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Par David Brites.

L'ampleur et la nature des évènements ont entraîné un sursaut national pour défendre la liberté d'expression, ainsi qu'une vague de solidarité envers les victimes des 7, 8 et 9 janvier derniers.

L'ampleur et la nature des évènements ont entraîné un sursaut national pour défendre la liberté d'expression, ainsi qu'une vague de solidarité envers les victimes des 7, 8 et 9 janvier derniers.

Voici exactement une semaine que s’est déroulée la tuerie à Charlie Hebdo. Le 7 janvier 2014 restera comme un jour historique dans la mémoire collective française. À la minute où la nouvelle a circulé, les réseaux sociaux se sont enflammés. Nombreux (très nombreux) sont celles et ceux qui ont pris la plume (ou le clavier, ou le crayon) pour écrire ou dessiner sur l’évènement, pour exprimer leur solidarité envers les douze personnes tuées (auxquelles allaient s’ajouter cinq autres victimes innocentes, au cours des deux jours suivants). Dans l’espoir de ne pas se répéter avec les innombrables éléments de réflexion que l’on peut lire ici et là, sur internet ou sur papier (mais c’est sûrement peine perdue), tâchons de voir ce que l’on peut tirer de cette séquence tragique.

Le dernier dessin de Charb, terriblement prémonitoire.

C'est un drame en trois actes auquel nous avons assisté la semaine dernière. Le matin du 7 janvier, douze personnes étaient froidement tuées au siège de Charlie Hebdo, dont deux policiers, un homme d’entretien, l’économiste Bernard Maris et quatre des caricaturistes les plus connus en France, Cabu, Tignous, Wolinski, et le directeur de publication de l'hebdomadaire, Charb. Les frères Chérif et Saïd Kouachi, respectivement âgés de 32 et 34 ans, revendiqueront deux jours plus tard, à la chaîne BFM-TV contactée par téléphone, la conduite de cet assaut terrible et bien préparé.

Le lendemain, une policière municipale est tuée par Amédy Coulibaly (32 ans) à Montrouge – ce dernier, une connaissance de Chérif Kouachi, revendiquera ensuite ce meurtre par vidéo. La journée du 8 janvier est par ailleurs marquée par une vive réaction islamophobe, plusieurs mosquées étant prises pour cible, notamment au Mans (mosquée des Sablons) où une grenade est lancée, et à Villefranche-sur-Saône (Rhône) où un engin explosif souffle un kebab voisin d'une mosquée. À Port-la-Nouvelle (Aude), deux tirs visent même une salle de prière. Bref, la tension monte et le climat propice à la paranoïa est momentanément délétère.

Le vendredi 9 janvier, enfin, les frères Kouachi, interpellés par la police au volant d’une voiture volée, se réfugient dans la zone industrielle de Dammartin-en-Goële, en Seine-et-Marne. Dès lors, les évènements se précipitent. Si la rumeur d’un homme armé aperçu près du Trocadéro, à Paris, s’avère être une fausse alerte, la prise d’otage d’une épicerie casher de Vincennes, dans l’est parisien, orchestrée par Amédy Coulibaly, se confirme en revanche très vite. En fin d’après-midi, un double assaut est lancé et, à quelques minutes d’intervalle, les frères Kouachi en Seine-et-Marne puis Coulibaly à Paris sont abattus par les forces de l’ordre. Quatre otages ont perdu la vie à Vincennes, ce qui alourdit le bilan à 17 morts, sans compter les trois djihadistes.

La Une de Charlie Hebdo parue le 8 février 2006.

