Par David Brites.
Dans quelques semaines, la loi « asile et immigration » portée par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin devrait être adoptée par les parlementaires, après un long parcours et d'intenses négociations entre les différents groupes parlementaires, d'une part, et entre les deux Chambres du Parlement, d'autre part. Ce qui s'esquisse pour l'instant, c'est un texte carabiné, fortement durci par la droite à l'Assemblée, où les macronistes n'ont qu'une majorité relative, et surtout au Sénat, où Les Républicains (et leurs alliés) détiennent la majorité absolue. Au-delà de la posture adoptée par la gauche parlementaire, qui dénonce sans surprise sa dimension répressive, cette loi, si elle est adoptée telle que reformulée par une majorité de sénateurs, représentera à l'évidence une étape décisive dans l'histoire des politiques d'accueil de la France. Décryptage des principales mesures portées dans le débat public.
Annoncé dès juin 2022 par le ministre de l'Intérieur, au lendemain des élections présidentielle et législatives, le projet de loi examiné du 6 au 14 novembre par les sénateurs est la seconde loi portée par le gouvernement sous la présidence Macron, et la 30ème adoptée depuis 1980 sur cette thématique. Il viendra donc compléter un empilement législatif vertigineux, remanié sans cesse depuis les textes fondateurs signés par le général de Gaulle en 1944-1946. Depuis 1945, la France a voté une loi sur l'immigration tous les deux ans en moyenne – sans compter les ordonnances, arrêtés, circulaires et décrets qui se sont multipliés.
Pour quels résultats ? Aucun de ces textes n’est parvenu à éteindre le débat brûlant sur l’immigration né au cœur des années 1970. Même l’accélération des réformes depuis les années 1980 a été impuissante à contenir la poussée de l’extrême droite, qui s’appuie alors sur l’équation fallacieuse inventée par Jean-Marie Le Pen : « 1 million d’immigrés = 1 million de chômeurs. » L’amoncellement des lois n’a eu guère plus d’effets sur la réalité de l’immigration, la hausse des demandes d’asile, dans les années 2010, ou la « crise » des réfugiés en 2015 – les flux migratoires dépendent bien plus de circonstances extérieures que des décrets.
Soit dit en passant, cette frénésie de lois a entraîné en matière migratoire et d'intégration une très grande complexité. Sans même compter le temps passé au Parlement et dans les ministères pour procéder sans cesse à des ajustements, tantôt minuscules, tantôt fondamentaux, de la politique migratoire, les acteurs de terrain (magistrats, avocats ou associations) peinent, depuis des années, à suivre le rythme effréné des réformes, qui se contredisent souvent, et complexifient le droit des étrangers. Dans un article très riche du Monde, intitulé La loi « immigration », dernier texte d'une longue série de 118 depuis 1945, Romain Imbach, Maxime Vaudano et Stéphanie Pierre expliquent : « Ainsi, les conditions de délivrance de la carte de résident de longue durée ont changé huit fois depuis 1984, réclamant aux étrangers cinq, dix ou quinze ans de résidence en France, et les critères de régularisation des immigrés sans papiers ont été redéfinis près d’une quinzaine de fois depuis les années 1970. Ces incessantes révisions de la législation ont progressivement brouillé la répartition des rôles confortables entre une droite "ferme" et une gauche "humaniste". Car si Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy restent probablement les champions des mesures anti-immigration, les socialistes ont entériné, voire devancé, de nombreux durcissements proposés par la droite. Une tendance largement confirmée depuis l'élection d'Emmanuel Macron. »
De droite comme de gauche, tous les ministres de l'Intérieur ont voulu marquer leur passage au gouvernement de leur empreinte, et sur ce point, Gérald Darmanin ne diffère pas de ses prédécesseurs. En effet, il n'a pas hésité à dire de son texte qu'il était « le plus ferme, avec les mesures les plus dures, de ces trente dernières années ». Pourtant, la prolifération des lois, dans un contexte où le nombre d'arrivées ne faiblit pas vraiment mais où l'accueil se dégrade et les conditions d'arrivée sont de plus en plus dangereuses, indique clairement, outre une droitisation du discours politique et une instrumentalisation politicienne du sujet, une incapacité du gouvernement à traduire dans le concret sa volonté de réduire l'immigration. En effet, pourquoi une loi supposément « plus ferme » que les 29 précédentes serait-elle mieux appliquée, aurait-elle plus d'effets ?
