« Ne pas avoir d’idées et savoir les exprimer : c’est ce qui fait le journaliste. » Beaucoup de vrai dans cette petite phrase de Karl Kraus, écrivain et dramaturge autrichien du début du XXème siècle. Et ce constat est d’autant plus avéré dans la sphère radio-télévisuelle, où les impératifs du direct font souvent apparaître ce que l’écrit ne laisse transparaître, à savoir le ton des journalistes ou présentateurs (subjectif ou pas), ou encore leur méconnaissance de tel ou tel sujet abordé.
Pourquoi nous focalisons-nous sur l’incompétence journalistique ? À bien des égards, la qualité de l'information fournie illustre le niveau des débats dans la sphère publique en général, politique en particulier. Le degré d’incompétence actuel est d’autant plus évident que l’on retrouve souvent les mêmes personnes sur les chaînes les plus regardées : les éternels Jean-Pierre Pernaut, David Pujadas, Jean-Pierre Elkabbach, ou encore Claire Chazal, connue pour la qualité de ses interviews, qui justifie sans doute qu’elle ait encore obtenu la direction du dernier entretien avec le chef de l’État le 15 septembre dernier – son sens de la répartie nous a à cette occasion à nouveau éblouis… S’ajoutent un panel de journalistes qui semblent « indéboulonnables » : Olivier Mazerolle, Éric Revel, Jean-Michel Apathi, Christophe Barbier, Michaël Darmon, Laurence Ferrari, Christine Ockrent, Guillaume Durand, Arlette Chabot, Michel Field, Nicolas Demorand...
La recherche du buzz se mêle à un état d’esprit étriqué
Loin de nous l’idée de qualifier d’incompétents tous les journalistes précédemment cités. La qualité du travail de chacune et de chacun ne se vaut pas, et le sujet n’est pas ici de donner les bonnes ou les mauvaises notes. Mais plutôt de constater la partialité des questions posées ou des sujets traités, voire leur absurdité, notamment dans les supports télévisuels les plus regardés.
La recherche continuelle du buzz constitue un facteur d’appauvrissement considérable de l’information fournie, un filtre qui facilite les caricatures et les raisonnements simplistes. Du « Je n’aime pas les riches » de François Hollande, en 2005, au « coup de balai » de Jean-Luc Mélenchon cette année, en passant par le « The yes needs the no to win against the no » de Jean-Pierre Raffarin (2005), par les « racailles » de Nicolas Sarkozy (2005), ou encore par la « bravitude » de Ségolène Royal (2007) : combien de phrases ou de bons mots auront été retenus aux dépens du contenu ? Lors de son discours au IVème Sommet de la Terre à Johannesburg, en 2002, qui aura retenu autre chose du discours de Jacques Chirac que sa fameuse phrase : « Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs » ? A-t-on seulement retransmis l’intégralité de ce discours dans les JT de TF1 ou de France 2 ? A-t-on diffusé autre chose du discours de Dominique de Villepin au Conseil de sécurité de l’ONU en 2003, que : « C’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien… » ? Lorsque les médias retiennent, en 2012, la proposition d’Éva Joly de créer deux nouveaux jours fériés (l’un pour les juifs, l’autre pour les musulmans) pour mieux la discréditer, pas un seul mot n’a été dit du reste de son discours qu’elle formula alors sur l’égalité entre citoyens ?
Les exemples sont nombreux, et ils sont terribles pour la démocratie, car ils ont une double conséquence fâcheuse. Tout d’abord, ils signifient pour les femmes et les hommes politiques l’impossibilité de parler de sujets de fonds sans que ne soit extrait de leurs propos le mot qui fera mouche médiatiquement. Ce qui est assez désespérant pour tous les amoureux de la politique. Ensuite et surtout, cela signifie qu’il est fort aisé, pour nos chers politiciens, de manipuler les médias en lançant des « petites phrases » qui leur permettront de se mettre en avant et d’occulter d’autres sujets (de fond).
