Par David Brites.
L'année 2020 s’ouvre à peine, et la grande braderie de notre patrimoine national continue. Pour rappel, la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, adoptée le 22 mai 2019, prévoit la cession des participations de l’État dans les sociétés Aéroports de Paris (groupe ADP), Engie et Française des Jeux (FDJ), et ce en dépit du bon sens, contre l’intérêt général, et contre l’opinion des Français. Le dépeçage des biens et des actifs de l’État qui s’est amorcé en 1986 se poursuit donc ; comme toujours, cette énième vague de privatisations se fait sans l’aval de la nation – d’autant plus qu’elle n’était pas prévue dans le programme d’Emmanuel Macron en 2017. En dépit de la possibilité offerte depuis quelques mois aux électeurs français de convoquer un référendum sur la privatisation du groupe ADP, il est plus qu’improbable que celui-ci ait finalement lieu. Décryptage.
Les partisans de la majorité macroniste se targuent souvent de réalisme économique. Au gouvernement se trouveraient les adeptes du pragmatisme, face à des oppositions de gauche et de droite qui seraient enfermées dans des carcans idéologiques. Or, s’il est bien un dossier où le pouvoir apparaît dogmatique, c’est bien celui des Aéroports de Paris. Pour rappel, le groupe ADP a notamment en charge la gestion et l’exploitation des aéroports de Paris (Roissy Charles-de-Gaulle, Paris-Orly, Paris-Le Bourget). Il s’agit du numéro un mondial de la gestion aéroportuaire en nombre de passagers, avec plus de 280 millions de passagers accueillis sur vingt-cinq plateformes en 2018. En Île-de-France, il possède 6 680 hectares de bâtiments, de terrains, de pistes et d’infrastructures, et encore une réserve foncière de plus de 300 hectares, qui peut lui permettre à terme de doubler les 1,5 millions de m² de bureaux qu’il exploite déjà. En lien avec les activités commerciales, en 2018, le versement des loyers de 382 points de vente lui a assuré un chiffre d’affaires de 490 millions d’euros.
À travers sa filiale ADP International, la société exploite également un réseau d’aéroports dans le monde – 24 aéroports répartis dans treize pays et cumulant 174 millions de passagers en 2018. La même année, elle disposait de 4,85 milliards d’euros de fonds propres, et réalisait un bénéfice de 617 millions d’euros. Le groupe fonctionne bien, rapportant chaque année des sommes considérables à l’État, actionnaire à hauteur de 50,6%. Il n’y a aucune bonne raison de voir celui-ci passer sous la barre de 50% de participation, et pourtant, de façon totalement contre-intuitive, en dépit du bon sens, voilà prise cette décision qui n'avait, en outre, fait l'objet d'aucune annonce dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron en 2017.
Pourtant, le moins que l’on puisse dire, c’est que le bilan des privatisations n’est pas glorieux. Rappelons le cas emblématique des autoroutes, que le gouvernement de Dominique de Villepin a décidé de céder en 2005 et 2006. L’État s’est dépossédé d’une rente incroyable, en les vendant pour un montant de 14,8 milliards d’euros, alors que la Cour des comptes estimait la valeur des concessions à près de 24 milliards d’euros, soit un manque à gagner de près de 10 milliards d’euros lors de la cession. Les groupes Vinci, Eiffage et Abertis se sont alors partagé la gestion de neuf mille kilomètres de réseau autoroutier français, débarrassant l’État des 20 milliards d’euros de dettes que portaient les sociétés d’autoroute. Les bénéfices issus de l’exploitation de ces infrastructures ont directement enrichi les propriétaires de ces entreprises, les actionnaires s’étant vu verser 27 milliards d’euros de dividendes depuis 2006. Dans le même temps, les tarifs des péages ont connu des hausses continues, supérieures à l’inflation.
