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Par David Brites.

« Aujourd'hui, je suis conscient des risques que ferait courir une démarche, la mienne, qui ne rassemblerait pas largement autour d'elle. Aussi, j'ai décidé de ne pas être candidat à l'élection présidentielle, au renouvellement de mon mandat. » C'est par ces mots que, le 1er décembre dernier, le chef de l'État annonçait se retirer de la course à la présidentielle. Nouveau rebondissement il y a trois jours, le 22 février, quand François Bayrou, président du Modem, déclarait : « J'ai décidé de faire à Emmanuel Macron une offre d'alliance. » Écoutant la voix de la raison face à des sondages qui lui donnaient à peine 5% des voix au premier tour, l'ancien troisième homme de la présidentielle de 2007 décidait donc de s'effacer au profit du nouveau chouchou des médias. Entretemps, l'ancien président Nicolas Sarkozy, mais aussi l'ancien Premier ministre Alain Juppé, pourtant porté depuis des mois par les sondages, et Manuel Valls, chef du gouvernement sortant et favori de la primaire du PS, étaient évincés les uns après les autres. Force est de constater qu'un cycle politique s'achève désormais dans l'histoire de la Vème République.

L'élection de 2017 semble apporter son lot de bouleversements dans notre vie partisane. Devant un tel tableau, que peut-on dire sur le rôle et le devenir des partis politiques dans notre démocratie ? Partons des fondamentaux : pour définir le parti politique, la première et la plus positive des définitions est celle d’Edmund Burke, philosophe et homme politique irlandais du XVIIIème siècle, pour qui « un parti est un ensemble d'hommes unis pour promouvoir par leurs efforts communs l'intérêt national sur la base de quelque principe sur lequel ils sont d'accord ». Dans son ouvrage Économie et société, Max Weber expliquait au contraire qu'un parti est « tout un groupe politique identifié par une étiquette officielle qui présente des candidats aux élections et qui est capable de faire désigner à travers les élections des candidats aux fonctions publiques ». Les partis, au « sens usuel », sont donc liés aux élections et à la quête de pouvoir. Un point de vue notamment rejoint par Raymond Aron, qui mettait également l’accent sur les fins poursuivies par les partis, « l'organisation régulière et durable d'un certain nombre d'individus en vue de l'exercice du pouvoir ». Dans cette définition, le parti est clairement un instrument de la suprématie des gouvernants. C’est en cela qu’il se distingue des autres associations ou groupements qui interviennent dans le marché politique : le parti a une vocation spécifique, recueillir les suffrages des électeurs en vue de conquérir le pouvoir, alors que les groupes de pression (syndicats, lobbies) par exemple ne cherchent qu’à influencer les titulaires du pouvoir.

Le Parti socialiste est encore venu, au terme de la séquence de la primaire de janvier, conforter cette vision des partis, puisqu'il réunit en son sein des personnalités qui portent des projets antinomiques, comme Benoît Hamon et Manuel Valls. Leurs partisans ne bataillent pas dans le même parti pour porter une idéologie commune, puisqu'ils n'en partagent pas ; sur le plan des idées, Hamon est d'ailleurs bien plus proche de Mélenchon que d'un Manuel Valls porteur de la Loi El Khomri, et Valls de Macron que de Hamon et son projet de revenu universel d'existence. Ce qui les rassemble, c'est la perspective de la conquête du pouvoir. Et la présence d'anciens ministres de François Hollande, comme Myriam El Khomri, parmi les candidats PS à la députation, alors que Benoît Hamon entend revenir sur nombre de mesures adoptées pendant la dernière mandature, vient confirmer cette réalité. À voir si le scénario du déclin inexorable du PS (à l'image du Pasok grec) entraînera, s'il se confirme, la disparition à terme de ce parti, puisqu'en l'absence de toute perspective de victoire, ses membres n'auront plus aucune motivation (et aucune raison) de militer ensemble.

Au siège du Parti socialiste, la banderole de la primaire ouverte de la « Belle Alliance Populaire ». (Crédit photo © Sara de Oliveira Brites)

Au siège du Parti socialiste, la banderole de la primaire ouverte de la « Belle Alliance Populaire ». (Crédit photo © Sara de Oliveira Brites)

Les primaires de droite et de gauche : la victoire de la constance

Le 20 novembre 2016, un tremblement de terre frappait la scène politique : les résultats du premier tour de la primaire ouverte de la droite et du centre venaient contredire les sondages qui donnaient, très largement et depuis plusieurs mois, Alain Juppé largement en tête. François Fillon raflait la mise avec 44,08% des voix. Loin derrière, le maire de Bordeaux n'arrivait qu'à 28,56%, et Nicolas Sarkozy, président du parti de 2014 à 2016 et chef de l'État de 2007 à 2012, récoltait laborieusement 20,67% des suffrages exprimés. La forte mobilisation (4,3 millions de votants) venait ajouter une dose de légitimité à cette consultation.