Ainsi, comment ne pas se rappeler les fameux « abracadabrantesque » et « pschitt » du président Jacques Chirac, respectivement interrogé sur le financement occulte du RPR en 2000 et sur celui de ses voyages privés en 2001 ? De bons mots qui retinrent toute l’attention des commentateurs, au détriment du fond de ces « affaires ». De même, apanages de la droite, les formules provocantes de nature sécuritaire ou réactionnaire se sont multipliées ces dernières années : du « karcher » de Nicolas Sarkozy en 2005, au « pain au chocolat » de Jean-François Copé en 2012, en passant par les innombrables formules du ministre de l’Intérieur Claude Guéant, sur les Roms, les Comoriens, ou encore l'islam, en 2011 et 2012, ont été emblématiques d’une stratégie de buzz en série destinée à attirer des suffrages et à détourner l'attention des sujets sérieux. La recette est simple : il faut cela pour faire parler.
La campagne présidentielle de 2012 a été emblématique. D’abord parce que les candidats « mineurs » de l’élection ont compris l’importance de « créer du buzz ». Ensuite parce que la campagne a été l’occasion de réaliser l’ampleur de l’incompétence des journalistes, prisonniers de l'image qu'ils se faisaient à l'avance de tel ou tel candidat. À titre d’exemple, on notera comment l’amateurisme politique du représentant du Nouveau parti anticapitaliste Philippe Poutou a focalisé l’attention, au point que la plupart des questions qui lui étaient posées avait un lien avec son dilettantisme médiatique. Un motif suffisant pour donner une plus grande notoriété à cet extra-terrestre de la vie politique. Comment expliquer autrement le fait qu’il ait obtenu plus de voix que la candidate de Lutte ouvrière Nathalie Arthaud, alors que cette dernière, agrégée d’économie et de gestion, et qui présentait pourtant un programme quasi-identique à celui du NPA, s’est indéniablement mieux débrouillée sur les questions de fond (quoi que l’on pense de la qualité de leur programme) ?
Le candidat de Debout la République Nicolas Dupont-Aignan a bien tenté de se faire connaître sur le plan médiatique avec quelques actions coup-de-poing : lorsqu’il s’est bâillonné devant l’Assemblée nationale en 2011, ou encore lors du blocage d’un péage autoroutier en 2012. Là encore, quoi que l’on pense du candidat, il y a matière à se choquer quand on se rappelle qu’au cours de la campagne présidentielle, il lui était systématiquement posé la question de sa proximité idéologique avec Marine Lepen, aux dépends des questions liées à son programme. Enfin, dernier exemple, les questions répétées au candidat Jacques Cheminade sur son idée de créer des colonies de peuplement sur la planète Mars, alors que ce dernier proposait par ailleurs des pistes de réflexion (complètement ignorées par la plupart des journalistes) relatives à la finance internationale et au système boursier. Rappelons-nous que cet homme s’est vu poser à plusieurs reprises, au cours de la campagne, ce type de questions : « J’allais presque vous demander : qu’est-ce que vous faîtes là, dans cette élection ? » La forme interrogative disparaissant parfois : « On en vient à se demander ce que vous faîtes là. »
Quoi que l’on pense de ces individus et de leurs programmes politiques, comment ne pas se poser des questions sur le degré de professionnalisme des journalistes français quant au traitement de leurs interviews ou à l’approfondissement des programmes électoraux. En tant que citoyens, nous pouvons nous permettre de nous gausser de tel ou tel candidat. En tant que journalistes, eux ne le peuvent pas. Ils ont un devoir de neutralité qui, de fait, n’est pas respecté, et pour cause, leur subjectivité relève souvent du subconscient collectif. Ou, pour le dire autrement, de la « pensée unique ». Loin de nous l’idée de critiquer tout le champ radio-télévisuel. Des émissions et des journalistes de qualité existent. Toutefois, dans leur majorité, les plus regardés sont globalement assez médiocres et sélectifs dans l'information donnée. Preuve est faite de cette médiocrité (tant dans les méthodes que dans le contenu journalistique) dans les réactions qui ont fait suite à l'interview de Marine Le Pen par Anne-Sophie Lapix qui, sur Canal + le 15 janvier 2012, était parvenue à mettre en lumière certaines incohérences du programme économique de la candidate du Front national. Ses confrères (et l'ensemble des internautes) s'étaient alors extasiés devant ce qu'ils considéraient comme un exploit journalistique qui allait au-delà de la gestion ou de l'animation de plateau trop souvent observée à la télévision. Elle s'était pourtant contentée de faire ce que l'on exige de tous les journalistes : qu'ils fassent leur travail avec rigueur (et un tant soit peu de neutralité, accessoirement).
L’objectif est de créer le buzz, non d’informer. Ou quand les objectifs d’audience – assumés ou non – rejoignent l’incompétence.
Les questions internationales : le trou noir du journalisme radio-télévisuel
Et force est de constater que cette incompétence et ce manque de rigueur sont particulièrement visibles sur les sujets internationaux. Les bons journalistes spécialisés sur les questions internationales existent. Parmi eux, on peut citer Victor Robert, sur Canal + et I-télé, Patricia Loison, présente sur LCI de 1994 à 2004 et sur I-télé de 2005 à 2009, ou encore Vincent Hervouët, sur LCI. Mais globalement, les journalistes français souffrent de grandes lacunes, et en termes de connaissances historiques et géopolitiques, et en termes de compréhension des enjeux régionaux et des réalités politiques et sociales à l’étranger, souvent complexes.
Puisons dans l’actualité récente pour nous en convaincre. Sur la question syrienne, combien de fois avons-nous pu entendre cette question toute simple : « Pourquoi soutenons-nous en Syrie des gens que nous combattons au Mali ? » Sur ce sujet comme sur d’autres, la méconnaissance des journalistes ou des présentateurs, sur la Syrie (son histoire, sa géographie, sa sociologie), mais aussi sur la situation régionale actuelle et sur les rapports de force complexes qui y ont cours, joue un rôle de désinformation notable à l’égard des citoyens. Tâchons donc de détricoter ce lieu commun trop souvent entendu. Que l’on soit ou non en faveur d’une intervention franco-américaine en Syrie, il faut bien dire que la question ci-dessus relève tout simplement de la bêtise. D’abord parce que la France ne fournit pas d’armes à la rébellion. Ensuite parce que « ceux que nous combattons au Mali », c’est-à-dire des djihadistes touaregs et arabes, parmi lesquels on trouve des groupes liés à Al-Qaïda, ne sont pas « les mêmes » que ceux qui combattent en Syrie.
Les miliciens djihadistes présents au Nord-Mali se trouvent être majoritairement originaires d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne. Algériens, Maliens, Nigériens, etc., ils sont une extrême-minorité à venir du Moyen-Orient. En Syrie au contraire, la grande majorité des combattants rebelles sont soit imprégnés du nationalisme arabe laïc qui a si longtemps marqué ce pays, soit islamistes modérés et espèrent, dans le meilleur des scénarios à leurs yeux, proclamer l’application de la Charia, comme c’est d’ailleurs le cas dans la quasi-totalité des pays arabes. Quant aux groupes djihadistes, qu’ils soient liés à Al-Qaïda ou non, il n’est évidemment pas question de leur fournir des armes. Rappelons que la stratégie américano-saoudienne visant à former et à armer des combattants de l’Armée Syrienne Libre sur le sol jordanien et à favoriser leur avancée sur le front de Deraa et de Damas, prouve que cela ne relève pas de l’impossible. Enfin, les gouvernements occidentaux ont toujours souligné avec soin leur souci de ne pas voir d'armes arriver entre les mains des groupes liés à Al-Qaïda. Mais que faire, et que dire, quand les journalistes ont trouvé à poser une « question piège » dont ils sont très fiers, en dépit du fait qu’elle relève du niveau zéro de l’analyse géopolitique ? Les éléments de langage et les postures se suivent et se ressemblent, trop souvent sans élever beaucoup le débat. Pour la plupart des journalistes, la réalité djihadiste est statique, et la diversité des forces catégorisées comme « islamistes » n'entre pas dans leur grille de lecture binaire et manichéenne, pas plus que la complexité des peuples, des croyances et des pratiques.
Certains s’inventent experts des questions internationales. Comme lorsqu’Éric Zemmour, parlant des manifestations et de la contestation sociale au Brésil, expliquait le 25 juin 2013 sur RTL que sur « la terre […] du multiculturalisme festif, […] cette contrée du métissage harmonieux […] et du football comme instrument d’unification d’une société sans classes ni races, tout s’écroule en même temps, dans ce que personne n’ose appeler un printemps brésilien. » Mais M. Zemmour a-t-il déjà seulement posé le pied au Brésil ? Il faudra qu’il nous explique où il a entendu parler d’une « société sans classes ni races », alors qu’il est de notoriété mondiale que ce pays concentre l’un des plus hauts degrés d’inégalités de la planète, et que ces inégalités sont trop souvent calquées sur l'appartenance ethnique. Sans doute ce chroniqueur ne devrait-il pas s’improviser expert dans des questions qu’il méconnaît, et qu’il n’aborde que pour mieux défendre ses thèses réactionnaires. Car quand il explique que « la société multiraciale si harmonieuse pour carte postale est aussi le premier pays du monde pour les décès par armes à feu », il espère appuyer sa dénonciation régulière du multiculturalisme, qui serait facteur de violences. M. Zemmour confond un multiculturalisme qu’il dénonce en France avec un métissage ethnique qui est inhérent à l’identité brésilienne. Les deux situations n’ont tout simplement rien à voir.
Et quand d'autres ne s’inventent pas experts, ce sont parfois les experts eux-mêmes qui font montre d’incompétence et d’amateurisme. Harold Hyman, spécialiste des affaires internationales pour BFM TV, en est un exemple frappant. Lorsqu’en novembre 2011, il présentait la situation de la Révolution au Yémen en ponctuant son intervention d’erreurs factuelles nombreuses, d’imprécisions cartographiques, mais également de raccourcis explicatifs et d’éléments de langage dignes d’un exposé de collégien. Ou lorsqu’il faisait de même en mai 2013, sur la Syrie, et en juillet, sur le Mali. Toujours aussi peu de rigueur dans le choix du vocabulaire pour décrire la situation (complexe) de chacun de ces pays.
L’incompétence se retrouve dans le choix des mots, mais aussi dans le choix des sujets. À titre d’exemple, il s’est déroulé en 2011-2012 l’une des plus grandes catastrophes climatiques et humanitaires de ces dernières années, avec un écho extrêmement limité dans les grands médias radio-télévisuels français. Dans un contexte politique et sécuritaire instable, notamment en Somalie, s’est abattue sur la Corne de l’Afrique une terrible sécheresse. Elle a affecté douze millions d’Africains (Somaliens, mais aussi Kényans et Éthiopiens) et a porté un nouveau coup de grâce à une population somalienne éprouvée par vingt années de guerre civile. De juillet 2011 à février 2012, l’ONU déclarait même plusieurs régions du sud de la Somalie en « état de famine ». Le Kenya et l’Éthiopie ont accueilli un énième exode somalien, et pas moins de 135.000 personnes se trouvaient déplacées au cours du seul premier semestre 2011 du fait de la situation sécuritaire et climatique, notamment à Dabaab (Kenya), le plus grand camp de réfugiés du monde. Au moins 30.000 enfants seraient morts entre mai et août 2011. Entre octobre 2010 et avril 2012, ce sont près de 258.000 Somaliens qui mouraient dans le contexte de la crise alimentaire, dont au moins 133.000 enfants de moins de cinq ans. Peut-on imaginer un seul instant qu’un tel drame ait pu se dérouler sans susciter aucune réaction, aucune mobilisation exceptionnelle des pays occidentaux, qui sont pourtant si promptes à intervenir dans d’autres zones pour défendre leurs intérêts géostratégiques ? Quand plus de 100 000 enfants meurent de faim (un chiffre qui dépasse l’imagination) dans le plus grand silence, que font les journalistes ? Remplissent-ils leur devoir d'information ?
La reprise des mouvements rebelles du M23 à l’est du Congo depuis 2012, le tremblement de terre d’août 2012 qui a entraîné la mort de 300 personnes en Iran (et le dénuement de milliers d'autres), les affrontements observés depuis le début de l'année au Darfour et qui sont à l’origine du déplacement de plusieurs milliers de réfugiés darfouriens, l’abandon du projet écologique Yasuni-ITT en Équateur en août dernier, ou encore le séisme observé il y a quelques jours au Baloutchistan (Pakistan), pour lequel on compte près de 300 morts… La liste n’en finirait plus, de tous ces sujets dont on ignore même l’existence, pour la double raison qu’ils ne créent pas de buzz et qu’ils sont méconnus des journalistes. Au cours de l’année 2011, une quarantaine d'auto-immolations de moines, nonnes et civils tibétains (une trentaine d'entre eux sont décédés) a été au cœur d’un mouvement de protestation au Tibet ; les forces de l’ordre y ont répondu par 600 arrestations à Lhassa en mai 2012. Question candide : pourquoi n'en a-t-on pas entendu parler en France ? La puissance militaire chinoise et les liens économiques entretenus avec Pékin peuvent expliquer la non-ingérence politique, mais cela n'empêche pas les médias d'en parler.
De même, l’élection d’Ellen Johnson Sirleaf, en novembre 2005, a été relativement bien relayée par les médias. Mais qu’en a-t-il été de sa réélection en novembre 2011 ? Le scrutin de 2005 a été l'occasion d'informer le citoyen lambda de la première accession d’une femme à la présidence d’une république africaine – évidemment sans dire un mot sur son programme économique. Sa réélection aurait pu être l’occasion de faire le bilan de son premier mandat, dans un pays qui sortait à peine de quinze ans de guerre civile. L’événementiel, toujours l’événementiel. Aux dépens de l’essentiel. Et les exemples semblables sont innombrables. Que sait-on précisément des politiques menées par les gouvernements de la gauche sud-américaine depuis quinze ans, dans leurs bons comme dans leurs mauvais aspects ? Que sait-on du niveau de reconstruction qu’a connu l’Asie du Sud-est, après l’impressionnant tsunami qui avait touché la région en décembre 2004 (et avait connu une couverture médiatique notable) avant de susciter une multiplication des dons humanitaires ? Ou suite au séisme de janvier 2010 à Haïti ? Le zapping radio-télévisuel met au-devant de la scène des évènements qui peuvent avoir totalement disparus de nos écrans ou des ondes-radio dès la semaine suivante. Les reportages de fond sont rares et ne sont visibles que dans des émissions ou des chaînes spécialisées. Les journalistes présents sur les stations de radio et les chaînes dites « grand public » préfèrent sans doute se focaliser sur des éléments aussi insignifiants que le tweet de Valérie Trierweiler (juin 2012) ou que tel ou tel bon (ou mauvais) mot d'hommes politiques.
Pourquoi n’entendons-nous pas un mot d’explication sur les négociations relatives au futur traité de libre-échange UE-États-Unis amorcées cet été, alors que cet accord historique impactera de manière décisive les économies européennes, et donc nos vies ? De même, pourquoi les discussions entre l’Union européenne et le Canada pour s’accorder sur un traité de libre-échange économique et commercial semblent-elles se faire dans le plus grand secret depuis 2008, alors que très probablement l’accord avec les États-Unis risque de s’en inspirer fortement ? Globalement, les questions relatives à l’Union européenne et donc à notre système économique et social sont largement sous-traitées. La machine européenne est souvent trop complexe (y compris pour les journalistes eux-mêmes) et trop peu attractive sur le plan médiatique pour faire l’objet d’un suivi continu, alors que cela se justifierait largement, au moins pour des raisons de transparence démocratique.
Dans l’actualité récente, qui a entendu parler de ces manifestations violentes, il y a seulement deux semaines, de milliers d'ouvriers de l'industrie textile au Bangladesh, qui réclamaient un salaire minimum de 74 euros par mois, contre 28 euros actuellement (moins d’un euro par jour) ? Gros black-out médiatique, encore une fois ! C'est pourtant un sujet qui nous concerne directement, puisque nous portons toutes et tous des vêtements qui sont fabriqués pour des salaires dramatiquement bas dans des usines de textile asiatiques (et, de plus en plus, africaines). La désinformation médiatique entraîne irrémédiablement des conséquences graves sur le plan démocratique, puisqu’en n’éveillant pas les citoyens à ces questions, on lui évite le soin de repenser le modèle économique global dans lequel il vit. Et qui a pour double conséquence, dans ce cas précis, la délocalisation de nos industries et l’exploitation de masses réduites à la misère en Asie et en Afrique.
À défaut d'une formation approfondie sur les questions de politique internationale et sur les grands enjeux régionaux en cours, nous invitons donc au moins les journalistes et présentateurs radio-TV à prendre des cours d'histoire et de géographie. S'inventer expert peut s'avérer extrêmement contre-productif, surtout quand le traitement des sujets transmet une vision simplifiée ou tronquée de réalités complexes. La manière dont est diffusée l'information a un impact bien réel sur nos opinions, et sur notre perception du monde. Il convient donc de traiter l'information avec sérieux, rigueur et une sincère capacité de recul. Afin que le « Français lambda », spectateur et acteur, soit en mesure de développer un esprit critique en connaissance de cause.