À cette séquence rocambolesque et tragique qui a ému beaucoup de Français et même au-delà de nos frontières, a suivi un moment d’unité nationale qui s'est concrétisé, le dimanche 11 janvier, par plusieurs rassemblements à travers toute la France réunissant plus de trois millions et demi de personnes (entre un et deux millions à Paris) pour défendre la liberté de la presse et dénoncer la montée des radicalismes de tout bord. Comme l'a dit le Premier ministre Manuel Valls dans un discours à saluer (une fois n'est pas coutume) hier, mardi 13 janvier, devant l'Assemblée nationale, « notre peuple s'est rassemblé [...] ; il a marché partout, dans la dignité, la fraternité, pour crier son attachement à la liberté, et pour dire un "non" implacable au terrorisme, à l'intolérance, à l'antisémitisme, au racisme, et aussi, au fond, à toute forme de résignation et d'indifférence. Ces rassemblements [...] sont la plus belle des réponses. » Hier, justement, La Marseillaise chantée spontanément dans l’hémicycle de l'Assemblée nationale par tous les députés et les ministres présents (une première depuis 1918), est une autre preuve s'il en fallait encore de l'union nationale exceptionnelle à laquelle nous assistons depuis quelques jours, et qui transcende largement les clivages politiques.

Que répondre aux cons… et aux moins cons ?

La plupart des réactions qui ont suivi (ou accompagné) cette actualité agitée étaient malheureusement bien souvent prévisibles. Certains comme Marine Le Pen, Ivan Rioufol ou Éric Zemmour ont profité de l’évènement pour appuyer leurs idées habituelles – la première réclamant un référendum sur la peine de mort (comme si cela aurait changé quoi que ce soit aux évènements de la semaine dernière), et les deux éditorialistes déclarant que nous étions « en guerre », et, pour faire bref, que cet attentat était le fruit de notre société multiculturelle intrinsèquement violente. Ça, c’est pour la première catégorie de propos douteux. Nous avons également eu droit à la seconde, tout aussi prévisible, qui a consisté à dire que les caricaturistes de l’hebdomadaire « l’ont bien cherché », ou encore qu’« ils ont joué avec le feu ». « Qui s'y frotte s'y pique » et « qui sème le vent récolte la tempête » sont des exemples de proverbes qui ont pu être lu çà et là sur la toile.

L'extrême-droite fidèle à elle-même.

Aux premiers, on peut soutenir qu’une réponse ultra-sécuritaire visant à la confrontation ne fera que favoriser les ressentiments de part et d’autre, chez les immigrés ou enfants d’immigrés de confession (ou de tradition) musulmane, comme chez les Français pour qui l’islam représente déjà une menace pour l’identité nationale. Assumer un rapport de force avec ce que l’on appelle abusivement la « communauté musulmane » (ou les immigrés de culture musulmane en général), au nom de la défense de notre identité ou d’une laïcité instrumentalisée, c’est évidemment marginaliser encore plus des populations qui sont pourtant majoritairement françaises, mais dont le traitement par l’État les renverrait dès lors au statut de citoyens de seconde zone. À force de dire que l’islam menace notre identité, qu’il n’est pas soluble dans la République et que nous allons vers la guerre civile, l’extrême-droite, clairement nourrie de l’action de ces quelques « terroristes » qui ne représentent qu’eux-mêmes, finit par voir avec satisfaction sa prophétie s’auto-réaliser, celle d'une confrontation sur une base ethnico-religieuse.

Pour les autres, ceux qui crachent sur Charlie Hebdo en conspuant leurs caricatures, il faut rappeler, quand ils sont musulmans, qu’applaudir un meurtre de ce type revient à donner du crédit au Front national pour dire que l’islam n’est pas compatible avec nos valeurs, à savoir la liberté d’expression et de création, mais aussi avec notre histoire. Car la France est forte d’une grande tradition satirique, de caricatures et de pamphlets politiques et anticléricaux (y compris blasphématoires), et il n’y a pas de raison que l’islam y échappe. Rappelons aussi au passage que le Coran, livre saint dans l'islam et donc référence pour plusieurs des personnes ayant tenu de tels propos, interdit d’ôter la vie en dehors du cadre de la loi : « Et, sauf en droit, ne tuez point la vie qu'Allah a rendu sacrée » (sourate 17, verset 3). Il proclame par ailleurs que « celui qui tue un homme, tue toute l'humanité » (sourate 5, verset 32).

