C'était il y a un an, jour pour jour. Le Premier ministre grec Aléxis Tsípras organisait, à la suite de l'échec des discussions avec les créanciers européens et internationaux, un référendum portant sur le socle de
– il s'agissait alors du troisième . Avec la consultation 3 juillet 2015, à peine plus d'une semaine après, un accord sur un nouveau plan d’austérité devant ouvrir la voie à un réaménagement de la dette grecque était accepté bon gré mal gré par Athènes, soumise à une pression sans précédent et à un risque de faillite.Un an après, force est de constater que les mesures d'austérité se succèdent en Europe, et que les dirigeants de l'Union n'ont toujours pas pris conscience de l'insatisfaction de leurs concitoyens, pas plus que de l'inefficacité de leur orientation économique.
Dans la nuit du 24 au 25 mai dernier, après une dizaine d'heures de négociations, un nouvel accord a été trouvé à Bruxelles entre le gouvernement grec et la « troïka » – terme désignant le trio composé du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Commission européenne – sur deux sujets majeurs : le déblocage de nouvelles tranches de prêts à Athènes, et un allègement de la dette grecque. En conséquence, une tranche de prêts de 7,5 milliards d'euros a été déboursée dès juin, et une autre de 2,8 milliards d'euros le sera cet automne. La suite logique, pour un total de 10,3 milliards, du troisième plan d'aide de 86 milliards d'euros qui avait été validé le 13 juillet 2015, en dépit du référendum grec
.L'objectif : éviter à l'État grec un défaut de paiement, alors qu'il était à nouveau en manque de liquidités et qu'il doit rembourser, courant juillet, plus de trois milliards d'euros à la Banque centrale européenne. Évidemment, les conditions de cette « aide » demeurent la privatisation de plusieurs actifs publics par le gouvernement Tsípras, notamment dans le secteur de l'énergie. Peu de choses ont changé depuis le début de la crise en 2008 : on conserve les mêmes recettes et on continue !
Le gouvernement grec peut au moins se targuer d'avoir obtenu un allègement de l'énorme dette du pays (180% du PIB), concession qu'il a obtenu de l'Eurogroupe, mais qui n'est garantie que jusqu'à la fin de l'année 2018, c'est-à-dire à la fin du calendrier du troisième plan d'aide
. En outre, la perspective éventuelle de nouvelles mesures de restructuration de la dette ne se posera qu'à la fin du programme initié en juillet 2015. Une carotte minuscule qui ne fait pas illusion sur le bâton qui continue de faire son office. Lorsqu'avait été adopté l'accord relatif au deuxième un abandon par les banques privées de 50% de la dette publique qu'elles détenaient. Des pas importants mais toujours insuffisants, alors que l'extrême-gauche grecque réclame depuis des années une restructuration profonde de la dette du pays, voire son annulation partielle.En mars 2015, Zoé Konstantopoulou, alors
lançait justement, à Athènes, une commission d'audit pourAléxis Tsípras a-t-il trahi ses promesses ?
Yánis Varoufákis, en Grèce, et Jean-Luc Mélenchon, en France, ont répété à tort et à travers, dans les médias, se désolidariser des choix – il démissionnait le lendemain du référendum, afin d'apaiser les discussions avec la Troïka – confirmait avoir préparé, dans le plus grand secret, un système de paiement parallèle impliquant le piratage de l'administration fiscale grecque, afin de mettre en circulation des drachmes virtuelles pour pallier une éventuelle coupure des liquidités par la BCE. Nous envisagions de créer, clandestinement, des comptes de réserves liés à chaque numéro fiscal, sans le dire à personne, expliquait alors Varoufákis, ajoutant que, sans pour autant avoir prôné une sortie de l'euro, le ministère grec des Finances se serait rendu coupable de négligence s'il n'avait pas tenté d'élaborer des plans d'urgence
Si on est en position d'espérer un changement radical de politique suite à l'arrivée au pouvoir de forces de gauche, il peut apparaître légitime de dénoncer une supposée trahison du gouvernement Tsípras par rapport à ses promesses initiales et vis-à-vis de son camp. Mais il est un peu facile de s'ériger en juge quand, comme Varoufákis depuis le 6 juillet 2015, et comme Mélenchon, on n'est pas en en charge du pouvoir. Tsípras a en fait cherché à négocier avec les moyens dont dispose un pays représentant moins de 2% du PIB de la Zone euro, c'est-à-dire en se servant de l'outil du référendum pour faire pressions sur les interlocuteurs de la Troïka. Une fois acculé, il n'a pas voulu prendre le risque d'une sortie précipitée de la monnaie unique, qui aurait constitué un « saut dans l'inconnu » et potentiellement une crise sociale terrible, avec des défauts de paiement en série, et un écroulement du système bancaire grec. Cette séquence a démontré qu'un pays comme la Grèce, seul, n'a tout bonnement pas les moyens de réorienter la politique économique de l'Union européenne et les règles budgétaires établies depuis le traité de Maastricht (1992). C'est donc mis au pied du mur que Tsípras a accepté l'accord induisant de nouvelles mesures d'austérité, comme il l'expliquait devant des journalistes grecs, une fois revenu à Athènes : « J'assume la responsabilité de mes erreurs et omissions. Mais il était de ma responsabilité de signer un accord. Même si je n'y adhère pas personnellement. Je n'avais pas le choix. » À aucun moment, le gouvernement allemand, la Commission européenne la BCE ou le FMI n'ont semblé envisager de changer de posture vis-à-vis de la Grèce
