Conformément aux résultats officiels présentés par la Commission nationale des Élections le 30 octobre dernier, suite aux élections générales qui se sont tenues deux semaines auparavant, Filipe Jacinto Nyusi a pris ses fonctions le 15 janvier à la tête du Mozambique. Le nouveau président de la République est issu du Frelimo, le parti au pouvoir depuis l'indépendance. Face au risque que le premier parti d'opposition, la Renamo, ne boycotte le Parlement et les assemblées de province, et devant les discours belliqueux de son leader Afonso Dhlakama, le nouveau chef de l'État a dû amorcer un dialogue avec le vieil opposant historique, tout en engageant un rapport de force au sein même du Frelimo, contre le clan du président sortant, Armando Emílio Guebuza. Retour sur une séquence politique longue de six mois, qui pourrait ne pas être totalement close.
Le 15 octobre dernier, les élections générales mozambicaines (présidentielle, législatives, provinciales) conféraient un résultat sans appel : le Front de Libération du Mozambique (Frelimo) remportait les élections avec plus de 55% des suffrages exprimés, la Résistance Nationale Mozambicaine (Renamo), parti historique d'opposition, arrivait en seconde position avec environ un tiers des suffrages, et le Mouvement Démocratique du Mozambique (MDM) se maintenait à moins de 9% des voix. Les deux partis d'opposition ont crié à la fraude, notamment la Renamo, qui est tout de même parvenu à doubler son score de 2009 et à enrayer son déclin électoral. Colonne vertébrale de l'État mozambicain, dans un pays très rural où les manipulations électorales sont aisées, le parti au pouvoir a pu impacter sur les résultats à toutes les étapes du scrutin, depuis le vote jusqu'au comptage. Il l'a probablement au moins fait pour éviter un second tour à la présidentielle et une perte de majorité au Parlement. Pour aller plus loin sur les élections du 15 octobre et les mois qui les ont précédées : Élections générales au Mozambique : quand la démocratie sort perdante
Les mois ayant suivi le scrutin et la proclamation officielle des résultats ont été marqués par une forte tension politique et sécuritaire, alors que la Renamo menaçait de boycotter les instances élues et que le risque qu'elle reprenne les armes perdurait. Pour rappel, le Mozambique est sorti en 1992, date de la signature des accords de Rome entre le Frelimo et la Renamo, d'une des plus sanglantes guerres civiles qu'ait connues l'Afrique au XXème siècle. Seize années de lutte entre le régime marxiste du Frelimo et la guérilla anticommuniste de la Renamo ont entraîné la mort de près d'un million de personnes et le déplacement de cinq millions d'autres ; à cela s'est ajouté le fléau des mines antipersonnel, dont le pays a pris une vingtaine d'années à se défaire. Sans doute en réaction aux mauvais résultats électoraux de son mouvement en 2004 et surtout en 2009, le leader historique de la Renamo Afonso Dhlakama a renoué en 2012 avec une rhétorique belliqueuse à l'égard du pouvoir, avant de reprendre les armes depuis son fief du Gorongosa (province de Sofala). En 2013 et en 2014, plusieurs accrochages ont ainsi opposé l'armée mozambicaine aux miliciens rénamistes, et la route principale reliant le nord et le sud du pays s'est même trouvée coupée pendant plusieurs mois du fait des affrontements et des risques d'attaques rénamistes, dans le sud de la province de Sofala. La Renamo n'a finalement accepté de participer aux élections d'octobre qu'après la signature d'un accord à Maputo, le 5 septembre 2014, avec le président Emílio Armando Guebuza, établissant un cessez-le-feu et prévoyant l’intégration des forces rénamistes dans l’armée nationale et la présence d’observateurs de chaque parti dans les bureaux de vote.
