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Par David Brites.

Dans une certaine indifférence, les Français étaient appelés aux urnes hier, dimanche 11 juin, pour choisir leurs 577 députés pour les cinq années à venir. Sans surprise, La République en Marche, le mouvement du chef de l'État, a fait des scores importants et est arrivée en tête dans une majorité de circonscriptions. Les autres partis, quel qu'ait été leur score à la présidentielle, sont balayés et peuvent à peine espérer sauver les meubles. Les Républicains peuvent tabler sur un maximum de 100 à 150 députés, le Parti socialiste sur une trentaine, et quant à la France Insoumise et au Front national, ils s'en sortent bien s'ils parviennent à atteindre le seuil de 15 députés pour former un groupe à l'Assemblée.

Emmanuel Macron semble marcher sur l'eau depuis son investiture, chose d'autant plus surprenante qu'il fait toujours preuve de la même médiocrité intellectuelle que durant la campagne présidentielle : son expertise technocratique sur les questions économiques ne permet pas de pallier les carences de sa vision, mondialiste et libérale, et les problèmes qu'elle engendre. Portée par des médias béats devant ses opérations de communication, le président de la République est conforté dans la ligne idéologique qu'il a tracé pendant la présidentielle, ce qui annonce une application fidèle des directives libérales et des injonctions budgétaires de la Commission européenne. Du point de vue de la sociologie électorale, force est de constater que l'accession au pouvoir et la politique d'Emmanuel Macron répond à une volonté des élites technocratiques (accompagnées par une classe moyenne adepte du consensus mou) de voir enfin s'appliquer réellement le programme qui leur sied. Cette élite se construit contre une France périphérique qui se serait vendue au populisme, et qui est surtout le grande « perdante » de la mondialisation.

Conformément à ce qu'il avait annoncé pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron prépare un recours notable aux ordonnances, c'est-à-dire des mesures prises par le gouvernement dans des matières relevant normalement du domaine législatif, sur délégation de compétence du Parlement, mais sans que ce dernier ait droit d'amendement sur les projets de loi. Le calendrier est d'autant plus choquant que leur élaboration est déjà sur les rails, avant même que les élections législatives n'aient eu lieu. On peut soit comprendre de cette démarche que le pouvoir pense avoir déjà remporté ce scrutin (belle conception de la démocratie), soit, pire encore, que quel qu'en soit le résultat, il appliquera sa politique comme il l'entend. Ce raisonnement s'inscrit dans la logique présidentielle qui permettait par exemple à un Emmanuel Macron fraîchement élu de désigner, il y a un mois, le Premier ministre de son choix alors que la majorité à l'Assemblée demeure socialiste, et que les sondages ne prédisaient pas forcément, à l'époque, le raz-de-marée que « La République en Marche » s'apprête à connaître. La logique majoritaire suppose qu'un président élu acquiert systématiquement une majorité législative derrière, mais ce calendrier vicieux vient poser la question du rôle de l'Assemblée, qui doit se contenter de valider le programme présidentiel, et qui doit sa légitimité au président élu – elle lui est donc « redevable ». En nommant Édouard Philippe à la tête du gouvernement, alors que maintenir Bernard Cazeneuve à son poste un mois de plus était tout à fait envisageable, Emmanuel Macron est loin de renouveler la pratique politique comme son élection semblait le promettre.

Parmi les grands chantiers du gouvernement actuel, les deux principaux sont sans doute la baisse de la fiscalité et la réforme du droit du travail. Cette dernière promet une rentrée sociale mouvementée. Par exemple, alors que la loi El-khomri a permis aux entreprises de déroger aux accords de branche en matière de temps de travail, le chef de l'État veut étendre cette possibilité à de nombreux domaines, comme les salaires et les conditions de travail. Autre exemple : les dommages et intérêts versés aux prud'hommes en cas de licenciement abusif seront plafonnés, une mesure que n'était pas parvenu à faire passer François Hollande. Enfin, les référendums d'entreprise, qui permettent depuis le 1er janvier de valider des accords minoritaires, pourront être sollicités par les employeurs et non plus par les seuls syndicats. Voilà grosso modo pour ce qui concerne le droit du travail. Quant au volet fiscalité de la présidence Macron, il fera partie intégrante des projets de loi de finances et du financement de la Sécurité sociale discutés à l'automne. C'est dans ce cadre que le gouvernement engagera le mouvement de baisse de l'impôt sur les sociétés qu'il veut progressivement ramener de 33% aujourd'hui à 25% – la moyenne européenne. Viendra également la suppression de la taxe d'habitation pour 80% des ménages.

