Par David Brites.
Dans les rues de l'Île de Mozambique, première capitale de la colonie portugaise du Mozambique, jusqu'en 1898.
L'information est parvenue à Maputo, la capitale mozambicaine, il y a une quinzaine de jours : au cours du dernier week-end de mars, des hommes du premier mouvement d'opposition, la Résistance nationale du Mozambique (Renamo), ont creusé trois larges trous de 15 mètres sur la Nationale 1, au niveau du tronçon Save-Muxúnguè, dans le sud de la province de Sofala. Leur objectif : accroître les difficultés de circulation sur cette voie routière majeure et y faciliter les attaques contre les convois de l'armée. Encore ces derniers jours, des autocars transportant des militaires mozambicains ont été attaqués par des miliciens de la Renamo, souvent dans la même zone. Le 5 mars déjà, des autocars civils et militaires avaient essuyé des tirs dans la province de Sofala et dans celle voisine de Manica. Le 19 mars, deux cars étaient victimes d'une embuscade à Chimuara, localité de la province de Zambézie ; le 21 également, des tirs avaient visés des convois de l'armée. Plusieurs entreprises de transport public ont annoncé il y a quelques semaines avoir suspendu leurs activités au Mozambique, ce qui représente pour elles plusieurs millions de dollars de perte sur leurs chiffres d'affaires, sans même parler des répercussions sur les usagers.
Ces évènements font désormais partie de l'actualité. Le Mozambicain moyen s'habitue à entendre les médias rapporter les dernières informations relatives aux affrontements entre les autorités mozambicaines et les miliciens de la Renamo.
Bien entendu, cette crise a des origines plus profondes, liées à la confiscation du pouvoir par les dirigeants du Frelimo depuis l'indépendance (1975), aux dépens des
centre et du nord du pays, qui se sont toujours senties lésées par la domination de quelques familles (principalement issues des ethnies au sein de l'appareil d'État. Pour rappel, la Renamo est née en 1976 sous la forme d'un mouvement armé, avec pour objectif de faire tomber le régime du Frelimo. Depuis la fin de la guerre civile (1977-1992), le pays s’est pacifié et cinq élections générales ont eu lieu – les premières en 1994. Elles ont toujours consacré la défaite d’Afonso Dhlakama, leader de la Renamo depuis 1979, face au Frelimo, successivement représenté par Joaquim Alberto Chissano (président de 1986 à 2005), Armando Emílio Guebuza (2005-2015), et Filipe Jacinto Nyusi, actuel chef de l'État. Le même parti dirige donc le Mozambique depuis l’indépendance, et la scène politique est caractérisée depuis les années 1990 par une forte bipolarisation dont le pays peine encore à se défaire.La séquence récente ouverte par les élections du 15 octobre 2014, caractérisée par une reprise des armes par la Renamo, risque d'entraîner le Mozambique dans une nouvelle guerre civile dont l'issue serait imprévisible. Il faut dire que, de son côté, le gouvernement n'a pas forcément créé le climat idéal pour amorcer ne serait-ce que le début d'un consensus avec la Renamo. Alors qu'il a accédé il y a un peu plus d'un an à la tête de l'État mozambicain sur la promesse d'être le président du « changement » (sans crainte du ridicule, puisque qu’il se présentait au nom du parti au pouvoir depuis 1975...), Filipe Jacinto Nyusi est loin d'avoir amorcé une rupture réelle par rapport au mandat de son prédécesseur controversé, Armando Emílio Guebuza.
Sans même s'étaler sur les autres aspects de la politique gouvernementale, ce constat se vérifie sur les différends (nombreux) avec l'opposition, notamment ceux portant sur la décentralisation et sur le dialogue politique. Le meurtre de l'avocat et constitutionnaliste franco-mozambicain Gilles Cistac, le 3 mars 2015, abattu en pleine rue à Maputo, illustrait déjà le climat de tension entourant les débats publics sur les compétences et les modes d'élection des gouverneurs de province ; pour rappel, cet universitaire avait notamment défendu l'idée que le projet de provinces autonomes alors porté par les députés de la Renamo ne nécessitait pas une modification de la Constitution. Le 8 décembre dernier, c'est le juriste et analyste politique Carlos Jeque, qui s'était déclaré proche de la Renamo en 2014, qui était grièvement blessé par balle, en pleine rue et en pleine journée, toujours dans la capitale. Comme à chaque fois, les autorités feignent de mener une enquête sérieuse, mais aucun commanditaire n'est jamais trouvé. La tentative d'assassinat contre Carlos Jeque a également eu lieu dans un contexte politique particulier, à savoir le vote d'une nouvelle proposition de décentralisation déposée par la Renamo à l'Assemblée de la République.
À Beira, province de Sofala. Statue de Samora Machel, premier président du Mozambique indépendant (1975-1986). La référence à celui qui est considéré comme le « père de la nation » demeure prégnante dans la propagande du pouvoir.
manœuvres
– cette prérogative demeure jusqu'à aujourd'hui du domaine exclusif du président de la République
Alors qu'Afonso Dhlakama s'est progressivement enfermé dans une rhétorique belliqueuse, avec des annonces proclamatoires et des menaces aussi absurdes que nombreuses déclamées à ses partisans lors de rassemblements publics,
œuvres militaires importantes dans tout le pays, notamment dans les provinces de Sofala et d'Inhambane. Il faut dire que chaque partie a des objectifs stratégiques très précis : la Renamo cherche à positionner ses troupes pour être en capacité de se déployer en cas de nouveau conflit ouvert, ou si Dhlakama décidait de lancer un assaut sur les centres de décision politique ou militaire dans les provinces dont il revendique la gestion ; et le gouvernement veut prévenir toute initiative de la Renamo et empêcher ses miliciens de se déplacer et de se redéployer comme bon leur semble sur le territoire mozambicain. Le 14 décembre, le journal Canal de Moçambique évoquait la réalité des contrôles systématiques réalisés par les forces militaires nationales au niveau du pont du fleuve Save, à la limite des provinces de Sofala et d'Inhambane :Plusieurs escarmouches avaient déjà émaillé les premiers mois de l'année 2015. Mais les affrontements du 12 et du 27 septembre ont eu un écho particulier, et pour cause, à ces deux occasions, l'armée mozambicaine a attaqué un convoi de la Renamo où se trouvait Afonso Dhlakama lui-même
Le leader de la Renamo, sorti indemne de ces échanges de tirs, dénonce une volonté de mettre fin à ses jours pour enterrer l'opposition politique – on évoquait alors une « opération Savimbi », en référence à l'élimination de l'opposant nationaliste Jonas Savimbi en Angola, en 2002, qui a mis fin à la guerre civile dans ce pays. Depuis, les évènements semblent s'être accélérés. Les forces spéciales de police ont réalisé, au cours des semaines suivantes, une série de perquisitions contre des membres de la Renamo, et le dirigeant du parti d'opposition a disparu pendant plusieurs semaines, probablement caché dans le maquis du Gorongosa. Le ministre de l'Intérieur, Atanásio Mutumuke, affirmait alors vouloir désarmer les hommes de la Renamo pour que s'impose la Constitution, selon laquelle aucun parti politique ne doit avoir de bras armé.
« poursuivre les guérilleros de la Renamo pour récupérer leurs armes, où qu'ils soient, [...] et [n'allaient] pas s'arrêter... » était à l’œuvre Le 18 décembre, le président Nyusi lui-même déclarait : « Les Forces Armées de Défense du Mozambique doivent protéger la nation et les citoyens, même sous les tirs. [...] L'usage d'armes est de la compétence unique et exclusivement des Forces Armées de Défense du Mozambique, c'est une conquête du peuple mozambicain et ce n'est pas négociable. » Le chef de l'État feignant d'oublier que la question de l'intégration des miliciens de la Renamo dans l'armée (et donc le désarmement du mouvement) reste un chantier inachevé depuis l'accord de paix de 1992, et que la responsabilité n'en incombe pas qu'à l'opposition. Du point de vue de la Renamo, c'est l'armée qui use abusivement de la violence, comme Dhlakama l'expliquait le 7 décembre, en s'adressant à la Ligue de la Jeunesse de la Renamo : « S'ils viennent nous provoquer, [...] nous avons le droit de nous défendre. [...] Le Frelimo est un petit parti, il n'existe presque pas : ça n'est qu'un parti de militaires, de policiers, de voleurs, de traitres, d'assassins, un groupe là-bas à Maputo, qui n'est rien. Il n'a aucune représentativité dans le pays. » En dépit de l'annonce de la présidence de la République selon laquelle le désarmement coercitif des hommes de la Renamo était interrompu (19 novembre), les affrontements se sont poursuivis, par exemple le 27 novembre à Funhalouro, dans la province méridionale d'Inhambane, où l'armée a perdu au moins un véhicule et du matériel de guerre.
Quand la posture du Frelimo signifie l'impasse politique
Le projet de loi rénamiste déposé début 2015 et rejeté dès le 30 avril comportait un grand nombre de défaillances qui dénotait à la fois l'incompétence juridique des dirigeants du premier parti d'opposition, mais aussi la dimension opportuniste du texte. Loin de proposer une vision globale pérenne pour le pays, elle supposait la création de six provinces autonomes et une décentralisation à géométrie variable, basée sur les seuls résultats de l'élection présidentielle. Incapable de faire reconnaître sa victoire aux élections du 15 octobre, ou encore d'imposer la mise en place d'un « gouvernement technique » de transition ou d'union nationale, Afonso Dhlakama cherchait donc une autre voie pour réclamer une part du pouvoir, qu'il revendique en vain depuis des décennies. Quelques semaines après cet échec au Parlement, la direction de la Renamo déclarait vouloir présenter une nouvelle proposition de réforme, corrigée et prévoyant de décentraliser l'ensemble de l'État mozambicain, pas seulement de conférer un certain degré d'autonomie à quelques provinces. Ce fut chose faite en octobre 2015, lorsque le groupe parlementaire rénamiste déposa une demande de réforme constitutionnelle.
Le texte prévoyait
es noms des gouverneurs de province soient proposés par les Assemblées provinciales. Afin de contourner certaines contraintes constitutionnelles, la Renamo souhaitait également que soit créée une nouvelle catégorie de collectivités locales, la « Collectivité provinciale » (Autarquia provincial), dont le territoire aurait coïncidé avec celui des provinces actuelles. Sans surprise, les députés du parti au pouvoir, qui ont pourtant défendu la nécessité d'élaborer une proposition plus large et incluant d'autres corps de la société à la réflexion, ont rejeté en bloc cette proposition, sans proposer un seul amendement pour tenter de l'améliorer. La veille du vote, la présidente du groupe parlementaire de la Renamo Ivone Soares, nièce de Dhlakama, écrivait d'ailleurs sur sa page Facebook : « La décentralisation n'intéresse pas les dirigeants du Frelimo. La volonté du peuple ne les intéresse pas non plus, ils vont donc faire échouer le projet de loi qui règlerait le problème de l'actuelle crise polico-militaire résultant de la fraude des élections de 2014. » Par sa posture, le Frelimo, , opte pour l'impasse politique, tout en promettant vaguement une réforme de décentralisation pour 2019, date des prochaines . Le porte-parole de la Renamo, António Muchanga, résumait bien la situation, en déclarant alors : « Dire [que la question de l'autonomie des provinces] doit être tranchée en 2019 équivaut à dire que la crise politico-militaire doit se maintenir jusqu'en 2019. »Les demandes de décentralisation font écho à une vieille rancœur de la Renamo, qui a le sentiment de s'être fait « voler » toutes les élections depuis 1994. Au-delà des clivages partisans, la décentralisation semble une étape de plus en plus incontournable pour conforter la paix au Mozambique, pour au moins deux raisons. 1) Parce qu'elle répondrait aux frustrations identitaires des populations du centre et du nord du pays qui ne se sont jamais vraiment reconnues dans les autorités de Maputo, une telle réforme garantirait,
l'unité nationale. 2) Elle consoliderait par ailleurs la démocratie mozambicaine en construction, en établissement un partage – comme l'avait déjà permis, faiblement, le premier (et timide) acte de décentralisation de 1998, qui s'était traduit par l’élection des maires et des conseils municipaux au suffrage universel.En outre, sur le court terme, le leader de la Renamo, enfermé dans l'impasse de sa rhétorique guerrière, y trouverait matière à satisfaction, ce qui assurerait la fin des combats, et donc peut-être une reprise des négociations sur d'autres sujets sensibles. On pense notamment à la réintégration des miliciens rénamistes au sein des Forces Armées de Défense du Mozambique, à la nomination de membres de la Renamo à de hauts postes décisionnels de l'armée, ou encore à la neutralité des administrations publiques (despartidarização do Estado), jamais mises en œuvre. Bien entendu, une réforme de décentralisation ne règlerait pas les questions de transparence des comptes publics, de lutte contre la corruption, et, surtout, de lutte contre les pratiques clientélistes. Elle permettrait toutefois l'alternance politique, au moins au niveau provincial, et roderait ainsi l'opposition à la gestion des affaires ; ce faisant, elle offrirait un climat plus propice pour s'attaquer à ces défis, que la montée des violences vient reléguer au second plan de l'actualité.
2016 : année du retour à la guerre civile ?
Dans un entretien publié le 6 janvier au journal Canal de Moçambique, Afonso Dhlakama amorçait l'année 2016 sur les chapeaux de roues, en déclarant : « Il n'y a plus rien à négocier, nous négocierons lorsque nous gouvernerons, en mars, les six provinces. » Cette énième annonce semblait à la fois ridicule, une promesse en l'air, après tant d'autres déjà formulées depuis le scrutin de 2014 ; mais elle apparaissait aussi, telle une épée de Damoclès, comme un danger certain pour la paix et la sécurité dans le pays, une menace terrible adressée au gouvernement, prélude à une offensive dans le but, peut-être, de prendre le contrôle des provinces revendiquées.
Le mois de mars était donc celui de tous les dangers, et, dans la continuité de 2015, le début de l'année s'avéra d'ailleurs particulièrement violent. Le 20 janvier, le Secrétaire général de la Renamo était victime d'une tentative d'assassinat par balle, en pleine rue à Beira, par un groupe d'individus non-identifiés. Le 27 janvier, des affrontements opposaient des hommes de la Renamo aux Forces de Défense et de Sécurité à Morrumbala, dans la province de Zambézie. Le 7 février, la Renamo attaquait un quartier militaire dans le district de Funhalouro, dans la province d'Inhambane.
– en 2013-2014, ce tronçon routier avait déjà été le centre névralgique des heurts entre l'armée et la Renamoguérilleros
, escadron qui serait chargé, selon l’opposition, d’éliminer certaines figures du parti allégations
Car les témoignages sur place semblent unanimes : les réfugiés ont quitté leur terre sous la pression des forces gouvernementales. Selon leurs dires, les soldats arrivent dans les villages et incendient les maisons et les réserves alimentaires, en accusant les habitants de soutenir la Renamo. Le 23 février, alors que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés dénombre plus de 6.000 réfugiés au camp de Kapise, Human Rights Watch communique des dizaines d'allégations graves selon lesquelles l'armée commet des exécutions sommaires, des abus sexuels et des mauvais traitements dans la province de Tete, en marge d'affrontements avec la Renamo ; l'ONG ajoute que des rapts commis par des miliciens rénamistes peuvent aussi jouer dans les mouvements de population, mais demeurent marginaux. En mars, on compte quelques 2.000 déplacés autour du Parc national de Gorongosa, et au moins 12.000 réfugiés dans le camp malawite de Kapise, où le flux constant de personnes rend difficile l'approvisionnement en eau et insuffisant le nombre de latrines, ce qui laisse craindre l'apparition et la propagation de maladies comme le choléra ou la malaria. Le 15 mars, le gouvernement du Malawi annonçait la création d'un nouveau camp, dans le district malawite de Luwani, supposé offrir de meilleures conditions d'accueil.
L'approche « frontale » de la présidence Nyusi ne semble pas avoir eu les résultats escomptés, d'autant que depuis le début de l'année, c'est la Renamo qui semble avoir repris, dans la majorité des cas, l'initiative des combats.
En outre, la stratégie gouvernementale visant à réintégrer des miliciens rénamistes en échange d'avantages divers, comme leur intégration dans l'armée ou une aide pour la construction de leur maison , a échoué. Surtout, elle montre l'erreur de départ du Frelimo, d'interpréter les protestations de la Renamo comme un simple problème de sécurité, alors qu'elles relèvent avant tout d'un différend politique profond, qui va d'ailleurs bien au-delà des résultats des dernières élections.En juin 2015, le célèbre auteur mozambicain Mia Couto expliquait assez justement, dans un entretien à l'AFP :
« C'est un pays tellement divers, avec tellement d'histoires, précisait l'écrivain au journal Notícias, dans un entretien publié le 17 juin 2015. Nous n'avons pas commencé [avec le jour de l'indépendance, le 25 juin 1975], il y a toujours eu plusieurs commencements, comme il y a plusieurs peuples, diverses cultures. Sans réelle perspective politique supposant une renégociation du qui lie les différentes composantes de la nation mozambicaine, et qui permette un consensus sur ce que doit être le Mozambique de demain, l'escalade de la violence ne peut tout bonnement pas cesser.La situation a poussé le président Nyusi à convoquer, le 24 février dernier, le Conseil National de Défense et de Sécurité, pour se pencher sur la possibilité d'une rencontre, dans les prochaines semaines, entre le chef de l'État et le dirigeant de la Renamo.
– des rumeursAprès une absence médiatique remarquée, Afondo Dhlakama a fait une réapparition il y a un mois depuis son fief du Gorongosa, maigre, vieilli, mais toujours véhément. « Nous prétendons continuer la lutte et compléter les objectifs tracés en 1977 », disait alors celui pour qui la perspective d'un dialogue avec le gouvernement n'est plus d'actualité. « La paix ne peut pas être otage de la Constitution », déclarait-il toutefois, ce qui suppose à terme une possible reprise des discussions sur une réforme de décentralisation. Le 7 mars, la direction de la Renamo ajoutait qu'elle était prête à réamorcer un cycle de négociation avec le président Nyusi, à condition que celui-ci soit supervisé par la médiation de l'Église catholique, de la Délégation de l'Union européenne à Maputo, et de Jacob Zuma, président de l'Afrique du Sud.
– une vingtaine d'explosions ont alors été entendues, dans des zones où résident des civils.
« Tout est en cours de préparation, il n'y a rien de changé. Nous allons gouverner. Ce qui s'est passé, c'est qu'en début février, et jusqu'à présent, nous avons fait face à ce que nous n'attendions pas : l'escadron de la mort et les 4.500 militaires qui ont été lancés dans la zone centre. Mais nous avons fait le ménage. » De son côté, le porte-parole de la Renamo, António Muchanga, s'adressait ainsi au média en ligne Deutsche Welle, le 1er avril : « En ce moment, il y a des affrontements très moches dans plusieurs zones du pays. Il y a des affrontements à Tete, il y a des affrontements dans le Gorongosa. Il y a eu des affrontements à Inhambane. Ce qui signifie que le peuple comprend clairement que le délai peut ne pas avoir été tenu à cause de cette situation. Parce qu'il est nécessaire de défendre des vies humaines avant tout. » Énième report des promesses de la Renamo ?
Depuis 1977, le peuple mozambicain est pris en otage entre ces deux partis, incapables de s'entendre pour assurer la paix et préparer un avenir meilleur, pour ce pays qui a tant souffert de la guerre. Le bon sens aurait voulu que le Frelimo, créé avec pour but de libérer le Mozambique des Portugais, ait été dissous une fois cet objectif atteint (1974-1975), afin de laisser place à une certaine diversité de partis. Et la Renamo, qui a été mise en place pour faire chuter le régime socialiste et, dit-elle, imposer la démocratie, aurait dû être dissoute au profit de formations sans branche armée, après que la doctrine marxiste ait été abandonnée par le pouvoir (1989), le multipartisme proclamé (1990) et la paix signée (1992).
Samedi 9 avril, José Manuel, membre actif de la branche armée de la Renamo, José Manuel, était tué par balle à Beira, en province de Sofala ; un pas de plus dans la dégradation du climat politique, si tant est que cela soit encore possible.
Les nouveaux dirigeants cherchent à imposer leur vision de la nation et de la modernité, héritée de l'ancienne puissance coloniale, où ils ont souvent étudié. Bien qu'écrit en 1961, cet extrait s'applique à bien des égards au cas du Mozambique (devenu indépendant en 1975), comme à celui de beaucoup de pays africains.
Les partis politiques n’arrivent pas à implanter leur organisation dans les campagnes. Au lieu d’utiliser les structures existantes pour leur donner un contenu nationaliste ou progressiste ils entendent, dans le cadre du système colonial, bouleverser la réalité traditionnelle. Ils s’imaginent pouvoir faire démarrer la nation alors que les mailles du système colonial sont encore pesantes. Ils ne vont pas à la rencontre des masses. Ils ne mettent pas leurs connaissances théoriques au service du peuple mais ils tentent d’encadrer les masses selon un schéma a priori. Aussi, de la capitale, vont-ils parachuter dans les villages des dirigeants inconnus ou trop jeunes qui, investis par l’autorité centrale, entendent mener le douar ou le village comme une cellule d’entreprise. Les chefs traditionnels sont ignorés, quelquefois brimés. L’histoire de la nation future piétine avec une singulière désinvolture les petites histoires locales, c’est-à-dire la seule actualité nationale alors qu’il faudrait insérer harmonieusement l’histoire du village, l’histoire des conflits traditionnels des clans et des tribus dans l’action décisive à laquelle on appelle le peuple.
[…]
Les échecs subis confirment « l’analyse théorique » des partis nationalistes. L’expérience désastreuse de tentative d’embrigadement des masses rurales renforce leur méfiance et cristallise leur agressivité contre cette partie du peuple. Après le triomphe de la lutte de libération nationale, les mêmes erreurs se renouvellent, alimentant les tendances décentralisatrices et autonomistes. Le tribalisme de la phase coloniale fait place au régionalisme de la phase nationale, avec son expression institutionnelle : le fédéralisme.