La Une de Charlie Hebdo parue le 2 novembre 2011.

Que penser de ceux qui exigent des « musulmans modérés » qu'ils se désolidarisent de la barbarie ?

À peine une dizaine d'heures après l'attentat du 7 janvier, l'éditorialiste Ivan Rioufol, sur RTL, et le pseudo-philosophe Bernard Henri-Lévy, sur Europe 1, réclamaient que les musulmans sortent dans la rue protester en grand nombre (ou en plus grand nombre qu'ils ne le faisaient déjà). Et le ton de plusieurs grands médias publics a été du même acabit pendant plusieurs jours. Les frères Kouachi, affiliés à Al-Qaïda, et Coulibaly, qui se revendiquait de l’État islamique, disaient agir au nom de l’islam, certes. Mais, et cela vaut pour tous les islamistes, leurs actions n’engagent qu’eux-mêmes et leurs compères des nébuleuses djihadistes. Demander aux musulmans de France de se désolidariser des terroristes constitue une pente glissante, à double titre : d'abord, c'est donner du crédit à ces derniers, qui se prétendent dépositaires de l’islam dans son ensemble. Ensuite, c’est tomber dans le piège des djihadistes en insistant sur l’appartenance confessionnelle ou culturelle, qui prévaudrait sur l’appartenance à la communauté nationale. C’est partir du postulat qu’un musulman aurait plus à prouver. Qu’un musulman qui ne crie pas sa colère est un musulman qui approuve la barbarie.

Le Conseil français du Culte musulman, et la quasi-totalité des imams de France ont immédiatement exprimé leur effroi face à la barbarie qui s’est déchaînée contre Charlie Hebdo. La semaine dernière, des milliers de citoyens de confession ou de culture musulmane sont sortis manifester aux côtés d’autres Français de toute confession (ou sans confession), et ils l’ont fait en tant que citoyens français avant tout. Même les autorités musulmanes étrangères, jusqu’aux plus rigoristes (le Hezbollah, l'émirat du Qatar, la monarchie saoudienne, etc.), ont pris position contre la tuerie (avec ou sans hypocrisie). Le Grand Mufti d’Égypte lui-même a condamné les violences. Ce matin même, 14 janvier, Muhammad Tahir-ul-Qadri, érudit d’origine pakistanaise et leader de l’organisation internationale soufie Minhaj-ul-Quran, s’est exprimé dans une fatwa (avis juridique islamique) de 600 pages, et dans ce qui constitue probablement l’argumentaire théologique le plus complet contre le terrorisme islamiste à ce jour, il explique, comme il l'a d'ailleurs résumé dans une conférence à Londres, que les terroristes « ne peuvent pas prétendre que leurs suicides sont des actes commis par des martyrs qui deviendront des héros de l'oumma [la communauté musulmane]. Ils deviendront des héros du feu de l'enfer. […] Il n'y a aucune place pour le martyre, et leurs actes ne seront jamais, jamais, considérés comme le djihad ».

Mais voilà, pour certains, en dépit de cette vague de condamnations, la « communauté musulmane » n'en fera jamais assez.

« Je suis Charlie », et après ?