Preuve supplémentaire s'il en fallait une, de l'instrumentalisation de ce sujet par le gouvernement, le parcours législatif de la loi Darmanin s'est effectué dans un contexte de durcissement du discours et de la posture de l'État sur la question migratoire. Le 17 novembre, il y a à peine deux semaines, le ministre de l'Intérieur enjoignait aux préfets de délivrer plus d'obligations de quitter le territoire français (OQTF) aux étrangers sans papiers, demandant de ne plus se concentrer seulement sur les étrangers présentant une menace à l'ordre public. Les préfets doivent désormais inscrire les personnes sous OQTF au fichier des personnes recherchées, les assigner à résidence, les signaler aux bailleurs sociaux, ne pas donner de délai de départ volontaire, et assortir « aussi souvent que possible » l'OQTF d'une interdiction de retour sur le territoire.
La loi dont nous parlons aujourd'hui aura dû, pour être adoptée, emprunter les chemins tortueux des négociations, rappelant aux macronistes à quel point ils restent, depuis juin 2022, dépendants de la droite et de l'extrême-droite pour se garantir une majorité à l'Assemblée nationale. Cette loi, dont Darmanin résumait l'esprit par la formule « être méchants avec les méchants et gentils avec les gentils », a comme double objectif d'intensifier les éloignements d'étrangers en situation irrégulière, et de répondre aux besoins du patronat en main d'œuvre étrangère. Son examen est repoussé une première fois en août 2022, puis ajourné en mars 2023, au lendemain du vote laborieux de la réforme sur les retraites ; Emmanuel Macron annonçait alors vouloir voir le projet découpé en « plusieurs textes », ce à quoi il renonce en fait rapidement. En juin 2023, une attaque au couteau à Annecy par un homme syrien réfugié en Suède est récupérée par la droite et l'extrême-droite qui réclament un durcissement des conditions d'accueil en France, et en octobre, à la suite de l'attaque au couteau dans le lycée d'Arras par un jeune homme dont la demande d'asile avait été rejetée, Darmanin multiplie les annonces d'affichage, annonçant la loi « la plus dure et la plus ferme présentée depuis trente ans ». Le projet de loi est finalement relancé cet automne, et après le durcissement du texte par le Sénat, il doit désormais revenir à l'Assemblée nationale pour être adopté définitivement.
Que contient le projet de loi en l'état ?
Finalement, que contient la fameuse loi « asile et immigration » ? La passage du texte au Sénat a été l'occasion de le durcir très fortement. Pour la macronie, c'est l'occasion d'apparaître comme modérée, alors que les propositions initiales sont déjà carabinées. Il est probable que le texte final finira tout de même sur un ligne très dure, quitte à ce qu'une partie soit ensuite retoquée, pour des raisons de forme ou de fond, par le Conseil constitutionnel.
Conformément à un souhait exprimé par le président de la République durant sa (courte) campagne de 2022, elle vise à systématiser les mesures d'éloignement des étrangers déboutés de leur demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et, à l'étape contentieuse, par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Le prétexte : il existerait un trop grand nombre de « voies de recours ». L'automatisation de la délivrance d'une OQTF, bien que fragile juridiquement, a été, après son retrait, rajoutée par le Sénat, et pourrait bien être conservée dans le projet de loi final. La première mouture du texte a également introduit un renforcement de la « double peine » en levant certaines protections à l'éloignement à l'encontre d'étrangers délinquants. Le texte de loi réintroduit par ailleurs une disposition censurée par le Conseil constitutionnel de la loi contre le « séparatisme », qui prévoyait le refus ou le retrait d'un titre en cas de « rejet des principes de la République » (notion on-ne-peut-plus vague).
