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Par David Brites.

En avril dernier, une étude menée par une association environnementale, Générations Futures, qui portait sur une trentaine d’enfants de 3 à 10 ans, révélait chez eux un niveau d’imprégnation aux pesticides particulièrement élevé. Un constat aussi alarmant aurait dû entraîner une réaction immédiate des autorités publiques, et surtout faire l’objet d’études plus poussées et dotées de davantage de moyens. Tout comme le fonctionnement du cadre économique, financier et commercial global, il semble encore difficile d’envisager une modification de fond du système agro-alimentaire et de ses pratiques (aussi néfastes soient-elles).

Pas moins de 624 résidus ont été retrouvés dans les mèches de cheveux des trente enfants sujets de l’étude et vivant en milieu agricole. Soit vingt et un résidus de pesticides détectés en moyenne sur chaque mèche. « C’est hélas le triste quotidien de ces "belles" exploitations agricoles qui n’hésitent pas à utiliser plein de produits phytosanitaires », concluait le 29 avril 2014 sur Canal + la journaliste Isabelle Saporta, spécialiste des questions environnementales et auteure du Livre noir de l’agriculture en 2011 et de Vino Business en 2014. Elle rappelait à cette occasion qu’une étude publiée l’an passé avait révélé qu’en ce qui concerne la viticulture, les riverains avaient cinq fois plus de résidus de pesticides que la moyenne nationale… En outre, cette activité particuluère concentre un cinquième de l'usage de pesticides en France, pour seulement 3% de la surface utile.

De fait, les cas de maladies environnementales se multiplient et se comptent à présent par centaines chez les agriculteurs. François Veillerette, porte-parole de Générations futures, ajoutait à ces propos : « Il y a un risque pour la santé publique, on le sait : des cancers plus nombreux, développement de l’appareil sexuel qui va être perturbé, problèmes de métabolisme, etc. […] Ce n’est plus le temps de la discussion, mais celui de l’action. »

Les études et les rapports scientifiques se sont multipliés ces dernières années sur le secteur agricole, et notamment pour désigner le rôle des perturbateurs endocriniens dans le déclin de la biodiversité et le bond des maladies chroniques (cancers, diabète, troubles comportementaux, etc.). Mais avant d’aller plus loin, un petit travail de définition s’impose. Pour celles et ceux qui ne le savent pas, les perturbateurs endocriniens – le terme a été inventé par Theo Colborn, et a fait son entrée dans le Petit Robert en 2013 – sont des substances chimiques de synthèse, étrangères à l’organisme humain. Ils sont présents dans de très nombreux produits d’usage courant : dans les boîtes de conserve, dans les détergents, sur les tickets de caisse, sur les jouets des enfants, dans le dentifrice, sur nos vêtements, dans les matières plastiques, dans la peinture, etc. Ils constituent certains des pesticides observés dans notre assiette, voire sont présents dans nos médicaments. Leur production a connu un boom sans précédent ces dernières années, car leur utilisation est liée à l’usage de certaines matières dans de nombreux processus industriels (pharmaceutique, cosmétique, agricole…). On peut dès lors deviner le poids des lobbies (et leur nombre) derrière ces perturbateurs endocriniens.

L’inaction des pouvoirs publics

Pour rappel, l’étude mentionnée plus haut a été menée par un laboratoire indépendant sur des mèches de cheveux de trente écoliers vivant ou allant à l’école dans des zones agricoles. Un tiers des enfants participant à l’enquête étaient scolarisés dans un établissement se trouvant à moins de 50 mètres d’une zone agricole où des pesticides sont pulvérisés, le reste à moins d’un kilomètre. Pire, 63% des enfants ont leur résidence principale à moins de 50 mètres d’une « zone pulvérisée ». Il semble dès lors évident qu’une étude basée sur un public plus large et d'une durée conséquente serait nécessaire pour comprendre l’impact de l’usage de pesticides et d’insecticides en France. Mais toujours rien ! Pourtant, au-delà de la santé de nos enfants (et de nos adultes), il s’agit aussi de faire respecter l’État de droit. Car rappelons que sur les nombreux échantillons analysés, plusieurs insecticides sont interdits d’usage en France depuis des années. Toujours sur Canal + en avril dernier, Isabelle Saporta posait ainsi la question : « Pourquoi les agences sanitaires ne font pas [les études] sur 30 ans ? Chaque mèche de cheveux, c’est 300 euros. [Les associations ont un budget limité.] Ce sont aux agences sanitaires de faire ces études. »

