Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Par David Brites.

La Conférence de Paris sur le climat, ou 21ème conférence des parties (COP21) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, s'est achevée le 11 décembre dernier par la signature d'un traité, considéré comme le premier accord universel sur le climat. Laurent Fabius, président de la COP21 au titre de ministre des Affaires étrangères français, concluait alors, ponctuant par un petit coup de maillet sur la table : « C'est un petit marteau mais je pense qu'il peut faire de grandes choses ! » Présenté comme un succès par la diplomatie française et par la communauté internationale, l'accord de Paris ne fait pourtant pas l'unanimité. Qu'en est-il réellement ?

Que prévoit exactement ce traité ? L'objectif était d'élaborer un texte visant à remplacer l'accord de Kyoto, qui a théoriquement pris fin en 2013. Pour rappel, ce protocole, adopté laborieusement en 1995, signé en 1997 au Japon et entré en vigueur en 2005, visait à réduire d’au moins 5% les émissions de six gaz à effet de serre (dont le dioxyde de carbone et le méthane) par rapport à leur niveau de 1990. C'est donc à Paris, après l'échec de la conférence de Copenhague en 2009, qu'a été finalisée la « suite » de Kyoto.

L'accord prévoit de contenir le réchauffement climatique « bien en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels », c'était là son enjeu majeur. Dans un souci de transparence, il prévoit une obligation pour chaque pays de soumettre régulièrement ses objectifs de réduction d'émissions de gaz à effet de serre à des grilles de renseignements et d'analyses communément partagés et compréhensibles par tous. Le hic : pas d'amendes ni de mesures de rétorsion – une majorité d'États s'y opposait. Les objectifs annoncés au niveau national doivent être révisés d'ici 2020, puis tous les cinq ans, et les objectifs de réduction des émissions ne pourront être revus à la hausse. Par ailleurs, second objectif majeur, l'article 4 du document affirme la neutralité carbone, ou compensation carbone, c'est-à-dire la compensation des émissions de gaz à effet de serre dans l'atmosphère : c'est le « zéro émission net », basé sur la compensation de nos émissions de gaz à effet de serre par les dits puits de carbone (forêts, océans, techniques de capture et de stockage du carbone).

Rappelant le principe des « responsabilités communes mais différenciées » de 1992 (sommet de Rio de Janeiro), l'accord souhaite que « les pays développés continuent de montrer la voie en assumant des objectifs de réduction des émissions en chiffres absolus », établissant une différenciation entre les pays industrialisés et ceux en voie de développement. Dans cette logique, le plancher de l'aide climatique aux pays en développement est fixé chaque année à 100 milliards de dollars (91 milliards d'euros) – une somme astronomique sur laquelle on peut à juste titre se poser des questions quand on constate déjà l'inefficacité de l'aide au développement aux pays du Sud – et sera revu au plus tard en 2025. Enfin, un bilan global de l'accord sera effectué en 2023, puis tous les cinq ans. Ce cycle de révision est toutefois susceptible de modifications décidées dans le cadre de COP ultérieures.

Alors, pourquoi établir un bémol (et même plusieurs) à ce qui est présenté comme un accord sans précédent ? Alors que celui-ci était validé par les 195 États alors représentés dans la salle du Bourget, en banlieue parisienne, entre 15.000 et 20.000 personnes se sont rassemblées à Paris pour faire valoir les « lignes rouges » de la société civile. Des manifestants à bon nombre d'associations environnementalistes, les critiques pleuvent.

Pour revenir sur les préludes aux négociations de la COP 21 à Paris : De Lima à Paris : que doit-on attendre des négociations sur le changement climatique en 2015 ?

2015 : une année chargée de grands bouleversements

La Conférence de Paris a donc clos une année bien agitée, en France comme dans le monde. En France, puisqu'après les attentats qui avaient ouvert 2015, aux locaux de Charlie Hebdo le 7 janvier, d'autres ont fait 130 morts, à Paris et à Saint-Denis, mettant à l'épreuve l'unité nationale. S'en sont suivis, en décembre, des élections régionales qui ont confirmé la montée inexorable du Front national.

Avec le succès de Laudato si’ (2015), le pape François a apporté sa pierre.

