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Par David Brites.

La présidence Hollande : quand le Parti socialiste va dans le mur

Le 31 mars dernier, François Hollande nommait son ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, à la tête du gouvernement. Changer de Premier ministre après une déroute historique aux municipales (certains ont parlé de « fin du socialisme municipal »), et avant une défaite annoncée (pour les élections européennes de juin), voilà une tactique on-ne-peut-plus suicidaire. Car, en juin prochain, sur quels leviers pourra jouer le président de la République pour prendre acte de sa claque électorale et faire semblant d’avoir « compris le message des Français » ? Des erreurs politiques, le chef de l’État en accumule depuis son accession au pouvoir. Retour sur un suicide annoncé, celui du PS et plus généralement de la gauche.

Ce n’est un secret pour personne, cela fait bien longtemps que le Parti socialiste a renié, parfois de manière explicite, ses fondamentaux de gauche, notamment la remise en cause du capitalisme, se contentant d’ajustements à la marge d’un système économique marqué par les abus et les excès. Mais la présidence Hollande consacre clairement une nouvelle étape dans la mutation sociale-libérale du PS. Certes, la primature Jospin, et déjà auparavant le second mandat de François Mitterrand, n’avaient pas représenté de ruptures majeures avec les majorités RPR-UDF qui les avaient précédés. Couverture Maladie Universelle, Revenu Minimum d’Insertion, 35 heures, PACS, naturalisation de sans-papiers… Les réformes « de gauche » sont là, mais, depuis le tournant de 1983, la matrice du programme du Parti socialiste est résolument capitaliste, et cela notamment dans un souci de cohérence avec l'ouverture des marchés à la concurrence et l'union monétaire dans le cadre de la construction européenne. On se rappelle encore la fameuse formule de Lionel Jospin, en 2002 : « Mon programme n’est pas socialiste ».

Alors, qu’est-ce qui a changé désormais ? François Hollande achève bien sûr ce long virage idéologique (étalé sur trente ans). En janvier 2014, il déclarait sans complexe lors d'une conférence de presse tenue à l'Elysée : « Ceux qui n’ont pas compris que j’étais social-démocrate peuvent encore poser une question ». Mais la présidence actuelle a une double particularité. Tout d’abord, elle survient en temps de crise économique et financière grave, qui la pousse à (ou lui sert de prétexte pour) assumer une politique d’austérité budgétaire difficilement compatible avec les dogmes idéologiques traditionnellement attribués à la gauche. Ensuite et surtout, contrairement à tous les gouvernements socialistes précédents sous la Vème République, elle ne présente plus un seul marqueur économique de gauche.

L’orientation économique libérale est totale : aucune rupture n’est observée avec la présidence Sarkozy, et les mêmes recettes de réduction drastique des comptes publics sont appliquées de façon dogmatique, même après un avertissement comme celui de mars dernier, où l’abstention a atteint un taux record pour des élections municipales (36,45% au premier tour), et alors que l’UMP est sortie grand vainqueur du scrutin et le FN largement renforcé. Les annonces en faveur du patronat se sont succédées, en 2013 comme en 2014 : compensation de la hausse de cotisation de retraite, amélioration du statut fiscal et social des jeunes entreprises innovantes, réforme sur les plus-values de cession, redistribution de milliards dans le cadre du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), fusion de l'Agence française des investissements internationaux et d'UbiFrance, promesse d’un interlocuteur unique et d'une aide de 25.000 euros pour l'implantation en France des start-up étrangères, simplification du régime de TVA applicable aux entreprises importatrices, etc. Encore le 28 avril dernier, Olivier Besancenot, ex-porte-parole du NPA, déclarait sur Canal + : « Le gouvernement fait une révolution fiscale. Simplement, ce n'est pas celle qui est prévue. C'est une révolution à l'envers. [Un seul exemple de] mesure annoncée par Valls : la diminution (encore) de l'impôt sur le bénéfice des sociétés, avec une mesure qui est passée presqu'inaperçue. [...] L'abolition de la C3S, la Contribution Sociale de Solidarité des Sociétés, qui concerne quand même les plus grosses entreprises, celles qui ont un chiffre d'affaires de plus de 750.000 euros... C'est un cadeau de six ou sept milliards d'euros. »

Toutes ces mesures confortent la voie adoptée par le Parti socialiste. Elles surviennent après une première année de présidence Hollande marquée par l’échec total des renégociations tentées par le chef de l’État à Bruxelles concernant la politique de rigueur budgétaire imposée par l’Union européenne. En dépit des grandes phrases du candidat socialiste en 2011 et 2012, la mise en concurrence des services publics européens, les politiques de rigueur budgétaire et l’ouverture du marché européen au libre-échange mondialisé restent de mise.

Pire, les négociations pour l'établissement d'une zone de libre-échange entre les États-Unis et l’Union européenne, conduites dans la plus grande opacité, se sont amorcées en juin 2013 avec l’aval de tous les gouvernements européens, y compris celui de la France. Fiers de pouvoir dire que l’audiovisuel ne serait pas concerné par ces négociations, les Français sacrifiaient alors les autres secteurs de l’économie (industrie, agriculture, etc.) sur l’autel du libre-échange mondialisé. Après les critères de Maastricht sur la stabilité budgétaire (sous François Mitterrand) et la concurrence libre et non-faussée confortée par le Traité d’Amsterdam et celui de Nice (sous Lionel Jospin), la gauche nous offre à nouveau un joli cadeau, en contradiction totale avec ses idéaux originels. Mais c'est sûrement ce qu'on aime avec le Parti socialiste : sans jamais nous annoncer la couleur de sa politique, il ne nous offre que des surprises. Dernier signal négatif en date sur ces négociations avec les Américains : alors qu’Arnaud Montebourg réclamait le portefeuille du Commerce extérieur (pour mieux remettre en cause l'accord de libre-échange, on suppose), celui-ci est finalement revenu à Laurent Fabius.

Et ces surprises successives ne sont rendues possibles que par une inconstance idéologique chronique, doublée à présent d’une incompétence évidente dans la gestion des affaires. Les « réformes » sont annoncées et mises en œuvre sans prendre le temps de la réflexion quant à leurs impacts concrets sur notre système national de redistribution et de solidarité et sur la vie des gens. Exemple le plus frappant de cette évolution dangereuse : pour la première fois depuis 1944 (à croire qu’il fallait attendre un gouvernement « de gauche » pour cela !), les grandes entreprises vont être exonérées des cotisations familiales. Un cadeau de 30 milliards d’euros qui pourrait mettre à mal l’une des trois branches de la Sécurité sociale. Un chiffre à mettre en perspective avec les 50 milliards d’économie sur les dépenses de l’État qu’a annoncé la présidence Hollande il y a quelques mois et que vient d’acter le gouvernement Valls, en dépit d’une brève fronde de quelques députés socialistes.

C'est dans les clivages sur les thèmes de société que se trouvent encore des différences entre le PS et l'UMP.

C'est dans les clivages sur les thèmes de société que se trouvent encore des différences entre le PS et l'UMP.

Quand l’inconstance idéologique et l’opportunisme politicien ne paient plus

La présidence Sarkozy avait tenté de marquer les esprits par son activisme politique ; celui-ci s’est en fait souvent résumé à une certaine agitation médiatique couplée d’une profusion de textes législatifs (notamment dans les domaines judiciaire et sécuritaire), dont le nombre valait bien leur inefficacité. Cette stratégie de la fumée sans feu n’a pas empêché Nicolas Sarkozy d’être battu (certes sur le fil, mais battu tout de même) par quelqu’un d’aussi peu charismatique et entraînant que François Hollande.

À présent, le chef de l'État suit une stratégie semblable à celle de son prédécesseur, mais avec un bilan électoral à la mesure du peu d’engouement que suscite le personnage. L’absence de résultats politiques et économiques ne peut être compensée par des discours emphatiques, prononcés sans conviction et sans aucun fond idéologique. « Révolution fiscale », « choc de simplification », « boîte à outil », « pacte de responsabilité », « gouvernement de combat »… Ces formules n’évoquent aucune rupture majeure et ne sont plus à même d’inverser les tendances observées depuis deux ans dans l’opinion publique.