Derrière le trio de tête, les « petits » candidats étaient balayés, Nathalie Kosciusko-Morizet se satisfaisant d'arriver en quatrième position, pourtant avec à peine 2,56% des voix, un résultat qui ne permet même pas de revendiquer un courant au sein de sa famille politique. De son côté, Bruno Le Maire, seul quadragénaire qui pouvait de bonne foi espérer, avant la campagne, créer la surprise et accéder au second tour, est sans doute celui qui a le plus perdu au sortir de ce premier tour. Fort de sondages encourageants, ainsi que d'un score honorable à l'élection de la présidence de l'UMP (face à Nicolas Sarkozy) en 2014, il termine finalement avec un microscopique 2,38% des voix, score qui aurait hypothéqué son avenir politique si, sentant le sens du vent tourner, il n'avait pas immédiatement rallié François Fillon. Toutefois, Bruno Le Maire est également, par la pauvreté de son propos pendant la campagne, celui des candidats qui a sans doute le plus mérité son score.

Avec à peine un tiers (33,51%) des 4,6 millions de voix exprimées au second tour, le 27 novembre suivant, Alain Juppé apportait bien malgré lui un grand camouflet à l'appareil médiatique qui l'avait porté pendant des mois. Deux leçons peuvent être tirées de cette séquence. Tout d'abord, le centre-droit modéré n'est pas majoritaire parmi l'électorat mobilisé à l'occasion de ce scrutin. Ce constat aurait dû laisser un boulevard à Nicolas Sarkozy. Mais, et c'est la seconde leçon à tirer, les électeurs ont privilégié le sérieux apparent de François Fillon à l'inconstance impressionnante et à la dimension folklorique des propositions de l'ancien chef de l'État : revirement sur la loi instaurant le Mariage pour Tous ; promesse de s'affranchir de la règle d'or budgétaire imposée depuis 1993 dans le cadre communautaire, alors qu'il disait en 2012 vouloir l'inscrire dans la Constitution ; annonce de référendums en cascade, alors qu'il a contourné le résultat de celui de 2005 lorsqu'il était président ; propos sur la double ration de frites pour les écoliers musulmans ; etc. En outre, le score de Sarkozy venait montrer à ceux qui en doutaient encore que remplir des salles de meetings ne signifie nullement faire le plein des voix.

À gauche, double coup de tonnerre. Un premier le 1er décembre 2016, lorsque François Hollande, affaibli par la publication du livre de confidences Un président ne devrait pas dire ça et par la perspective d'une primaire plus que compliquée, annonçait ne pas vouloir se représenter une première dans l'histoire de la Vème République. Et un second le 22 janvier 2017, lorsque contre toute attente, face à un Manuel Valls finalement en seconde position (31,90%), c'est Benoît Hamon qui a su fédérer l'électorat de gauche, non seulement pour coiffer au poteau un Arnaud Montebourg qui, avec 17,75%, répétait péniblement son score de 2011 ; mais même pour parvenir largement en tête, avec 36,51% des 1,6 millions de suffrages exprimés. Pas loin de jouer autant à la girouette que Nicolas Sarkozy deux mois auparavant, Manuel Valls achevait une campagne difficile marquée par une certaine inconstance (par exemple sur le 49.3), et par des ratés flagrants (enfarinage, gifle d'un badaud, meetings vides, etc.), ainsi que par un lâchage surprenant des membres du gouvernement (dont il était encore le chef quelques semaines plus tôt) et autres proches de Hollande.

Le 29 janvier 2017, avec 58,69% des deux millions de votants, celui que les dirigeants du parti surnommaient autrefois « Petit Benoît » accédait à la cour des grands, avec la mission difficile de sortir le PS du trou noir électoral dans lequel il est tombé depuis l'arrivée au pouvoir de François Hollande. Manuel Valls, avec un score (41,31%) relativement proche de celui de Martine Aubry en 2011 (43,43%), évitait quant à lui une humiliation semblable à celle vécue par Alain Juppé deux mois plus tôt.