Au cours de ces derniers mois, Afonso Dhlakama a réitéré à maintes reprises ses menaces de recourir de nouveau à la force pour faire valoir sa victoire électorale. Les foules considérables réunies au cours de ses déplacements dans les provinces du centre et du nord du pays ont été l'occasion de discours populistes intransigeants. Aux risques d'instrumentalisation des foules partisanes et d'affrontements sanglants, a succédé la menace d'un retour à une guerre civile larvée. Ainsi, la Renamo dénonce depuis le début de l'année la concentration de troupes de l'armée à proximité du Gorongosa, alors qu'en mars, le gouvernement a lui-même accusé la Renamo de déployer des miliciens au-delà de la province de Sofala, à Inhambane et Gaza, deux provinces du sud. Une attaque rénamiste aurait même eu lieu le 2 avril contre une position de l'armée dans la province de Gaza, sans faire de victime, ce qu'a toutefois démenti la direction du parti d'opposition. Et tout récemment, la Renamo a déclaré que la police empêchait dans tout le pays ses véhicules de se déplacer normalement.
Partagée sur la posture à adopter, la Renamo fait preuve d'une inconstance flagrante
À bien des égards, la Renamo a confirmé ces derniers mois sa grande immaturité politique. Sa direction a fait preuve d'une grande inconstance dans ses revendications, participant à décrédibiliser le mouvement dont les aspirations « démocratiques » s’apparentent davantage à une volonté de s’approprier le pouvoir, ou, à défaut, de le partager avec le Frelimo, qu’à un désir sincère de voir le pays s’ouvrir politiquement. Ce qu'avait d'emblée semblé attester la déclaration d'Afonso Dhlakama à la presse quelques jours après le scrutin, lorsqu'il avait expliqué qu’il contestait les résultats publiés par la Commission électorale, mais qu’il s’accommoderait d’un accord permettant aux deux principaux partis de se partager le pouvoir. Les débats qui s'en étaient suivis à l'Assemblée de la République concernant la création d'un statut destiné au dirigeant du deuxième parti le mieux représenté au Parlement, ont encore conforté cette théorie. La personne occupant cette fonction se verrait octroyer un budget annuel de 71,6 millions de meticais (1.790.000 euros environ), de multiples avantages (immunité diplomatique, résidence de fonction, etc.), et serait intégrée au protocole d'État. Un tel statut existe dans d'autres pays, et encore tout récemment, le 4 mars dernier, le Mali l'a adopté en attribuant au chef de l’opposition des prérogatives importantes (rang de ministre), des avantages (cabinet, voiture) et des financements étatiques ; mais, au Mozambique comme au Mali, son existence est plus susceptible d'« acheter » l'opposition, de la neutraliser, que de l'ériger en véritable contre-pouvoir.
Mais, après la véhémence de sa campagne électorale (et de ses discours post-électoraux), Afonso Dhlakama n'a pas pu se contenter de cette retraite dorée, qui risquait de lui faire perdre toute crédibilité au sein même de son mouvement. Les exigences se sont donc succédées, avec une rare inconstance dans la bouche du leader de la Renamo. La première d'entre elles a consisté à revendiquer,
la mise en place d'un exécutif devait compter certains de leurs membres – un gouvernement d'union nationale ou de coalition, en somme. Mais le 26 novembre dernier, la proposition de loi rénamiste visant à mettre sur pied ce « gouvernement de gestion » a été sans surprise refusée par les députés de la majorité frélimiste.Dès lors, Afonso Dhlakama a changé de cible, annonçant vouloir gouverner là où il avait gagné, par la voie d’une grande région autonome incluant toutes les provinces où il était arrivé en tête lors du scrutin de 2014. Le 10 janvier, le vieux leader d'opposition promettait même la création d'une « République du centre et du nord du Mozambique », avec un statut d'autonomie. Un projet à la fois dangereux et flou. Dangereux, car il est susceptible de nourrir les antagonismes ethniques dont le Mozambique a toujours su limiter l'expression, y compris à l'époque de la guerre civile