Car de fait, la présidence Hollande semble savoir aussi bien que vous et moi (c’est-à-dire pas du tout) vers quelle direction elle dirige le pays. Nous naviguons à l’aveugle au rythme des tâtonnements du gouvernement, au rythme de ses contradictions, comme l’illustre d’ailleurs parfaitement sa composition actuelle. Quelle cohérence trouve-t-on dans une équipe dirigée par Manuel Valls, incarnation de l’aile droite du PS, mais où le ministre de l’économie se nomme Arnaud Montebourg ? Que dira ce dernier, qui a mené sa campagne durant la primaire socialiste de 2011 sur la thématique de la « démondialisation », lorsqu’il devra, au nom de la France, valider les accords de libre-échange UE-États-Unis négociés par le Commissaire européen en charge du Commerce extérieur ? Que fera Christiane Taubira, Garde des Sceaux, lorsqu’elle entrera en conflit avec son Premier ministre sur des sujets où leurs opinions divergent de façon notoire, comme la réforme de la politique pénale ? Ce gouvernement « resserré » reflète l’inconstance idéologique du Parti socialiste. Il ne sert que les plans de carrière des uns et des autres.

L’inconstance est encore plus évidente si l’on reprend la liste des quelques rares éléments réellement « de gauche » qui étaient annoncés par le candidat Hollande, en 2011 et 2012. Au cours de la première année de son mandat, le fameux « coup de pouce » donné au SMIC n’a finalement pas dépassé 2,3% de hausse. Dès 2013, le projet de tranche d’imposition (exceptionnelle, c’est-à-dire limitée dans le temps) de 75% sur la part des revenus dépassant un million d’euros par an a été successivement rejeté par le Conseil constitutionnel (pour des lacunes législatives indignes d'un parti de gouvernement) et alteré dès 2013, alors qu’il représentait l'une des promesses les plus symboliques du candidat socialiste pendant la campagne présidentielle. Le report en février dernier de la Loi sur la famille, après une énième manifestation du collectif de la Manif Pour Tous, a entraîné un abandon de la Procréation Médicalement Assistée, pourtant mentionnée dans le programme socialiste. Enfin, avec une majorité fragilisée, des réformes aussi sensibles que le droit de vote des étrangers extra-communautaires aux élections locales, qui nécessiterait une consultation de l'Assemblée nationale et du Sénat réunis en Congrès, ont depuis longtemps été rayées de l’agenda du gouvernement.

Il y avait sans doute matière à rire quand, suite aux résultats dramatiques du Parti socialiste aux élections municipales, François Hollande déclarait avoir « compris le message des Français », avant d’annoncer la nomination de Manuel Valls à la tête du gouvernement. Le président de la République a semble-t-il bien compris le message des Français, qu’ils soient allés voter ou non : ils voulaient que Manuel Valls soit nommé Premier ministre, et que l’orientation libérale et l’austérité budgétaire soient confortées.

Peut-être François Hollande a-t-il été, par le passé, un stratège politique méticuleux et efficace, mais il y a de quoi s’étonner de la stupidité de ses décisions depuis son accession à la présidence. À se demander si ses erreurs ne sont pas calculées, peut-être pour favoriser une montée du Front national autant que pour fragiliser un rival gênant (Manuel Valls), lors des élections européennes à venir. Pour 2017, le chef de l’État semble miser sur une crise de leadership à l’UMP et sur une montée de l’extrême-droite qui lui permettraient soit une réélection facile face à Marine Le Pen, soit une victoire à l’arrachée face au candidat UMP, quel qu’il soit – un scénario que pourrait compliquer sérieusement un retour de Nicolas Sarkozy, si celui-ci revient renforcé par le manque de résultats de son successeur et par l’absence d’alternative à la tête de l’UMP. Aux yeux de Hollande, une perte à terme (au fil des législatives partielles qui ponctuent son mandat) de sa faible majorité PS à l’Assemblée nationale pourrait même entraîner, après des élections européennes ou régionales désastreuses, un scrutin anticipé qui amènerait l’UMP au pouvoir : une cohabitation qui faciliterait alors sa réélection en 2017. Un scénario rendu plausible par la contestation croissante de certains députés socialistes (souvent proches de Martine Aubry).