À l'exception de cette dernière mesure, l'ensemble social et fiscal qui doit être voté dans les prochains mois s'inscrit dans une cohérence libérale qui vise : 1) à libérer les forces détentrices du capital du poids de l'impôt, en espérant tel un vœu pieux qu'elles réinjecteront cet argent dans l'économie réelle ; 2) à dédouaner toujours plus l'État de ses responsabilités d'« arbitre » dans la protection des travailleurs, en renvoyant les discussions au sein de l'entreprise – une logique qui oublie volontairement les rapports de force entre employeurs et salariés. En dépit de l'échec flagrant du dogme libéral en Europe, ces deux axes de réformes sont régulièrement validés dans les urnes par des catégories socio-professionnelles qui échappent aux effets des politiques de rigueur budgétaire, de libéralisation du marché du travail et de désengagement de l'État. Cette réalité transparaît dans la sociologie du vote Macron, et met en exergue l'absence d'esprit égalitariste parmi les classes aisées et moyennes supérieures, voire leur esprit clairement inégalitaire. Avec la mondialisation, les clivages politiques ont muté tandis que le capital voyait ses modes d'organisation évoluer à mesure que les frontières s'ouvraient. À bien des égards, la philosophie qui structure le programme de Macron légitime, bien que ses électeurs se targuent de bons sentiments, un statu quo qui consacre une lutte de classes violente.

L'indifférence des élites et des classes moyennes supérieures

Même si le timing n'est pas encore très précis, d'autres mesures fiscales favorables aux ménages les plus aisés, ainsi que l'allégement de la fiscalité des revenus du capital (avec une taxation forfaitaire à 30%) et la réduction de l'Impôt Sur la Fortune (ISF) aux seuls patrimoines immobiliers, devraient se succéder. En outre, Macron a programmé pour l'automne le rétablissement de l'exonération sociale des heures supplémentaires, mise en place sous Nicolas Sarkozy, et la suppression des cotisations salariales maladie et chômage, compensée par une hausse de la Contribution Sociale Généralisée (CSG), qui pèsera aussi sur les retraités. Au niveau du SMIC, toutes les charges sociales devraient disparaître.

Aucune leçon n'est retenue. Tout comme nombre de ses prédécesseurs au pouvoir, Emmanuel Macron justifie la réduction de l'ISF au prétexte qu'il a « besoin d’avoir des Françaises et des Français qui financent la création d’activités, les emplois et l’économie française, […] qu’il y ait des Françaises et des Français qui ont les moyens, qui vont financer notre économie » (avril 2017, sur France 2). Une rhétorique qui rappelle évidemment celle de celui qui avait précédé le nouveau chef de l'État dans le rôle de coqueluche des médias et des élites économiques : entre l'éviction d'Alain Juppé et la montée d'Emmanuel Macron dans les sondages, un héraut de la politique de l'offre est venu en remplacer un autre. Plus jeune, plus beau, notre Justin Trudeau français en quelque sorte. Mais le même discours, et encore et toujours, comme nous l'expliquions déjà en mars dernier (Rigueur budgétaire, flexibilité du travail : le dogme libéral passera-t-il le cap de l'élection présidentielle ?), cette double erreur : miser sur une politique de l'offre pour relancer la croissance ; et penser que la croissance, quand bien même elle serait au rendez-vous, suffit à créer des emplois (quelle que soit la qualité de ces emplois), alors que cet objectif de croissance ne garantit pas le bien-être des citoyens, pas plus qu'il n'assure un développement réellement durable. Mais qu'importe que ces politiques économiques aient déjà fait la preuve de leur échec, puisque ce sont les autres qui trinquent, le tout au nom du réalisme économique.

Le nouveau chef de l'État, au fil de discours emphatiques gauchement déclamés, prône les valeurs d'unité nationale, de progrès et de modernité, sans se préoccuper des conséquences sociales des réformes qu'il promeut. C'est-à-dire sans se soucier de l'incohérence entre ses paroles d'ouverture et ses décisions politiques. Il ne semble pas avoir pris conscience du clivage puissant qui s'est exprimé lors de l'élection présidentielle, à travers la sociologie du vote, entre « gagnants » et « perdants » de la mondialisation, entre partisans et opposants à l'Union européenne, entre métropoles intégrées d'une part et espaces périurbains et ruraux déclassés de l'autre. Les chiffres sont à cet égard très parlants : pourtant arrivée deuxième au 1er tour à l'échelle nationale, Marine Le Pen était en tête dans 19.038 communes de France, soit plus d'une sur deux, loin devant Macron (7.135 communes), Fillon (5.753) et Mélenchon (3.475). Preuve qu'un seul de ces quatre candidats est réellement parvenu à capter l'électorat rural et périurbain.