On voit bien qu’il y a deux poids deux mesures. Demande-t-on aux Français de confession protestante de se désolidariser de prêches délirants de certains religieux américains, comme ceux de Lou Engle, pasteur évangélique connu aux États-Unis pour ses positions extrémistes sur l'homosexualité et l'avortement ? A-t-on demandé aux Norvégiens de confession chrétienne de se désolidariser d’Anders Behring Breivik pour les attentats qu’il a commis en Norvège en juillet 2011 (et qui ont fait 77 morts, tout de même) au nom de la lutte contre l’islamisation de l’Occident ? Demanderait-on aux Français chrétiens la même chose si un tel attentat se produisait en France contre des juifs ou des musulmans ? Non, bien sûr. On doute encore de la capacité de l’islam à s’intégrer à la République, et l’islamophobie ambiante entraîne un procès d’intention perpétuel vis-à-vis des populations immigrées, celles de confession islamique en particulier. Elles sont traitées médiatiquement et parfois politiquement par le seul prisme de la religion, alors que notre République ne reconnaît que des citoyens (et non des communautés de citoyens), sans distinction confessionnelle. C’est collectivement qu’il faut condamner les crimes de la semaine dernière, et non en tant que juifs, musulmans, chrétiens ou athées.

Quid de ceux « qui ne sont pas Charlie » ?

Un mot également pour toutes celles et tous ceux qui ont exprimé de bonne foi leur solidarité envers les victimes de Charlie Hebdo, tout en accolant un « mais » à leurs condoléances. En bref, la formule : « Il faut défendre la liberté d’expression, mais je ne cautionne pas leurs dessins », qu'on pouvait entendre en février 2006, en novembre 2011 ou en septembre 2012, lors des polémiques liées à la publication de caricatures de Mahomet par l'hebdomadaire, a laissé place depuis quelques jours à : « Même si je n’ai pas aimé leurs dessins à l’époque, rien ne justifie un tel drame ».

La Une de Charlie Hebdo parue le 19 septembre 2012.

De deux choses l’une. On pouvait bien sûr être pour l’interdiction des caricatures (en 2006, en 2011 ou en 2012) et dans ce cas, il fallait le défendre sur la base de la loi (en invoquant l’incitation à la haine, par exemple) et mobiliser les tribunaux. D’ailleurs, l’Union des organisations islamiques de France, la Mosquée de Paris et la Ligue islamique mondiale ne s’en étaient pas privées, notamment en 2006. On pouvait aussi tout simplement ne pas aimer l’humour de Charlie Hebdo (Charb comme les autres défendaient ce droit, comme celui de faire appel à la Justice), mais dans ce cas, l’humour étant par essence subjectif, cette opinion, que l’on ne doit évidemment pas brader, n’a tout simplement rien à voir avec les commémorations relatives à la tuerie du 7 janvier.

Le « mais » accolé aux condamnations de la tuerie s’est bien souvent traduit par l’usage répandu du slogan : « Je ne suis pas Charlie », qui mêle à la fois ceux qui approuvent la tuerie et ceux qui ne l’approuvent pas mais qui pensent qu’« être Charlie » équivaut à cautionner la ligne éditoriale du journal.

Il est donc nécessaire de rappeler à celles et ceux qui, de bonne foi et sans mauvaise intention, ont employé ce slogan, que « Je suis Charlie » ne revient pas à soutenir (ni même à connaître) tout ce qu'a pu publier Charlie Hebdo par le passé. Il s'agit tout simplement d'un signe de ralliement symbolique visant à défendre la liberté d’expression et à dénoncer toute forme de violence visant à la brader. Et quelle meilleure manière de soutenir la liberté d’expression qu’en montrant sa solidarité envers un journal satirique, malgré ses désaccords avec son contenu ? Il s’agit de reprendre l’esprit de cet adage longtemps attribué à Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec vos idées mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez les exprimer ». Cette phrase, en réalité écrite en 1906 par la Britannique Evelyn Beatrice Hall dans un ouvrage consacré à Voltaire (« I disapprove of what you say, but I will defend to the death your right to say it »), exprime une conception cohérente de la liberté d’expression : celle qui accepte la contradiction. Si l’on s’attaque à la liberté d’expression de vos contradicteurs, vous pouvez commencer à vous inquiéter pour la vôtre, car une menace pour la parole des uns est une menace pour la parole de tous.

Bref, « Je suis Charlie » signifie simplement que l’on ne cautionne pas que quelqu'un puisse mourir pour ses idées ou pour son humour, fussent-ils de mauvais goût.