Même son de cloche dans la vente partielle de l’aéroport Toulouse-Blagnac (ATB), portée en 2014 par un certain Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie. Dans le numéro de juin 2019 du Monde diplomatique (dans un article intitulé « Aéroports de Paris, petites concessions entre amis »), le journaliste français Marc Endeweld rappelait le bilan de cette privatisation : « En distribuant 100% du bénéfice en dividendes en piochant dans les réserves financières de l’aéroport avant de remettre en vente sa participation [contre l'avis des actionnaires locaux : la Chambre de Commerce et d'Industrie de Haute-Garonne, la Région Occitanie, le Conseil départemental de Haute-Garonne, Toulouse Métropole], l’acheteur chinois Casil avait montré son peu d’intérêt pour l’avenir du site. Le 16 avril dernier, la cour administrative d’appel de Paris offrait une voie de sortie en annulant la procédure de privatisation, jugée irrégulière. Mais plutôt que de la saisir, l’Agence des participations de l’État a annoncé début mai qu’elle allait se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État… » Pour rappel, en décembre 2019, l'Autorité de la concurrence a autorisé le groupe Eiffage à racheter la part de l'actionnaire chinois Casil Europe dans l'aéroport Toulouse-Blagnac (soit 49,9% des parts), jugeant qu'il n'y avait pas de risque d'atteinte à la concurrence, en dépit du fait que l'opération signifie la prise de contrôle d'une entreprise concessionnaire aéroportuaire par un groupe actif dans le secteur des travaux publics. Le « collectif contre la privatisation de la gestion de l'aéroport Toulouse » s'inquiète désormais de l'arrivée de ce nouvel actionnaire et de ses liens avec l'État ; pour Stéphane Borras, membre de ce collectif, « Eiffage est l'un des principaux bénéficiaires des marchés publics en France et les collusions d'intérêt sont là sous notre nez ».
En passant, notons que l'actionnaire chinois, en revendant ses parts, achetées à l'État en 2015 (à l'époque, pour un coût de 308 millions d'euros), obtiendra de l'opération une marge de près de 200 millions d'euros... Le 18 décembre dernier, en effet, Eiffage et Casil aboutissaient à un accord qui a permis au premier de racheter les parts du Chinois pour la coquette somme de 507 millions d'euros. À cette plus-value de 199 million d"euros s'ajoutent, finalement, les 28,79 millions d'euros de dividendes que le consortium a perçus depuis son entrée au capital d'ATB. Au total, l'investissement de Casil dans la troisième plateforme aéroportuaire de province a été valorisé à hauteur de 73,96% en à peine plus de quatre ans.
Depuis le gouvernement de Pierre Mauroy, plus précisément depuis la fin de l’année 1982, l’État français n’a plus procédé à de nouvelles nationalisations, à une exception près (les Chantiers de l’Atlantique, en 2018). Au contraire, depuis cette fameuse année 1986 où un certain Jacques Chirac accédait à la tête du gouvernement armé d’un programme de type thatchérien, des dizaines d’entreprises publiques ont été partiellement ou totalement privatisées. Toutes les majorités, de gauche comme de droite, ont participé à cette grande braderie. Plutôt que de se transformer en recettes ou en investissements pour des entreprises qui seraient demeurées dans le champ public, les profits générés par les sociétés privatisées se sont donc transformées en dividendes pour les seuls actionnaires, sans pour autant que les services rendus aux usagers n'aient été de meilleure qualité ou que les conditions de travail des salariés ne se soient améliorés, bien au contraire. De La Poste à l'opérateur France Télécom, devenu Orange en 2013, toutes ont vu leurs effectifs diminuer fortement et les conditions de travail internes se détériorer – en témoignent les vagues de suicides chez France Télécom de 2000 à 2011. Un processus similaire frappe les entreprises qui ont vocation à être privatisées ou soumises à la concurrence. C'est le cas par exemple de la SNCF, qui a supprimé cent mille emplois, entre 1985 et 2019. Comme le rappelait encore Marc Endeweld dans Le Monde diplomatique de juin, cerise sur le gâteau, « l’usager doit faire face à un nombre élevé d’interlocuteurs pour la gestion d’un service et se retrouve dans un labyrinthe kafkaïen : client de Total Direct Énergie, il consomme une électricité produite par EDF ou Engie, transportée par RTE et distribuée par Enedis… »