Dès décembre 2013, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) avait mis en garde contre les effets sanitaires de deux insecticides néonicotinoïdes sur les humains. Les experts de l’EFSA ont « constaté que l’acétamipride et l’imidaclopride peuvent affecter de façon défavorable le développement des neurones et des structures cérébrales associées à des fonctions telles que l’apprentissage et la mémoire ». En attendant des recherches ultérieures, l’agence a demandé un abaissement des seuils tolérables d’exposition à ces deux substances. Comme le rappelait le journal Le Monde en décembre 2013, l’une (l’imidaclopride) est déjà impliquée dans le déclin des abeilles et des pollinisateurs. Comme trois autres molécules, elle est suspendue pour deux ans en Europe (dans certaines de ses utilisations) depuis début décembre. Il est toujours intéressant d’observer les autorités publiques (européennes comme nationales) retarder l’usage de produits notoirement néfastes, comme si elles hésitaient, prises d’un cas de conscience, avant de donner un blanc-seing aux lobbies fournisseurs d’insecticides et de pesticides (parmi lesquels on trouve évidemment ce cher Monsanto). En 2013, la Suède aurait même menacé d’attaquer la Commission européenne en carence pour son inaction sur ces questions. En cause, nous informe le site Reporterre.net : « le non-respect des règlements biocides (528/2012) et pesticides (1107/2009) qui prévoyaient l’adoption d’une définition opérationnelle avant la fin 2013 ». En cause également : les lobbies industriels, particulièrement actifs à Bruxelles.

La société se mobilise pour convaincre la Commission européenne.

Le documentaire Endoc(t)rinement réalisé par la journaliste Stéphane Horel et diffusé sur France 5 en août dernier, met en évidence, entre autres choses, la puissance des lobbies industriels présents à Bruxelles auprès de la Commission européenne, plus précisément auprès de la Direction Générale (DG) Environnement, de la DG Santé et Consommateur et de la DG Entreprises. Sont également mis en lumière les méthodes des lobbies pour limiter les interdictions et les seuils imposés par la Commission européenne concernant l'usage de substances chimiques considérées comme perturbateurs endocriniens. La difficulté à évaluer les risques sert évidemment les industries concernées, qui obtiennent souvent le soutien de certains pays qui considèrent que la primauté doit être donnée au commerce et à l'industrie, Royaume-Uni et Allemagne en tête, au contraire des pays scandinaves, et désormais de la France.

Ce rapport de force n'est pas sans conséquence : alors que Bruxelles lance – ce 29 septembre – une consultation publique sur ces substances chimiques, la Commission européenne n'a toujours pas apporté une définition réglementaire aux dits « perturbateurs endocriniens », car elle a préalablement lancé une évaluation d'impact économique sur les effets d'une réglementation dans ce domaine sur l'activité de certaines entreprises européennes. Cette évaluation n'étant toujours pas rendue, la consultation publique risque de traîner en longueur ou de n'être qu'une coquille vide, plombée par l'absence de volontarisme de la part d'une Commission qui penche plutôt en faveur des lobbies industriels.