Loin de nous l’idée de dire qu’il était du devoir de chacune et de chacun de proclamer : « Je suis Charlie ». Certains membres de Charlie Hebdo, comme le dessinateur Willem, ont d’ailleurs peu apprécié le retournement de veste que beaucoup qui avaient dans le passé critiqué l'hebdomadaire ont pu opérer depuis quelques jours. Mais ne pas aimer l’humour de Charlie Hebdo est une question de goût, et cela ne change rien au fond de l’affaire, à savoir que des gens sont morts pour des dessins (qu'ils soient outranciers ou pas, blasphématoires ou pas, choquants ou pas).

Après le sursaut du 11 janvier, le pire peut être à venir

Il était émouvant d’observer un si grand nombre de Français mobilisés le 11 janvier dernier lors de la « marche républicaine », dans une sorte d’« union sacrée », assez exceptionnelle en ces temps de crise et de morosité économique, sociale et identitaire.

Pendant un temps, Paris est devenue la « capitale du monde », selon le bon mot du président de la République répété maintes fois par les médias français, toujours preneurs de formules toutes faites. Bien sûr, la présence de certains représentants étrangers était choquante : que faisaient les ministres des Affaires étrangères russe et égyptien, le Premier ministre turc, ou encore les chefs d'État gabonais et béninois, eux qui se montrent si peu soucieux de la liberté de la presse dans leur propre pays ? Il aurait mieux valu afficher en tête de cortège l'ensemble des chefs de partis politiques français, plutôt que ce conglomérat de représentants de régimes indignes d'un tel évènement. Rappelons par exemple qu'aujourd'hui même, en Arabie Saoudite (pays représenté lors de la marche), le blogueur Raif Badawi a reçu 50 coups de fouet en public, devant la mosquée al-Jafali à Jeddah – le pauvre homme doit en recevoir 1.000 au total au cours des 20 prochaines semaines, sans compter les dix ans de prison écopés, le tout pour avoir critiqué le gouvernement et la religion sur son site internet. La pseudo-solidarité mondiale dans la lutte de la France contre le terrorisme a presque pris le pas et fait oublié le motif premier de la marche, à savoir la défense de la liberté d’expression. Et les tentatives de récupération de la diplomatie française ou de la classe politique sur les questions de géopolitique moyen-orientale ou sahélienne sont évidemment absurdes : est-il vraiment nécessaire de préciser que les gens n’ont pas, dimanche dernier, manifesté en faveur de nos interventions en Irak ou au Mali ?

Il y aurait par ailleurs beaucoup à écrire sur la présence de Benyamin Netanyahou lors de la manifestation, et sur sa visite à l'épicerie casher le soir même. Le 1er novembre 2012 déjà, le Premier ministre israélien avait accompagné François Hollande pour rendre hommage aux quatre victimes juives de Mohamed Merah (sur sept personnes tuées à l'époque). À chaque fois, sa présence est l’occasion de rappeler qu’Israël est une terre de refuge où les Français de confession juive, qui ne seraient plus en sécurité dans l'Hexagone, sont attendus à bras ouverts. Outre le manque de respect pour la France endeuillée qui pleure encore la perte de ses enfants, qu'elle considère comme des citoyens avant de les voir sous le prisme de leur communauté religieuse, la présence de Benyamin Netanyahou est un contre-sens pour le simple fait que la politique de son gouvernement attise les tensions confessionnelles, met en danger les Juifs de par le monde (abusivement associés à Israël) et nourrit les arguments des extrémistes en méprisant les libertés fondamentales des Palestiniens.

Ce cliché du rassemblement place de la République à Paris, pris dimanche 11 janvier par un photographe indépendant, Martin Argyroglo, est considéré comme le plus beau de la marche. Loin de celle très formelle (et retouchée par certains médias) des chefs d'État défilant en tête de cortège, cette photographie est largement comparée au tableau d'Eugène Delacroix, « La Liberté guidant le peuple » (1830). Peut-être apparaîtra-t-elle un jour dans un livre d'Histoire.

