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Par David Brites.

Le 14 décembre dernier, la COP20 (ou « 20ème Conférence des Parties »), qui se tenait à Lima, au Pérou, s’est achevée in extremis sur un accord entre les 196 délégations y participant. Pourtant, un constat est là : derrière les satisfactions de façade, aucun des enjeux cruciaux n’a été réglé à l’issue de la conférence, et la résolution des points d’achoppement qui devaient être résolus pour éviter un enlisement lors de la COP21 prévue à Paris en décembre 2015 a été reportée. À peine un accord a-t-il été trouvé pour encadrer la forme des engagements (périmètre, contenu, mode d’évaluation) que les pays prendront courant 2015 sur les réductions des émissions de gaz à effet de serre, en vue de limiter la hausse de la température à deux degrés Celsius en 2100 (par rapport à l’année 1850, soit l’ère préindustrielle). À bien des égards, la 21ème Conférence des Parties s’annonce d’ores et déjà semée d’embuches.

L’année prochaine à la même date, le monde risque bien de déplorer, pour la énième fois, l’impasse des négociations sur le climat. Ce fût déjà le cas lors de la COP15 à Copenhague en décembre 2009, qui prévoyait un texte visant à substituer le protocole de Kyoto (alors supposé prendre fin en 2013). Pour rappel, ce protocole, adopté laborieusement en 1995, signé en 1997 et entré en vigueur en 2005, visait à réduire d’au moins 5% les émissions de six gaz à effet de serre (dont le dioxyde de carbone et le méthane) par rapport au niveau de 1990.

Un échec à Paris ne serait pas anodin. Doit y être négocié un premier accord universel et contraignant sur le climat pour limiter la hausse de la température globale après 2020. Les engagements des pays doivent être annoncés si possible avant le 31 mars, sinon avant la COP21. Le secrétariat de la Convention de l’ONU sur le Changement Climatique réalisera, pour le 1er novembre, une synthèse des engagements, pour prendre la mesure de l’effort global qui s’annonce. Les contributions nationales doivent permettre une baisse globale des émissions de 40 à 70% d'ici à 2050 : une nécessité absolue pour parvenir à ne pas dépasser en 2100 le seuil de 2°C par rapport à 1850.

Nord versus Sud : un clivage qui a la vie dure

Pour rappel, la Convention de l’ONU sur le Changement Climatique de 1992 reconnaît « une responsabilité commune mais différenciée » pour deux catégories de pays, c’est-à-dire les pays développés et ceux en voie de développement. De fait, cette différenciation est à la source de l’écrasante majorité des discussions qui paralysent les COP successives.

Les pays du Sud (on nous excusera l’usage de ce terme réducteur) émettent une double exigence. Ils souhaitent que les « contributions nationales » comprennent aussi des actions d’adaptation au réchauffement climatique, ainsi qu’un soutien financier à leur égard. Les pays africains, de nombreux petits États insulaires, ainsi que l’Arabie Saoudite, les Philippines et le Brésil, ont fortement insisté sur ce premier point : ils veulent pouvoir inclure la notion d’« adaptation » à leur contribution, arguant que la seule réduction des gaz à effet de serre est impossible pour eux.

Les objectifs fixés par Kyoto et par les différents accords ayant suivi le protocole de 1997 supposent de fortes économies d’énergie, un abandon progressif des énergies fossiles – le charbon notamment – et des investissements massifs dans d’autres énergies. Or, les pays africains, qui représentent à peine 3% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, conditionnent un engagement de leur part à des garanties financières. C’est sur ces canaux de financement, devant permettre d’atteindre un fonds de 100 milliards de dollars d’aide annuelle d’ici 2020, que la plupart des discussions sont restées bloquées. La Chine, le Brésil, le Mexique, l’Arabie Saoudite, ainsi que la Bolivie, qui préside le G77 réunissant la plupart des pays du Sud, exigent plus de visibilité sur cette question.

On s’en doute, le processus d’évaluation des contributions (au niveau global, mais aussi par rapport à la capacité de chaque pays) représente un point de friction majeur. Et au final, les négociations dépassent largement le seul cadre climatico-environnemental pour présenter une dimension fortement géopolitique. Prétextant l’émergence économique de plusieurs pays, les États-Unis œuvrent depuis plusieurs années pour que le prochain accord soit universel, c’est-à-dire que tous les pays s’engagent, et pour qu’il soit flexible, comprendre : le caractère contraignant du protocole de Kyoto disparaît. Washington plaide pour un instrument juridique plus souple qui invite les États à définir, à intervalles réguliers de temps (et de manière unilatérale), leurs propres engagements pour une durée donnée. La Chine et l’Inde, premier et quatrième émetteurs de gaz à effet de serre, et les autres grands pays émergents sont opposés à une redéfinition des responsabilités globales, et plaident pour un statu quo des catégories de pays retenues en 1992, considéré comme inacceptable par les États-Unis.