Dans le monde ensuite. 2015 n'a pas été une année comme les autres, sur les plans climatique et environnemental. Elle est la plus chaude jamais enregistrée depuis le début des relevés en 1880, devant 2010 et surtout 2014 (+0,68°C par rapport à la moyenne du XXème siècle), le précédent record (en France, elle est la quatrième plus chaude depuis 1880) ; elle s'est approchée du seuil de +0,9°C par rapport au siècle dernier. Même s'il faut rappeler que les mesures météo ont grandement évolué depuis le début du XXème siècle – les stations météo ne sont plus situées à l'identique par rapport aux tissus urbains, les mesures thermométriques ont laissé la place aux mesures altimétrique (par satellite), etc. –, ces différences sont corrigées informatiquement, et n'engendrent probablement des écarts qu'à la marge. Surtout, malgré ces précautions d'usage, ce pic confirme une tendance globale observée depuis un siècle et demi.

Au-delà de ce record, l'année 2015 a vu se multiplier, à l'image des vingt dernières années, les phénomènes naturels illustratifs d'un dérèglement climatique. Arrêtons-nous sur l'un d'eux en particulier, El Niño (littéralement « L'Enfant », Jésus-Christ), et pour cause, il a participé aux pics exceptionnels de température observés dans diverses régions du monde. Désignant à l'origine un courant côtier saisonnier chaud observé au large du Pérou et de l'Équateur (qui met fin à la saison de la pêche), le terme indique à présent, par extension, le phénomène climatique particulier qui se caractérise, tous les quatre à sept ans en moyenne, par des températures anormalement élevées de l'eau, dans la partie orientale de l'océan Pacifique. Or, ce courant a été particulièrement violent en 2015, et, ce n'est pas une première, a impacté l'écosystème jusque dans l'océan Indien – un cycle de variation de la pression atmosphérique globale entre l'est et l'ouest du Pacifique, nommé l'oscillation australe, se répercutant ensuite vers l'océan Indien. Ces dernières années, plusieurs missions menées par des scientifiques français dans les îles Éparses ont permis de constater l'impact dramatique d'El Niño. Pour information, cet archipel français (inhabité) du canal du Mozambique possède un état de conservation naturel exceptionnel. Or, comme pour de nombreuses régions du Pacifique, la communauté scientifique avait observé, sur certaines zones spécifiques de Juan de Nova (l'une des îles de l'archipel), la destruction du plancton, cet ensemble d'organismes (gamètes, larves, animaux inaptes à lutter contre le courant, végétaux et algues microscopiques) qui constituent la base alimentaire de nombreux êtres vivants marins : c'est donc toute la chaîne alimentaire qui, dans les zones impactées, a été affectée, à tous les niveaux.

El Niño, s'il influe sur les milieux naturels, n'en est pas moins naturel à la base, et d'ailleurs, même à Juan de Nova, on a pu assister à la reconstruction, lente mais réelle, du plancton. Toutefois, la multiplication du phénomène et son accentuation, favorisées par les activités humaines qui ont un impact sur le réchauffement climatique, limitent la capacité d'adaptation et de reconstruction des milieux naturels. Et en cela, 2015 a été une nouvelle année violente pour la région, El Niño en est l'un des exemples les plus emblématiques. Les conséquences s'en font encore ressentir en 2016, y compris au-delà des milieux marins. Causée par El Niño, une sécheresse impressionnante – la plus grave depuis trente ans – s'abat à présent sur l'Afrique australe et orientale, où 14 millions de personnes sont déjà confrontées à la famine, en particulier sur l'Éthiopie, deuxième pays le plus peuplé d'Afrique et menacé de catastrophe alimentaire. De l'Afrique du Sud à l'Éthiopie, en passant par l'Angola, le Mozambique et le Zimbabwe, jusqu'à 30 millions de personnes étaient déjà, selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM), en situation d'« insécurité alimentaire » fin décembre 2015.

La capacité de résilience des populations concernées, majoritairement composées d'agriculteurs ou d'éleveurs, est très faible compte tenu du niveau de pauvreté de cette partie du continent. Porte-parole du PAM, Stéphanie Savariaud déclarait récemment au journal Le Monde que le risque, pour les 7,5 millions de personnes qui ne sont pas encore prises en charge par des ONG, est « que le taux de malnutrition [augmente] et [conduise] l’Éthiopie dans une situation grave, en plein milieu de la saison de "soudure" », c'est-à-dire la période entre l’épuisement des réserves des greniers et la récolte suivante. « L'Éthiopie connaît sa pire sécheresse en 50 ans », selon l'ONG Save the Children. Certains pays d'Afrique de l'Est, au contraire, sont menacés de fortes inondations, comme l'Ouganda, où un million de personnes seraient exposées.