appliquées à l'État grec, ainsi que sur sa solvabilité. Plus inquiétant, le 3 avril 2016, Wikileaks révélait une conversation entre deux responsables du FMI, où ils se montrent prêts, pour obtenir un accord européen et imposer les réformes souhaitées à Athènes, à aller jusqu'à pousser le pays à la faillite. Déjà le 20 mars 2015, sur RMC/BFM-TV, Jean-Luc Mélenchon dénonçait l'autoritarisme de Wolfgang Schäuble, ministre allemand des Finances, qui a imposé ses vues économiques au risque de voir la Grèce à terme en dehors de l’euro . Et l'ancien leader du Front de Gauche d'ajouter alors : manœuvreLes élections anticipées du 20 septembre 2015 ont confirmé la confiance des électeurs à l'égard de Syriza, qui a obtenu 35,46% des suffrages exprimés, contre 36,34% en janvier de la même année. Son petit allié de la droite souverainiste, le parti des Grecs Indépendants (ANEL), en baissant à peine, passant de 4,75% des voix à 3,69%, se maintenait au Parlement, ce qui a permis une reconduction de leur coalition gouvernementale.
Syriza est donc sorti plutôt conforté par ce scrutin, qui a sanctionné celles et ceux qui souhaitaient jouer les jusqu’au-boutistes avec l’Union européenne. Quant au parti Unité Populaire,Le bilan politique de Tsípras, au lendemain de cette élection, est en fait assez ambigu. Rappelons que l'arrivée au pouvoir de Syriza, avec de nouveaux visages, des figures jeunes issues de la société civile, avait eu un mérite pour la Grèce : remettre en cause la perpétuelle alternance entre Pasok et Nouvelle Démocratie, caractérisée par la sclérose intellectuelle, par le non-renouvellement des élites et par l’émergence de véritables « dynasties » au sein de ces deux formations (Papandréou au Pasok, Karamanlís à Nouvelle Démocratie). Toutefois, si le rapport de force n'a pas connu de modification majeure entre les scrutins de janvier et de septembre 2015, le taux de participation, en passant de 63,87% à 56,57% des électeurs inscrits en huit mois, soulignait plutôt la désillusion des citoyens grecs vis-à-vis de Syriza, leur désespoir face à la posture obstinée de la Troïka, ainsi que leur lassitude devant le comportement des dirigeants européens, qui avaient fait la preuve de leur mépris pour la démocratie. Le renouvellement de la classe politique qu'a symbolisé l'entrée au Parlement de Syriza à partir de 2012 faisait espérer une nouvelle dynamique citoyenne, mais force est de constater que la percée de nouveaux mouvements comme Syriza à l'extrême-gauche, les Grecs Indépendants, ou encore Aube Dorée à l'extrême-droite, n'a pas fait revenir aux urnes ceux qui s'en sont détournés – la baisse de la participation aux législatives, continue depuis les années 80 (où le taux était supérieur à 80% des inscrits), n’ayant pas été interrompue (75% en 2004 et 2007, 70,38% en 2009, et 65,13% en mai 2012).
Depuis sa création, la Zone euro n'a fait que s'élargir. Après l'adhésion de la Slovénie en 2007, de Chypre et de Malte en 2008, et de la Slovaquie en 2009, les trois États baltes ont successivement adopté l'euro : l'Estonie en 2011, la Lettonie en 2014, et la Lituanie en 2015. Membre le 1er janvier 2001, la Grèce représente à peine plus de 3% de la population de la Zone euro, et environ 2% du PIB. La France représente quant à elle près de 20% de la population de la Zone euro, et un peu plus de 19% de son PIB – le deuxième après l'Allemagne (28% du PIB de la Zone euro).
Le contexte de plans de rigueur dans plusieurs pays d'Europe aurait dû inciter certains d'entre eux à faire pression auprès de la Commission européenne et des États les plus intransigeants (l'Allemagne en premier lieu) pour assouplir les règles de bonne tenue budgétaire, alors que la conjoncture économique mondiale supposait des investissements publics importants pour pallier ceux du privé, momentanément réduits. Mais, à la pusillanimité de la classe politique des pays concernés, s’est ajouté un dogmatisme absurde relatif au respect des critères de Maastricht (théoriquement obligatoires dans la Zone euro), ainsi qu’un rapport de force totalement déséquilibré. Parmi les États ayant adopté l’euro depuis 1999, ceux qui ont eu recours à la Troïka pour pouvoir se financer ou recapitaliser leurs banques ont presque tous connu des bouleversements politiques profonds : en Irlande (effondrement des travaillistes et des conservateurs au profit des chrétiens-démocrates libéraux) ; en Italie (percée du Mouvement Cinq Étoiles) ; mais surtout en Grèce, avec la victoire de Syriza et la débâcle du Pasok, et en Espagne, où la coalition « Unidos Podemos » n’est pas loin de faire jeu égal avec les socialistes du PSOE.
Toutefois, modifier l’orientation budgétaire de l’Europe suppose une coalition de gouvernements susceptible de contrebalancer l’entêtement d’Angela Merkel, qui refuse toute concession, alors que presqu’aucun de ces pays n’est repassé sous la barre des 3% de déficit budgétaire, ni sous celle de 60% de dette publique. Deux pays seulement ont, en Europe, une capacité d’entraînement sur d’autres États telle qu’ils peuvent mener des coalitions susceptibles de faire pression sur l’ensemble de l'Union européenne : l’Allemagne et la France. C'était également le cas du Royaume-Uni jusqu'au référendum du 23 juin, mais plus à présent. L’Italie à la rigueur se joint au lot, en sa qualité de pays-fondateur, et parce que son poids économique et démographique en fait un pilier de l’Union. Or, il n’y avait rien à attendre d’une Allemagne où Angela Merkel règne en maître depuis 2005 ; du Royaume-Uni dirigé par les conservateurs depuis 2010, qui ne partage de toute façon pas la monnaie unique, et qui est à présent sur le départ ; ni même de l’Italie qui, avec Mario Monti hier (2011-2013), et Matteo Renzi depuis 2014, applique en bon élève les leçons d’austérité et de libéralisation de l'économie imposées par l’UE.
Après la présidence Sarkozy (2007-2012), fidèle bras droit d’Angela Merkel, la promesse d’une renégociation du Pacte budgétaire européen (traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, signé en mars 2012) par le candidat Hollande avait laissé espérer aux plus optimistes (ou aux plus naïfs ?) un éventuel renversement du rapport de force au sein de la Zone euro, en défaveur de l’Allemagne. Et si tel avait été le cas, si François Hollande avait réellement cherché à réformer les traités européens et à libérer les États du carcan des restrictions budgétaires, alors l’année 2015 aurait eu un écho différent dans le paysage européen : avec l’arrivée au pouvoir d’Alexís Tsípras en Grèce, en janvier, l’alliance des gauches portugaises, en octobre, et, en décembre, la percée d’un Podemos potentiellement
faiseur de rois en Espagne, la configuration partisane de l'Union aurait été bouleversée. Mais rien de tout cela. En France, la majorité socialiste s'est réjouie de la modération avec laquelle François Hollande a appuyé Angela Merkel lors des négociations difficiles entre la Troïka et le gouvernement grec, entre février et juillet 2015 ; le président français avait fait entendre sa voix, à sa manière... Voilà où nous en sommes. Loin de faire jouer une éventuelle zone d’influence « méditerranéenne » pour contrebalancer l’Allemagne et ses appuis d’Europe centrale et septentrionale (Finlande, Pays-Bas, Autriche, Slovaquie, etc.), la France continue à jouer le rôle de toutou du gouvernement Merkel. Et compte tenu des élections qui se profilent pour 2017, avec, en Allemagne, une réélection d’Angela Merkel, et, en France, probablement un Alain Juppé, un François Fillon ou un Nicolas Sarkozy élu, ou, moins probable, un François Hollande réélu, avec de tels scénarios, inutile d’espérer un quelconque changement de politiques européennes.
Contrairement à leurs promesses électorales, les présidents Sarkozy puis Hollande n'ont pas rééquilibré les rapports de force européens en faveur de la France. Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, l’Union pour la Méditerranée (2008), mal pensée dès ses débuts, visait à redynamiser les relations de la France avec une zone d’influence où elle était susceptible de devenir prédominante. Mais ce projet avait très vite vu ses ambitions réduites face aux réticences d'Angela Merkel. Sous la présidence Hollande, la renégociation du Pacte budgétaire européen (signé le 2 mars 2012) ne fait finalement pas long feu. Tout comme Nicolas Sarkozy en 2011, la passivité de François Hollande a permis à l'Allemagne, à la BCE et à la Commission de maintenir, courant 2015, une posture inflexible.
L'Union européenne, une grosse machine sclérosée
es Français ont obtenu que soit mentionné le début des travaux sur une garantie des dépôts qui, si elle voyait le jour, constituerait une meilleure protection des épargnants, et une plus grande solidarité entre Européens ; les Allemands, quant à eux, ont su imposer leur priorité, à savoir la poursuite de l'assainissement du bilan des banques en Europe se rejoue l'opposition classique des Allemands, des Néerlandais et des Finlandais, plus en faveur de la réduction des risques que de leur partage, et les pays du Sud, qui préfèrent qu'on envisage les deux (partage et réduction des risques) en parallèle. Bref, le chantier est loin d'être terminé, et illustre la difficulté du mastodonte européen à se réformer