L’idée d’une refonte de ce système hérité des années 90 fait progressivement son chemin, sans pour autant trouver de traduction concrète. Le Brésil, par exemple, s’est montré favorable à la mise en place d’une différenciation basée sur trois ou quatre cercles concentriques, avec au centre les pays riches qui polluent le plus, et en périphérie les pays les plus pauvres et qui émettent le moins de gaz à effet de serre. Les pays pauvres, justement, veulent préserver à tout prix les principes actuels qui sont supposés leur assurer des transferts d’argent et de technologies pour qu’ils s’adaptent aux conséquences du changement climatique. La différenciation des pays fait l'objet de toute une série de propositions, qui restent pour l'instant toutes sans suite. Ni la Chine ni les autres pays du G77 ne voient d’intérêt à redessiner une nouvelle hiérarchie planétaire vis-à-vis du changement climatique. Et la déclaration commune du 12 novembre dernier des diplomaties américaine et chinoise n’y aura rien changé – il faut dire que les ambitions affichées par la partie américaine sur ses propres engagements de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre sont elles-mêmes assez ténues. La Chine maintient ses liens avec le Sud, et assume même un véritable leadership au sein du G77.

De Lima à Paris : que doit-on attendre des négociations sur le changement climatique en 2015 ?

Les perspectives politiques de l’année 2015 invitent-elles à l’optimisme ?

Le calendrier pour l’année 2015 est désormais fixé. Les pays représentés lors de la Conférence des Parties se retrouveront à nouveau à Genève (Suisse) en février, puis à Bonn (Allemagne) en juin. Entre-temps, d’ici au 31 mars, les États qui le peuvent auront présenté des engagements (une « contribution nationale ») pour limiter leurs émissions de gaz à effet de serre. Et d’ici au 31 mai, autre date-butoir, un projet officiel de texte sera soumis aux 195 pays-membres de la Convention de l’ONU sur le Changement Climatique.

La synthèse des engagements de réduction de gaz à effet de serre permettra, le 1er novembre, de mesurer le degré d’ambition du futur texte. Enfin, la COP 21 se tiendra à partir du 30 novembre à Paris, jusqu’à sa clôture prévue le 11 décembre. Nicolas Hulot, invité sur France 2 le 20 décembre dernier, rappelait que « tous les sommets qui ont précédé Paris étaient des étapes préparatoires au sommet de Paris. L’objectif des Nations Unies à Paris est que pour la première fois – il n’y a pas d’équivalent – l’ensemble de la communauté internationale (195 États) doivent signer un accord global juridiquement contraignant dont l’objectif est de limiter les changements climatiques en cours de siècle à deux degrés. »

Les mobilisations récentes sur le thème de la « justice environnementale » (300.000 manifestants à New York, sans doute 600.000 à travers le monde, dont 20.000 à Lima le 10 décembre dernier) ont attesté d’une réelle implication citoyenne sur cette question dans plusieurs pays. La morosité des journalistes et du monde associatif suite à l’échec de 2009 à Copenhague est bel et bien dépassée, et pourtant, les défis semblent toujours aussi indépassables qu’à l’époque. Certes, les ONG plaidant pour des engagements clairs ont muri. Elles se sont organisées, ont élargi leur réseau et ont gagné en visibilité. Ainsi, la « Coalition Climat 21 », devenue l’un des meilleurs promoteurs des recommandations du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), est désormais reconnue comme l'interlocuteur unique et légitime pour l'ensemble des grands réseaux internationaux et associatifs.

Mais l’actualité vient régulièrement nous rappeler une autre réalité. Depuis 2007, l'extraction du gaz de schiste, qui nécessite le recours systématique de la fracturation hydraulique à grands volumes, a connu une croissance fabuleuse aux États-Unis, mais a laissé les nappes phréatiques environnant les zones d’extraction fortement polluées. En août 2013, la décision de la présidence Correa, en Equateur, d’exploiter le pétrole enfoui dans le territoire du Parc national Yasuni, en pleine forêt amazonienne, mettait fin au projet Yasuni-ITT, qui consistait à préserver cette zone de l’exploitation pétrolière en échange d’une compensation financière à hauteur de 50% du manque à gagner. Autre cas illustratif : depuis octobre 2013, un consortium autour de Petrobras a initié l’exploitation, au Brésil, du champ de pétrole offshore Libra, à 183 km au sud-est de Rio de Janeiro. Dernier exemple en date, il y a deçà quelques jours, le Parlement mozambicain a approuvé une loi permettant l’exploitation, sous l’égide des entreprises ENI (italienne) et Anadarco (américaine), du champ de Rovuma, qui contient l’une des plus grandes réserves de gaz naturel liquéfié offshore (la troisième au monde, selon certaines estimations).

Partout dans le monde, les appétits économiques écrasent tout. Or, comme le rappelait Nicolas Hulot, toujours le 20 décembre dernier, il serait nécessaire d'ajouter aux objectifs de la COP21 « les modalités avec lesquelles on va réaliser ces objectifs. Évidemment, dans les modalités, très concrètement, il faut des chiffres, mais il faut surtout de l’argent […] pour notamment sortir des énergies fossiles, qui ne sont plus la solution mais le principal problème. […] Le GIEC nous dit que pour réaliser cet objectif-là, il faut laisser 80% de nos réserves d’énergie facilement accessibles sous terre. On n’est pas franchement dans un état d’esprit où on a l’habitude de renoncer à ce qui pouvait apparaître jusqu’à présent un peu comme de l’or. » Cela vaut pour les pays développés comme pour les pays en voie de développement, qui déclarent souvent vouloir privilégier la croissance à la protection de l'environnement. Il y aurait par ailleurs beaucoup à dire sur l’opposition : préservation de la nature versus impératifs sociaux, souvent formulée ainsi, alors que l’exploitation des ressources naturelles ne se traduit pas toujours par le développement des populations et a par ailleurs des conséquences écologiques de plus long terme – et un continent comme l’Afrique ne le sait que trop bien.

Aux enjeux économiques s'ajouteront bientôt (très bientôt) de nouveaux problèmes. Car une crise des réfugiés d'un nouveau genre s'annonce : les réfugiés climatiques. Pour rappel, nous dit le journaliste Patrick Sykes dans le Foreign Affairs, « le point le plus élevé de l'État des Tuvalu, dans le Pacifique, se situe à seulement 4,5 mètres au-dessus du niveau de la mer. Lors des grandes marées, l'archipel tout entier est temporairement submergé. » Pour les atolls coralliens des Maldives (océan Indien), « ce point se trouve à moins de 2,5 mètres d'altitude. Pour les experts, les îles Tuvalu sont vouées à disparaître dans les cinquante prochaines années ; les Maldives, d'ici trente ans. Les îles voisines subiront le même sort, qui menace environ 9,2 millions de personnes dans les 22 États insulaires du Pacifique, et quelque 345.000 dans les Maldives. » Une telle situation pose des défis nouveaux, car quel statut donner à ces nouveaux migrants ? Une population peut trouver refuge à l'étranger (57% des Samoans et 46% des Tongiens vivent déjà en dehors de leur pays d'origine, la plupart en Nouvelle-Zélande), mais quid d'un État ? « Si leur pays est englouti, des peuples entiers pourraient se retrouver englouti ». Or, certains de ces réfugiés rejettent le statut d'immigrant. Et Patrick Sykes de poursuivre : « Ce qu'ils veulent, c'est leur propre pays. En baissant les bras et en le quittant, ils perdraient leur souveraineté et deviendraient dépendants. En outre, cela dispenserait le reste du monde de devoir assumer ses responsabilités face à une catastrophe climatique qui aurait pu être évitée. »

L’enthousiasme de beaucoup sur les négociations en cours et à venir ne doit pas être annihilé par le poids des réalités triviales qu’induit le système capitaliste mondialisé actuel. Il doit à peine être teinté de réalisme, si l’on espère pouvoir aboutir à quelque chose. La partie n’est toutefois pas simple, comme l’ont encore montré les discussions au Pérou. Or, selon l’aveu même de la représentante de la France dans les négociations, Laurence Tubiana, citée par Mediapart il y a quelques jours, quel que soit l’accord obtenu à Paris, il est d’emblée clair qu’il ne permettra pas une limitation du réchauffement à 2°C. La Conférence de Paris ne sera donc pas historique. Toujours le 20 décembre, Nicolas Hulot, reconnaissant que la diplomatie française était parvenue à prendre le leadership sur les questions climatiques, s'est dit espérer que « la classe politique, au moins là, dans l’année qui vienne, […] soit un peu plus productive d’idées et se rassemble sur ce sujet-là. Ça réconcilierait un peu les Français avec la politique. J’aimerais notamment que de l’autre côté, dans l’opposition actuelle, on revienne à cet enjeu-là, non pas pour détruire le principe de précaution, comme c’est le cas en ce moment, et non pas pour rouvrir la porte du gaz de schiste. »

Au sortir de Lima, chacun fait semblant d’être satisfait : le Nord a obtenu que tous les pays présentent d’ici quelques mois des contributions sur de futurs engagements, et le Sud se complaît à rappeler que celles-ci ne seront pas contraignantes. Au sortir de la Conférence de Paris, l’année prochaine, il ne sera plus possible de se voiler la face et de feindre un succès, quand, dans les faits, les enjeux globaux resteront largement irrésolus.

Tag(s) : #Société
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