Les catastrophes naturelles et les menaces futures ont constitué un facteur stimulant dans les négociations de la COP21. D'abord parce que certains pays en voie de développement s'aperçoivent que leur croissance aura à terme un coût bien plus important si elle ne se fait pas, dans la mesure du possible, en respect des ressources et des milieux exploités ou impactés. La Chine notamment, dont la posture a pu sembler jusqu'en 2014 un obstacle puisque Pékin privilégiait avant tout sa croissance économique, a ainsi revu sa copie. En cause : des pics de pollution devenus insupportables dans les grandes villes chinoises. Encore en décembre dernier, dans la foulée de la COP21 (tout un symbole !), suite à une quatrième vague de pollution record, les autorités chinoises ont déclenché l'alerte maximale dans de nombreuses métropoles du nord-est et du centre du pays. Du jamais vu : la région du Shandong, avec ses 96 millions d'habitants et plus grand nombre de centrales à charbon du pays, a émis l'alerte pour tout son territoire, et dans 16 grandes villes, le taux de pollution dépassait 12 fois le seuil fixé par l'Organisation Mondiale de la Santé. Une pollution caractérisée par un brouillard toxique, comme on en observe régulièrement dans les villes chinoises. Conséquence immédiate : la fermeture d'usines et de nombreux services publics, dont des écoles et des aéroports.

En outre, le défi du réchauffement climatique est, pour beaucoup de peuples, un enjeu de survie. Une réalité qui impactera évidemment leurs voisins. Car une crise des réfugiés d'un nouveau genre se profile, celle des réfugiés climatiques. Rappelons qu'au-delà de l'impératif de 2°C, l'accord de Paris vise aussi, dans la mesure du possible, à « poursuivre les efforts pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C ». Or, ce dernier objectif a été ajouté sous la pression de l'Alliance des Petits États Insulaires (Alliance of Small Island States), qui regroupe 44 pays parmi les plus exposés aux effets du changement climatique et qui, comble de l'injustice, émettent le moins de gaz à effet de serre (0,00001% des émissions globales).

Pour rappel, expliquait le journaliste Patrick Sykes dans l'édition du Foreign Affairs du 4 novembre 2015, « le point le plus élevé de l'État des Tuvalu, dans le Pacifique, se situe à seulement 4,5 mètres au-dessus du niveau de la mer. Lors des grandes marées, l'archipel tout entier est temporairement submergé. » Pour les atolls coralliens des Maldives (océan Indien), « ce point se trouve à moins de 2,5 mètres d'altitude. Pour les experts, les îles Tuvalu sont vouées à disparaître dans les cinquante prochaines années ; les Maldives, d'ici trente ans. Les îles voisines subiront le même sort, qui menace environ 9,2 millions de personnes dans les 22 États insulaires du Pacifique, et quelque 345.000 dans les Maldives. » Une telle situation pose des défis nouveaux, car quel statut donner à ces nouveaux migrants ? Une population peut trouver refuge à l'étranger (57% des Samoans et 46% des Tongiens vivent déjà en dehors de leur pays d'origine, la plupart en Nouvelle-Zélande), mais quid d'un État ? « Si leur pays est englouti, des peuples entiers pourraient se retrouver engloutis. » Or, certains de ces réfugiés rejettent le statut d'immigrant. Et Patrick Sykes de poursuivre : « Ce qu'ils veulent, c'est leur propre pays. En baissant les bras et en le quittant, ils perdraient leur souveraineté et deviendraient dépendants. En outre, cela dispenserait le reste du monde de devoir assumer ses responsabilités face à une catastrophe climatique qui aurait pu être évitée. »

Des questions juridiques lourdes sont dès lors posées. Une fois submergé, un pays constitue-t-il encore un État ? L'existence d'un territoire est un prérequis pour prétendre bénéficier d'un tel statut. Condition à laquelle il faut ajouter une population permanente, un gouvernement, une capacité à entrer en contact avec d'autres États, etc. Les nouveaux migrants sont de facto apatrides, même s'ils détiennent des passeports prouvant leur précédente nationalité. Ces îles se préparent donc à des transferts de population laborieux et délicats. « La Nouvelle-Zélande a accordé, nous rappelle Sykes, des autorisations de séjour et permis de travail à un quota annuel de 75 citoyens des Tuvalu. Apparemment, l'Australie a refusé d'en faire autant. Elle n'a pas accepté de réfugiés climatiques pour l'instant. » L'État des Maldives a, quant à lui, amorcé la construction d'une île artificielle, Hulhumalé – la première phase du projet s'élève déjà à 63 millions de dollars. Une entreprise irréalisable pour la plupart de ces archipels. « De plus, ajoute le journaliste américain, selon le droit international, la souveraineté territoriale et les bénéfices qui en découlent requièrent un noyau de terre naturellement formée. » Des incohérences juridiques apparaîtront donc avec le temps, en particulier si Hulhumalé devient le centre économique, commercial et culturel des Maldives.