. Et flou, car un tel projet soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses aux problèmes du pays. Il n'est en effet envisageable que dans la mesure où les provinces ayant majoritairement voté pour la Renamo conservent une continuité territoriale toutes ensemble, et dans la durée ; quid de cette « région autonome » si les mêmes provinces ne votent pas majoritairement pour la Renamo lors des élections générales de 2019 ? Cette grande région a-t-elle vocation à évoluer territorialement au gré des résultats électoraux ? On voit bien l’absurdité d’une telle proposition, indéfendable, et sa dimension purement opportuniste. Incapable de proposer au pays un projet politique clair, la Renamo revendique avant tout un partage du pouvoir, et ne sait plus quoi proposer pour l'obtenir.C’est sans doute parce qu’elle a pris conscience de l’infaisabilité d’une telle proposition sur le plan institutionnel que la direction de la Renamo a finalement modifié ses doléances, préférant finalement exiger une autonomisation des provinces existantes, celles où la Renamo avait obtenu une majorité de voix. D’une « région autonome », on est passé progressivement, au cours des semaines de janvier et de février, à des « provinces autonomes ». L’usage indifférencié de ces deux expressions par les Rénamistes illustre bien le manque de clarté de leurs revendications. Concrètement, une telle étape de décentralisation, alors que depuis 2009 les membres des assemblées provinciales sont déjà élus au suffrage direct, devait concerner principalement la figure du gouverneur de province, toujours désigné arbitrairement par le chef de l’État, quel que soit la couleur politique de l’assemblée provinciale.
Que dit le projet de loi de la Renamo ?
Un projet de loi fut finalement déposé par les députés rénamistes le 16 mars dernier, quelques semaines après l’entrée en fonction de la nouvelle Assemblée de la République. Il prévoyait la création d’« autorités provinciales » autonomes pour six des onze provinces qui composent le Mozambique, cinq étant celles où la Renamo est arrivée en tête (Sofala, Zambézie, Manica, Tete et Nampula) avec une majorité absolue ou relative, la sixième étant la province de Niassa, où Afonso Dhlakama conteste la majorité (relative) qu’y a officiellement obtenu le Frelimo. La réforme en soi pose d'emblée des problèmes de cohérence nationale – les provinces demeureront-elles autonomes en 2019 en cas d'alternance localement ? – et ne propose toujours pas un projet de décentralisation pour le pays mais un plan de partage du pouvoir géographiquement localisé et servant clairement la Renamo. Surtout, son étude dans le détail révèle l’immaturité (voire l’incompétence) des cadres de la Renamo en termes de droit institutionnel.
Derrière une loi visant à octroyer une autonomie à quelques provinces, les transferts de compétences exigés par la Renamo relèvent plutôt d'une vaste réforme de décentralisation, alors même que le projet de loi ne concerne pas toutes les provinces.
Une revendication qui se défend si l'on veut donner aux nouvelles collectivités les moyens de leurs ambitions, mais qui en dit long également sur les appétits qui motivent la direction de la Renamo. En outre, cette clause a entraîné depuis le dépôt du projet de loi l'hostilité du Frelimo, qui n'entend pas partager la manne des ressources naturelles.
– et contestable sur le plan du droit –, La logique aurait voulu que les futurs chefs des exécutifs provinciaux soient désignés par les assemblées provinciales (comme le sont les présidents de Région en France par exemple), voire élus directement par les électeurs (comme l'est le maire au Mozambique). Afonso Dhlakama a privilégié son égo et son envie de pouvoir, au risque de proposer une loi incohérente et sans crédit. Car lier la désignation des présidents de Conseils provinciaux aux scores de la présidentielle n'a tout bonnement aucun sens ; imaginons un scénario où le parti ayant remporté l’élection provinciale, tout en étant d'opposition, serait tout de même différent du candidat à la présidentielle arrivé en seconde position, et l’on s'aperçoit tout de suite que cette modalité de désignation n'est juste pas tenable.
Elle ne traduit pas un projet politique viable pour le pays. Cette loi n'est que le fruit de l'appétit d'une Renamo frustrée par l'accumulation des élections « volées », et qui veut elle aussi sa part du gâteau. B .
Le défi interne du Frelimo : sortir le sortant !
Les deux autres partis de la scène politique
n'ont évidemment pas manqué non plus d'alimenter l'actualité depuis les élections de 2014. Après avoir fait un score décevant à l'élection présidentielle, le leader du MDM, Daviz Simango, a enchaîné les interventions médiatiques où il dénonçait à la fois une alliance objective entre Renamo et Frelimo pour le vaincre, et les ambitieux qui, à l'intérieur de son parti, ont choisi de ne pas appuyer clairement sa campagne pour MDM, a fait l'objet d'une polémique en interne ; le maire MDM de Quelimane (province de Zambézie), Manuel de Araújo, a défendu publiquement mais en vain que ce poste devait échoir à un député de Zambézie en vertu du fait que cette province était celle ayant envoyé le plus d'élus MDM au Parlement. Un régionalisme opportuniste qui cache mal les ambitions de cette figure montante du parti, mais qui révèle aussi le malaise de certains vis-à-vis de la gestion péremptoire du président du MDM et du monopole du clan Simango sur les postes clefs de la jeune formation politique.Au sein même du Frelimo, une lutte d’influence s’est ouvertement déclarée dès l’accession de Filipe Jacinto Nyusi à la présidence de la République. Pour rappel, sa désignation, en mars 2014, pour représenter le Frelimo aux élections générales, était le résultat d’un compromis entre les proches du président sortant Armando Emílio Guebuza, fortement contesté en interne pour ses pratiques clientélistes et ses dérives autoritaires, et ceux d’Alberto Chipande, un cacique du parti issu, comme Nyusi (dont il est à la fois l’oncle biologique et le « parrain » politique), de l’ethnie Makondé (province de Cabo Delgado). Le maintien de Guebuza à la tête du Frelimo, au-delà de la date du 15 janvier, a donc rapidement représenté un défi pour le nouveau chef de l’État, puisque le président sortant apparaissait dès lors comme un contre-pouvoir au sein même de sa majorité. Dès le 28 novembre, le journal d'opposition Savana titrait : « La relation Nyusi-Guebuza pourra être tendue ».
Et cela n'a pas manqué. La constitution même du gouvernement, le 17 janvier, a révélé les luttes d'influence à l'œuvre, puisque quatre membres du Comité central du Frelimo ont été intégrés au gouvernement, dont Celso Ismael Correia, ministre des Terres, de l'Environnement et du Développement rural. À 36 ans, Correia est un pur produit de l'ère Guebuza, considéré comme l'un de ses lieutenants : président de la BCI, second établissement commercial du pays, il est le PDG du groupe Insitec (finance, énergie, immobilier, construction), qu'il a fondé en 2001 (à 21 ans !) avec l'appui de la famille Guebuza qui y détiendrait des participations. Même les personnalités les plus proches de Nyusi ont un pied dans le secteur privé, voire ont tissé dans le passé des alliances commerciales avec certains fidèles de Guebuza. Le nouveau chef de l'État s'appuie sur plusieurs personnalités originaires du nord du pays, et plus précisément de sa province natale de Cabo Delgado. Outre Alberto Chipande, on peut citer José Mateus Katupha, député de cette province et conseiller de Nyusi pendant la campagne, ou encore le général Lagos Lidimu, ancien chef d'état-major (1995-2008) très actif dans les affaires.
Ce rapport de force larvé entre l'ancien chef de l'État et le nouveau a trouvé une issue plus rapide que ne l'avaient prévu les observateurs politiques. Mis sous pression par Alberto Chipande et ses proches dès l'ouverture du Comité central du Frelimo le 26 mars, le président du parti fut contraint à la démission trois jours plus tard, le 29 mars. Le lendemain, Filipe Nyusi était désigné à l’unanimité président du Frelimo. Cette victoire politique conforte le nouveau chef de l’État, alors que certaines de ses postures récentes tendent à renforcer sa popularité parmi les Mozambicains, en l’affichant proche du peuple. Dès le jour de son entrée en fonction, il déclarait : « Le peuple mozambicain est mon patron ». La visite de deux écoles primaires, l’une à Maputo en mars et l’autre dans la province de Gaza en avril, a été à cet égard emblématique. Ces déplacements ont également été l’occasion d’entendre les doléances des professeurs, notamment dans la seconde école où les besoins étaient criants.
Pour l’instant, ces coups de com’ ne se sont pas traduits par des investissements massifs dans le secteur scolaire. Bien que le budget de l'Éducation soit en hausse, représentant 22,8% des dépenses de l'État cette année, le Centre d'Intégrité Publique (CIP), un organisme indépendant, a récemment désapprouvé le budget national 2015 adopté il y a quelques semaines par les députés, dénonçant la primauté donnée au secteur de la Défense. Un changement dans les pratiques du pouvoir et dans les choix politiques et économiques n'est donc pas pour tout de suite, comme l'a également montré l'échec d'un projet de loi présenté par les députés MDM en février dernier visant à limiter le rôle des partis (du Frelimo en l'occurrence) dans les institutions d'État.
Mais indéniablement, le style résolument plus ouvert et décontracté adopté par le nouveau président rompt avec celui de son prédecesseur Guebuza, cloîtré dans le palais présidentiel coûteux qu’il s’était fait bâtir sur le dos du contribuable au cours de son second mandat. La réputation du président sortant avait encore été entachée d'un scandale de plus au cours des dernières semaines, par des informations parues dans la presse italienne sur la base de transcriptions d'écoutes téléphoniques de l'ancien patron de la compagnie pétrolière ENI, Paolo Scaroni. On l'entend discuter d'un cadeau de Guebuza, un très beau terrain à Bilene, un site touristique réputé, et d'exemptions fiscales pour l'entreprise. Cette affaire est emblématique de sa présidence, qui avait mêlé affaires et politique, et avec laquelle il était capital pour le nouveau président de prendre ses distances. « On va voir ce qu’il va faire maintenant, peut-être qu’il fera des choses biens » est une phrase qui revient dans la bouche de nombreux Mozambicains à propos de Filipe Nyusi, y compris de citoyens qui n'ont pas voté pour lui.
Le rejet de la loi de décentralisation : sortie de crise ou impasse ?
Aujourd’hui même, jeudi 30 avril, le projet de création de provinces autonomes présenté par la Renamo a été rejeté par les députés, à 138 voix contre 98. Un vote qui clôt plusieurs mois de débats publics sur cette réforme. Les enjeux de pouvoir liés à la décentralisation ont cristallisé les passions. Le meurtre de l'avocat et constitutionnaliste franco-mozambicain Gilles Cistac, le 3 mars dernier, abattu en pleine rue à Maputo, illustre bien les tensions qui existent sur cette question. Cet universitaire, connu pour ses critiques anciennes, argumentées et sans concession sur les pratiques autoritaires de l’État mozambicain, avait notamment expliqué que le projet de provinces autonomes porté par la Renamo ne nécessitait pas une modification de la Constitution et pouvait être adopté par la voie législative. Quinze ans après celui du journaliste d'investigation Carlos Cardoso en 2000, et près d'un an après celui du juge d'instruction criminelle Dinis Silica, l'assassinat de Gilles Cistac, sans doute commandité par des proches du clan Guebuza, a provoqué un émoi important dans l’opinion publique, comme l'a illustré la marche du 7 mars en son hommage à Maputo. « Frelimo d'assassins », titrait le 4 mars le quotidien Canal de Moçambique. Fernando Lima, rédacteur en chef du journal indépendant Savana, a reçu des messages lui disant qu'il était le prochain sur la liste. En outre, la semaine ayant précédé le meurtre, des menaces de mort avaient été proférées anonymement (sur Facebook) à l’encontre de plusieurs « blancs » proches de milieux intellectuels d’opposition (sans pour autant être liés à la Renamo), à savoir Fernando Lima, mais aussi Fernando Veloso, directeur du Canal de Moçambique, les économistes João Manuel Ferreira dos Santos Mosca et Carlos Nuno Castel Branco, et... Gilles Cistac. Le ton était donné.