Quelques chiffres déjà évoqués dans un article d'avril (Présidentielle de 2017 : quelles leçons tirer du premier tour ?) illustrent ce fossé. Ainsi, dans le département du Loiret, en région Centre-Val de Loire, Emmanuel Macron (22,68%) et Marine Le Pen (23,08%) ont fait jeu égal au 1er tour, mais quand on observe le cas d'Orléans, ville-préfecture, Macron est en tête avec 29,04%, loin devant Le Pen, tombée à 11,99%. Si on s'éloigne de seulement quelques kilomètres, à Courtenay, commune de 4.000 habitants située près de Montargis, Le Pen est à 34,16% et Macron à seulement 16,30%. Cette fracture géographique en masque bien d'autres, économiques, sociales, identitaires... Et le nouveau chef de l'État ne semble pas en avoir pris conscience. Pire, il assume pleinement ce clivage porté Marine Le Pen entre « patriotes » et « mondialistes », même s'il a prétendu le reformuler pendant l'entre-deux-tours en opposant les « patriotes » d'En Marche aux « nationalistes » du Front national. Jouer la carte de l'antifascisme, plutôt que de remettre en cause les politiques économiques et sociales qui ont échoué et font monter le FN depuis trente ans, voilà quelle a été la stratégie macronienne. Assuré d'être élu le 7 mai, celui qui est depuis devenu président de la République n'a pas cherché à attirer vers lui cet électorat populaire qui subit les impacts des politiques d'ouverture qu'il promeut. Le vote du second tour a donc répété, dans ses grosses lignes, le clivage qui s'était dessiné lors des référendums sur le traité de Maastricht en 1992 et sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe en 2005, un vote de classe que nous avions pris le temps d'analyser plus abondamment en janvier 2017 (France en 2005, Royaume-Uni en 2016 : quelles leçons tirer du vote des catégories populaires sur l'Union européenne ?).

Problème : les partisans d'Emmanuel Macron se contentent d'expliquer cette sociologie du vote par la faiblesse intellectuelle des masses. Si les pauvres votent FN, c'est qu'ils sont stupides, manipulables, voire simplement racistes. Rien à voir avec les politiques promues depuis trente ans par la Commission européenne et les grands partis de gouvernement français (et leur impact sur les catégories les plus vulnérables). Cette variable n'entre pas en ligne de compte. Et en cela, ces électeurs, qui prônent un « front républicain » contre la menace fasciste, sont foncièrement anti-républicains, au sens où on l'entend dans le langage commun, c'est-à-dire qu'ils prônent les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité, mais ne les appliquent pas, voire les souillent à chaque scrutin. L'électorat de Macron accepte la disparition douloureuse du monde ouvrier et la perpétuation de politiques sociales injustes qui affectent les milieux populaires, il promeut l'ouverture des frontières (humaines, marchandes, financières) comme un processus allant de soi, quel qu'en soit le coût social, et prône la mise en place de « réformes » qui annoncent la destruction de la plupart des filets de protection sociale qui permettent encore de limiter les dégâts.

Les visages changent, le discours reste le même : il faut faire des efforts, la dette est là qui menace, il faut respecter nos engagements européens ; critiquer l'Europe est l'apanage des nationalistes xénophobes et populistes ; l'État est trop gourmand, les Français sont assis sur leurs acquis et doivent travailler plus, nous n'avons plus les moyens de financer notre modèle social et de subvenir aux besoins de masses d'assistés ; etc. Les gens qui tiennent ce discours ne sont jamais ceux-là mêmes qui souffrent de la disparition des services publics dans leur lieu de vie, des sanctions aux allocations, du déremboursement des frais médicaux, ou encore des consignes de radiation à Pôle emploi. Derrière un discours faussement ouvert, se cache une politique profondément injuste. Et ces catégories sociales, véritables gagnantes de la mondialisation, ne s'interrogent pas sur le fait que les plus vulnérables ne votent pas comme eux. Ce n'est pas leur sujet. Et s'ils se posent la question, c'est le faible niveau d'éducation qui est invoqué.

Affiches électorales de second tour, à Paris (© Sara de Oliveira Brites, 2018).

Affiches électorales de second tour, à Paris (© Sara de Oliveira Brites, 2018).