La stratégie s'est déjà avérée gagnante par le passé, lorsque Jacques Chirac a envoyé Édouard Balladur à la tête du gouvernement, en 1993-1995, ou lorsque la cohabitation de 1997-2002 a entraîné la perte de Lionel Jospin dès le premier tour en 2002. Mais même sans aller jusqu’à ce scénario un peu poussé, il est clair que la stratégie de François Hollande semble être assurément perdante. Depuis 2012, toutes les élections législatives partielles se sont avérées catastrophiques pour le Parti socialiste : sur huit élections, sept ont été remportées par l’UMP et une par l’UDI, et le PS s’est même parfois retrouvé exclu du second tour. Après plusieurs défaites sur le fil lors de ces scrutins (dans l'Oise et dans le Lot-et-Garonne), le Front national a finalement remporté, le 13 octobre dernier, l’élection cantonale partielle de Brignolles, dans le Var.

Dans un sondage Ifop pour Ouest-France paru le mois dernier, François Hollande, avec 18% d’intentions de vote, ne passerait même pas le premier tour de l’élection présidentielle ; seuls les candidats UMP et FN seraient présents au second tour, que le candidat de droite soit Nicolas Sarkozy (31% au premier tour) ou Alain Juppé (30%) – Marine Le Pen recueillerait environ un quart des suffrages. Avec toute la précaution que suppose la lecture d’un tel sondage, à trois ans de la prochaine élection présidentielle, la gauche est tout de même en droit de s’inquiéter sérieusement. La courbe du chômage est encore loin de s'inverser en dépit des multiples promesses en ce sens en 2013, et la côte de popularité de François Hollande est la plus faible jamais atteinte par un chef de l’État sous la Vème République (entre 13 et 21% d’opinions favorables selon les instituts de sondage). Autant de tendances devant lesquelles l'exécutif semble sans réaction.

Par ses décisions, la présidence Hollande continue à creuser le fossé entre le peuple et le pouvoir, et semble de plus en plus déconnectée de la réalité...

Par ses décisions, la présidence Hollande continue à creuser le fossé entre le peuple et le pouvoir, et semble de plus en plus déconnectée de la réalité...

Pourrissement du climat politique et sclérose intellectuelle ambiante

L’abandon par le Parti socialiste des fondamentaux idéologiques qui ont fait jadis sa force, outre de favoriser sa chute en ne répondant absolument pas aux différents « avertissements » électoraux des Français, est catastrophique pour l’ensemble de la gauche, et la condamne à de la figuration médiatico-politique ; sans le relai du Parti socialiste dans le débat public, les idées des courants de la gauche radicale n’ont aucune chance d’être entendues, et donc d’entraîner un clivage idéologique susceptible de leur donner un poids électoral. Le discours du Front de gauche, d’Europe Ecologie-Les Verts, ou encore du NPA, d’emblée décrédibilisé par une classe médiatique adepte (dans sa majorité) de la « pensée unique » (pour faire bref : pro-libérale et pro-européenne sur le plan économique), n’a dès lors plus d’écho, contrairement à celui du FN dont la percée depuis les années 1980 pousse la droite (RPR hier, UMP aujourd’hui) à une surenchère sur les thématiques de la nation, de l’immigration et de la sécurité.

Seuls les partis adoubés par les médias sont créateurs d’opinion, et à peine le FN commence-t-il à l’être également (avec une grande aide de l’UMP) à force de ras-le-bol général vis-à-vis des partis de gouvernement. En tournant le dos aux catégories populaires (rurales et périurbaines notamment) et en confirmant son ancrage dans les lignes économiques d'une Union européenne de plus en plus impopulaire, la majorité actuelle compromet ses chances de réélection tout en participant à la sclérose intellectuelle ambiante qui établit les évolutions macro-économiques actuelles (financiarisation de l'économie, privatisations, libre-échange mondialisé…) comme des phénomènes irréversibles et sur lesquels la sphère politique n’a plus d’emprise. Dernier exemple en date : la révolte d’Arnaud Montebourg contre la vente des activités Énergie d’Alstom à l’américain General Electric, en ne dépassant pas le stade du verbe, a vocation à rester vaine.

Marginaliser l’extrême-gauche sur le plan des idées, et finir de convaincre les citoyens que la sphère économique conditionne désormais l’action politique et non l’inverse : c’est aussi cela, le bilan de la présidence Hollande.

Tag(s) : #Politique
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