Ce cliché du rassemblement place de la République à Paris, pris dimanche 11 janvier par un photographe indépendant, Martin Argyroglo, est considéré comme le plus beau de la marche. Loin de celle très formelle (et retouchée par certains médias) des chefs d'État défilant en tête de cortège, cette photographie est largement comparée au tableau d'Eugène Delacroix, « La Liberté guidant le peuple » (1830). Peut-être apparaîtra-t-elle un jour dans un livre d'Histoire.

Qu'écrire de plus ? Beaucoup a déjà été dit, sans doute trop, alors que la mort de 17 personnes devait nous inviter au recueillement, et non à des débats et des polémiques – et il y en aura eu peu au final, même si les « Je suis Charlie », « Je suis Charlie, et je suis Ahmed, etc. », « Je ne suis pas Charlie », « Lettre ouverte à ceux qui écrivent "Je ne suis pas Charlie" », etc. se sont succédé. Quelques demeurés qui ont pu se rallier aux théories du complot purement débiles apparues sur certains sites internet douteux (et généralement antisémites) auront par ailleurs apporté leur pierre au soupçon de bêtise qui a suivi le drame du 7 janvier. Retenons l'essentiel : le rassemblement spontané et sincère de près de 15.000 personnes sur la place de la République, à Paris, le soir du 7 janvier, était à l’image de ce que l’on pouvait attendre après de pareils évènements. Les rassemblements du 11 janvier à travers toute la France auront quant à eux représenté un sursaut républicain salutaire qui fait chaud au cœur.

Il s’agit à présent de rester vigilant sur les dérives potentielles, d'où qu'elles viennent, et de prendre les devants face à la montée des extrêmes. Il y aurait évidemment beaucoup à dire sur la nécessité au sein des différentes écoles et branches de l’islam de réformer cette religion, notamment sur la base des textes coraniques eux-mêmes. Le fait est que, même si la majorité des musulmans en France vivent leur religion en accord avec les lois de la République, la bataille de la communication est aujourd’hui remportée par les extrémistes, face aux forces constructives de tout bord (qui existent pourtant !). Et se contenter de qualifier l’autre de fou ou de barbare ne permet pas pour autant de s’interroger sur les racines du problème. Or, poser la question du rapport de l’islam à des paradigmes modernes tels que l’égalité hommes-femmes ou encore la liberté d’expression, dans une société laïque au fort héritage chrétien comme dans les pays de culture musulmane, ce n’est certes pas suffisant en soi (car les causes du djihadisme ne sont pas que théologiques, elles sont aussi économiques, sociales, politiques, etc.), mais ce serait déjà un grand pas. Quelques initiatives émergent progressivement (une « Lettre ouverte au monde musulman » du philosophe français Abdennour Bidar circule par exemple sur la toile depuis plusieurs jours, et soulève de façon sérieuse de nombreuses questions) mais elles restent encore très marginales et ne proviennent que rarement des autorités religieuses elles-mêmes.

Sur le plan politique, la droite et même la gauche vont entrer, c’est largement prévisible, dans une surenchère sécuritaire susceptible d’entraîner des restrictions nouvelles en termes de libertés. Il faut donc rester attentif à ce type de débordement – un arsenal législatif sera sans doute bientôt proposé au Parlement – sans pour autant refuser toute discussion sur les éventuels dysfonctionnements policiers ou judiciaires qu’a pu révéler cette séquence tragique. Amédy Coulibaly, délinquant multirécidiviste, avait déjà été condamné dans une affaire d’extrémisme islamiste. Il avait rencontré Chérif Kouachi en détention, où il s’était radicalisé. Le cadet des frères Kouachi, justement, était connu des autorités pour avoir été mêlé à la filière djihadiste des Buttes-Chaumont à Paris, avant de suivre une formation au Yémen, auprès de la branche locale d’Al-Qaïda. Enfin, Amédy Coulibaly et Chérif Kouachi avaient été impliqués dans l’enquête de 2010 sur une tentative d’évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem, ancien du Groupe islamique armé algérien (GIA), condamné pour un attentat dans le RER parisien en 1995. Bref, un passif lourd auquel il faut tout de même ajouter la détention de kalachnikovs et d’un lance-roquettes…

