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Par David Brites.

C'était il y a un an, jour pour jour. Le Premier ministre grec Aléxis Tsípras organisait, à la suite de l'échec des discussions avec les créanciers européens et internationaux, un référendum portant sur le socle de « réformes » que ces derniers souhaitaient imposer à son pays il s'agissait alors du troisième « plan d'aide » négocié avec la Grèce depuis 2010. Avec un « non » sans appel au plan d'austérité, à hauteur de 61,31 % des suffrages exprimés, le résultat de la consultation semblait renforcer la posture du gouvernement grec. Pourtant, le 13 juillet 2015, à peine plus d'une semaine après, un accord sur un nouveau plan d’austérité devant ouvrir la voie à un réaménagement de la dette grecque était accepté bon gré mal gré par Athènes, soumise à une pression sans précédent et à un risque de faillite. Comme un symbole, ce naufrage de la démocratie européenne survenait presqu'une décennie jour pour jour après le rejet du traité établissant une Constitution européenne par les Français, le 29 mai 2005.

Un an après, force est de constater que les mesures d'austérité se succèdent en Europe, et que les dirigeants de l'Union n'ont toujours pas pris conscience de l'insatisfaction de leurs concitoyens, pas plus que de l'inefficacité de leur orientation économique.

Dans la nuit du 24 au 25 mai dernier, après une dizaine d'heures de négociations, un nouvel accord a été trouvé à Bruxelles entre le gouvernement grec et la « troïka » – terme désignant le trio composé du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Commission européenne – sur deux sujets majeurs : le déblocage de nouvelles tranches de prêts à Athènes, et un allègement de la dette grecque. En conséquence, une tranche de prêts de 7,5 milliards d'euros a été déboursée dès juin, et une autre de 2,8 milliards d'euros le sera cet automne. La suite logique, pour un total de 10,3 milliards, du troisième plan d'aide de 86 milliards d'euros qui avait été validé le 13 juillet 2015, en dépit du référendum grec – une première tranche de plus de 20 milliards avait déjà été versée à l'automne 2015.

L'objectif : éviter à l'État grec un défaut de paiement, alors qu'il était à nouveau en manque de liquidités et qu'il doit rembourser, courant juillet, plus de trois milliards d'euros à la Banque centrale européenne. Évidemment, les conditions de cette « aide » demeurent la privatisation de plusieurs actifs publics par le gouvernement Tsípras, notamment dans le secteur de l'énergie. Peu de choses ont changé depuis le début de la crise en 2008 : on conserve les mêmes recettes et on continue !

Le gouvernement grec peut au moins se targuer d'avoir obtenu un allègement de l'énorme dette du pays (180% du PIB), concession qu'il a obtenu de l'Eurogroupe, mais qui n'est garantie que jusqu'à la fin de l'année 2018, c'est-à-dire à la fin du calendrier du troisième plan d'aide – le processus passera par des opérations très techniques de rachats et de levées obligataires européens. En outre, la perspective éventuelle de nouvelles mesures de restructuration de la dette ne se posera qu'à la fin du programme initié en juillet 2015. Une carotte minuscule qui ne fait pas illusion sur le bâton qui continue de faire son office. Lorsqu'avait été adopté l'accord relatif au deuxième « plan d'aide » à la Grèce, en octobre 2011, la Troïka avait déjà négocié avec le gouvernement d'Athènes, alors dirigé par le socialiste Giórgios Papandréou, un abandon par les banques privées de 50% de la dette publique qu'elles détenaient. Des pas importants mais toujours insuffisants, alors que l'extrême-gauche grecque réclame depuis des années une restructuration profonde de la dette du pays, voire son annulation partielle.