Une lente prise de conscience

Le 29 avril dernier, Ségolène Royal, fraîchement nommée Ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, présentait la Stratégie Nationale contre les Perturbateurs Endocriniens devant le Conseil National pour la Transition Énergétique (CNTE). Ce plan vise à « soutenir la recherche pour mieux connaître [ces substances chimiques] et leurs effets sur la santé et l’environnement », et à réduire « l’exposition de la population et de l’environnement aux perturbateurs endocriniens ». Promise lors de la première conférence environnementale du mandat de François Hollande en septembre 2012, et initialement prévue pour l’automne 2013, le monde associatif croyait cette réforme enterrée. Suppression du bisphénol A dans les « tickets thermiques » (tickets de caisse, reçus bancaires), contrôles renforcés pour les jouets (7.000 contrôles documentaires ou prélèvements sur les produits chimiques en général ont déjà été menés en 2013, dont 800 prélèvements sur des jouets, notamment importés), expertise poussée sur cinq autres substances potentiellement toxiques, mise en place d’une plateforme public-privé pour réduire les délais des tests sur les substances chimiques, etc. : les avancées sont importantes, même si elles demandent à être confirmées dans les faits. La mise en scène médiatique de Madame la Ministre, filmée devant une caisse de supermarché face à des produits contenant des perturbateurs endocriniens, n’aura été utile que lorsque les biens (d’usage quotidien ou non) porteurs de ces substances ne seront plus en supermarché. Mais, pour ce sujet comme pour tant d’autres, cela demanderait des mesures plus contraignantes, et de repenser plus globalement notre système de production et de consommation, notamment la mise en place de barrières douanières destinées à bloquer de tels produits à nos frontières commerciales. On est encore très loin d’une telle refonte, et donc d’un modèle de société durable.

En attendant, la recherche progresse, parfois en dépit de moyens substantiels. Depuis un premier appel d’un collectif de scientifiques réunis autour de Theo Colborn en 1991, de nombreux effets ont été identifiés concernant le dérèglement du système hormonal, et sont désormais connus. Diabète, cancers hormono-dépendants (nécessitant un traitement hormonal, soit 80% des cancers du sein), maladies cardiovasculaires, trouble de la fertilité ou du comportement, etc. : ils sont dramatiques et laissent présager des crises sanitaires plus graves dans le futur. Comme le rappelle encore le site Reporterre.net, « quelques règlements d’interdiction [ont ainsi été rendus possibles] parmi lesquels celle du Bisphenol A (BPA) dans les biberons [et les contenants alimentaires], votée en 2010. Mesure prolongée d’une loi en décembre 2012 qui interdit toute présence de BPA dans les contenants alimentaires à compter du 1er janvier 2015. » Cette avancée, tout comme la Stratégie Nationale contre les Perturbateurs Endocriniens, sont avant tout le fruit de la mobilisation de citoyens investis qui demeurent actifs et attentifs à ces questions sur lesquelles de puissants lobbies industriels s’efforcent pourtant de maintenir un flou en termes de connaissances.

Au sein de la Commission européenne, les positions tendent lentement à évoluer...

Au sein de la Commission européenne, les positions tendent lentement à évoluer...

En septembre 2013 déjà, des médecins d’Hexagone, rejoints par des confrères de Martinique et de Guadeloupe, avaient signé un appel mettant en garde contre la dangerosité des pesticides. Il faut dire que dans les Antilles françaises, l’affaire du chlordécone, du nom d’un pesticide qui fut utilisé à grande échelle de 1973 à 1993, a ébranlé les mémoires, et pour cause : sa présence persistante dans les sols et rivières continue à contaminer les cultures, les élevages et les poissons.

Sans même parler de conséquences sur le long terme, rappelons que, sur la base d’un rapport publié en juin dernier par l’ONG européenne Health and Environment Alliance (qui réunit des associations et des syndicats de soignants et de mutuelles), le coût de l’exposition de la population aux perturbateurs endocriniens est évalué à environ quatre milliards d’euros par an pour notre système de santé… et à 31 milliards d’euros à l’échelle de l’Union européenne.

Cet article ne vise pas à donner une solution toute trouvée aux questions agricoles lourdes et au défi de l’autosuffisance. Il soulève à peine quelques questions sous-traitées par nos grands médias nationaux et par notre classe politique. Il est l’occasion également de rendre hommage aux citoyens et aux différents acteurs de la société civile qui restent mobilisés face aux lobbies. Alors, restons vigilants et alertes sur ces sujets qui nous touchent toutes et tous directement, et souvenons-nous nous de nous méfier, car c’est là aussi le prix d'une démocratie réellement transparente.

Tag(s) : #Société
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