Selon Claire Hédon, Défenseure des Droits, dans un propos formulé dès le printemps 2023, le projet de loi instrumentalise le droit en cherchant à sanctionner un défaut d'intégration ou des comportements menaçant l'ordre public. L'élargissement des possibilités d'éloignement aux cas de menace grave pour l'ordre public « pose un problème en matière d'individualisation de la peine et ouvre un large pouvoir discrétionnaire de l'administration », tandis que d'autres mesures, comme la simplification du contentieux, relèvent du « toilettage ». Enfin, selon la Défenseure des droits, l'interdiction de la rétention des mineurs est un « progrès inabouti », qui ne permet pas de mettre la France, condamnée huit fois par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), en conformité avec les conventions internationales.
La création d'un titre de séjour « métiers en tension » doit permettre la régularisation de certains travailleurs sans papiers. Pour mémoire, la notion même de métiers « en tension » avait été introduite sous la présidence de Nicolas Sarkozy, et la liste de ces métiers avait d'ailleurs été réactualisée au printemps 2021, pour la première fois en quatorze ans. Au jour d'aujourd'hui, la liste des métiers prévue par le projet de loi actuellement discuté n'est toujours pas connue. Le titre de séjour serait accordé de plein droit, pour une durée d'un an, renouvelable, sous des conditions précises, notamment présenter huit fiches de paie dans un métier dit en tension, et prouver trois ans de présence en France. Darmanin porte l'idée de quotas pour décider du nombre de ces titres octroyés chaque année. Les modalités d'application de l'ensemble de ce volet de la loi, complexes, restent à affiner au cours des prochaines semaines. Dans le même esprit, une nouvelle carte de séjour valable d'un à quatre ans, dénommée « talent – professions médicales et de pharmacie », pourrait être donnée à des médecins, sages-femmes, chirurgiens-dentistes et pharmaciens étrangers. Le patronat est divisé sur la question mais le MEDEF reconnaît globalement un besoin important de main d'œuvre étrangère pour les prochaines années.
Les amendements du Sénat sont nombreux. L'aide médicale d'État (AME) est supprimée et devient une aide médicale exclusivement pour les cas d'urgence, et pour vaccination, soins de grossesse et examens de mesure préventive. Les sénateurs ont voté un resserrement de l'accès au titre de séjour « étranger malade », la mise en place de quotas migratoires, et un durcissement des critères du regroupement familial, le renforcement du contrôle de l'immigration étudiante, ainsi que la radiation automatique des organismes de sécurité sociale et de Pôle emploi pour les étrangers visés par une OQTF. Ils ont restreint certaines prestations sociales aux étrangers, rétabli le délit de séjour irrégulier, augmenté les moyens de placement en rétention des demandeurs d'asile, exclu les personnes sans titre de séjour du droit à l'hébergement d'urgence, et instauré des quotas migratoires annuels. Ils ont aussi voté aussi la suppression d'un article prévoyant des régularisations, remplacé par une mesure de régularisation dans les métiers dits en tension à la seule discrétion du préfet. Enfin mesure hautement symbolique, le Sénat met fin à l'automaticité du droit du sol, il supprime l'acquisition de la nationalité française de plein droit pour les enfants nés en France.
Concernant les étudiants étrangers, pour terminer, la loi s'annonce peu bienveillante. Pour mémoire, depuis 2019, les étudiants étrangers doivent s'acquitter de droits d'inscription plus élevés que les candidats européens. Une façon de ne faire venir, parmi les étudiants extra-européens, que les gens pouvant se payer les frais d'inscription particulièrement élevés qui s'imposent à eux. Plusieurs universités s'étaient jusqu'ici engagées à ne pas mettre en place ce principe. Le projet de loi actuel rendrait l'application de cette mesure obligatoire, en l'inscrivant dans le code de l'éducation. Cette disposition est fortement condamnée par la communauté universitaire.
Cortège de la Marche des Solidarités, lors des manifestations du 1er Mai 2023 à Paris.
La France, « pays des droits de l'Homme », a-t-elle perdu sa boussole ? Une démarche politicienne pour des réponses dangereuses, injustes et inefficaces
Dès mars 2023, une trentaine d'associations dont la CIMADE, le GISTI, le Secours catholique et Médecins du Monde, réclament un abandon définitif du texte et « la mise en place d'une politique migratoire fondée sur l'accueil, le respect des droits fondamentaux et la dignité ». Entretemps, le projet de loi est passé par l'Assemblée et par le Sénat... De nombreuses associations et ONG (CIMADE, Fondation Abbé Pierre, Médecins sans frontières, etc.) dénoncent son contenu (estimant que « l'examen du Sénat a fait sauter des digues [qu'elles pensaient] jusque-là infranchissables »), comme elles ont été nombreuses à dénoncer les consignes de durcissement données aux préfets il y a environ deux semaines. Leurs requêtes contre la circulaire du 17 novembre ont toutefois peu de chances d'aboutir.
Plus spécifiquement, le 2 novembre dernier, 3 000 soignants signaient une tribune parue dans le journal Le Monde pour dénoncer la suppression de l'AME et ses impacts en termes de santé publique et de solidarité : « Les patients que nous soignons et qui bénéficient de l'AME, écrivent-ils, ne sont pas, dans leur grande majorité, des personnes qui ont migré vers la France pour se soigner, mais des personnes qui ont fui la misère, l'insécurité ou qui l'ont fait pour des raisons familiales. Leurs conditions de vie difficiles en France les exposent à des risques importants : problèmes de santé physique et psychique, maladies chroniques, maladies transmissibles ou contagieuses, suivi prénatal insuffisant et risque accru de décès maternels. À ce titre, il s'agit d'une population prioritaire en matière de santé publique. Limiter leur accès aux soins aurait pour conséquence directe d'entraîner une dégradation de leur état de santé, mais aussi plus globalement celui de la population tout entière. »
La présidente de France Terre d'Asile, Najat Vallaud-Belkacem, a regretté la brièveté des échanges des ministères de l'Intérieur et du Travail avec la société civile au cours de l'automne, mais aussi l'absence d'un texte précis sur lequel négocier lors de ces échanges, et la non-participation d'autres acteurs importants comme la ministère de la Santé et celui du Logement. Même des soutiens d'Emmanuel Macron, dont Daniel Cohn-Bendit, Marisol Touraine et Jean Pisany-Ferry, ont écrit aux députés Renaissance, Horizons et Modem pour leur demander de « stopper [la] dérive dangereuse [de ce projet qui] tourne le dos à la vocation d'intégration de notre pays ». Selon eux, de nombreuses mesures « relèvent d'une hostilité de principe non seulement à l'égard de l'immigration mais des étrangers eux-mêmes ».
Le projet de loi reprend une antienne de la droite depuis la présidence Sarkozy, à savoir la systématisation, l'application effective des obligations de quitter le territoire. Or, la posture est purement rhétorique, puisque les OQTF, quand elles sont décidées, ne sont que rarement appliquées. Plutôt que de s'interroger sur le pourquoi de cette non-application, ou de se poser la question de la situation de précarité dans laquelle sont placés des individus faisant l'objet d'une OQTF mais qui demeurent sur le territoire (une situation de non-droit, finalement), les représentants de Renaissance, dans la suite de ceux de LR, préfèrent montrer les muscles en annonçant encore plus d'OQTF, et en promettant avec fermeté que ces dernières seront bien appliquées. En l'occurrence, les raisons de la non-application des OQTF sont multiples : il est matériellement très difficile d'aller chercher par la force tous les étrangers ciblés par cette mesure ; les OQTF peuvent être annulées par les juges ; elles peuvent aussi être empêchées par la non-coopération du pays d'origine de la personne, ou par la situation de non-droit ou de guerre qui y règne.
Il faut dire que ce n'est pas vraiment le souci de la réalité qui aura dominé la production de ce projet de loi. Par exemple, Gérald Darmanin a justifié la limitation des recours possibles à des refus du statut de réfugié, au prétexte qu'il n'existerait pas moins d'une douzaine de voies de recours possibles pour toute personne dont la demande d'asile aurait été refusée. Or, contrairement à ce qu'a affirmé le ministre de l'Intérieur, les personnes étrangères sans papiers n'ont droit qu'à un seul recours suspensif devant le tribunal administratif : une personne ne peut pas enchaîner douze recours successifs pour éviter l'expulsion, avec un passage devant douze juges qui se pencheraient sur son cas, car chaque recours possible répond à une situation spécifique. Mais les Françaises et les Français qui auront entendu le ministre n'auront pas manqué d'entendre le souci de ce dernier de faire appliquer un droit prétendument dévoyé, face à une administration décidément si pléthorique et kafkaïenne... Pourquoi Darmanin se priverait-il d'une telle posture, puisqu'en face, les médias mainstream ne font pas le travail de vérification et de déconstruction qui s'impose face à une flopée d'arguments populistes ?
Pire, le projet de loi pose de mauvaises réponses à des problèmes connexes. L'exemple de la Santé est en cela exemplaire : plutôt que de répondre au problème des recrutements et des défections dans le secteur (Podcast – « Je n'avais plus envie de me battre » : les éclairages du Collectif Inter-Hôpitaux sur la vague de démissions et la crise à l'Hôpital public), il fait reposer sur la captation de professionnels étrangers le fait de combler les besoins criants. Le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), Didier Leshi, ainsi que les syndicats de travailleurs, se sont d'ailleurs prononcés, lors des discussions sur la loi Darmanin, en défaveur des pratiques de recrutement qui amplifient les pénuries dans les pays d'Afrique. Les collectifs de sans-papiers dénoncent le principe de l'article 3 du projet de loi en réclamant une régularisation globale des clandestins, considérant que le texte, en l'état, conforte le statut d'esclave moderne et de main d'œuvre corvéable à merci en fonction des seuls besoins économiques de la France.
Quand les droites LR et macroniste se font les hérauts des idées du Rassemblement national
Au terme de cet article, des éclaircissements s'imposent sur la thématique plus générale de l'immigration. Au cours des derniers mois, on a souvent entendu des personnalités de droite ou d'extrême-droite parler d'un flux d'arrivées de 500 000 immigrés légaux chaque année. Or, ce chiffre mérite d'être analysé avec soin, car les journalistes ne réagissent presque jamais à son énonciation. En 2022, environ 320 000 titres de séjour ont été délivré., et environ 131 000 demandes d'asile enregistrées ; l'addition de ces montants donneraient les fameux « 500 000 » immigrés venus sur le sol français chaque année. Ce calcul est erroné, tout d'abord parce que des demandeurs d'asile reçoivent parfois un titre de séjour en tant que réfugiés (ils sont donc comptés deux fois dans les « 500 000 ») ; ensuite, toutes ces personnes n'ont pas vocation à rester, puisque plus de 100 000 personnes ont reçu un titre de séjour pour étudier en 2022. Enfin, il faut ramener ça à la moyenne européenne : la France a, en proportion de sa population, délivré relativement peu de titres de séjour, arrivant au 23ème rang de l'Union européenne., puisqu'elle n'a délivré que 475 titres de séjour / 100 000 habitants cette année-là. Ce décryptage permet de prendre un peu de recul et de prendre la mesure du degré d'instrumentalisation de ce sujet. En outre, rappelons que, si l'immigration est un sujet arrivant souvent dans le top 4 ou 5 des « préoccupations » des Français dans les études d'opinion, les sondages indiquent souvent que plus de la moitié des personnes interrogées disent ne pas être suffisamment informées sur ce thème.