Du consensus mou aux réformes libérales carabinées

En rassemblant des personnes issues du Parti socialiste comme des Républicains, Emmanuel Macron est parvenu là où avait échoué François Bayrou, à savoir réunir dans un ensemble gouvernemental cohérent des gens qui pensent à peu près la même chose. Ce qui reste du PS est désormais partagé entre ceux qui souhaiteraient reconstruire une gauche alternative, mais n'osent pas encore franchir le pas de la rénovation partisane (Benoît Hamon, Martine Aubry, Anne Hidalgo, etc.), et ceux qui espèrent sauver les meubles en se ralliant à un mouvement En Marche avec lequel ils se sentent proches idéologiquement (Myriam El Khomri, Manuel Valls, Jean-Yves Le Drian, etc.) : la disparition annoncée de ce parti, sa pasokisation (du nom du parti socialiste grec qui s'est vu remplacer à gauche par Syriza lors des législatives de 2012 et de 2015 en Grèce), ne l'empêcheront pas de prolonger son agonie avec la persistance d'un groupe parlementaire allant, selon les prévisions, de 15 à 30 députés.

Quant à la droite, alors qu'elle justifiait son échec à la présidentielle par les « affaires » qui ont entaché la campagne de François Fillon, et qu'elle pouvait encore espérer imposer à Emmanuel Macron une cohabitation, ou à défaut, une coalition gouvernementale, elle en est désormais réduite à sauver les meubles également. Face au gouvernement d'Édouard Philippe qui s'apprête à mettre en place les mesures libérales qu'ils prônent eux-mêmes depuis des années, Les Républicains n'ont plus comme argument, pour inverser la tendance électorale, que la hausse de la CSG. Chef de file de la droite, François Baroin a d'ailleurs largement mis de l'eau dans son vin ces dernières semaines, souhaitant une « coexistence tout à fait pacifique » avec le pouvoir. Résultat, s'ils sortent des législatives avec plus de cent députés, Les Républicains pourront s'estimer heureux, d'autant plus que la configuration politique les condamne, compte tenu des proximités idéologiques avec En Marche, à tenir le rôle de parti satellite de la majorité présidentielle.

Emmanuel Macron a bénéficié de circonstances inédites qui lui ont permis de conquérir l'Élysée : éviction de Nicolas Sarkozy et d'Alain Juppé lors de la primaire de la droite, puis de Manuel Valls à gauche (laissant Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon se partager un électorat réduit), impopularité de François Hollande qui a été contraint de se retirer de la course, « affaires » de François Fillon, campagne médiocre de Marine Le Pen... Le jeune énarque a marché sur l'eau, la route s'est dégagée sans qu'il lui soit nécessaire de faire preuve d'une réflexion ou d'un charisme particulier, et l'encensement dont il fait l'objet dans les médias, de même que le raz-de-marée électorale qui est en cours dans ces législatives, prolongent encore un peu cette situation d'état de grâce. Pourtant, les critiques survenues pendant la campagne sur le flou programmatique du candidat d'En Marche étaient largement justifiées. Mais cette posture, étonnamment, ne l'a pas desservi. Après la déception des campagnes de Nicolas Sarkozy en 2007 et de François Hollande en 2012, on aurait pu s'attendre à ce qu'un candidat enfermé dans une emphase aussi creuse ait peu de chances de parvenir au second tour. Que nenni. La classe moyenne supérieure boboïsée des centres-villes souhaite qu'on ne la perturbe pas, qu'on lui présente une offre politique qui lui donne bonne conscience sans pour autant remettre en cause les acquis et les privilèges sur lesquels elle sommeille. Le consensus mou lui convient tout à fait, de même que le sentiment d'entre-soi et de domination des élites, face à de nouveaux populismes qui dérangent.

Pire, l'idée prévaut selon laquelle les partis politiques, incapables de « réformer » correctement le pays, doivent laisser la main à une panoplie de technocrates apparemment apolitiques, qui constituent de facto le parti de la France d'en haut, celle qui réussit. D'ailleurs, dans cet esprit-là, l'ouverture politique apparente de la majorité présidentielle s'apparente bien plus à un renouvellement des élites, à leur remplacement par une élite alternative, qu'à une participation réelle de la société civile aux affaires de la nation. Comme le décrivait très bien Sébastien Laye, chercheur à l'Institut Thomas More, dans un article de mai sur le journal en ligne Contrepoints, « il a suffi à Macron d'envelopper dans un discours mièvre très marketing sur la nouveauté, la jeunesse et le renouvellement, ce qui est en fait [...] une révolution "jeunes Turcs" d'énarques quadragénaires [auxquels on peut ajouter une brochette de cadres issus du privé] qui se sont coalisés pour effacer leurs aînés des grands corps et se débarrasser de l'alternance politique ».

