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Par Jorge Brites.

La quatrième de couverture du Petit Journal du 12 juillet 1914.

L’attentat commis contre François-Ferdinand, neveu du vieil empereur François-Joseph et héritier de la couronne des Habsbourg d'Autriche-Hongrie, est généralement considéré comme l'élément déclencheur de la Première Guerre mondiale, aussi appelée la Grande Guerre. Le 28 juin 1914, l’archiduc et sa femme sont en visite à Sarajevo, la capitale de la Bosnie-Herzégovine, annexée par les Autrichiens en 1908, au grand dam de la Serbie. À peine quelques heures après leur arrivée, un passant lance une grenade sur leur voiture décapotable. Réflexe salutaire, l’archiduc la ramasse et la jette au loin où elle explose, blessant quelques officiers et passants. L’avertissement ne fait toutefois pas modifier le parcours de la visite et François-Ferdinand s’en va écouter les discours protocolaires à l’Hôtel de Ville. À l’issue de la cérémonie, il quitte les lieux, toujours dans sa voiture découverte, lorsqu’un jeune homme saute sur le marchepied et tire à coups de révolver sur lui et son épouse. Cette fois, aucun des deux n’en réchappe.

Le meurtrier, Gavrilo Princip, est un Serbe natif de Bosnie, militant de la société secrète Jeune Bosnie, et fait partie de ces indépendantistes qui estiment que la mise en place d’un grand État slave du Sud ne saurait exister sans la Bosnie-Herzégovine, et qui craignent que l’archiduc ne gagne la confiance des Bosniaques par quelques concessions. L’héritier du trône est connu, en effet, pour souhaiter mieux équilibrer la monarchie en donnant aux slaves du sud un rôle plus important. L’objectif a donc, entre autres, pour objectif de radicaliser les positions. Il va y réussir au-delà de toute espérance.

Pourtant, force est de constater que cet évènement, lorsqu’il survient en 1914, est loin d’être le premier. Les conquêtes coloniales, les guerres balkaniques, ou encore la compétition industrielle internationale, sont autant de temps forts qui ont créé les conditions d'un conflit de grande ampleur. Cent-dix ans après cet évènement – l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand – qui ouvre l’un des chapitres les plus sanglants et traumatisants de l’histoire de l’humanité (avec ses 18,6 millions de morts, dont 8,9 millions de civils), comment expliquer que celui-ci, précisément, ait dégénérer en conflit généralisé à l’Europe, puis en une guerre d’ampleur mondiale ? Quelques éléments de compréhension.

Il convient tout d’abord de rappeler le contexte dans lequel se trouve l’Europe d’avant-guerre, et qui en fait une véritable poudrière. Bien vrai que les années précédentes ont été marquées par une certaine prospérité économique – au point que l’on parle, rétrospectivement, de « Belle Époque » marquée par les progrès économiques, technologiques, politiques, et dans une certaine mesure sociaux, notamment en France, au Royaume-Uni et en Allemagne, depuis la fin du XIXème siècle jusqu’à l’entrée en guerre. Pour autant, le continent est loin d’être sans tensions, et celles-ci alimentent un nationalisme exacerbé par des revendications contradictoires. Dans les Balkans, la décomposition de l’Empire ottoman, notamment depuis le Congrès de Berlin en 1878, a créé bon nombre de frustrations chez les États qui accèdent à leur indépendance. Les deux guerres dites des Balkans ont lieu juste avant la Grande Guerre, d’octobre 1912 à janvier 1913 entre une Ligue balkanique composée de la Bulgarie, la Serbie, la Grèce et le Monténégro face aux Ottomans (l’Albanie proclamera l’indépendance à l’issue de ce premier conflit) ; puis de juillet à août 1913, lorsque la Bulgarie échoue à s’emparer de la Macédoine face à la Grèce, la Serbie, la Roumanie et l’Empire ottoman.

Source : d'après l'historien Jean-Baptiste Duroselle.

Source : d'après l'historien Jean-Baptiste Duroselle.