Le modèle économique libéral qui présente les privatisations comme un progrès, au même titre que la mise en concurrence des services publics, a largement démontré son échec. En un sens, les chocs électoraux (teintés de nationalisme) observés en 2016 outre-Manche et outre-Atlantique, respectivement avec le référendum sur le Brexit puis l’élection de Donald Trump, constituent, non sans contradictions, une réponse populaire aux impacts sociaux violents de la mondialisation. Aux États-Unis, cela s’est notamment traduit par une politique protectionniste visant à relocaliser la production industrielle sur le sol américain. Au Royaume-Uni, bon gré mal gré, Theresa May, Première ministre conservatrice de 2016 à 2019, et avant elle Jeremy Corbyn, leader du Labour Party depuis 2015 (il doit en quitter la direction prochainement), ont tiré un bilan critique des vagues de privatisations survenues depuis les années 1980. De la prison de Birmingham, reprise à la société G4S qui en assurait la gestion depuis 2011, à la ligne de chemin de fer East Coast Main Line, des retours dans la sphère publique ont été amorcés sous Theresa May, certes timidement, mais à contre-courant de ce qui s’est observé depuis quarante ans. Même Boris Johnson, chef du gouvernement depuis juillet, a confirmé lors des élections du mois dernier ne pas vouloir privatiser le National Health Service (NHS), et a fait de larges promesses de dépenses en investissements publics. Les élites dirigeantes françaises, elles, refusent par cécité idéologique de constater l'échec de plusieurs décennies de privatisations et de bradage des entreprises publiques.
Pourtant, tous les indicateurs sont au rouge, alertant sur la bêtise que représente la privatisation. La Cour des comptes notamment, contrôleur des comptes publics, adressait en mai dernier un avertissement technique. Elle s’exprimait alors, dans son rapport sur le budget de l’État en 2018, sur le Fonds pour l’innovation et l’industrie (censé recueillir dix milliards d’euros provenant des recettes de privatisation d’ADP, d'Engie et de Française des Jeux), qu’elle qualifie « de mécanique budgétaire complexe et injustifiée ». La Cour des comptes indique en outre que seuls 250 millions d’euros par an seront effectivement affectés à des investissements en matière d’innovation. En effet, les dix milliards récoltés doivent être stockés sur un compte en banque, et seuls les intérêts, estimés à 250 millions annuels, pourront être utilisés. Elle fustige donc « des opérations inutilement compliquées », tout en s’inquiétant d’une dotation « pas réellement sanctuarisée ». Elle indique enfin qu’il aurait été plus efficace et rapide de prévoir d’emblée une ligne budgétaire de 250 millions d’euros, affectée à l’innovation dans le budget de l’État. Bercy n’a pas fait le moindre commentaire.
Rappelons que sur les quinze milliards d'euros que le gouvernement attend de la cession de ses participations dans ADP, Engie et FDJ, outre les dix milliards qui doivent être placés pour ce fonds, cinq autres milliards sont destinés au désendettement de l'État. Or, dans le contexte actuel où l'État français emprunte sur les marchés financiers à des taux extrêmement faibles, cet entêtement à vouloir se débarrasser d'actifs aussi précieux dans un objectif de désendettement est pour le moins stupide – bien des économistes pourraient en attester.
Comble de l’absurde, puisque l'État souhaite se désengager du groupe ADP sans pour autant perdre la main sur le foncier et la régulation du secteur, il a opté pour une concession de 70 ans, mais pour éviter une fronde des actionnaires minoritaires, il devra les indemniser d'un montant correspondant à la valeur actualisée de l'exploitation au-delà des 70 années prévues par la loi. Une commission d'experts réunissant la Cour des comptes, l'Autorité des marchés financiers et l'ordre des experts-comptables donnera son avis sur l'indemnité versée à ADP, qui aura ensuite la possibilité d'en reverser une partie à ses actionnaires. En bref, nous donnons de l'argent aux acteurs privés (parmi lesquels Vinci, détenteurs de 8% du groupe ADP) pour pouvoir réaliser cette privatisation.
