et de montrer une image différente de celle d'une femme soumise, victime, que l'imaginaire occidental se plaît à véhiculer. Pour rappel, au cours des six jours qui ont suivi le dérapage de l'élu RN au Conseil régional, pas moins de 85 débats, incluant 286 interventions, ont eu lieu sur le sujet du foulard dans les quatre chaînes d'information en continu (42 débats à LCI, 24 à Cnews, 13 à BFM-TV, et 6 à Franceinfo), avec... aucune femme voilée. Dans ce laps de temps, la seule femme voilée reçue sur une chaîne info (LCI en l'occurrence) fut Latifa Ibn Ziaten, présidente de l'association Imad Ibn Ziaten pour la Jeunesse et la Paix, du nom de son fils, premier militaire assassiné en 2012 par Mohamed Merah ; mais, si elle a eu l'occasion de s'exprimer, ce ne fut pas dans le cadre d'un débat, à peine d'un témoignage. Les partisans d'une législation plus répressive vis-à-vis du foulard tentent de porter le débat sur un plan moral, prétendant tout à la fois : 1) défendre la société française contre ce qu'ils considèrent comme une évidente provocation (notamment suite aux attentats de ces dernières années) et comme le symbole d'un islam politique en progression, et 2) contribuer à la libération de ces pauvres femmes.

Ceci étant, on comprend que le foulard ne saurait être à leurs yeux autre chose qu'un signe de radicalisation religieuse, en même temps qu'un étendard de l'islam envahisseur. Pour beaucoup, le foulard ne s'inscrit pas dans la culture et la tradition françaises, marquées par un héritage judéo-chrétien – oubliant d'ailleurs que le voile, la cornette et le foulard ont également fait partie des cultures juives et chrétiennes, et que c'est même encore parfois le cas.

Commençons par rappeler que la loi a déjà tranché ce débat : cette femme est une citoyenne adulte qui a librement choisi de porter un foulard. Rien a priori ne permet d'affirmer le contraire, ou alors il faudrait être en mesure de le prouver. S'agissant de la loi, l’interdiction de porter des signes distinctifs religieux s’applique aux fonctionnaires et représentants de l’État (et depuis 2004, aux élèves de l’École publique), mais nullement aux usagers et aux citoyens dans l’espace public. Seul le voile intégral – celui qui cache le visage (tels que le niqab ou la burqa) – est interdit, officiellement pour des raisons de sécurité, depuis 2010. En France, bien heureusement, chaque citoyenne ou citoyen est parfaitement libre de se vêtir en fonction de ses propres critères de pudeur. Et les motivations de cette pudeur, qu’elles soient religieuses ou d’une autre nature, ne regardent que la personne concernée.

Phénomène étrange, les premiers à se mobiliser contre les symboles de l'islam le font bien souvent au nom de la laïcité. Or, cette obsession collective sur le foulard islamique n'est pas conforme, contrairement aux idées reçues, à l’esprit de la loi de 1905 (Islam, foulard, burkini : faut-il relire la loi sur la laïcité à ceux qui la brandissent ?). Le même débat se posait déjà lors de son adoption, il y a un peu plus d'un siècle, sur le port de la soutane (à savoir : fallait-il l'interdire dans l’hémicycle de l'Assemblée nationale ?), et c’est le refus d’identifier tel ou tel signe religieux dans l'espace public qui l’a emporté. Ce principe était cohérent avec l'idée d'un État qui ne reconnaît aucun culte lorsqu'il s'adresse à ses citoyens. Et c'est bien pour cela que les arrêtés municipaux qui interdisaient le port du burkini sur les plages en 2016 ont été rejetés par le Conseil d’État. Dans le cas spécifique des piscines publiques, c'est pour des raisons d'hygiène, et non d'intolérance religieuse, que cette tenue y demeure interdite. Il n'existe pas en France de police du vêtement, et c'est fort heureux.

L'expression d'un racisme et d'une paranoïa collective

Dans un contexte de montée du Front national, la Marche pour l'égalité et contre le racisme du 15 octobre 1983 (appelée Marche des Beurs par les médias) pointait déjà du doigt le racisme anti-maghrébins et anti-noirs. Aujourd'hui, le fait religieux prédomine dans notre lecture des faits de société, en raison d'une actualité politique et internationale très souvent décryptée par le prisme confessionnel : dans le monde musulman, mais également chez les chrétiens, les hindouistes ou encore les bouddhistes, on observe une montée des fanatismes antagonistes, qui s'affrontent et s'alimentent les uns les autres. En France, on est passé progressivement du racisme au faciès dénoncé dans les années 80 à une islamophobie ambiante. Celle-ci s'explique par la projection qui est faite, dans l'imaginaire collectif, de l'islam comme religion du Maghreb ou du Moyen-Orient. En somme, l'islam est vu comme une religion de l'étranger, provoquant chez nous un rejet de l'altérité. Les témoignages de Français blancs, d'origine européenne mais convertis et qui doivent essuyer des « Rentre chez toi » ou « Retourne dans ton pays » sont à cet égard édifiants. L'ancienne rappeuse Diam's, née d'un père Chypriote et d'une mère Française et convertie à l'islam en décembre 2008, s'en plaignait lors d'une interview au magazine TV Sept à Huit, diffusée le 24 mai 2015. En réalité, qu'il s'agisse de la question raciale ou de la xénophobie, depuis une quarantaine d'années, l'enjeu de fond reste le même pour la société française : celui de la tolérance et de l'acceptation de la diversité. Et sur ce front, les médias et les politiciens portent une responsabilité énorme.

Comment le vacarme médiatique autour du foulard nous éclaire sur une intolérance bien ancrée, faite pour nous distraire

Si l'on s'intéresse aux faits, et sans nier l'existence de pressions réelles et préoccupantes de l'islam radical dans certains quartiers, force est de constater que l'islamisation rampante est souvent fantasmée. Le 18 septembre 2016, une enquête de l'Ifop commanditée par l'Institut Montaigne et intitulée « Un islam français est possible », avait suscité une polémique folle, et en particulier un chiffre : 28% des personnes sondées, de religion ou de « culture musulmane » (ayant au moins un parent musulman) privilégieraient la loi coranique à celle de la République et seraient opposées au principe de laïcité. Ce qui a été abusivement transformé et répété en « Un tiers des musulmans ». Étrangement, il avait été peu souligné dans les médias que les résultats de l'enquête (réalisée auprès d'un échantillon de plus de 15 000 personnes) indiquaient que les musulmans ne représentaient que 5,6% de la France métropolitaine... soit environ 3 640 000 personnes ; alors que jusqu'ici, les chiffres avancés par les médias et la classe politique s'approchaient plutôt de six à dix millions d'individus, soit entre 10% et 15% de la population. Assez loin, en somme, d'un « grand remplacement ». En outre, la même étude indiquait que 46% des dits musulmans seraient sécularisés, et que plus des deux tiers acceptent le principe de laïcité. L'immense majorité, non seulement pratique peu ou prou, mais surtout ne pose a priori pas de problème d'intégration en termes d'adhésion aux valeurs républicaines. Ils seraient également 84% à penser que la foi est une affaire privée, et 66% que la laïcité permet de pratiquer librement sa religion. On serait plutôt tenté, quand on prend les chiffres dans ce sens-là, de dire que la présence de l'islam en France n'est pas incompatible avec la démocratie représentative et les valeurs de la République.

Les polémiques ciblées sur des symboles très spécifiques et visibles comme le foulard ou la viande halal posent un problème de fond sur la perception de l'islam dans notre pays. Des politiciens, des journalistes ou chroniqueurs, en surmédiatisant ces débats et en étalant leur jugement de valeur sur des questions qui sont de l'ordre de la conviction personnelle, forcent les musulmans (ou les gens considérés comme tels) à se positionner vis-à-vis de ces mêmes symboles. Ce faisant, ce sont eux qui choisissent les marqueurs de l'islam, quand bien d'autres auraient pu être retenus – et auraient suscité évidemment moins de paranoïa ou de fantasmes. L'islam n'est abordé que pour pointer l'oppression de la femme, mais on ne questionne jamais les musulmans sur leur pratique de l'aumône (qui est pourtant l'un des cinq piliers de l'islam), sur le respect qu'ils vouent à leurs parents, sur leur spiritualité, etc. Société de l'image oblige, tout le monde semble obnubilé par des éléments vestimentaires et alimentaires qui ne résument, à eux seuls, ni cette religion ni les motivations de ses adeptes. Tout cela, au final, montre sans doute que les mêmes qui déclenchent ces polémiques ne fréquentent sûrement pas beaucoup de musulmans, et encore moins de femmes voilées.

La défense des femmes voilées, ou quand le paternalisme occidental a la vie dure

Compte tenu du boucan qui est fait si régulièrement autour de l'islam en France, nous pourrions, par lassitude, nous sentir légitimement blasés par ce sujet récurrent. Et pourtant, tout le paradoxe vient de ce que cette question survient à peu près toujours à l'initiative de non-musulmans. Les personnes musulmanes (ou considérées comme telles) font finalement peu de bruit, et expriment assez rarement des revendications liées à l'exercice de leur culte ou à l'application de valeurs contradictoires avec la République laïque. Leur discrétion pourrait même apparaître comme assez surprenante, lorsqu'on sait l'expérience de discriminations qu'ils vivent au quotidien, en matière d'accès au travail, ou encore au logement. En prime, ils ont régulièrement droit, et ce de plus en plus souvent, à des discours expliquant sans complexe, d'abord que l'islam est par essence incompatible avec la République ; et ensuite que la France est menacée dans son existence même par une vague migratoire à laquelle s'ajoute un prosélytisme musulman sur son sol.

Tout le monde, à de rares exceptions près, partage l'idée qu'une femme ne doit en aucun cas être forcée de porter un foulard, faut-il le préciser ? Or, il apparaît dans cette séquence politico-médiatique que d'aucuns sont dérangés par le fait que des femmes le portent, même volontairement. Et par le fait que cela ne regarde qu'elles. De même que si une femme juive orthodoxe porte un foulard ou une perruque, cela n'est l'affaire de personne d'autre. Rappelons que la pudeur des gens, quelle qu'en soit l'inspiration (religieuse ou non), relève de l'intime. Le discours ambiant sur le foulard islamique a cela d'inquiétant qu'il porte un jugement de valeur sur les convictions religieuses et morales de nos concitoyennes, et s'immisce clairement dans leur liberté de conscience. Pire, il suppose en filigrane qu'il existe un profil de la citoyenne française modèle, correspondant aux codes dominants de la culture occidentale. Cette posture est d'autant plus problématique qu'elle s'ajoute à la prétention de défendre les femmes contre un objet de soumission, ce qui suppose que les codes occidentaux (qui seraient caractéristiques du « mode de vie à la française ») ne seraient quant à eux nullement avilissants pour la femme. Ou sinon, comment expliquer que les mêmes qui demandent une législation contraignante à l'égard du foulard n'en fassent rien s'agissant du maquillage, du sac à main, du port de la minijupe, du soutien-gorge, des bikinis, des talons aiguilles ou encore de l'épilation, qui sont pourtant autant d'éléments physiquement contraignants, chronophages et dispendieux ? Autant d'éléments que l'industrie de la mode a, depuis des décennies et de manière absolument totalitaire, imposé comme des évidences naturelles, et qui contribuent pourtant bien à la sexualisation et à la chosification du corps de la femme. Se focaliser sur le foulard islamique en particulier, c'est déjà aborder une posture paternaliste vis-à-vis d'un élément que l'on associe encore à l'étranger – quand bien même le phénomène serait relativement faible en France, et quand bien même rien ne démontre qu'une femme non voilée soit plus libre du patriarcat et de la domination masculine qu'une femme voilée.

Dans cette séquence médiatique ridicule à laquelle on assiste depuis quelques jours, certains ne sont pas loin de dire ou de laisser penser qu'une police des mœurs et du vêtement serait souhaitable dans notre pays, en totale contradiction avec les principes de démocratie et de liberté. On sent bien le malaise que cette incohérence peut susciter chez une classe moyenne supérieure urbaine composée essentiellement de cadres supérieurs, qui se prétendent progressistes, prônent un monde ouvert face au Rassemblement national, mais multiplient eux-mêmes au quotidien les stratégies d'évitement vis-à-vis des classes sociales dont sont issues bon nombre de ces femmes voilées – qu'en réalité ils abhorrent. Dans ce débat, leur intolérance vis-à-vis des musulmanes et des musulmans est prégnante. Bien entendu, la loi de 1905 n'est pas un totem – les lois de 2004 et de 2010 en sont la preuve –, et en démocratie, il ne doit pas y avoir de tabou. Mais les débat actuels relèvent juste de l'intolérance : de fait, le foulard dérange beaucoup de monde, et plutôt que de s'attacher à une valeur fondamentale dans un régime de libertés (qu'est la tolérance, y compris vis-à-vis de ce qui peut déranger nos propres convictions ou notre sensibilité), on préfère chercher mille et un prétextes pour voir disparaître ce bout de tissu de la tête des femmes, jusque dans l'espace public qui appartient pourtant à toutes et à tous. Bref, femmes, soyez libres, égales, féministes, progressistes, mais à notre manière ! Et si vous n'êtes pas d'accord, nous saurons bien vous sauver de vous-mêmes.

Des conséquences désastreuses sur l'unité nationale

Nul doute que la présence d’une soutane ou d’une kippa n’aurait pas provoqué les mêmes réactions au sein du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. Il existe en France une obsession collective vis-à-vis des musulmans. Or, les discriminations ou les discours marginalisant ont un double effet déplorable (en plus de faire croître les préjugés et les peurs). 1) Ils érigent ces symboles (le foulard, la viande halal, etc.), qui sans tout ce raffut n’auraient peut-être eu aucune importance, en étendards de résistance à l’autorité. 2) Ils créent un sentiment partagé de marginalisation, et donc renforcent le sentiment « communautaire » et les solidarités chez des citoyens musulmans (ou perçus comme tels). Des propos comme ceux de Julien Odou, et toute la séquence médiatique qui a suivi, sont du pain béni pour les islamistes qui souhaiteraient voir les musulmans serrer les rangs devant une France laïque qui n’accepte pas les démonstrations confessionnelles lorsqu’il s’agit de l’islam (même quand celles-ci se font dans le respect de la loi).

On aurait pourtant pu se réjouir, au contraire, de la présence de cet enfant, avec sa mère, au sein d’un hémicycle symbolisant la république et la démocratie représentative. La femme concernée s'est d'ailleurs récemment exprimée sur l'incident, dans un entretien au Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), estimant que l'élu RN, en l'interpelant comme il l'a fait, avait « détruit tout un travail » qu'elle faisait indirectement auprès de la classe de CM2, « dont les élèves d'origine immigrée étaient parfois dans une attitude de penser que la France était contre eux ». Là, on peut dire que le mythe de la République tolérante, inclusive et respectueuse des libertés en a pris un coup. Quand une mère accompagne son enfant dans une assemblée élue, on ne voit pas la démarche citoyenne qu'il y a derrière, on ne voit plus que le tissu qu'elle a sur la tête, alors qu'elle a tout bonnement le droit de le porter.

Parler du foulard islamique, ou comment éclipser les vrais sujets

Un mot avant de conclure, sur le discours du chef de l’État prononcé le 8 octobre dernier, en hommage aux personnes tuées à la préfecture de police de Paris. Tout d'abord, il y a de quoi s'étonner qu'à la suite du drame, personne dans la chaîne de commandement n'ait été remis en cause. Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, tout comme le préfet de police Didier Lallement, étaient pourtant en responsabilité et des dysfonctionnements graves ont été identifiés. En outre, la « société de vigilance » à laquelle Emmanuel Macron a appelé de ses vœux n'est jamais qu'un aveu d'échec, puisque cela signifie que ce sont les citoyens qui doivent assurer leur sécurité, et non plus des pouvoirs publics défaillants. S'il s'agit simplement de dire aux gens de faire attention, merci Monsieur le Président, nous ne vous avions pas attendu. Et s'il s'agit de délation, de délit de sale gueule et de méfiance généralisée, alors c'est que nous avons franchi un cap un peu inquiétant – et le couac autour de la « fiche de signaux faibles de radicalisation » à l'Université de Cergy-Pontoise, le 14 octobre, confirme qu'à cet égard, nous sommes bien engagés sur une pente dangereuse.

L'omniprésence de ce thème de l'islam dans l'actualité a tout pour arranger l'exécutif, actuellement aux prises avec des mouvements sociaux avec lesquels il ne souhaite faire aucun compromis. Quand le Rassemblement national nous parle d'islam, les idiots regardent le foulard. Les médias et les politiques suivent donc le RN dans ses obsessions, plutôt que de porter le débat (qui serait tellement plus intéressant !) sur la réforme du système des retraites actuellement en préparation, sur la situation des urgentistes et personnels hospitaliers qui se mobilisent depuis des mois pour demander de meilleures conditions de travail, ou sur celle des pompiers qui manifestaient encore cette semaine et qui ont été violemment reçus par les forces de maintien de l'ordre. Plutôt, également, que de rassembler des signatures pour demander un référendum sur la privatisation des Aéroports de Paris – référendum qui viendrait évidemment déranger le gouvernement.

Cerise sur le gâteau : des études d’opinion sortent déjà pour nous informer qu’une très large majorité (environ deux tiers) de nos concitoyens semble d’accord avec le principe d’interdire le port du foulard pour les accompagnatrices de sorties scolaires. La stratégie porte donc ses fruits, et n'a rien de nouveau. Elle semble surtout parfaitement préparer le terrain pour réitérer un duel entre Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national, et Emmanuel Macron, qui sera, nul n'en doute, candidat à sa réélection. Cette stratégie, d'une classe médiatique qui avait déjà largement contribué à la victoire de l'actuel président de la République en 2017 (Benoît Hamon, François Fillon, Emmanuel Macron : les médias feront-ils l'élection présidentielle de 2017 ?), s'appuie sur la conviction qu'un duel entre populistes et libéraux ne peut aboutir qu'à une victoire facile de ces derniers. Duel à l'issue duquel ce sont toujours les mêmes qui gagnent, gardant les mains libres pour détricoter le système social et brader les biens et le patrimoine de l’État. Jusqu’au jour où ils ne gagneront plus, et où d'autres auront les mains libres pour satisfaire les frustrations des uns et des autres à l'égard des minorités stigmatisées.

Comment le vacarme médiatique autour du foulard nous éclaire sur une intolérance bien ancrée, faite pour nous distraire
Tag(s) : #Société
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