En mars 2015, Zoé Konstantopoulou, alors présidente du Parlement grec, lançait justement, à Athènes, une commission d'audit pour « analyser l'origine et l'historique de la dette grecque ». Composée d'experts et de représentants de la société civile et des mouvements sociaux, elle avait pour objectif d'analyser la provenance de la dette et les raisons de son augmentation, en déterminant notamment si une partie était liée à des affaires de corruption, à des taux d'intérêts excessifs, ou à des prises de décision qui n'allaient pas dans le sens de l'intérêt général. Un an plus tard, le 1er mars 2016, une rencontre intitulée « Restructuration de la dette Rencontre de la démocratie » s'est tenue à Bruxelles, en présence de nombreux membres de cette commission. Alors que tous les pays européens soumis à des « mémorandums » (des plans d'austérité) ont l'obligation de faire un audit de leur dette publique (Règlement 472/2013 relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États, imposé par l'UE il y a trois ans), Zoé Konstantopoulou a alors déploré que, soumis aux pressions de la Troïka, le gouvernement Tsípras adoptait désormais une posture négative vis-à-vis de la commission d'audit sur la dette, constatant que « le rapport de la Commission pour la vérité sur la dette grecque a effrayé les créanciers ». Rappelons que la Grèce est pour l'instant le seul pays de l'UE à avoir initié un tel audit, et curieusement, les institutions européennes n'évoquent jamais cette obligation. « Une partie de [la] dette est illégitime ou illégale, concluait encore Konstantopoulou, dès juin 2015. En ce qui concerne les cas de corruption, certaines affaires sont déjà connues et impliquent les précédents gouvernements grecs. Mais souvent, elles concernent aussi des entreprises allemandes », comme Siemens, accusée d'avoir versé des pots-de-vin à plusieurs partis politiques.

Siège de la Commission européenne, à Bruxelles.

Siège de la Commission européenne, à Bruxelles.

Aléxis Tsípras a-t-il trahi ses promesses ?

Yánis Varoufákis, en Grèce, et Jean-Luc Mélenchon, en France, ont répété à tort et à travers, dans les médias, se désolidariser des choix d'Aléxis Tsípras et du ministre des Finances en place en Grèce depuis juillet 2015, Euclide Tsakalotos. Pourtant, Varoufákis comme Mélenchon ont également dénoncé le chantage de la Troïka, et en particulier de la Banque centrale européenne, auprès du gouvernement grec, acculé devant des impératifs sociaux et financiers dramatiques. En effet, pourtant fort du résultat du référendum dont il avait été à l'initiative, Tsípras a été contraint d'accepter l'accord imposé par ses partenaires internationaux et européens, la BCE menaçant de « couper les liquidités » d'urgence aux banques grecques. Son pays se retrouvait ainsi confronter à un risque clair de faillite, de défaut de paiement. Surtout, l'éventualité d'une sortie de la monnaie unique se posait de façon trop précipitée pour apparaître comme une alternative crédible. Cela, même Yánis Varoufákis en a convenu depuis, dans divers interviews. D'ailleurs, dès le 27 juillet 2015, celui qui a été ministre des Finances du gouvernement Tsípras jusqu'au 6 juillet – il démissionnait le lendemain du référendum, afin d'apaiser les discussions avec la Troïka – confirmait avoir préparé, dans le plus grand secret, un système de paiement parallèle impliquant le piratage de l'administration fiscale grecque, afin de mettre en circulation des drachmes virtuelles pour pallier une éventuelle coupure des liquidités par la BCE. « Nous envisagions de créer, clandestinement, des comptes de réserves liés à chaque numéro fiscal, sans le dire à personne, expliquait alors Varoufákis, ajoutant que, sans pour autant avoir prôné une sortie de l'euro, le ministère grec des Finances se serait rendu coupable de négligence s'il n'avait pas tenté d'élaborer des plans d'urgence ».