Que l'on soit d'accord ou pas avec les idées de François Fillon ou de Benoît Hamon, le moins que l'on puisse dire est que les deux portent un programme clair : conservateur en matière de mœurs et économiquement libéral pour le premier, qui prétend remettre en cause la couverture sociale telle qu'elle est établie depuis 1944 ; post-marxiste et libertaire pour le second, qui renouvelle la vision que la gauche française a du travail depuis deux siècles. Les propositions de l'un et de l'autre ont cristallisé les débats des deux primaires, notamment la rigueur budgétaire et la remise en cause de la sécurité sociale à droite, et le revenu universel d'existence à gauche. La prestation de Fillon dans les trois débats du premier tour en octobre et novembre 2016, tout comme celle de Benoît Hamon sur France 2, dans L'Émission Politique le 8 décembre, puis dans ses meetings, ont représenté des tournants décisifs dans leur campagne respective. Preuve s'il en est que face aux continuelles promesses farfelues et aux marques flagrantes d'inconstance ou d'insincérité (de Sarkozy à droite, de Valls à gauche), les électeurs ont privilégié la constance idéologique, quitte à choisir pour cela les moins modérés des candidats. Une telle situation devrait laisser augurer une campagne de fond clivante mais intellectuellement très riche. C'était sans compter, comme nous l'abordions déjà il y a quelques jours (Benoît Hamon, François Fillon, Emmanuel Macron : les médias feront-ils l'élection présidentielle de 2017 ?), sur l'appareil médiatique qui s'acharne, hier sur Hamon sur le plan programmatique, aujourd'hui sur Fillon sur la base de ses déboires judiciaires.

Quand le chouchou des médias fait baisser le niveau du débat

On aura attendu longtemps ses idées, voilà qu'elles arrivent au compte-gouttes, en attendant le grand déballage du 2 mars : le mois de février d'Emmanuel Macron aura surtout été marqué par sa polémique sur l'Algérie française, ainsi que sur ses clins d'œil envoyés aux partisans de la Manif pour Tous. Que viennent faire dans le débat public une discussion autour de la notion de « crime contre l’humanité » en Algérie, ou sur les apports de la colonisation en termes de civilisation ?… C’est le même homme qui, après avoir remué les mémoires, déclare sur son site de campagne qu’il faut désormais « laisser le passé… passer ». Le même homme qui vient nous dire sur le Mariage pour Tous qu’il fallait écouter les deux parties… Mais, M. Macron, dans votre jeu d’équilibriste attrape-tout, quand tranche-t-on pour prendre des décisions ? N’est-ce pas le rôle du politique, d’acter des désaccords et de faire des choix sur la base d'un programme annoncé ? À quoi bon « parler », « partager » avec les partisans de la Manif pour Tous, pour le plaisir de la concertation de façade, et pour au final adopter un texte de loi qu’ils rejettent catégoriquement ?

Les quelques mesures annoncées çà et là par Emmanuel Macron depuis quelques mois ne peuvent faire office de programme, et cela, même l’ancien ministre de l’Économie doit en avoir conscience. C’est pourquoi, fort du ralliement de François Bayrou le 22 février dernier, mais encore en manque de ralliements significatifs côté socialiste (à l’exception de figures peu charismatiques comme le maire de Lyon), Macron est attendu au tournant, à l’approche de cette fameuse date du 2 mars qu’il a choisi pour présenter son projet dans le détail.

En face de lui, Marine Le Pen se maintient – et elle est la seule – à des prévisions élevées pour la présidentielle, désormais toujours au-dessus de la barre des 25% au premier tour (et largement en tête), et même, plus surprenant encore, au-dessus des 40% au second tour, ce qui, si cela se confirmait dans deux mois, viendrait remuer solidement l’ensemble de l’échiquier politique. En outre, cela nourrirait tous les espoirs des partisans FN qui ne voient dans 2017 qu’une marche (certes décisive) dans la longue ascension de leur mouvement, avant une victoire qu'ils espèrent pour 2022. Si les déboires du candidat des Républicains ont pendant quelques jours laissé croire à Macron qu’il avait déjà son ticket pour le second tour, celui-ci se tasse désormais plutôt entre 18 et 20% des voix – à voir si le ralliement de François Bayrou reboostera dans les jours à venir ses intentions de vote. Surtout, les débats, s’ils confirment la faiblesse intellectuelle de cet ancien conseiller de François Hollande sur les questions économiques, pourraient lui coûter très cher, et tout comme lors de la primaire de la droite et du centre, remettre en selle un Fillon qui a momentanément disparu des radars médiatiques.

Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Luc Mélenchon avec la défense du protectionnisme économique et la remise en cause des traités et des politiques de l’Union européenne ; François Fillon avec sa réduction du nombre de fonctionnaires, sa privatisation partielle de la Sécurité sociale et sa flexibilisation du marché du travail ; Benoît Hamon sur le revenu universel d'existence ; Hamon et Mélenchon sur leur programme écologique respectif… Les sujets clivants sont là et promettent des débats de fond non seulement intéressants, mais qui de surcroît mettront enfin sur la table des questions qui demandent à être tranchées depuis des années. Dans ce paysage politique, Macron est le seul dont, certes on connaît la ligne générale – libérale et libertaire – mais dont, faiblesse programmatique oblige, aucune mesure clivante ne vient enrichir le débat. Une situation d’autant plus préoccupante qu’il reste la personnalité issue de la gauche la mieux placée pour accéder au second tour. Pire, il apporte à son discours une dimension affective ridicule, comme lorsqu'à Toulon, le 19 février dernier, il déclarait à propos des Pieds-Noirs blessés par ses propos récents sur la colonisation algérienne : « Parce que je veux être président, je vous ai compris et je vous aime ! »

Espérons que le candidat du mouvement « En Marche » saura offrir à ses partisans, dans les prochains jours, autre chose qu’une vision tout juste bonne à encenser la « mondialisation heureuse », et qu’un discours à peine emphatique et surtout sans contenu. Le débat prévu sur TF1 le 20 mars prochain, qui réunira Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron, François Fillon et Marine Le Pen, à peine trois jours après le dépôt des signatures de maires permettant d’officialiser les candidatures à la présidentielle, lancera cette campagne que tout le monde attend depuis 2012, tant le mandat de Hollande a dès ses débuts donné une impression de fin de règne… France 2 souhaite également organiser un débat entre les principaux candidats. Cette configuration médiatique serait une première, puisqu'il est de coutume de voir les candidats PS et UMP/LR, sûrs de se retrouver au second tour, refuser les débats de premier tour.

Les « petits » candidats tels que Nicolas Dupont-Aignan peuvent à juste titre dénoncer la sélection orchestrée par les médias (TF1 en tête) dans ces futurs débats ; elle s’inscrit dans la continuité de cette loi honteuse qu’avaient votée le Parlement en 2016, qui supprime l’égalité stricte des temps de parole des candidats à la présidentielle.

Tentant de clore la polémique sur la colonisation algérienne, Emmanuel Macron a repris la formule du général de Gaulle, y ajoutant une dimension affective qui vient questionner son approche de la politique : « Parce que je veux être président, je vous ai compris et je vous aime ! »

Tentant de clore la polémique sur la colonisation algérienne, Emmanuel Macron a repris la formule du général de Gaulle, y ajoutant une dimension affective qui vient questionner son approche de la politique : « Parce que je veux être président, je vous ai compris et je vous aime ! »

Une élection qui vient tourner une page de l'histoire de la Vème République ?

Cette élection semble inédite dans sa configuration, alors que tout semble encore possible. Déjà parce qu'elle a vu le phénomène des primaires s'inscrire dans la durée, à droite comme à gauche. Ensuite parce qu'à l'opposé de ce qui s'observait il y a seulement dix ans, lorsque les personnalités de Nicolas Sarkozy, de Ségolène Royal et même de François Bayrou avaient entraîné une nouvelle dynamique partisane (entre autres avec une hausse de la participation et un boom des adhésions au PS et à l'UMP), les partis traditionnels ont du plomb dans l'aile – et le choix de plusieurs candidats de se présenter en dehors du système de partis, sur la base de candidatures indépendantes appuyées par des mouvements (« En Marche », « La France Insoumise », « Les Citoyens », etc.) semble l'attester. En 2007, le système donnait l'illusion qu'il était en capacité de se renouveler, et qu'un second souffle était donné à la Vème République. Entretemps, cinq ans sous Sarkozy et autant de temps sous Hollande, avec leur lot de millions de chômeurs et d'impuissance publique, sont passés par là. Fort d'une démarche d'ouverture à la société civile, Europe Écologie-Les Verts émergeait à la faveur d'élections encourageantes, les européennes de 2009 et les régionales de 2010, avant de retomber dans les tambouilles habituelles des écologistes français. Affaibli par un système électoral qui favorise structurellement le bipartisme parlementaire, François Bayrou repassait quant à lui sous la barre des 10% lors de la présidentielle de 2012, tandis que le Front national, et dans une moindre mesure le Front de Gauche (ou son supplétif, « La France Insoumise »), s'installaient durablement dans le paysage politique.