Stand pour collecter des soutiens à l'organisation d'un référendum sur ADP, en marge d'une manifestation contre la réforme des retraites, à Paris le 17 décembre 2019.
Autre cerise sur le gâteau, et non des moindres : avant sa privatisation, le groupe ADP prévoit la création d’un nouveau Terminal 4 pour l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Une construction qui débuterait en 2021. Une décision révoltante, qui se passe de tout commentaire, mais qui devrait à elle seule susciter bien des critiques, et qui permettrait d’alimenter les suspicions sur de possibles conflits d’intérêts entre le gouvernement et les futurs acquéreurs d’ADP. Comme toujours, on socialise les pertes, avant de privatiser les profits. En outre, alors que médias et politiques parlent régulièrement de l’importance d'amorcer une transition écologique pour lutter contre le changement climatique et préserver la biodiversité, le groupe ADP prévoit toujours plus de vols aériens dans le futur. En effet, Roissy-CDG, avec 70 millions de passagers par an actuellement, compterait avec ce nouveau Terminal 40 millions de passagers supplémentaires – l’équivalent de Paris-Orly… Soit 500 vols de plus par jour, qui vont s’ajouter aux 800 actuellement observés. Bien loin d’amorcer la décroissance du transport aérien, cela représenterait 15 millions de tonnes d’équivalent CO2 en plus par an, selon le collectif « Non au Terminal 4 » ; constitué il y a quelques mois pour s’opposer au projet, ce dernier s’est joint à treize autres associations en octobre dernier, pour envoyer une lettre à Emmanuel Macron réclamant l’annulation du projet au nom de l’urgence climatique. En vain.
C’est dans ce contexte caractérisé par la cécité et l’entêtement du gouvernement, qu’est ouverte la pétition demandant un référendum sur la privatisation. Elle fait suite à l’activation, pour la première fois, de la procédure du Référendum d’Initiative Partagée (RIP). Pour rappel, le RIP a été introduit par une réforme constitutionnelle adoptée en juillet 2008. La procédure permet à un cinquième des membres du Parlement d’ouvrir la voie à la convocation d’un référendum, après recueil d’un nombre de soutiens équivalent à un dixième du corps électoral. L’année dernière, elle a été rendue possible par la coalition exceptionnelle de 248 parlementaires, notamment républicains, insoumis, socialistes et communistes, qui ont déposé une proposition de loi afin que le groupe ADP soit considéré comme un service public. Le 9 mai 2019, le Conseil constitutionnel jugeait que les conditions requises étaient respectées, fixant le nombre de soutiens nécessaire à la convocation d’un référendum à 4 717 396. La période de recueil de signatures est ouverte depuis le 13 juin, et se clôturera le 12 mars 2020.
Le nombre de signatures s’établit actuellement à un peu plus d'un million. Moins d'un quart, soit bien loin des 4,7 millions nécessaires. Le nombre ne sera pas atteint – c’est une évidence depuis longtemps. C’est sans doute pourquoi les mouvements de gauche s’étant mobilisés pour la collecte des signatures se sont assez rapidement concentrés sur l’objectif d'un million de signatures. La raison en est que le projet de « loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique », déposé par le gouvernement en 2019, prévoit entre autres choses d’élargir le RIP en abaissant son seuil à un million d’électeurs (contre un dixième du corps électoral actuellement) et un dixième des membres du Parlement (contre un cinquième aujourd’hui). Le minimum de crédibilité requis supposait donc de rassembler au moins un million de signatures sur la question de la privatisation d’ADP, même si ce seuil n’est pour l’instant nullement contraignant pour le pouvoir.