En 2013, un numéro hors-série de Charlie Hebdo, co-réalisé par Charb et Zineb, met en scène en deux tomes de BD la vie du prophète. À l'époque, le peu de bruit que fait cette parution laisse à penser que le combat de Charlie Hebdo est gagné.

En 2013, un numéro hors-série de Charlie Hebdo, co-réalisé par Charb et Zineb, met en scène en deux tomes de BD la vie du prophète. À l'époque, le peu de bruit que fait cette parution laisse à penser que le combat de Charlie Hebdo est gagné.

Jeannette Bougrab, compagne de Charb, déclarait dans la foulée de la tuerie à Charlie Hebdo que ce drame aurait pu être évité, et prônait un renforcement des contrôles sur la propagande djihadiste qui fait florès sur Internet. Tout en restant attentif à ce que cette séquence ne réduise pas le socle de libertés auxquelles nous sommes attachés, il faudra également éviter de crier au totalitarisme de 1984 dès que des mesures d’ordre sécuritaire seront proposées. Il n’est toutefois pas dit qu’elles constituent la réponse adéquate (et suffisante) aux évènements de la semaine dernière, loin de là.

Quant aux solutions visant à une restriction de l’immigration et du droit à la nationalité proposées par le Front national aujourd’hui (et, n’en doutons pas, par l’UMP demain), elles sont tout simplement hors de propos et relèvent d’un opportunisme répugnant et intellectuellement malhonnête. Au lendemain de ce qu'on a parfois appelé, sans doute un peu abusivement, le « 11-septembre français », il faut avoir la faiblesse intellectuelle d'un Nicolas Sarkozy pour parvenir, dans un esprit très proche de celui des Républicains américains, à associer les termes de « guerre » et de « civilisation » sans honte du ridicule. Dans un tel contexte, et alors que l'on s'entête à assimiler les notions d'« islam », d'« immigrés » et d'« étrangers », le risque est qu'une majorité de personnes adhère à la maxime de Philippe de Villiers : « L'islam est le terreau de l'islamisme et l'islamisme le terreau du terrorisme » (juillet 2005). Et donc qu'elle finisse par rejeter l'islam autant que le radicalisme islamiste.

La Une de ce mercredi 14 janvier.

Aujourd’hui sort en kiosque un nouveau numéro de Charlie Hebdo, dont la Une représente le prophète Mahomet, une larme à l’œil, tenant un panneau « Je suis Charlie ». Alors que la plupart des États musulmans (parmi lesquels certains étaient représentés lors du rassemblement du 11 janvier) et des autorités religieuses islamiques à l'étranger ont d'ores et déjà condamné cette caricature, son auteur, le dessinateur Luz, refuse que Charlie Hebdo devienne un symbole de la liberté d’expression. « On doit porter une responsabilité symbolique qui n’est pas inscrite dans le dessin de Charlie […] Au final, la charge symbolique actuelle est tout ce contre quoi Charlie a toujours travaillé : détruire les symboles, faire tomber les tabous, mettre à plat les fantasmes. […] Est-ce opportun de […] répondre à la symbolique de l’attentat ? […] Répondre à la symbolique par la symbolique, ce n’est pas Charlie », confiait-il le 10 janvier dernier aux Inrocks. Pour lui, l’équipe de l’hebdomadaire était (et est) tout juste composée de « gens qui faisaient des petits dessins dans leur coin ».

Pourtant, en dépit de ce que dit Luz, Charlie Hebdo est devenu un symbole, et quel symbole ! Au vu du contenu du numéro d'aujourd'hui, la rédaction du journal semble d'ailleurs avoir pris le parti de l'assumer et, accessoirement, d'en rire. Ce n’est pas tant leur sens de la provocation qui est défendu (car tout le monde ne l'apprécie pas) que leur droit à choquer et à provoquer. Espérons que de cet épisode dramatique il ressorte autre chose que le boulevard qui semble se dessiner pour les extrémismes de tout bord, et qu’à l’avenir, il ne faille pas une telle tragédie pour que chacun puisse se dire enfin, et malgré tous les désaccords possibles : « Je suis Charlie. »

* * *

Le 11 décembre 2011, le dessinateur Stéphane Charbonnier, plus connu comme Charb, donne une interview. Interrogé alors qu'il affiche son soutien au théâtre du Rond-Point, soumis à l'époque à des pressions des milieux intégristes catholiques qui protestent contre une pièce blasphémant le Christ, il revient sur l’attaque au cocktail Molotov commise un mois auparavant contre les locaux de Charlie Hebdo. Dans le passage suivant, le directeur de publication de l'hebdomadaire s'exprime sur l'exigence faite aux « musulmans modérés » de prendre position sur les violences orchestrées par les extrémistes islamistes.

Au-delà du traumatisme de l'attentat, de trouver les locaux brûlés le matin, à cinq heures du mat' – ce qui est un peu bizarre et ne m'était jamais arrivé, et je crois à personne à Charlie –, cet attentat va changer quelque chose, et ça a déjà changé. Au lieu de se réinstaller dans les locaux où on était, en rez-de-chaussée, avec trois entrées, sur la rue, etc., on est dans un immeuble en étage, plus difficilement accessible. Et ça c'est déjà, malheureusement, une victoire du camp d'en face.

Alors, on n'est pas tombé dans la paranoïa, on ne pense pas que l'islamisme va prendre le pouvoir en France. On sait très bien que c'est une ultra-minorité, on sait bien qu'ils sont quinze cons à manifester en France... Pareil pour les catholiques intégristes. Sauf que si on les laisse faire, ils seront demain beaucoup plus nombreux. Donc on n'est pas devenu paranoïaque, mais ça fait chier de devoir se protéger. [Pour] un journal satirique, opposé à tous les pouvoirs et à toutes les Églises, se retrouver de l'autre côté de la barrière, c'est pas vraiment dans notre nature.

[...] Les ultra-religieux catholiques étaient 1.500 dans la rue [...] et les musulmans étaient 15 à les accueillir [pour protester face au théâtre du Rond-Point] : pour moi, c'est des chiffres qu'il faudra répéter souvent, puisque pour l'instant ce n'est rien. Pour l'instant, ils ne représentent qu'eux-mêmes, ils ne représentent rien.

On s’inquiète de voir les musulmans modérés ne pas réagir, mais c’est parce qu’il n’y a pas de musulmans modérés en France, il n’y a pas de musulmans du tout. Il y a des gens qui sont de culture musulmane, qui respectent le ramadan comme moi je peux faire Noël et bouffer de la dinde chez mes parents, mais ils n’ont pas à s’engager plus que ça contre l’islam radical en tant que musulmans modérés, puisqu’ils ne sont pas musulmans modérés : ils sont citoyens.

En tant que citoyens, oui, ils agissent. Ils achètent Charlie Hebdo, ils manifestent à nos côtés, ils votent contre les gros cons de droite, et voilà.

Ce qui me fait chier, c’est qu’on les interpelle toujours en tant que musulmans modérés. Il n’y en a pas, de musulmans modérés. C’est comme si on me disait à moi : "Réagis en tant que catholique modéré." Je ne suis pas catholique modéré, même si je suis baptisé. Je ne suis pas catholique du tout.

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