Si on est en position d'espérer un changement radical de politique suite à l'arrivée au pouvoir de forces de gauche, il peut apparaître légitime de dénoncer une supposée trahison du gouvernement Tsípras par rapport à ses promesses initiales et vis-à-vis de son camp. Mais il est un peu facile de s'ériger en juge quand, comme Varoufákis depuis le 6 juillet 2015, et comme Mélenchon, on n'est pas en en charge du pouvoir. Tsípras a en fait cherché à négocier avec les moyens dont dispose un pays représentant moins de 2% du PIB de la Zone euro, c'est-à-dire en se servant de l'outil du référendum pour faire pressions sur les interlocuteurs de la Troïka. Une fois acculé, il n'a pas voulu prendre le risque d'une sortie précipitée de la monnaie unique, qui aurait constitué un « saut dans l'inconnu » et potentiellement une crise sociale terrible, avec des défauts de paiement en série, et un écroulement du système bancaire grec. Cette séquence a démontré qu'un pays comme la Grèce, seul, n'a tout bonnement pas les moyens de réorienter la politique économique de l'Union européenne et les règles budgétaires établies depuis le traité de Maastricht (1992). C'est donc mis au pied du mur que Tsípras a accepté l'accord induisant de nouvelles mesures d'austérité, comme il l'expliquait devant des journalistes grecs, une fois revenu à Athènes : « J'assume la responsabilité de mes erreurs et omissions. Mais il était de ma responsabilité de signer un accord. Même si je n'y adhère pas personnellement. Je n'avais pas le choix. » À aucun moment, le gouvernement allemand, la Commission européenne la BCE ou le FMI n'ont semblé envisager de changer de posture vis-à-vis de la Grèce – même si le Fonds monétaire international a un temps exprimé des réserves sur la pertinence économique des mesures d'austérité appliquées à l'État grec, ainsi que sur sa solvabilité. Plus inquiétant, le 3 avril 2016, Wikileaks révélait une conversation entre deux responsables du FMI, où ils se montrent prêts, pour obtenir un accord européen et imposer les réformes souhaitées à Athènes, à aller jusqu'à pousser le pays à la faillite. Déjà le 20 mars 2015, sur RMC/BFM-TV, Jean-Luc Mélenchon dénonçait l'autoritarisme de Wolfgang Schäuble, ministre allemand des Finances, qui a imposé ses vues économiques au risque de voir la Grèce à terme « en dehors de l’euro ». Et l'ancien leader du Front de Gauche d'ajouter alors : « Je ne soupçonne pas les Grecs de vouloir sortir de l’euro, je soupçonne le gouvernement allemand d’avoir un plan B. Et je le soupçonne [d']annexer économiquement l’Europe et de vouloir se créer sa propre petite zone monétaire. » On voit bien que, face à l'obstination dramatique de ses interlocuteurs, la marge de manœuvre du Premier ministre grec a été fortement limitée.

Les élections anticipées du 20 septembre 2015 ont confirmé la confiance des électeurs à l'égard de Syriza, qui a obtenu 35,46% des suffrages exprimés, contre 36,34% en janvier de la même année. Son petit allié de la droite souverainiste, le parti des Grecs Indépendants (ANEL), en baissant à peine, passant de 4,75% des voix à 3,69%, se maintenait au Parlement, ce qui a permis une reconduction de leur coalition gouvernementale. Le principal parti d'opposition, Nouvelle Démocratie (droite), stagnait à 28%, tandis que les socialistes du Pasok retardaient encore un peu leur disparition, en conservant quelques députés (4,68% des voix en janvier, 6,28% en septembre). Syriza est donc sorti plutôt conforté par ce scrutin, qui a sanctionné celles et ceux qui souhaitaient jouer les jusqu’au-boutistes avec l’Union européenne. Même si les électeurs reconnaissaient à Alexís Tsípras de s'être réellement opposé au diktat de la Troïka, redonnant momentanément au peuple grec un semblant de dignité, ils validaient aussi sa prudence dans la dernière séquence des négociations. Quant au parti Unité Populaire, fondé le 21 août 2015 en dissidence de Syriza (pour dénoncer la « capitulation » de Tsípras), il n'est même pas parvenu, avec 2,86% des voix, à passer la barre des 3% nécessaire pour entrer au Parlement.

Le bilan politique de Tsípras, au lendemain de cette élection, est en fait assez ambigu. Rappelons que l'arrivée au pouvoir de Syriza, avec de nouveaux visages, des figures jeunes issues de la société civile, avait eu un mérite pour la Grèce : remettre en cause la perpétuelle alternance entre Pasok et Nouvelle Démocratie, caractérisée par la sclérose intellectuelle, par le non-renouvellement des élites et par l’émergence de véritables « dynasties » au sein de ces deux formations (Papandréou au Pasok, Karamanlís à Nouvelle Démocratie). Toutefois, si le rapport de force n'a pas connu de modification majeure entre les scrutins de janvier et de septembre 2015, le taux de participation, en passant de 63,87% à 56,57% des électeurs inscrits en huit mois, soulignait plutôt la désillusion des citoyens grecs vis-à-vis de Syriza, leur désespoir face à la posture obstinée de la Troïka, ainsi que leur lassitude devant le comportement des dirigeants européens, qui avaient fait la preuve de leur mépris pour la démocratie. Le renouvellement de la classe politique qu'a symbolisé l'entrée au Parlement de Syriza à partir de 2012 faisait espérer une nouvelle dynamique citoyenne, mais force est de constater que la percée de nouveaux mouvements comme Syriza à l'extrême-gauche, les Grecs Indépendants, ou encore Aube Dorée à l'extrême-droite, n'a pas fait revenir aux urnes ceux qui s'en sont détournés – la baisse de la participation aux législatives, continue depuis les années 80 (où le taux était supérieur à 80% des inscrits), n’ayant pas été interrompue (75% en 2004 et 2007, 70,38% en 2009, et 65,13% en mai 2012).