À l'image du référendum de 2005 en France, de l'élection de Donald Trump et du vote pour le Brexit chez nos voisins anglo-saxons, cette élection apporte donc son lot de rebondissements. L’éviction de Nicolas Sarkozy puis d’Alain Juppé, le retrait de François Hollande puis de François Bayrou, le résultat des primaires LR et PS, ainsi que l’émergence d’un Emmanuel Macron encore inconnu il y a trois ans, et l’ancrage sur la durée d’une Marine Le Pen dont l’électorat semble être le seul à ne pas se montrer volatile, laissent augurer certaines surprises. Pour la première fois, cinq candidats peuvent prétendre sérieusement accéder au second tour de la présidentielle : Jean-Luc Mélenchon à l’extrême-gauche, Benoît Hamon à gauche, Emmanuel Macron au centre, François Fillon à droite, et Marine Le Pen à l’extrême-droite. Pour autant, une victoire de la gauche semble plus qu’improbable – et le buzz actuel sur une possible candidature unique du PS et de la « France Insoumise » est à ce titre absurde, puisque même si un tel scénario permettait à celui choisi d’accéder au second tour, il serait presqu’à coup sûr battu ensuite, à moins peut-être de se retrouver face à Marine Le Pen… et encore.

Une débâcle du Parti socialiste – et du parti Les Républicains, accessoirement – aurait pour mérite de rebattre les cartes politiques, d’obliger la gauche à se restructurer autour de nouveau pôles partisans (qu’« En Marche » et « La France Insoumise » esquissent déjà), et de renouveler une scène politique largement sclérosée, où se côtoient et se succèdent une palette de politiciens présents dans les hémicycles parlementaires depuis une trentaine d’années. Rappelons que Michèle Alliot-Marie et Jean-Christophe Cambadélis sont élus à l’Assemblée nationale depuis 1986 et 1988, respectivement. Michel Sapin et François Fillon depuis 1981. Une telle réalité engendre des situations d'abus à l'image de l'« affaire Pénélope Fillon » qui, même si la suspicion d'emploi fictif venait à être réfutée, demeure choquante sur le plan moral, et à peine tolérable sur le plan légal. Recrutement de parents ou conjoints, salaires démesurés, voyages sur les frais du contribuable sous couvert de missions parlementaires, mise à disposition de chauffeurs et voitures de fonction... L'intelligentsia politique ne conçoit même plus ce que peut avoir de choquant ce type de pratiques, tant elles sont banalisées, rendant d'autant plus nécessaire un renouvellement de la classe politique. Pour cela, une percée du Front national, du mouvement « En Marche » ou de « La France Insoumise » aux législatives est nécessaire. Dans l’Espagne voisine, quoi que l’on pense de ces deux partis, on ne peut que se réjouir de l’entrée au Parlement de Podemos à gauche, et de Ciudadanos à droite. Ils viennent redonner du souffle à un système incapable de se régénérer tout seul.

En France, si le mode d’élection rend difficile ce scénario, il y a toutefois une chance que les deux partis historiques de droite et de gauche, PS et LR, ne bénéficient pas d'une dynamique suffisante – si aucun des deux n'est présent au second tour de la présidentielle – pour décrocher une majorité de sièges à l’Assemblée, lors des législatives de juin. C'est toute la vie politique française qui pourrait en être bouleversée. Et ce ne serait que justice, car les rebondissements auxquels on assiste ces derniers mois constituent la réaction légitime des électeurs (de ceux qui vont encore voter) après plusieurs décennies d'erreurs politiques majeures. La situation de la France trouve en effet ses racines dans des décisions bien concrètes, certaines déjà anciennes : la loi Pompidou-Giscard de 1973 qui oblige l'État français à emprunter sur les marchés financiers, le tournant de la rigueur de 1983, les privatisations amorcées en 1986 sous Chirac et poursuivies depuis, la  libéralisation du système financier sous Bérégovoy, l'acceptation du principe de concurrence libre et non-faussée en Europe sous Jospin, les hausses d'impôt massives sous Sarkozy puis Hollande, etc. Le tout dans un attentisme coupable, face à la désindustrialisation massive de notre pays depuis les années 1970, à la hausse des inégalités et à l'explosion de phénomènes de paupérisation tels que le mal-logement et le chômage de masse.

L'échec de trente ans de politiques gouvernementales et d'une convergence idéologique qui a brouillé le clivage droite-gauche entraîne un ras-le-bol généralisé dont la présidentielle de 2002 avait été une première manifestation, le résultat du référendum de 2005 une deuxième, et les scores du Front national depuis 2012 une troisième. Nos hommes et femmes politiques semblent incapables d'entendre ces avertissements, et de faire fructifier le comportement somme toute raisonnable de leurs concitoyens, pour « changer de cap » tant qu'il en est encore temps. Dans un contexte également marqué par le radicalisme religieux, la « crise des migrants » et la montée des tensions internationales, le cocktail est pour le moins explosif.

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