Pour atteindre les 4,7 millions de soutiens requis, il aurait fallu obtenir depuis juin, en moyenne et jusqu'en mars 2020, 17 000 signatures par jour ; or, après un bon début au cours du premier mois, jusqu'au 14 juillet (lorsque la barre des 500 000 était atteinte, approximativement), le chiffre quotidien a fortement chuté. Comment expliquer que le nombre de soutiens recueillis soit si éloigné du seuil requis ? D'abord, on peut évoquer l'absence totale de communication du gouvernement sur le sujet. Et pour cause : il ne souhaite pas cette consultation – mais parallèlement, il n'a pas hésité à diffuser des spots TV pour informer le grand public sur la campagne de souscription relative à la privatisation de Française des Jeux. Cela va même plus loin, puisque le site gouvernemental servant de support à la pétition n'est pas forcément facile d'utilisation, voire a dysfonctionné à de multiples reprises au cours des premières semaines. L'absence de communication joue énormément, puisque, surtout en dehors de l'Île-de-France, où l'on est plus facilement enclin à considérer que le dossier d'ADP ne concerne que la région parisienne, on ignore souvent jusqu'à l'existence même de la procédure RIP en cours. Cela, sans compter l'incapacité de beaucoup de citoyens, peu familiers des outils numériques, à utiliser Internet et à « signer » en ligne.
Autre motif, non-négligeable : il semble évident que certains partis qui ont pourtant permis l'activation de la procédure du RIP ne souhaitent pas réellement la convocation d'un référendum sur la privatisation d'ADP. Outre le Rassemblement national, qui a depuis le début été mis sur le banc de touche par les autres formations d'opposition (alors même que la formation de Marine Le Pen aurait disposé de relais nombreux sur le terrain et que son électorat représentait un terreau favorable pour trouver des soutiens à la pétition), à droite, Les Républicains traînent clairement des pieds, ne faisant pas le moindre effort pour recueillir des soutiens à la pétition. Ses ténors considèrent qu'une campagne référendaire sur ADP ne bénéficierait qu'à La France Insoumise, et qu'elle mettrait en évidence leurs propres contradictions dans cette séquence, puisque c'est cette même droite (sous le nom de l'UMP à l'époque) qui avait privatisé les autoroutes il y a quatorze ans. Résultat, seuls les partis de gauche, Parti communiste et La France Insoumise principalement, mais aussi quelques groupes de Gilets jaunes, se mobilisent sur le terrain pour obtenir des signatures.
Dernière hypothèse pour expliquer le manque de soutiens à la pétition : l'apathie généralisée qui caractérise une grande partie de la société. Aidés en cela par les émissions de divertissement TV les plus abrutissantes, par l'usage massif de nouvelles technologies dont l'usage est incroyablement chronophage et abêtissant, mais aussi par la diversion des masses via des sujets-exutoires (comme les polémiques autour du voile islamique, pour ne citer qu'un exemple) largement exploités par les médias et le gouvernement, nos concitoyens restent, dans leur majorité, démobilisés face à l'actualité et aux injustices qui la caractérisent. Cela vaut pour la défense de nos services publics, comme l'hôpital, l'éducation nationale, ou encore les pompiers, mais aussi pour le maintien de nos entreprises publiques dans le giron étatique, par exemple ADP. Pourtant, les aéroports franciliens constituent un sujet aussi important qu'emblématique. C'est un enjeu stratégique national, bien au-delà de la seule région Île-de-France, puisque c'est la première « frontière » du pays et un fleuron de l'économie française. Apporter son soutien à la pétition ne demande théoriquement que dix minutes de son temps, et de s'armer de sa pièce d'identité. Toutes les enquêtes d'opinion sont unanimes sur ce point : une majorité de Françaises et de Français sont insatisfaits de la politique d'Emmanuel Macron. Mais cette insatisfaction, et les plaintes qui vont avec, n'ont de sens que si, quand ils disposent d'un outil contraignant pour s'exprimer (c'est le cas du RIP), les citoyens s'en saisissent. Force est de constater que ce n'est pas suffisamment le cas actuellement, et que dans un tel contexte, le seuil des 4,7 millions de signatures était d'emblée trop haut.
Le gouvernement ne veut pas de référendum sur la privatisation d’ADP. Dans la suite du vote de 2005 sur la Constitution européenne, Nicolas Sarkozy, tout comme François Hollande, s’étaient bien gardé d’organiser toute consultation référendaire, car, tout comme Emmanuel Macron aujourd’hui, ils se savaient minoritaires. Cas illustratif, le Premier ministre Édouard Philippe, rapportait le journal Le Monde le 22 mai 2019, a déclaré vouloir instaurer des garde-fous afin d’empêcher à l’avenir une procédure de Référendum d’Initiative Partagée (comme celle enclenchée à propos d’ADP) de « porter sur des textes en discussion ou adaptés ». Estimant « très dangereux d’opposer les souverainetés », il a ainsi expliqué que cela « [créait un] instrument de dysfonctionnement de la démocratie parlementaire ». Petit rappel au chef du gouvernement : les souverainetés ne « s’opposent » pas. La souveraineté incarnée par le Parlement s’applique, mais elle doit (évidemment) s’effacer quand la souveraineté populaire s’exprime par voie directe, c’est-à-dire par référendum. Auquel cas, c’est la majorité populaire qui décide. En outre, quand les députés et sénateurs français sont revenus sur le référendum de 2005, en approuvant en 2008 le traité de Lisbonne qui reprenait les points essentiels de la Constitution européenne, on n’a pas entendu Édouard Philippe dénoncer une manœuvre qui « opposerait les souverainetés ».
Opposer démocratie directe et démocratie représentative est absurde, et il suffit de se tourner vers la Suisse pour constater que les deux ne sont pas antinomiques. Quant à pointer du doigt le référendum comme l’outil des populismes et de la démagogie, critique qui revient régulièrement dans la bouche de nombreux journalistes et chroniqueurs, l’argument exprime un mépris évident à l'égard des électeurs, considérés comme des veaux incapables de répondre correctement à une question (à moins qu’ils répondent comme le souhaite l’establishment). De surcroît, cet argument pourrait aussi bien être utilisé pour mettre en cause n'importe quel scrutin au suffrage universel direct. En effet, les arguments exprimés contre le principe du référendum valent pour les élections : risque de dévoiement de la consultation, de démagogie, de divisions… Oui, des gens mentent ou font de fausses promesses pendant les campagnes référendaires (dans les deux camps à chaque fois, faut-il le préciser ?), mais en est-il autrement lors des campagnes électorales ? La réalité, c’est que le référendum est un vrai moment de démocratie, mais parce qu'il met plus que jamais en exergue le gouffre qui sépare les catégories populaires des élites, ces dernières crient au « populisme » et à la « démagogie » pour le rejeter par principe.
Bien sûr, toute votation n’honore pas par son résultat, ni par sa question. Mais tout comme une élection, avec son lot de discours et de promesses démagogiques, peut avoir les mêmes effets. Le référendum permet de remettre le citoyen lambda au cœur du processus de décision, de se saisir de sujets importants et concrets, et tout simplement de s’exprimer et de mettre sur la table des préoccupations qui peuvent avoir échappé aux représentants – surtout s’il peut être organisé sur initiative citoyenne. De toute évidence, ce n’est pas sur le dossier d'ADP, énième exemple du grand bradage de nos entreprises publiques, partie intégrante de notre patrimoine commun, que le peuple aura la chance d’être consulté et de pouvoir s’exprimer. La course en avant, dogmatique, se poursuit, et le ras-le-bol exprimé par les Gilets jaunes en 2018-2019 ne semble pas avoir alerté nos dirigeants sur les risques que fait peser sur la cohésion nationale la poursuite des politiques gouvernementales actuelles.
Pour accéder au site gouvernemental et signer la pétition demandant un référendum sur le statut de service public du groupe ADP :
Référendum d'initiative partagée
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