Par Jorge Brites.
Depuis quelques semaines, on assiste en France à des scènes assez remarquables où journalistes, chroniqueurs, éditorialistes, « experts » ou « analystes politiques » (insistons sur les guillemets) s’érigent en faiseurs d’opinion et prennent des positions dont la subjectivité n’a d’égale que la conviction avec laquelle ils nous déroulent déjà le scénario de la prochaine présidentielle. On voudrait nous faire croire que les médias ne font que leur métier en prenant de haut tel ou tel candidat, ou en faisant toutes leurs Unes sur un autre (soit pour le mettre en avant, soit pour le détruire).
Pour autant, les élections de Tsípras en Grèce et de Donald Trump aux États-Unis, ou encore les résultats des référendums au Royaume-Uni ou en Colombie l’année passée, montrent bien que la posture quasi-unanime du système médiatique ne suffit pas à orienter l’opinion publique dans un sens ou dans un autre. Parfois, bien au contraire. La question étant donc : en France, quel impact aura cette partialité médiatique sur l’opinion des électeurs ?
Deux candidats font les frais de cette subjectivité depuis une quinzaine de jours. Deux candidats qu’idéologiquement à peu près tout oppose, mais qui ont en commun d’avoir remporté la primaire organisée par leur parti politique respectif, contre toute attente et comme outsiders : Benoît Hamon à gauche, François Fillon à droite.
Hamon l’«utopiste » : le parti-pris idéologique des médias sur ce qu’est un candidat « crédible »
Le soir même de sa victoire à la primaire citoyenne de la « Belle Alliance Populaire », le candidat socialiste désigné par une majorité d’électeurs de gauche (sur environ deux millions de votants) mettait d’accord à peu près l’ensemble des sondeurs et éditorialistes sur le caractère irréalisable de son programme. Sur BFM-TV, après la présentation d’un sondage indiquant que 63% des votants ont choisi « celui qui porte le mieux les valeurs de la gauche » (36% seulement « celui qui ferait le meilleur président »), l’ex-patron de L’Express Christophe Barbier nous expliquait : « Les motivations sont intéressantes parce que c’est des motivations défaitistes, ce sont des motivations de battus. Choisir celui qui portera le mieux les valeurs de la gauche mais non pas celui qui ferait un bon président, c’est considérer qu’on n’aura pas de président, c’est considérer que ce camp-là va perdre l’élection ». Quelques minutes plus tard, la journaliste Anna Cabana poursuivait l’analyse, alors que les résultats du scrutin n’étaient toujours pas connus. Pour elle, la probable deuxième place de Valls signait le défaitisme des électeurs socialistes : « Ils n’ont pas choisi le plus présidentiable d’entre tous. C’est là qu’on voit que la posture assez régalienne et assez efficace de Valls n’a pas forcément séduit non plus. Finalement, ce qu’ils ont choisi, c’est un chef de parti ». Merci de nous expliquer ce que les gens ont pensé en glissant leur bulletin dans l’urne, du haut de votre boule de cristal.
D’autant que le raisonnement est pour le moins abusif : l’image du mandat de François Hollande est celle d’une présidence molle. Ne pourrait-on pas en déduire que dorénavant, les électeurs souhaitent tout simplement faire primer la clarté idéologique et une orientation plus franche, quand bien même il serait admis que le candidat qui l’incarne le mieux ne dispose pas du plus grand charisme (et la supériorité de Manuel Valls sur Benoît Hamon de ce côté-là reste à démontrer) ? En outre, privilégier une qualité ne signifie pas ignorer l’autre.
Plus tard dans la soirée, une fois les résultats tombés, avec un Benoît Hamon devançant Manuel Valls, l’« expert » Christophe Barbier nous expliquait que « Valls a une seule chance, c’est de mobiliser tous ceux qui ne sont pas allés voter dimanche. […] Cette gauche-là peut être mobilisée par Manuel Valls s’il montre qu’avec Benoît Hamon […] la gauche va vers un désastre électoral et que surtout le programme de Benoît Hamon ne tient pas la route ».