Les bouleversements actuels amèneront donc les juristes à repenser la notion d'État. Et doivent surtout nous inviter, collectivement, à penser dès maintenant l'accueil de ces populations, dont le besoin de reconnaissance culturelle (voire politique) ne disparaîtra pas, même avec leur terre sous les eaux.

COP 21 : tout reste à faire !

Le contenu de l'accord : des objectifs insuffisants et de lourdes carences

Bien qu'historique dans la mesure où il est le résultat d'une négociation très longue – dans laquelle la diplomatie française s'est largement investie, depuis le sommet de la COP20 à Lima en décembre 2014 –, ce traité présente de grandes fragilités, en particulier parce qu'il ne prévoit pas de sanctions réelles en cas de non-respect par l'un des acteurs concernés (étatique ou privé). Comme l'écrivait à juste titre l'économiste Éloi Laurent dans un article publié en décembre sur le blog de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), « on pensait que l’enjeu, à Paris, [était] d’étendre aux pays émergents, à commencer par la Chine et l’Inde, les engagements contraignants acceptés à Kyoto voilà dix-huit ans par les pays développés ». Mais, note le blogueur, « c’est exactement l’inverse qui s’est produit : sous l’impulsion du gouvernement américain, qui aura dominé de bout en bout et jusqu’à la dernière minute ce cycle de négociations (dont l’UE a été cruellement absente), tous les pays se trouvent désormais de fait hors de l’Annexe 1 du Protocole de Kyoto, libérés de toute contrainte juridique quant à la nature de leurs engagements dans la lutte contre le changement climatique, qui se résument à  des contributions volontaires qu’ils déterminent seuls et sans référence à un objectif commun. »

En outre, certaines « contributions » demeurent insuffisantes. Le texte qui clôture la Conférence note même « avec préoccupation que les niveaux des émissions globales de gaz à effet de serre en 2025 et 2030 estimés sur la base des contributions prévues déterminées au niveau national ne sont pas compatibles avec des scénarios au moindre coût prévoyant une hausse de la température de 2°C [...], et des efforts de réduction des émissions beaucoup plus importants seront nécessaires, ramenant les émissions à 40 gigatonnes ». Traduction : les participants eux-mêmes reconnaissent que ce texte ne répond pas aux enjeux et que les objectifs affichés par les 195 États, même s'ils sont respectés, ne suffiront pas à contenir le réchauffement climatique en deçà de 2°C par rapport à l'ère pré-industrielle.

Autre carence lourde : la partie opérationnelle du document ne mentionne ni les droits humains (individuels ou collectifs) qui devraient être inhérents à un tel accord, ni la question cruciale de la sécurité alimentaire, enjeu majeur de demain, notamment dans un monde peuplé de 9 à 10 milliards d'habitants à l'horizon 2050. Or, les droits des populations et la question alimentaire sont intrinsèquement liés, car ils se recoupent sur la question de la terre, de son usage et de son occupation. Le droit à la sécurité alimentaire est donc largement relégué au second plan ; il n'apparaît même pas à l'article 2 des objectifs du traité, où il avait pourtant toute sa place. Comme le disait en décembre dernier Anne-Laure Sablé, chargée de plaidoyer à CCFD-Terre Solidaire (citée sur le site de l'association), « on voit bien qu’en faisant l’impasse sur la sécurité alimentaire, c’est en fait le modèle agro-industriel actuel que l’on cherche à protéger alors qu’il faudrait le remettre en question. Espérons que [la] référence à [l'impact des dérèglements climatiques sur] la "production alimentaire" ne tuera pas dans l’œuf les négociations de la COP22, où se dérouleront les premières discussions sur l’agriculture. » Problème : cette référence, qui a remplacé la notion de « sécurité alimentaire », réaffirme simplement la nécessité de « produire plus », et non de produire mieux, ou de mieux répartir la production et la consommation de nourriture. Car évidemment, il faut prendre en compte l’accès, la qualité et la durabilité de l’alimentation. Mais nous n'en sommes toujours pas là, alors que l'agriculture, l'un des premiers secteurs émetteurs de gaz à effet de serre, ne nourrit pas encore tout le monde à travers le globe – et ce n'est pas faute de productions suffisantes.