La campagne contre les adversaires de Guebuza, en dehors du parti au pouvoir mais aussi en son sein, a été orquestrée par un groupe d'hommes politiques surnommé le G40, codirigé par un ancien porte-parole de la présidence, Edson Macuácua, et par l'ex-ministre des Transports Gabriel Muthisse. Ce groupe tire son nom d'une liste de commentateurs approuvés par le parti et diffusée aux organes de presse qui avaient l'obligation de n'interroger personne d'autre. Avant même de s'en prendre à l'opposition, le G40 avait d'abord focalisé ses attaques sur des adversaires blancs ou métisses qui se trouvaient dans le Frelimo, notamment Jorge Rebelo et Sérgio Vieira, deux leaders de la vieille garde du parti.
À défaut d’avoir accouché d'un scénario à la kényane (2007) ou à la zimbabwéenne (2008), avec la constitution d’un gouvernement d’union conduit par le leader de l’opposition, le scrutin d’octobre 2014 a ouvert le champ des possibles en termes de partage « verticale » du pouvoir. Mais la décentralisation proposée par la Renamo, et approuvée par le MDM, a été résolument rejetée par le Frelimo. Pourtant, une transition douce vers l’alternance aurait pu passer par ce scénario. Les élections municipales de novembre 2013, boycottées par la Renamo mais au cours desquelles le MDM est parvenu à se maintenir ou à gagner quatre villes importantes (Beira, Quelimane, Nampula et Gurué), ont montré que ce type d’expérience était propice à « habituer » tant bien que mal les Frélimistes à l’idée d’alternance, de même que la gestion de collectivités locales rend plus matures les partis d’opposition. Enfin, l’accession à des postes à responsabilité de membres de l’opposition peut également permettre l’émergence de nouvelles figures politiques (c’est le cas par exemple de Manuel de Araújo, maire MDM de Quelimane), dans un pays où les visages neufs manquent tant, y compris dans les deux partis d’opposition.
Suite au vote parlementaire d’aujourd’hui, la présidente du groupe des députés rénamistes à l'Assemblée de la République, et nièce de Dhlakama, Ivone Soares, a déclaré que « l’avenir du Mozambique est incertain ». Et pour cause : la posture à adopter n’est pas évidente pour son parti. La Renamo est face à un dilemme : alors qu’Afonso Dhlakama avait déclaré à plusieurs reprises ces dernières semaines que ses hommes prendraient le pouvoir par la force dans les provinces concernées si l'Assemblée rejetait son projet de loi, le parti n’est tout bonnement pas en capacité de mettre en œuvre ses menaces – peut-être n’en a-t-il tout bonnement pas la volonté d’ailleurs. Tout au plus les miliciens rénamistes peuvent-ils conduire des attaques dans les provinces du centre et ainsi inquiéter les investisseurs étrangers, ce qui aurait un impact sur l’économie du pays. Et, tout en dénonçant la décision des députés frélimistes, le vieux leader d’opposition a finalement déclaré, suite au vote au Parlement, ne pas vouloir lancer le pays dans une nouvelle guerre civile. Le plus probable est donc que, dans les mois à venir, la Renamo propose une nouvelle loi, peut-être en corrigeant les incohérences de la précédente. Difficile de dire si ce jour représente la fin d’une longue séquence politique ou si, au contraire, le Mozambique, ce grand pays qui a tant connu la guerre, est rentré dans une impasse qui le conduira à nouveau à la violence.