Depuis sa création, la Zone euro n'a fait que s'élargir. Après l'adhésion de la Slovénie en 2007, de Chypre et de Malte en 2008, et de la Slovaquie en 2009, les trois États baltes ont successivement adopté l'euro : l'Estonie en 2011, la Lettonie en 2014, et la Lituanie en 2015. Membre le 1er janvier 2001, la Grèce représente à peine plus de 3% de la population de la Zone euro, et environ 2% du PIB. La France représente quant à elle près de 20% de la population de la Zone euro, et un peu plus de 19% de son PIB – le deuxième après l'Allemagne (28% du PIB de la Zone euro).

Depuis sa création, la Zone euro n'a fait que s'élargir. Après l'adhésion de la Slovénie en 2007, de Chypre et de Malte en 2008, et de la Slovaquie en 2009, les trois États baltes ont successivement adopté l'euro : l'Estonie en 2011, la Lettonie en 2014, et la Lituanie en 2015. Membre le 1er janvier 2001, la Grèce représente à peine plus de 3% de la population de la Zone euro, et environ 2% du PIB. La France représente quant à elle près de 20% de la population de la Zone euro, et un peu plus de 19% de son PIB – le deuxième après l'Allemagne (28% du PIB de la Zone euro).

La responsabilité historique de la France : quand Hollande évite le rapport de force

Le contexte de plans de rigueur dans plusieurs pays d'Europe aurait dû inciter certains d'entre eux à faire pression auprès de la Commission européenne et des États les plus intransigeants (l'Allemagne en premier lieu) pour assouplir les règles de bonne tenue budgétaire, alors que la conjoncture économique mondiale supposait des investissements publics importants pour pallier ceux du privé, momentanément réduits. Mais, à la pusillanimité de la classe politique des pays concernés, s’est ajouté un dogmatisme absurde relatif au respect des critères de Maastricht (théoriquement obligatoires dans la Zone euro), ainsi qu’un rapport de force totalement déséquilibré. Parmi les États ayant adopté l’euro depuis 1999, ceux qui ont eu recours à la Troïka pour pouvoir se financer ou recapitaliser leurs banques ont presque tous connu des bouleversements politiques profonds : en Irlande (effondrement des travaillistes et des conservateurs au profit des chrétiens-démocrates libéraux) ; en Italie (percée du Mouvement Cinq Étoiles) ; mais surtout en Grèce, avec la victoire de Syriza et la débâcle du Pasok, et en Espagne, où la coalition « Unidos Podemos » n’est pas loin de faire jeu égal avec les socialistes du PSOE.

Toutefois, modifier l’orientation budgétaire de l’Europe suppose une coalition de gouvernements susceptible de contrebalancer l’entêtement d’Angela Merkel, qui refuse toute concession, alors que presqu’aucun de ces pays n’est repassé sous la barre des 3% de déficit budgétaire, ni sous celle de 60% de dette publique. Deux pays seulement ont, en Europe, une capacité d’entraînement sur d’autres États telle qu’ils peuvent mener des coalitions susceptibles de faire pression sur l’ensemble de l'Union européenne : l’Allemagne et la France. C'était également le cas du Royaume-Uni jusqu'au référendum du 23 juin, mais plus à présent. L’Italie à la rigueur se joint au lot, en sa qualité de pays-fondateur, et parce que son poids économique et démographique en fait un pilier de l’Union. Or, il n’y avait rien à attendre d’une Allemagne où Angela Merkel règne en maître depuis 2005 ; du Royaume-Uni dirigé par les conservateurs depuis 2010, qui ne partage de toute façon pas la monnaie unique, et qui est à présent sur le départ ; ni même de l’Italie qui, avec Mario Monti hier (2011-2013), et Matteo Renzi depuis 2014, applique en bon élève les leçons d’austérité et de libéralisation de l'économie imposées par l’UE.

Après la présidence Sarkozy (2007-2012), fidèle bras droit d’Angela Merkel, la promesse d’une renégociation du Pacte budgétaire européen (traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, signé en mars 2012) par le candidat Hollande avait laissé espérer aux plus optimistes (ou aux plus naïfs ?) un éventuel renversement du rapport de force au sein de la Zone euro, en défaveur de l’Allemagne. Et si tel avait été le cas, si François Hollande avait réellement cherché à réformer les traités européens et à libérer les États du carcan des restrictions budgétaires, alors l’année 2015 aurait eu un écho différent dans le paysage européen : avec l’arrivée au pouvoir d’Alexís Tsípras en Grèce, en janvier, l’alliance des gauches portugaises, en octobre, et, en décembre, la percée d’un Podemos potentiellement « faiseur de rois » (et surtout faiseur de coalition gouvernementale) en Espagne, la configuration partisane de l'Union aurait été bouleversée. Mais rien de tout cela. En France, la majorité socialiste s'est réjouie de la modération avec laquelle François Hollande a appuyé Angela Merkel lors des négociations difficiles entre la Troïka et le gouvernement grec, entre février et juillet 2015 ; le président français avait fait entendre sa voix, à sa manière... Voilà où nous en sommes. Loin de faire jouer une éventuelle zone d’influence « méditerranéenne » pour contrebalancer l’Allemagne et ses appuis d’Europe centrale et septentrionale (Finlande, Pays-Bas, Autriche, Slovaquie, etc.), la France continue à jouer le rôle de toutou du gouvernement Merkel. Et compte tenu des élections qui se profilent pour 2017, avec, en Allemagne, une réélection d’Angela Merkel, et, en France, probablement un Alain Juppé, un François Fillon ou un Nicolas Sarkozy élu, ou, moins probable, un François Hollande réélu, avec de tels scénarios, inutile d’espérer un quelconque changement de politiques européennes.

Invité à l'émission Mots croisés sur France 2, le 9 décembre 2013, Emmanuel Todd expliquait déjà que « le principe de la concurrence, du libre-échange généralisé, dramatisé par la création de l'euro et la rigidité monétaire, a fait de l'Europe une sorte de champ de force où des nations [...] s'affrontent en termes de puissance. » Et le sociologue et démographe français d'ajouter : « L'Europe est devenue exactement le contraire de ce qu'elle était au départ. Il y a une puissance dominante qui est l'Allemagne. Il y a son brillant second, dont l'accord permet à l'Allemagne de régenter et de martyriser les pays du Sud... C'est devenu un monde hiérarchique. Parler du rapport de la France à l'Europe est ridicule. On devrait parler du rapport de la France à l'Allemagne. » Certains dans la classe politique française en parlent déjà, comme Jean-Luc Mélenchon, à gauche, ou encore Nicolas Dupont-Aignan, à droite. Et prônent d'aller au bout du rapport de force. Chez Les Républicains comme au Parti socialiste, on en est vraiment très loin.

Chercheur en sciences sociales, Thomas Piketty abonde lui-aussi dans le même sens. « On a fait les mauvais choix. Et ces mauvais choix, ce n'est pas simplement l'Allemagne, expliquait-il dans l'émission On n'est pas couché, le 7 février 2015 sur France 2. Plusieurs pays de la Zone euro, notamment la France et l'Allemagne, se sont dit : "On va imposer une cure d'austérité au Sud de l'Europe, et puis tant pis pour eux." Finalement, on paie tous les pots cassés de cette solution. [...] Il ne suffit pas de se plaindre de l'Allemagne. Il faut mettre sur la table de nouvelles propositions. Je pense que si la France et l'Italie, qui sont censées être gouvernées à gauche, au centre-gauche, tendaient la main à l'Espagne, à la Grèce, [...] je pense que l'Allemagne, à la fin des fins, serait obligée d'accepter [un compromis]. Elle aurait peur d'être mise en minorité. » Une « refonte démocratique de la Zone euro », visant à en assouplir le fonctionnement et l'orientation économique, aurait sans doute abouti à « moins d’austérité, et on aurait eu plus de croissance et moins de chômage », déclarait-t-il encore le 17 avril 2015, dans l'émission Ce soir (ou jamais !), toujours sur France 2, avant de préciser : « C’est encore possible pour l’avenir. L’Allemagne serait très tentée de dire non, sauf que vous ne pouvez pas dire non à tout. Et actuellement, c’est très facile de dire non, parce qu’il n’y a rien sur la table. Et cette absence de proposition française, cette absence de proposition italienne, c'est ça qui me désespère. »