Au contraire, dénoncent de nombreux acteurs de la société civile, les multiples solutions avancées pour lutter, et contre les dérèglements climatiques, et contre l'insécurité alimentaire, s'inscrivent de façon dramatique dans le logiciel de pensée productiviste qui domine depuis plusieurs décennies, sur tous les plans. Qu'il s'agisse de la reconnaissance et de l’institutionnalisation du Lima Paris Action Agenda ; de la Climate Smart Agriculture, une initiative dont l'application est difficile, notamment à cause d’un manque d'outils et d'expérience ; ou encore du « 4 pour 1.000 », un programme de recherche international sur la séquestration du carbone dans les sols, qui a pour objectif d’améliorer les stocks de matière organique des sols à hauteur de 4 pour 1.000 par an... Tous nourrissent des critiques, ou du moins de grandes réserves. L'établissement et l'extension des cultures OGM, ou l'usage de certains pesticides, ne sont que des exemples des dérives potentielles de ces « fausses bonnes idées ».

En outre, la question des terres (réduites à leur seul rôle de « puits et réservoirs de carbone ») et de l'agriculture a été traitée sans prendre en compte les individus qui y vivent, comme le déplorait, dès la signature de l'accord, l'association CCFD-Terre Solidaire, très investie dans le lobby environnemental tout au long des négociations. Les populations constituent une variable d'ajustement largement négligeable, dans le vaste échiquier foncier mondial. Une financiarisation de la nature et des accaparements massifs de terres peuvent découler des carences de l'accord sur ce sujet. Il ne s'agit pas là d'un risque pour demain, mais bien d'un processus déjà en marche, et qui pourrait être accentué par l'accord de décembre. Rappelons qu'entre 2000 et 2014, plus de 200 millions d’hectares de terres arables ont déjà été achetés ou loués, particulièrement en Afrique, par des géants de l’industrie agro-alimentaire, par des spéculateurs, et même par des États soucieux d’assurer leur propre sécurité alimentaire.

Le cas du Qatar est à cet égard emblématique, puisque, comme la plupart des pays du Golfe, l’émirat est dépendant des importations étrangères à hauteur de 90% de ses besoins alimentaires. Conscients de cela, les Qataris ont pris les devants : par le moyen d'un fonds souverain, ils sont déjà propriétaires d’au moins 100.000 hectares au Soudan et de 40.000 hectares au Kenya ; les pays les plus riches ne sont pas épargnés, comme le Canada et l’Australie, qui ont déjà cédé de larges surfaces. La situation du Mozambique, l'un des États les plus pauvres du monde, est là-aussi exemplaire : les prix du foncier y sont très bas, et les autorités nationales ont fait de l’attraction des capitaux privés la solution pour assurer le développement du pays ; une orientation inadaptée aux situations locales, puisque huit Mozambicains sur dix pratiquent l’agriculture, en majorité sur des parcelles de moins de deux hectares. Les petits paysans en sont donc les victimes directes. Une réalité d’autant plus triviale que le niveau élevé de corruption entraîne les pires abus.

Bref, loin de corriger le système, l'accord de décembre néglige des aspects économiques et sociaux cruciaux pour l'agriculture de demain. En outre, à bien des égards, il incite de nombreux acteurs privés à rachetés des terres dans les pays du Sud pour « compenser » leurs émissions de gaz à effet de serre, dès lors que les terres rachetées sont avant tout considérées comme des « puits et réservoirs de carbone »On est encore loin de prendre le problème par le bon bout.

L'innovation au service du développement durable ? Ici à Grenoble, l'exemple de l'auto-partage, un système de location de véhicules électriques disponibles sans réservation préalable.

L'innovation au service du développement durable ? Ici à Grenoble, l'exemple de l'auto-partage, un système de location de véhicules électriques disponibles sans réservation préalable.

Vélos en libre-service, à Lyon : vers une nouvelle mobilité urbaine ?

L'année 2016 enterrera-t-elle l'accord de 2015 ?