Benoît Hamon, invité le 31 janvier 2017 par la Fondation Abbé Pierre pour présenter ses propositions contre le mal-logement (Crédit photo © Renaud Artoux).
Sur France 2, même spectacle : Franz-Olivier Giesbert, ex-directeur du Point et sans doute l’un des commentateurs politiques les plus médiocres que notre époque ait produits, nous annonce la mort du PS, qualifie Hamon de « social-populiste » et décrète déjà, trois mois avant l’élection présidentielle : « Vous le voyez, vous, au second tour ? C’est impossible ! Vous le voyez même arriver avec un score raisonnable au premier tour de l’élection présidentielle ? C’est absolument impossible ! En face, il y a la montagne Mélenchon qui est pratiquement indestructible ». Révélant une méconnaissance réelle du programme du candidat socialiste, il le qualifie de « trumpisme de gauche », ajoutant : « On va mettre des murs partout, le souverainisme, un programme économique surréaliste… [...] On met des frontières, on reconstruit des frontières et un programme économique totalement surréaliste, sinon dadaïste ». Ce dernier qualificatif est très intéressant et illustratif, le mouvement intellectuel et artistique dada, autrement appelé « dadaïsme », étant né au début du XXème siècle en se distinguant par une remise en cause de toutes les conventions et contraintes idéologiques, esthétiques et politiques. Une démarche qui dépasse le champ des possibilités pour un esprit aussi convenu et conformiste que celui de Franz-Olivier Giesbert. Pourtant, reconnaissons que dans des sociétés qui semblent marcher contre la nature, contre la vie humaine et dans l’intérêt d’une minorité aux dépens de millions d’individus, la remise en question des paradigmes qui structurent notre lecture du monde apporterait une bouffée d’air frais au débat politique.
Il enfonce même le clou en ajoutant que le Parti socialiste vit « dans un monde de Bisounours » (une analyse politique de haut niveau). Tout ceci ne constitue qu'une poignée d'exemples, et l'on aurait pu en citer bien d'autres. Cette quasi-unanimité des médias pour décrédibiliser d’emblée, voire mépriser toute mesure différente (et par la même occasion les gens qui, par leur vote, y adhèrent également) est d’autant plus aberrante que les candidats qualifiés de « crédibles », de « raisonnables » ou de « sérieux », portent des idées on-ne-peut-plus convenues sur le rôle de l’État, sur le libre-échange économique, sur le système social et sur la croissance économique qui nous conduisent collectivement dans le mur depuis des années. Benoît Hamon nous est présenté comme un Bisounours (et comme lui, bon nombre de personnalités politiques de gauche et d’extrême-gauche, depuis longtemps) parce qu'il refuse d'aborder le terrorisme, l’islam, la sécurité, l'identité, comme des thèmes centraux de sa campagne.
Mais après l'affaire du burkini l’été dernier, ou encore la double-ration de frites cet automne, qui ont pollué les débats publics pendant plusieurs mois, comme nous l'avions déjà traité en novembre dernier (Islam, foulard, burkini : faut-il relire la loi sur la laïcité à ceux qui la brandissent ?), on comprend que se retrouver devant des candidats qui remettent (enfin !) les questions économiques et sociales sur le tapis, aux dépens de la manipulation identitaire, suffise à perturber une partie de la classe médiatique. Les Bisounours ne sont-ils pas ceux qui, au contraire, ne semblent pas voir que notre mode de vie consumériste a atteint ses limites, qu’il détruit la planète et ruine la vie de millions de gens ? Et que c'est cela, le premier des sujets à traiter pour le bien-être des générations présentes et futures ? Pour aller plus loin sur la nécessité d'un débat économique de fond à l'élection présidentielle : Présidentielle de 2017 : aura-t-on enfin droit à un débat sur le protectionnisme économique ?