Quelle est la réalité de l'immigration actuelle ? Selon l'INSEE, sept millions d'immigrés vivent en France, soit 10,3% de la population. Parmi eux, 2,5 millions de personnes ont acquis la nationalité française. Il y a donc dans le pays 4,5 millions d'immigrés de nationalité étrangère, auxquels s'ajoutent 800 000 personnes nées en France de nationalité étrangère. Selon l'INSEE, ce que l'on qualifie de « population étrangère » représente donc 5,3 millions de personnes, soit 7,8% de la population totale. C'est moins que la moyenne des pays de l'UE, puisque dans l'Union, la France arrive en 15ème position pour le nombre d'étrangers vivant sur son sol. La France arrive également loin pour le nombre d'arrivées, puisqu'en 2021, on comptait 5 nouveaux habitants pour 1 000 habitants (25ème rang dans l'UE...). Chaque année, entre 150 et 200 000 personnes rentrent sur le territoire, le solde migratoire augmentant légèrement et de façon quasi continue depuis 2009. Pour aller plus loin sur le sujet, nous renvoyons les lectrices et les lecteurs à ce précédent article, complet, d'octobre 2019 : « Europe forteresse » ou « Europe passoire » : comment bousculer la binarité du débat sur l'immigration ? Nous y rappelions que la pression migratoire était importante, mais qu'elle n'avait rien d'insupportable. Elle doit toutefois forcément, pour pouvoir se faire avec cohérence et humanité, être accompagnée des moyens nécessaires pour accueillir, intégrer, traiter avec justice chacun des habitants de ce pays. Cela manque cruellement, compte tenu de l'effondrement général, pensé et organisé par les gouvernements successifs, des services publics essentiels, en premier lieu la Santé et l'École.
Dans les prochaines semaines, le projet de loi reviendra à l'Assemblée nationale. Charge aux députés de la majorité (Renaissance, Horizons, Modem) de reprendre ce texte qui, sans même que le RN ait eu besoin d'y mettre sa patte, ressemble à s'y méprendre à un tract de campagne de l'extrême-droite. Des mesures telles que la suppression de l'AME ou la fin de l'automaticité du droit du sol viennent remettre en cause des fondamentaux de notre système de solidarité nationale, voire des principes républicains trouvant leur source dans la Révolution française. Ils disent quelque chose de notre rapport collectif à la nation, à l'identité. Quand on voit que, le 5 novembre, Emmanuel Macron publiait une lettre aux chefs de parti pour proposer de modifier la Constitution pour élargir le champ du référendum à l'immigration, il y a matière à désespérer de cette majorité qui a été élue soi-disant pour « faire barrage » à l'extrême-droite mais qui, de toute évidence, continue à jouer aux apprentis sorciers. Il ne fait de doute pour personne que la seule force qui en ressortira renforcée sera, de très loin, le Rassemblement national. Le projet de loi vient banaliser les idées du RN, en montrant qu'elles peuvent être portées à la fois par la majorité présidentielle et par les « oppositions » de droite. On nous refait du Sarkozy, en cherchant à affaiblir le FN/RN en « chassant sur ses terres » et surtout sur ses thèmes. Le résultat risque bien d'être le même qu'en 2012, c'est-à-dire un nouveau bond en avant de ce parti, dédiabolisé, normalisé, « respectabilisé », puisque ses idées sont réappropriées par la majorité actuelle. Le boomerang reviendra à la face d'Emmanuel Macron et de ses acolytes, et pas sûr que le centre-droit soit en capacité de se relever de ce contre-choc.