Un premier constat est à faire : la présidence Hollande, qui met à son crédit (et le fera, à n'en pas douter, à l'occasion de l'élection présidentielle de 2017) l'accord obtenu à l'arraché en décembre dernier, n'aura pas marqué l'histoire de l'Hexagone par une réorientation écologiste du système économique. Beaucoup de promesses dans ce texte, bien peu d'actions concrètes au cours de son mandat présidentiel. Le traité, qui doit encore être ratifié par au moins 55 pays comptant pour 55% des émissions de gaz à effet de serre pour entrer en vigueur, ne sera d'ailleurs effectif, le cas échéant, qu'à partir de 2020. C'est dire que pratiquement aucun des chefs d'État et de gouvernement qui l'a approuvé sur le principe, en décembre dernier, ne sera encore en place une fois qu'il sera appliqué. Encore une fois, on repousse les échéances et les défis. Or, l'actualité nous oblige à ouvrir les yeux sur le caractère simplement insuffisant de cet accord.

Au début du mois de décembre, alors même que les diplomaties du monde entier étaient en négociation, le bureau d'études Basic et l'Observatoire des multinationales révélaient que quatre grandes entreprises, sponsors de la COP21, avaient dissimulé une grande partie de leurs émissions de gaz à effet de serre à travers la délocalisation, au Sud, des maillons les plus polluants de leur chaîne de production. On trouve là le mastodonte de l'agro-alimentaire Carrefour, dont 80% de son empreinte carbone globale serait localisée à l'étranger ; le géant du luxe LVMH, qui génère 60 à 70% de ses émissions au Sud, notamment en Amérique latine et en Asie où il s'approvisionne en matières premières ; EDF, groupe emblématique de la puissance énergétique française, qui ne communique que sur ses émissions de gaz à effet de serre dans l'Hexagone, mais dont un quart des activités se situent à l'étranger ; et Kering, fabricant de prêt-à-porter et de maroquinerie (derrière la célèbre marque Puma) dont l'empreinte carbone se situe largement dans plusieurs pays dits du Sud.

Cette révélation illustre l'hypocrisie et les limites du système économique global, qu'il n'est évidemment pas question de contester – que l'accord de la COP21 ne conteste d'ailleurs pas vraiment – alors même qu'il favorise, en raison de l'internationalisation des chaînes de production et d'une course à l'optimisation fiscale, ce type de « délocalisation environnementale », véritable pendant de la « délocalisation sociale ». En outre, l'absence de standards communs en matière d'évaluation des émissions de gaz à effet de serre permet aux entreprises de masquer plus facilement le détail de leur impact.

Plateforme pétrolière au large du Cameroun, dans le golfe de Guinée.

À l'heure de la signature de l'Accord de partenariat transpacifique (c'était le 4 février dernier) établissant le libre-échange entre douze pays bordant l'océan Pacifique, et à l'heure des négociations visant à établir le Traité de Libre-Échange Transatlantique (TAFTA), qui peut penser que l'on tend vers une organisation raisonnée (et raisonnable) de nos échanges, et vers une relocalisation juste et pragmatique des activités industrielles et agricoles ? À l'heure où les pays exportateurs de pétrole accroissent leur production pour concurrencer le gaz de schiste (ce nouvelle eldorado énergétique), qui peut croire que la grille de lecture de nos dirigeants a changé ? Un rapport du Global Carbon Project estimait récemment que 70% des réductions d'émissions de gaz à effet de serre gagnées depuis 1990 par les pays de l'Union européenne, c'est-à-dire dans le cadre des objectifs affichés dans le protocole de Kyoto, auraient été « annulées » par l'accroissement des émissions « délocalisées » dans des pays comme la Chine, l'Inde ou le Brésil, dont l'empreinte carbone a au contraire explosé. L'Union européenne, qui se vante d'avoir déjà officiellement atteint ses objectifs de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre pour 2020, trompe en fait tout le monde, y compris ses propres citoyens.

Ce même rapport concluait, quelques jours avant la clôture de la COP21 : « Nos dirigeants politiques doivent désormais dépasser les postures et les engagements non contraignants pour prendre leurs responsabilités et affronter les dilemmes correspondants. » Les postures ont-elles été dépassées ? Tout n'est pas à jeter dans les décisions prises lors de la COP21, loin de là, et ce notamment en termes de volonté affichée. Mais à bien des égards, le texte adopté le 12 décembre nous montre que nous sommes encore bien loin d'apporter des solutions à la hauteur des défis d'aujourd'hui et de demain.

Tag(s) : #Société
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :