Par David Brites.
Les mauvaises nouvelles se seront définitivement succédé pour l'exécutif en 2016, après une année 2015 déjà bien morose, marquée par plusieurs attentats et par un niveau catastrophique de chômage. Le président de la République connaît toujours des records d'impopularité, et entraîne avec lui l'ensemble de son gouvernement. Cet été, un sondage YouGov pour I-TELE et le Huffington Post indiquait un Manuel Valls tombé à 14% d'opinions favorables, et pour François Hollande, un pénible 11%... Autant dire que cette tendance ne s'est pas améliorée depuis. Dans le cadre d'une enquête assez détaillée du Cevipof parue le 25 octobre, seulement 7% des Français interrogés se disaient
plutôt (3%) ou très satisfaits (4%) de l'action du chef de l'État. Ce dernier voit ses chances d'être réélu largement hypothéquées, notamment depuis la publication d'un livre de confidences à des journalistes publié le 20 octobre dernier, et dont on a déjà bien trop entendu parler dans les médias.Et pour cause, contrairement à ce que le président affirmait en mai dernier, tout ne va pas mieux. Le chômage se maintient à un niveau extrêmement élevé, et aucune baisse observée ces derniers mois ne s'est inscrite dans la durée. Ainsi, après deux mois consécutifs de faible recul en mars et avril, le nombre de chômeurs est reparti à la hausse en mai et juin. Puis de nouveau, après la légère baisse du mois de juillet, il a compté en août 50.200 personnes supplémentaires inscrites à Pôle emploi, soit la plus forte augmentation depuis janvier 2013. Quant à la baisse de 66.300 chômeurs dans la catégorie A pour le mois de septembre, elle est largement faussée par la multiplication des État. La légère baisse d'octobre (0,3% en catégorie A) annoncée par Pôle emploi il y a quelques jours ne fait d'ailleurs pas plus illusion que celle de septembre l'INSEE. Bref, au 1er novembre, le nombre d'inscrits à Pôle emploi toutes catégories confondues, demeure supérieur à 6,5 millions (3,48 millions pour la seule catégorie A, rien qu'en métropole), un chiffre choquant.
Et pourtant, un tel contexte ne profite absolument pas à la gauche radicale, qui rêverait de prendre la place du Parti socialiste comme premier parti de gauche en France. Les élections régionales de décembre 2015 ont été catastrophiques pour le Front de Gauche (ou ce qu'il en restait), le Nouveau Parti Anticapitaliste et Europe Écologie-Les Verts. Les mouvements de protestation du premier semestre 2016, nés à l'occasion de la contestation de la Loi Travail et des tentatives de
, n'ont pas vraiment changé la donne. La lutte pour le pouvoir se jouera probablement entre les trois forces politiques que sont le centre-gauche représenté par le Parti socialiste (ou Emmanuel Macron si celui-ci se présente et parvient à créer la surprise en surpassant le président sortant), Les Républicains et le Front national. Comment expliquer cette incapacité de l'extrême-gauche à s'ériger en alternative crédible au Parti socialiste, et à capitaliser sur les mécontentements sociaux ?Sur la place de la République à Paris, en juillet dernier. Le mouvement de contestation sociale « Nuit Debout », qui s'est essoufflé au cours de l'été, aura eu le mérite de redonner un souffle à la démocratie et de consacrer une réappropriation de l'espace public par les citoyens. Toutefois, même au plus fort de son succès, il a eu de réelles difficultés à attirer des gens issus de catégories populaires de banlieues ou de zones périurbaines.
Des élections « intermédiaires » qui annoncent un redressement difficile
Le constat de la division de la gauche radicale et écologiste n'est plus à faire, il est notoire et ne date pas d'hier. À chaque élection présidentielle, les partis qui la composent sont inutilement nombreux. Et depuis 2012, les différents scrutins « intermédiaires » ont confirmé cette désunion des gauches françaises. Lors des départementales de mars et des régionales de décembre 2015, comme lors des municipales de mars 2014, la cohérence des alliances d'Europe Écologie-Les Verts (EELV) et du Parti communiste français (PCF) était tout sauf évidente : un coup avec le Parti socialiste et son fidèle (et invisible) satellite, le Parti Radical de Gauche, un autre avec le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon, ou plus rarement avec le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), voire un autre coup en solo, selon les communes, les départements et les régions concernés.
Cette division n'est pas forcément la seule raison qui explique la claque électorale subie par ces formations, mais en aucun cas elle ne les a servies. Invité le 18 décembre 2015 sur RMC-BFM TV, l'ancien président du Parti de Gauche Jean-Luc Mélenchon déclarait d'ailleurs, à propos des régionales : « Une élection, c'est quelque chose de sérieux. Nous n'avons pas, le Front de Gauche, traité sérieusement cette élection. [...] Tout le monde a fait une campagne nationale, sauf nous. Nous avons fait treize campagnes locales, avec quatre stratégies d'alliance différentes. Faut le faire ! [...] Je pense que mes amis auraient mieux fait [de mener] une campagne nationale, [d'arrêter] ce petit jeu local. »
À présent, à gauche du Parti socialiste, la situation est très préoccupante. À moins d'un dernier sursaut en perspective de la présidentielle de 2017, il est d'ores et déjà possible de dire que le Front de Gauche a vécu. Dès le 10 février 2016, Jean-Luc Mélenchon, las des combines partisanes qui n'en finissent pas, annonçait sa candidature, de façon unilatérale. Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, a longtemps tergiversé, sans annoncer sa propre candidature à la présidentielle, ni déclarer son soutien à la candidature de Mélenchon. Au sein des écologistes également, la confusion a été là aussi totale. L
d'Europe Écologie-Les Verts au Sénat (Jean-Vincent Placé) et à l'Assemblée nationale (Barbara Pompili et François de Rugy) quittaient le parti, dénonçant l'
es élections régionales de décembre 2015 ont bien montré que dans le tripartisme qui se met progressivement en place, avec le Front national, Les Républicains et le Parti socialiste en première ligne, l'extrême-gauche est la grande oubliée des Français. La claque est sévère. À titre d'exemple, EE-Les Verts est sorti du scrutin de décembre avec à peine 200 conseillers régionaux dans toute la France (sur les 265 que comptait le parti depuis 2010) ; à la fin de l'année 2015, le siège parisien du parti était en vente, et la formation prévoyait de se séparer d'environ un tiers de sa masse salariale au niveau national, sans compter les économies à prévoir en régions. Et Emmanuelle Cosse nous illuminait de son intelligence en déclarant, en guise de leçon tirée du scrutin : la dichotomie pouvoir-opposition correspondait à une vision simpliste, imposée à la fois au plus haut niveau de l’État et par Jean-Luc Mélenchon, [qui] a réduit considérablement notre espace politique
– qu’elle n’a d’ailleurs pas quitté pour un différend sur la ligne économique et sociale ; en un sens, de « symbole de la gauche » (avec le Mariage pour Tous), elle est devenue la « caution de gauche » du gouvernement.
Quant à Martine Aubry, elle a finalement donné l'impression, après presque quatre années de mutisme, d'assumer la carte de la gauche « frondeuse » pour capitaliser sur le bateau à la dérive
la ficelle était tellement grosse qu'il était surprenant d'observer autant d'applaudissements sur cette fameuse tribune de février. Cette même Martine Aubry qui appuyait la candidature de Dominique Strauss-Kahn jusqu’en 2011, mais dont on imagine qu’elle aurait mené une politique différente si elle avait gagné la primaire de gauche face à François Hollande... Le comble étant que, le 17 septembre dernier, lors d'un rassemblement du Parti socialiste, la maire de Lille est finalement rentrée dans le rang en évitant toute critique contre la présidence Hollande, laissant entendre par-là, selon ses proches, qu'elle ne prendrait pas position contre le chef de l'État sortant dans le cadre de la primaire PS.Les sympathisants de gauche, qu'ils soient des critiques de la première heure ou des déçus du hollandisme, en sont réduits à faire l'éloge de gens qui ont participé directement au gouvernement ou à la direction du Parti socialiste ces dix dernières années. Il est bon de dénoncer les politiques gouvernementales lorsque celles-ci sont injustes, de surcroît lorsqu'elles s'éloignent des promesses de campagne, mais il est meilleur de ne pas le faire seulement un an avant la fin du mandat. Bref, il s'agit aussi d'être un peu critique à l'égard des « frondeurs » – auxquels on peut associer Taubira, ou encore Europe Écologie-Les Verts – parce qu’en se refusant à faire tomber un gouvernement Valls qu'ils contestent pourtant sur tant de points, ils ont vocation à être les éternels cocus du hollandisme, en plus de servir de « cautions de gauche » au Parti socialiste.
Le 18 juin dernier, Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du Parti socialiste, entérinait en Conseil national l'organisation d'un vote de désignation du candidat PS pour 2017. Cette primaire doit avoir lieu les 22 et 29 janvier, et devrait compter sur la présence d'un François Hollande qui en est réduit à ça pour retrouver un semblant de légitimité. Les participants potentiels doivent être issus de ce que Cambadélis appelle la
Belle Alliance Populaire , c'est-à-dire la gauche de gouvernement : outre le PS, on y trouve les écologistes pro-Hollande, notamment l'UDE de Placé, et jusque récemment, le Parti Radical de Gauche. Se sont successivement déclarés candidats, côté socialistes, Marie-Noëlle Lienemann le 9 juin, Gérard Filoche le 14 juin, et côté écologistes de l'UDE, Jean-Luc Bennahmias le 21 juin, et François de Rugy le 12 juillet. Reste à savoir si François Hollande, dans la perspective probable de sa candidature, passera par cette primaire ou non Si Hollande s'impose la primaire PS (ce qui représenterait une première... et une opération bien décrédibilisante pour un chef de l'État), à peine Montebourg peut-il représenter pour lui une menace. Manuel Valls, quant à lui, ne s'y présentera que si le président sortant décide de ne pas y aller. Ce samedi 26 novembre, le très inutile Parti radical de Gauche, en investissant Sylvia Pinel pour l'élection présidentielle sans passer par la case primaire, hypothèque encore un peu plus l'organisation de ce scrutin, duquel les Français se désintéressent de toute façon grandement.Dans tous les cas, il n'y a pas grand-chose à espérer de cette échéance, si elle a bien lieu. Le Parti socialiste est un habitué des scrutins bidonnés et des tambouilles politiciennes. En outre, on peut aussi espérer une candidature de François Hollande ou, à défaut, de Manuel Valls, pour donner aux électeurs une dernière occasion de sanctionner leur bilan gouvernemental ; en effet, on pourrait poser la question du sens d'une candidature Montebourg ou Hamon, c'est-à-dire d'un candidat socialiste qui se dédouanerait de tout ce qu'a fait le gouvernement depuis 2012. Quoi qu'il en soi, le PS, donné perdant dans tous les scénarios envisagés, quel que soit son représentant, doit surtout chercher à éviter une trop grande débâcle pour 2017, ce qui serait déjà un exploit.
À gauche du Parti socialiste, que se profile-t-il ?
En dépit du soutien annoncé de Cécile Duflot, Yannick Jadot, Noël Mamère et Antoine Waechter, Nicolas Hulot déclarait, le 4 juillet dernier, renoncer à se présenter à la prochaine présidentielle. En dépit également de bons sondages – certains lui octroyaient entre 9 et 11% des intentions de vote. Le Joker d'Europe Écologie-Les Verts tombe donc à l'eau, et depuis, le parti a organisé, dans l'indifférence générale, une primaire « ouverte » pour se choisir un candidat. Bien que donnée favorite, Cécile Duflot, confrontée à trois eurodéputés, a été éliminée dès le premier tour, le 19 octobre, payant sans doute ainsi et sa perte d'influence sur la direction du parti, et son impopularité dans l'opinion publique, et surtout ses calculs politiciens, qui masquaient mal ses ambitions. Comme le déclarait Daniel Cohn-Bendit le 20 octobre sur Europe 1,
. Avec 24,41% des 12.343 suffrages exprimés (une participation dérisoire), elle devançait Karima Delli (9,82%), mais était distancée par Michèle Rivasi (30,16%) et Yannick Jadot (35,61%). Dans ce scrutin sans enjeu, sans clivage et sans passion, c'est finalement ce dernier qui l'a emporté au second tour, ce lundi 7 novembre, avec 54,25% des voix. Il lui reste à présent, en avril prochain, le défi de faire mieux que Dominique Voynet en 2007 (1,57%) et Eva Joly en 2012 (2,31%), ce qui est loin d'être acquis.Restait à savoir si le PCF présenterait une candidature à part entière. Le 4 juin dernier, 71% des participants au 37ème Congrès du Parti communiste avaient déjà adoubé la stratégie consistant à organiser, avant de choisir le candidat à la présidentielle, une
Le 5 novembre, les 535 délégués du Parti communiste choisissaient à 55,7% des voix de
, aux dépens d'un appel à voter pour celui qui avait représenté le Front de Gauche en 2012. Pierre Laurent payait ainsi des mois de tergiversations : après avoir tout fait pour trouver une alternative à la candidature de Mélenchon, il avait finalement pris position en sa faveur. Le choix d'une candidature PCF restait suspendu à la décision des militants, alors que l'option d'un ralliement à la candidature d'Arnaud Montebourg dans la perspective de la primaire PS était parfois évoquée en coulisse. Ce dimanche 27 novembre, les adhérents communistes ont finalement pris position, à une courte majorité de 53,6% des voix, pour un soutien à Mélenchon (tout en laissant officiellement à leur parti uneLe leader de la gauche radicale s'évite donc un concurrent issu des rangs communistes. Jean-Luc Mélenchon n'évitera toutefois pas, outre celle des Verts, les candidatures déjà déclarées de Nathalie Arthaud pour Lutte Ouvrière et de Philippe Poutou pour le Nouveau Parti Anticapitaliste. L'extrême-gauche se présentera donc encore divisée, ce qui ne devrait pas avoir trop d'impact sur le score de Mélenchon, mais lui ravira encore un ou deux points par-ci par-là, bêtement. En dépit des critiques qu'il a essuyées de ses anciens partenaires du Front de Gauche lors de l'annonce de sa candidature, il bénéficie d'une dynamique de campagne appréciable, mais surtout du vide qui plane autour de lui
du désistement de Nicolas Hulot. Depuis quelques mois, la plupart des sondages place Mélenchon (et Macron) au coude-à-coude, voire, de plus en plus, devant François Hollande pour le premier tour de la présidentielle. L'absence du président sortant au second tour serait déjà un coup de tonnerre en soi, mais s'il n'était que quatrième à l'issue du scrutin, dépassée par la gauche radicale, voire cinquième derrière Macron et Mélenchon, le symbole serait terrible et probablement fatal au Parti socialiste.
Surtout, les bons sondages de Jean-Luc Mélenchon sont un trompe-l'œil. Car, même à 13 ou 14% des voix devant François Hollande (donné à 9% par un sondage Sofres le 25 octobre), l'ancien candidat du Front de Gauche et le chef de l'État sortant font, à eux deux, 23 ou 24% des voix grand maximum
. 23 ou 24%, soit moins que le score de Marine Le Pen à elle toute seule... De ce constat, difficile de déduire ce qu'il manque à la gauche radicale pour réellement décoller. Les raisons sont sans doute multiples, et au final, le trop-plein de candidatures de gauche à chaque présidentielle ne peut pas être déterminant. À droite, les candidatures extrémistes ou souverainistes ( Mégret en 2002, Dupont-Aignan en 2012) n'ont pas empêché le Front national de faire les scores qui furent les siens par le passé. Entre partis pro-européens et formations souverainistes, entre libéraux et anti-libéraux de tout bois, les Français qui daignent encore se déplacer pour voter doivent choisir entre des modèles de société divergents. Or, en dehors des logiciels idéologiques qui diffèrent fondamentalement, les deux points sur lesquels extrême-gauche et extrême-droite se distinguent dans leurs programmes sont : 1) le rapport à l'Europe, la gauche radicale voulant réorienter les politiques européennes et rétablir une forme de protectionnisme à l'échelle communautaire, la droite souverainiste souhaitant par principe mettre fin aux délégations de souveraineté (quelles qu'elles soient : contrôle des frontières, émission de la monnaie, etc.) ; 2) l'immigration, le FN inscrivant son projet dans la logique du théorisé par Renaud Camus, l'extrême-gauche promouvant une politique d'accueil ouverte.Le croisement de ces deux questions peut nous offrir un début de réponse sur les mauvais scores de la gauche radicale ; celle-ci ne traite dans son programme que les questions économiques et sociales, sans pour autant apporter des réponses à l'« insécurité » identitaire que vivent un grand nombre de catégories populaires, notamment celles résidant en zones périurbaines ou rurales – le cœur électoral de Marine Le Pen. Insécurité identitaire née à la fois de l'élargissement de l'Union européenne (et de l’affaiblissement de la France en son sein), des dynamiques économiques liées à la mondialisation, de l'immigration et de ses effets perçus ou réels, ou encore de la hausse de la délinquance et des trafics dans certains quartiers. C'est peut-être dans la posture « socialo-gaulliste », que la gauche radicale a le plus de chance de répondre à ces questions. Jean-Luc Mélenchon n'est pas si éloigné que cela de cette vision « républicaine » de la nation et de la gauche, portée jusqu'en 2002 par Jean-Pierre Chevènement.
), tout en rappelant la promesse déjà maintes fois formulées (et légitime) de régulariser les travailleurs sans papiers.