Rares sont les États satisfaits de la situation au terme de ces deux guerres : l’Empire ottoman a perdu 90% de ses possessions européennes ; la Bulgarie a échoué à former son projet de Grande Bulgarie en annexant la Macédoine ; la Grèce revendique toujours des territoires ottomans, la Thrace et les îles Ioniennes, ainsi que l’Épire devenue l’Albanie ; l’indépendance de cette dernière (de même que celle du Monténégro, royaume reconnu comme tel depuis 1910) fait barrage à l’accès à la mer que la Serbie recherchait ; etc. On peut ajouter à tous ces mécontentements les rivalités entre Vienne et Moscou pour la domination de la région, rendues encore plus vives après l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’Autriche. Depuis la dernière guerre russo-turque en 1877-1878 et le traité de San Stefano du 3 mars 1878, le sultan a reconnu de facto la suprématie de la Russie dans les régions à majorité slave et orthodoxe dans les Balkans. La Russie tsariste, quant à elle, n’hésite pas à s’appuyer sur son allié serbe pour faire valoir ce rôle, et lorgne toujours sur la ville sainte de Constantinople.

Illustration de Vercingétorix, tirée d'un ouvrage de cours élémentaire, 1913.

L’Europe occidentale n’est pas tout à fait en reste pour ce qui est des tensions nationalistes. La plus aigüe réside sans doute dans le contentieux franco-allemand, en raison du statut de l’Alsace-Moselle, annexée par l’Empire allemand à l’issue de la Guerre franco-prussienne de 1870-1871, qui a débouché sur la chute du Second Empire en France et sur l’unification des États allemands autour de la Prusse de la dynastie des Hohenzollern. La rivalité franco-allemande est un axe essentiel des relations internationales, s’est exprimée à maintes reprises – notamment durant les crises du Maroc, protectorat français sur lequel l’Allemagne entretient également des prétentions, à Tanger en 1905, à Casablanca en 1908, et à Agadir en 1911. Le désir de revanche sur les Allemands a pu alimenter les courants nationalistes et les populismes les plus variés dans l’Hexagone, comme l’a révélée la crise du Boulangisme (1885-1889), du nom du général Georges Boulanger qui tenait un discours particulièrement belliqueux. La IIIème République n’a pas hésité à alimenter le nationalisme en s’appuyant sur le sentiment antigermanique – l’« Affaire Dreyfus » étant à cet égard édifiante, doublée par un fond d’antisémitisme très profond.

Bien d’autres crises et rivalités pourraient être évoquées, telles que les revendications italiennes vis-à-vis de territoires frontaliers aux mains de l’Empire austro-hongrois (Bolzano, Trieste, le Tyrol du Sud ou encore l’Illyrie), ou encore entre l’Empire ottoman et l’Empire russe pour la domination du Caucase, où la Russie s’est emparée d’une partie du pays arménien après la guerre de 1877-1878. Les alliances entre États qui vont se former au début du siècle, puis la Grande Guerre, seront à la rencontre de l’ensemble de ces nationalismes, auxquels il faut encore ajouter un élément crucial, à savoir une concurrence politique et économique qui dépasse largement la sphère européenne.

Car l’un des facteurs qui expliquent que la guerre devient quasi-mécaniquement mondiale, c’est que l’Europe, en 1914, domine le monde – et que de cette domination est née un certain nombre de tensions. Les guerres coloniales y ont contribué, évidemment. Outre les crises du Maroc déjà évoquées entre l’Allemagne et la France, on peut évoquer la crise dite de la « carte rose » (en portugais, mapa cor-de-rosa), du nom du projet du Portugal de réunir ses colonies de l’Angola et du Mozambique sur un axe est-ouest, et qui provoqua en 1890 un ultimatum du Royaume-Uni, qui souhaitait mener à bien son projet de réunir ses colonies sur un axe nord-sud, « du Cap au Caire » – ultimatum auquel la monarchie portugaise dût se plier. Autre exemple : la crise qui opposa la France au Royaume-Uni en 1898 dans le poste avancé de Fachoda (dans l’actuel Soudan du Sud), et qui, là encore, fut un succès pour les Britanniques, empêchant les Français de réunir leurs colonies « de Dakar à Djibouti ». En Perse entre les Russes et les Britanniques, en Tunisie entre les Italiens et les Français, ou encore en Thaïlande entre Français et Britanniques, d'autres rivalités s'exprimèrent et se conclurent parfois par une délimitation des aires d'influence ou de domination respectives. Bien d’autres conflits et affrontements entre États impérialistes pourraient encore être évoqués, parfois aux dépens d’un empire en déclin ou au profit d’une puissance montante : la guerre américano-mexicaine de 1846-1848 qui permit l’annexion de territoires par les États-Unis jusqu’au Rio Grande et à la côte Pacifique ; ou encore divers conflits en Amérique latine, telles que la guerre de la triple-Alliance en 1865-1870 qui opposa le Paraguay au Brésil, à l’Argentine et à l’Uruguay, ou la guerre du Pacifique, entre la Bolivie d’une part, le Chili et le Pérou d’autre part ; la guerre hispano-américaine en 1898, à l’issue de laquelle les colonies espagnoles de Porto Rico, de l’île de Guam et des Philippines passèrent aux mains des États-Unis, et Cuba devint indépendante (sous l'égide des Américains) ; la guerre russo-japonaise, en 1904-1905, qui consacra la présence du Japon dans la péninsule de Corée, en Mandchourie et sur l’île de Sakhaline ; ou même la conquête de la Libye par l’Italie, aux dépens de l’Empire ottoman.

Tous ces conflits consacrent la rivalité navale et impériale des grandes puissances de l’époque. Deux d’entre elles notamment, se distinguent sur les mers : le Royaume-Uni et l’Allemagne, sur fond de compétition économique. Partout, les puissances européennes entretiennent des intérêts rivaux. En Chine, en Iran, en Turquie ou en Amérique latine par exemple, les capitaux européens sont prépondérants – avec la concurrence des États-Unis dans quelques pays latino-américains. On comprend aisément que tout ce contexte favorise des jeux d’alliance diplomatiques et la montée des nationalismes.

La machine infernale : une guerre préparée…

Une constatation peut facilement être faite, et découle de ce contexte tendu que nous venons de décrire : la guerre qui démarre en 1914 n’est pas improvisée. Les décennies précédentes ont été consacrées à chauffer l’esprit des masses populaires et le sentiment de fierté nationale (par le biais, entre autres, d’une instruction scolaire tintée de patriotisme et chargée d’une version fantasmée de l’Histoire nationale).

Surtout, les États se sont lancés dans une course aux armements, en particulier en Europe. Dans la seule année 1912, Allemands, Autrichiens, Russes et Français augmentent leur budget militaire respectif de 15 à 25%. La France vote à l’été 1913 l’instauration d’un service militaire de trois ans, qui place d’office 750 000 hommes sous les drapeaux. La marine est concernée comme tous les corps d’armée – entreprise coloniale et contrôle des détroits et des mers obligent. L’empereur allemand, le Kaiser Guillaume II, qui a destitué en 1890 le chancelier Bismarck de ses fonctions, confie à l’amiral Tirpitz la mission en 1897 de constituer une flotte puissante. Résultat : en quelques années, l’Allemagne se dote de la deuxième flotte du monde, ce à quoi le Royaume-Uni riposte en augmentant son rythme de construction de navires afin de respecter la doctrine du two-power standard instauré depuis le Naval Defence Act de 1887, et suivant lequel la flotte de l’Empire britannique devait maintenir un nombre de navires de guerre au moins équivalent aux forces combinées des deux plus grandes flottes mondiales (russe et française, à l’époque).

Sur le plan militaire toujours, des stratégies ont été élaborées et certaines seront mises en application lors de la Grande Guerre. C’est notamment le cas du plan Schlieffen, pensé dès 1905 par l’état-major allemand, et dont les idées maîtresses sont d’abord de concentrer le gros des armées allemandes le long des frontières occidentales du Reich en assurant une protection minimale à l’est, face au danger russe ; puis de mener une attaque à travers le Luxembourg et la Belgique et de contourner par le nord les forces françaises massées le long de la frontière franco-allemande, avant de descendre au sud pour prendre Paris et encercler les troupes françaises. Du côté français, on peut citer le « Plan XVII » (le 17ème depuis la guerre de 1870-1871), conçu en 1913 et qui prévoyait l’augmentation massive des effectifs sur le front grâce à l’arrivée des réservistes et leur acheminement par chemin de fer, et des offensives le long des frontières franco-belge et franco-allemande.

La guerre se prépare aussi sur le terrain diplomatique. Des jeux d’alliance se sont ainsi mis en place : la Triple-Alliance d’une part entre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie, aussi appelée « Triplice », renouvelée en 1912 ; et la Triple-Entente d’autre part en 1907, entre la France, le Royaume-Uni et la Russie, précédée par l’alliance franco-russe de 1893 et par l’Entente cordiale en 1904 entre Londres et Paris. Pour cela, Russes et Britanniques ont dû mettre de côté leurs rivalités, nombreuses en Asie centrale. Au-delà de ces deux principales alliances, chaque pays des Balkans est soutenu par des grandes puissances en coulisse. Les États slaves bénéficient plutôt de l’appui de Moscou, les empires ottoman et austro-hongrois de Berlin. La dynastie des Hohenzollern a d’ailleurs tissé des unions avec diverses familles royales de la région. Lui-même petit-fils de la reine Victoria du Royaume-Uni, par sa mère, le Kaiser Guillaume II compte comme beau-frère le roi de Grèce Constantin Ier, et comme cousin le tsar de Russie Nicolas II. Le roi de Roumanie Carol Ier, appartient à la dynastie des Hohenzollern-Sigmaringen, issue de la même lignée que lui.

… et l’échec du pacifisme

Une analyse du contexte et des origines de la Première Guerre mondiale ne doit pas se limiter aux causes de la guerre, mais mérite aussi de s’arrêter sur les raisons de l’échec de la paix. Puisqu’après tout, une certaine prospérité économique, doublée de progrès technologiques et scientifiques, était en marche dans plusieurs pays parmi les futurs belligérants, on aurait pu s’attendre à ce qu’ils aient tout naturellement intérêt à maintenir une paix généralisée. Quelques tentatives ou démarches en faveur de la paix méritent ainsi d’être évoquées, à commencer par celles du courant socialiste, qui se revendiquait de l’anti-impérialisme et de l’antimilitarisme. Or, ni à Stuttgart en 1907, ni à Bâle en 1912, l’Internationale ouvrière réunie en congrès ne réussit à se mettre d’accord sur les modalités d’une grève générale susceptible de paralyser la machine de guerre en cas de conflit. La deuxième Internationale, fondée à Paris en 1889 à l’initiative d’Engels et en présence des partis socialistes et ouvriers d’Europe, ne parvenait pas à fédérer le prolétariat contre la perspective d’une guerre dont ils seraient pourtant les principales victimes.

Dans les pays d’Europe, le climat tendait plutôt à marginaliser le discours pacifiste dans la vie politique. Outre les Bolcheviks en Russie, on peut citer au Royaume-Uni le leader travailliste Ramsay MacDonald (1866-1937), qui devint plus tard Premier ministre, mais dont son opposition à la guerre lui valut une forte impopularité, et même d’être accusé de trahison et de lâcheté, et d’être attaqué sur les circonstances de sa naissance. Pesant peu sur l’échiquier politique britannique, le Parti travailliste indépendant, qui visait la collectivisation des moyens de production et d’échange, conserva sa position pacifiste durant le conflit.

Reconstitution dl'assassinat de Jaurès dans la revue Le Matin, 22/03/1919.

En France, quelques syndicalistes défilèrent le 27 juillet 1914 quelques syndicalistes défiler à Paris en faveur de la paix. Mais le départ de la vie politique du radical Joseph Paillaux, président du Conseil en 1911-1912, et surtout l’assassinat le 31 juillet 1914 du député socialiste Jean Jaurès, qui avait consacré les dernières années de sa vie à tenter d’empêcher le déclenchement d’un conflit généralisé, achèvent de décapiter le mouvement pacifiste. Au final, tous les syndicats participent à l’Union sacrée, même le socialiste internationaliste et antimilitariste Gustave Hervé. En Allemagne, le parti social-démocrate (SPD) fait cesser les mouvements de grève à partir du 2 août. En Russie, la Douma vote les crédits nécessaires à la mobilisation générale le 8 août. Force est de constater que les réfractaires furent infimes, et mis sous silence.

La complexe question des responsabilités

La question de savoir si la Grande Guerre était évitable, dans son caractère mondial et dans son ampleur, relève quasiment d’une question philosophique. Puisque justement, nombreuses furent les crises précédant la Première Guerre mondiale mais sans déboucher sur un conflit généralisé, l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand aurait pu ne constituer qu’une crise de plus, limitée à des invectives, voire à un affrontement entre Vienne et Belgrade, qui n’aurait d’ailleurs pas été le premier. L’historiographie s’est beaucoup arrêtée sur la question des responsabilités, que la chronologie des évènements laisse assez ouverte. Chaque évènement, chaque décision, a en effet pesé sur la balance : le degré d’implication de l’État serbe dans la préparation et la réalisation de l’attentat, l’erreur de jugement du Kaiser qui assure l’Autriche-Hongrie de son appui inconditionnel, persuadé que la Russie n’entrera pas en guerre ; le caractère inacceptable de l’ultimatum lancé par l’Autriche-Hongrie à la Serbie, qui impliquait une violation de sa souveraineté avec l’entrée de policiers autrichiens sur son sol ; l’incapacité du tsar Nicolas II à s’opposer, à la Cour impériale, aux partisans de l’entrée en guerre, qui le poussèrent à initier une mobilisation secrète des troupes (qui fut presque aussitôt connue des Allemands) ; le soutien du gouvernement français à la Russie, bien que le même soutien ne se soit pas appliqué lors des guerres balkaniques ; ou encore la violation par l’Allemagne de la neutralité belge garantie par le traité de 1831, et qui entraîne l’entrée en guerre du Royaume-Uni pour qui le contrôle du port d’Anvers et de la mer du Nord par Berlin constitue une menace.

En Allemagne, il a fallu attendre les travaux d’un historien, Fritz Fischer (1908-1999), pour remettre en question sérieusement le consensus de longue date selon lequel le pays était exempt de toute responsabilité dans le déclenchement de la Grande Guerre. L’idée étant notamment que la visée impériale de l’Allemagne, qui prétendait à l’hégémonie européenne, associée à une stratégie incluant le conflit armé, aurait favorisé la déclaration de guerre de l’Autriche-Hongrie à la Serbie. Il est indéniable que l'ambition de l'empereur Guillaume II a beaucoup joué dans la montée des tensions avec les autres puissances européennes ; elle a alimenté des réactions britanniques et françaises visant soit à l'endiguement de la puissance montante qu'était l'Allemagne, pour le Royaume-Uni, soit à un désir de revanche pour récupérer l'Alsace-Moselle perdue, pour ce qui est de la France. En outre, ses choix géopolitiques, à rebours de la diplomatie prudente de Bismarck ont entraîné des revirements d'alliance sur le continent, notamment avec la Russie, finissant de convaincre Moscou, Paris et Londres d'un rapprochement. Cette configuration, en provoquant un encerclement des « empires centraux » par la Triple-Entente, aura évidemment des conséquences sur le déroulement du conflit.

Une autre thèse, plus classique, développée par l’historien français Jean-Baptiste Duroselle (1917-1994), est celle du « Mécanisme ». Selon elle, c’est avant tout par crainte qu’advienne une situation internationale défavorable à leurs intérêts nationaux, que les États européens ont pris les décisions que l’on connaît. Ainsi, l’Allemagne serait entrée en guerre, non par volonté d’expansion, mais pour ne pas risquer de perdre son allié austro-hongrois ; idem pour la France qui souhaitait maintenir la solidité de son alliance avec la Russie, et craignait de remettre en cause l’encerclement des empires centraux que constituait la Triple-Entente. La Russie serait quant à elle entrée en guerre pour éviter que de nouvelles populations slaves ne passent sous le joug austro-hongrois ; le Royaume-Uni par fidélité au traité de neutralité de la Belgique et pour éviter un contrôle d’Anvers par l’Allemagne ; ou encore, l’Autriche-Hongrie dans l’espoir qu’une invasion de la Serbie permette de donner un coup d’arrêt aux mouvements nationaux soutenus par Belgrade.

Probable qu’il faille chercher dans l’ensemble de ces suppositions, que l’historiographie a abondamment illustrées et développées. Les différentes conclusions à en retenir doivent, non pas permettre de refaire des scénarios sur ce qu’aurait pu être l’Histoire autrement, mais plutôt constituer des leçons pour le présent et l’avenir, nourrir nos consciences des outils nécessaires pour comprendre les enjeux lorsqu’un conflit localisé se développe, lorsque des puissances étrangères s’en mêlent, lorsque les parties prenantes engagent une course à l’armement, lorsque se tissent des alliances militaires ou diplomatiques, ou encore lorsque les médias et les classes politiques attisent les tensions et excitent le nationalisme. Sur de nombreux conflits passés ou présents, on peut en retenir que les « mécanismes » conduisant à une nouvelle Grande Guerre auraient encore bien pu fonctionner… et qu’ils pourront toujours le faire, pour le pire.

Le Pont Latin à Sarajevo, où furent assassinés par l’activiste serbe Gavrilo Prinzip l’archiduc François-Joseph (1863-1914), héritier du trône austro-hongrois depuis 1896, et sa femme Sophie Chotek.

Le Pont Latin à Sarajevo, où furent assassinés par l’activiste serbe Gavrilo Prinzip l’archiduc François-Joseph (1863-1914), héritier du trône austro-hongrois depuis 1896, et sa femme Sophie Chotek.

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