Face au soubassement idéologique macronien qu'est le consensualisme mou, on trouve un monde politique en décomposition, ou plutôt en recomposition. Droite et gauche tardent à renaître de leurs cendres, et reste à voir si le clivage qu'ils incarnaient prévaudra désormais sur celui opposant « nationalistes » et « mondialistes ». Pourtant, la lutte est bien idéologique, et derrière le vague des propositions, le projet d'Emmanuel Macron est clair. Les réformes économiques et sociales s'annoncent carabinées. S'ajoute également le petit plus que le nouveau chef de l'État nous apporte du secteur privé, à savoir le culte de l'évaluation. Lors de la présentation de son programme le 2 mars dernier, le candidat d'En Marche précisait à ce propos : « Le renouveau démocratique passe par une vraie responsabilité politique, elle est indispensable. […] Responsabilité des ministres […], dont je fixerai la feuille de route, et qui seront responsables, pleinement, de la gestion de leur portefeuille ministériel. Et en particulier des engagements de finances publiques que je prends. Cela sera évalué chaque année, avec, si le respect n’est pas plein et entier, des décisions qui seront prises en termes de maintien dans le gouvernement. » Comprendre : une gestion austère de leur portefeuille conditionnera l'évaluation (et donc le maintien) des ministres de Macron.

La logique est simple, tout postulat humaniste est disqualifié, décrédibilisé, car les technocrates ont le monopole de la rationalité et du réalisme. On se doute des conséquences que peut avoir sur l'action gouvernementale une telle approche. Comme l'écrivait encore Sébastien Laye sur Contrepoints le mois dernier, cette vision n'est d'ailleurs pas antinomique avec le consensualisme mou : en effet, dans la vision néolibérale, « les vertus du débat de la conflictualité sont discréditées, puisque l'histoire est régie par une nécessité » (la nécessité de la construction européenne, la nécessité de résorber les déficits publics, la nécessité de s'adapter à la mondialisation, etc.). Dans ce monde de la performance où l'évaluation règne en maître, ajoute Sébastien Laye, « la créativité et l'esprit critique sont étouffés par la gestion ».

Le train de mesures libérales est en marche – plusieurs avant-projets de loi ont déjà été diffusés dans la presse – et à moins d'un séisme politique, il ne s'arrêtera pas avant 2022. Des élites auto-satisfaites sont aux manettes et, en dépit d'un taux d'abstention record pour des législatives (51,29%) qui devrait les inviter à un peu plus d'humilité, elles entendent bien parachever le modèle qu'on nous dessine depuis trois ou quatre décennies. Lorsque les chiffres du chômage se seront officiellement améliorés, à coup de radiations et sur la base d'une multiplication des emplois précaires, l'exécutif pourra se targuer d'avoir « redressé le pays ». En attendant, face à une droite qui s'apprête à voter comme un seul homme l'ensemble des mesures macroniennes, il incombe à la gauche de reconstruire, sur les cendres de la bataille des législatives, une alternative crédible et sincère. Force est de constater qu'elle en est très loin, et le scrutin qui vient de s'écouler l'a encore merveilleusement démontré, avec un Parti communiste, une France insoumise, des Verts et un Parti socialiste totalement divisés.

Or, sans alternative à droite ni à gauche, c'est l'impasse. Une remise en cause des politiques libérales dogmatiques et injustes qui sont à l'œuvre ne viendra pas du gouvernement actuel, ni aujourd'hui, ni demain. Que personne ne simule la surprise si, dans une telle situation, Marine Le Pen, renforcée dans le cadre d'une force politique renouvelée (post-Front national), se retrouve à nouveau au second tour en mai 2022. Pas sûr que les cris d'orfraie pour dénoncer la menace fasciste suffisent alors à éviter qu'elle ne crève le fameux « plafond de verre » qui l'a empêchée jusque-là d'accéder aux responsabilités. Le vote FN ne s'est que momentanément tassé, suite à sa mauvaise prestation lors du débat d'entre-deux-tours. Sans alternative, le réveil des catégories populaires, des « perdants » de la mondialisation, auxquels vient s'ajouter une classe moyenne inférieure largement paupérisée, risque bien de renforcer les clivages sociologiques observés cette année et de fragiliser durablement la cohésion nationale.

Tag(s) : #Politique
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