« [Le] débat sur la sortie de l'euro est légitime, ajoutait l'auteur du Capital au XXIème siècle (2013), toujours le 17 avril 2015 sur France 2. Je ne suis pas de ceux qui disent : "On n'a pas le droit d'en parler". [...] Simplement, avant d'en arriver à cette extrémité, je pense qu'il faut mettre sur la table une solution de refondation démocratique de l'Europe. Et si [elle est] effectivement refusée par l'Allemagne, par une majorité de pays, et s'il n'est pas possible de construire cette Europe-là, alors la question se posera différemment. » Il critique ainsi ceux qui, à l'extrême-droite comme à l'extrême-gauche, réclament une sortie pure et simple de la monnaie unique : « [Le choix d'une] sortie unilatérale, sans même donner une chance à cette refondation démocratique, je ne la comprends pas. »

En bref : il faut chercher le dialogue avec nos partenaires européens, voire le débat et le rapport de force. Dans la continuité de cette posture, l'ancien leader du Front de Gauche Jean-Luc Mélenchon a déjà expliqué plusieurs fois, ces derniers mois : « S'il faut choisir entre l'euro et la souveraineté nationale, je choisis la souveraineté nationale ». Ce qui suppose un principe de dialogue, mais aussi une posture inflexible in fine sur certaines « lignes rouges » relatives aux intérêts de la France. Une posture assumée qu'il n'est pas si fréquent de voir à gauche, surtout depuis que Jean-Pierre Chevènement s'est effacé de la vie politique.

Contrairement à leurs promesses électorales, les présidents Sarkozy puis Hollande n'ont pas rééquilibré les rapports de force européens en faveur de la France. Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, l’Union pour la Méditerranée (2008), mal pensée dès ses débuts, visait à redynamiser les relations de la France avec une zone d’influence où elle était susceptible de devenir prédominante. Mais ce projet avait très vite vu ses ambitions réduites face aux réticences d'Angela Merkel. Sous la présidence Hollande, la renégociation du Pacte budgétaire européen (signé le 2 mars 2012) ne fait finalement pas long feu. Tout comme Nicolas Sarkozy en 2011, la passivité de François Hollande a permis à l'Allemagne, à la BCE et à la Commission de maintenir, courant 2015, une posture inflexible.

Contrairement à leurs promesses électorales, les présidents Sarkozy puis Hollande n'ont pas rééquilibré les rapports de force européens en faveur de la France. Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, l’Union pour la Méditerranée (2008), mal pensée dès ses débuts, visait à redynamiser les relations de la France avec une zone d’influence où elle était susceptible de devenir prédominante. Mais ce projet avait très vite vu ses ambitions réduites face aux réticences d'Angela Merkel. Sous la présidence Hollande, la renégociation du Pacte budgétaire européen (signé le 2 mars 2012) ne fait finalement pas long feu. Tout comme Nicolas Sarkozy en 2011, la passivité de François Hollande a permis à l'Allemagne, à la BCE et à la Commission de maintenir, courant 2015, une posture inflexible.

L'Union européenne, une grosse machine sclérosée

Force est de constater que la crise a déjà fait bouger quelques lignes, notamment sur les questions financières. Depuis la fin de l'année 2015, la BCE a amorcé un changement de politique sur la monnaie unique, et en mars dernier, son président Mario Draghi a fait des annonces historiques, notamment un abaissement de ses trois taux directeurs, dont le principal à zéro. Une première, et ce pour lutter contre la trop faible inflation. Une décision susceptible de satisfaire les Français, les Italiens et autres promoteurs d'une monnaie faible qui favoriserait les exportations. Toutefois, elle ne traduit nullement une amélioration de la gouvernance de la Zone euro, à peine un choix conjoncturel et quasi-unilatéral de la Banque centrale européenne.

Autre exemple de réforme : l'union bancaire a encore fait des progrès, le mois dernier. Le 17 juin, les ministres des Finances des 28 ont relancé leurs travaux pour venir à bout de ce complexe et très ambitieux mécanisme censé éviter qu'une faillite des banques ait des conséquences systémiques. Les Français ont obtenu que soit mentionné le début des travaux sur une garantie des dépôts qui, si elle voyait le jour, constituerait une meilleure protection des épargnants, et une plus grande solidarité entre Européens ; les Allemands, quant à eux, ont su imposer leur priorité, à savoir la poursuite de l'assainissement du bilan des banques en Europe. Toutefois, sur ce chantier également, les avancées sont à relativiser, puisque les ministres se sont contentés de coucher sur le papier un agenda de travail jusqu'à 2024. L'Union européenne avance à pas de nain et se contente trop souvent de discours de bonnes intentions, sur ce dossier comme sur tant d'autres. En outre, sur la question de l'union bancaire, considérée par beaucoup comme le principal saut fédéral depuis la monnaie unique, se rejoue l'opposition classique des Allemands, des Néerlandais et des Finlandais, plus en faveur de la réduction des risques que de leur partage, et les pays du Sud, qui préfèrent qu'on envisage les deux (partage et réduction des risques) en parallèle. Bref, le chantier est loin d'être terminé, et illustre la difficulté du mastodonte européen à se réformer.

Les logiques globales basées sur le libre-échange mondial et sur la rigueur budgétaire n'ont pas bougé d'un iota depuis le début de la crise. Les plans d'austérité se sont donc poursuivis en Grèce depuis ce mois agité de juillet 2015. Et l'accord du 25 mai dernier n'indique pas de changement d'attitude pour la suite. Après une première série de mesures votées dès août, le gouvernement grec adoptait, en octobre 2015, huit jours à peine après avoir obtenu la confiance du nouveau Parlement, un deuxième socle de réformes douloureuses : nouvelles coupes dans les retraites, hausses d'impôts, etc. Ces mesures « difficiles » sont nécessaires pour maintenir le pays sous perfusion financière, « ne pas perdre le train de la recapitalisation bancaire » et ouvrir avec les créanciers « la nécessaire discussion pour une réduction de la dette », avait alors plaidé le Premier ministre grec.

En dépit d'un contexte qui pourrait supposer une certaine solidarité européenne vis-à-vis du peuple grec – la gestion de flux de populations migrantes et de camps de réfugiés où s'entassent dans une situation humanitaire alarmante plusieurs dizaines de milliers de personnes – et de précédents historiques – l'annulation de la dette de la République fédérale allemande à hauteur de 60% en février 1953 –, l'Union européenne poursuit sa logique budgétaire marquée par une austérité dogmatique et socialement mortifère. Logique qui accentue pourtant de manière inéluctable le fossé entre les peuples européens et les « élites » politiques et financières.

La Commission européenne vient de déclarer l'Espagne et le Portugal en « dérapage » budgétaire et pourrait, en conséquence, annoncer rapidement une sanction, leur déficit n'étant toujours pas passé, en 2015, sous le seuil des 3% du PIB théoriquement imposé par les traités. Cette éventuelle sanction choquante quand on considère l'ampleur des efforts déjà consentis par les Portugais et les Espagnols depuis 2008 pourrait se traduire par une amende équivalente à 0,2% du PIB et par la suspension de certains fonds structurels dont bénéficient les deux pays. Bruxelles laisse un délai de trois semaines pour que les gouvernements espagnol et portugais présentent une série de mesures pour corriger leur « dérive » budgétaire. Un an après ce fameux référendum grec foulé aux pieds par la Troïka, le symbole serait terrible. À l'heure où la gauche portugaise a constitué une alliance inédite pour mettre un terme à l'austérité (suite au scrutin d'octobre 2015) et où le mouvement Podemos s'inscrit durablement dans le paysage politique espagnol (avec plus de 20% des voix aux législatives de décembre 2015 comme à celles de juin 2016), l'UE n'a toujours pas compris l'impact de ce type de posture sur la démocratie européenne, pas plus que ne l'ont d'ailleurs compris les gouvernements allemands et français. Si aucun changement dans les rapports de force intra-européens n'est à prévoir dans les années à venir, on peut supposer que les situations de désespoir social et la dégradation des rapports entre gouvernants et citoyens vont se poursuivre, accentuant par ailleurs le discrédit de la démocratie autant que de l'idéal de la construction européenne.

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