L’équation est simple : notre modèle de société nous fait consommer plus que ce que les ressources de la planète ne peuvent supporter, et privilégie la croissance économique et le profit sur la sauvegarde environnementale et sur le bien-être des individus. Notre système se satisfait d’un accroissement progressif des inégalités et est donc facteur de tensions sociales qui favorisent les manipulations identitaires – une situation que l’Histoire nous a appris à appréhender comme particulièrement destructrice. À terme, notre modèle de société n’est tout simplement pas viable. Il faut donc le changer. Et pour cela, il faut des idées nouvelles. Et malgré cela, on voit bien que les médias ont du mal à envisager des alternatives.
Fillon et les révélations surprises, à trois mois du scrutin
Le cas de François Fillon est un peu différent, parce qu’il ne relève pas d'une divergence d’opinion profonde avec le monde médiatique. Globalement, l’idéologie de la droite sur les plans économiques et sociaux est celle qui domine largement, avec toutes les idées reçues qui vont avec les poncifs habituels des partisans du libéralisme économique : le secteur privé serait plus efficace que le secteur public ; les fonctionnaires seraient des privilégiés dont il faut aligner les conditions de travail et le statut sur les travailleurs du privé ; le système de sécurité et d’allocations sociales français aurait créé un peuple d’assistés et de profiteurs auprès de qui il faut promouvoir la valeur du travail ; les entreprises françaises seraient nos armées d’aujourd’hui dans une guerre économique mondiale qui impose des sacrifices (chez les travailleurs) ; etc. Cette convergence des opinions ne vaut pas, en revanche, pour les questions de société. S’il est vrai que les médias relaient particulièrement bien, de manière générale, le schéma de pensée de la droite sur les sujets liés à l’islam, à la sécurité et au terrorisme (par leur traitement de l’actualité, le calendrier de leurs reportages, leur vocabulaire...), le positionnement conservateur des Républicains sur la question homosexuelle par exemple, a au contraire plutôt été l’occasion de tourner en dérision la droite et l’extrême-droite.
Qu’il s’agisse de la suppression de 500.000 postes de fonctionnaires, du recul de l’âge de départ à la retraite, ou encore de la privatisation annoncée du système de Sécurité sociale, le programme de François Fillon mériterait bien des articles. Pour autant, si l’on fait abstraction des divergences idéologiques, il faut bien convenir que la succession des affaires touchant le candidat des Républicains, à seulement trois mois de l’élection présidentielle, a de quoi laisser perplexe. La tournure des évènements prend l’allure d’un véritable assassinat politique, mené avec une grande efficacité.
Comment les choses ont-elles démarré ? Le 25 janvier 2017, Le Canard enchaîné affirmait que Penelope Fillon avait touché environ 500.000 euros en tant qu’attachée parlementaire de son époux, François Fillon (de 1998 à 2002 puis six mois en 2012) et de son suppléant Marc Joulaud (de 2002 à 2007), sans en réalité n’avoir jamais travaillé. Elle aurait par ailleurs été rémunérée entre 2012 et 2013 par la Revue des deux Mondes, dont le propriétaire, Marc Ladreit de Lacharrière, est un ami de son mari, pour un montant de 5.000 euros brut par mois. Le directeur en chef de la revue à l’époque, Michel Crépu, déclarant pourtant n’y avoir « jamais vu Penelope Fillon », qui aurait seulement signé « deux ou trois notes de lecture ». Le jour même, le parquet national financier ouvrait une enquête préliminaire pour détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et recel de ces délits. Ainsi démarrait l’affaire « Penelope Fillon », ou Penelopegate.
Dès le lendemain, le candidat des Républicains ripostait en déclarant sur TF1 avoir mis fin à sa collaboration avec sa femme en 2013, ayant « compris qu’au fond, l’opinion publique avait évolué sur ces sujets-là ». Le 7 février suivant, il publiait sur son site de campagne le tableau des rémunérations perçues par son épouse ainsi que sa déclaration de patrimoine transmise à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). Les salaires parlementaires de Penelope Fillon, de 1986 à 2013, sont présentés nets et en euros courants pour un total de 680.380 euros (soit 1.069.900 euros en salaire brut et en euros constants), soit une moyenne sur quinze ans de 3.677 euros nets mensuels, avec des pointes de rémunération à plus de 6.000 euros bruts mensuels lorsqu’elle était employée par Marc Joulaud.
Les affaires de conflits d'intérêts, emplois fictifs et corruption s'enchaînent pour le candidat des Républicains. Un calendrier qui semble tomber à pic, à trois mois de l'élection présidentielle.
Les affaires semblent quelque peu s’enchaîner depuis, à commencer par des accusations de conflit d’intérêt autour des activités de conseil de la société « 2F Conseil », créée pour 1.000 euros d’apport en capital onze jours avant son élection en tant que député de Paris, ce qui lui permettait alors d’éviter l’interdiction faite aux députés de commencer une fonction de conseil durant leur mandat – François Fillon étant l’unique actionnaire, employé et gérant. Ont suivi deux autres affaires : des soupçons d’avoir fait travailler son assistante parlementaire sur sa campagne présidentielle ; et des accusations d’avoir attribué, lorsqu’il était sénateur, des missions à ses deux enfants, pourtant encore étudiants en droit, à hauteur de 84.000 euros. Indéniablement, François Fillon paie deux factures : celle d’une défense maladroite, ponctuée de contradictions et d’excuses mal placées et mal comprises ; celle aussi de l’image de sérieux, de droiture et de rigueur qu’il a voulu vendre aux électeurs. Difficile de justifier la suppression de 500.000 postes de fonctionnaires, en étant accusé d’avoir fait bénéficier son épouse d’un emploi fictif rémunéré en moyenne 3.677 euros pendant quinze ans.
Soyons clairs : si l’enquête confirme les accusations portées contre lui, alors François Fillon doit être condamné, comme l’exigent les principes de justice et de primauté du droit (les mêmes que les gens de droite brandissent lorsqu’il s’agit de renforcer les peines de prison fermes ou de traquer les immigrés clandestins). Toutefois, deux questions s’imposent au regard du calendrier électoral : pourquoi François Fillon, et pourquoi maintenant ? Bon nombre d’élus emploient des proches sur des postes directement rattachés à l’exercice de leur mandat électif : la femme, l’époux, les enfants, etc. La pratique est courante et n'est pas interdite par la loi. Surtout, elle est connue de la presse depuis bien longtemps. Selon Mediapart, en 2014 (après la loi sur la transparence de la vie publique votée en 2013 dans la foulée de l'affaire Cahuzac), près de 20% des députés (115 sur 577) ont salarié un membre de leur famille, en CDD ou en CDI, sur un temps plein ou partiel. Au final, l’Assemblée nationale aurait rémunéré 52 épouses, 28 fils et 32 filles de député(e)s en 2014.
Macron, produit d’une bulle médiatique
À l’inverse des exemples de Benoît Hamon et de François Fillon, les médias travaillent depuis plusieurs mois maintenant à construire une figure de candidat frais et hors du commun, symbole du renouveau politique, en la personne d’Emmanuel Macron. Cette image de renouveau implique évidemment d’oublier que le bilan du gouvernement actuel – au moins dans le domaine économique et social – est aussi le sien, comme membre du gouvernement de Manuel Valls de 2014 à 2016, en charge de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique (une position-clé), et avant cela comme Secrétaire général adjoint de la présidence de la République, de 2012 à 2014.
Ce statut de favori à l'élection présidentielle n’a pas émergé naturellement dans l’opinion publique, loin de là. Quelques mois après son entrée au Ministère de l’Économie, Emmanuel Macron jouissait d'ailleurs d’un niveau de popularité plutôt faible. Aujourd’hui, les sondages le placent régulièrement comme la personnalité politique préférée des Français. Le rôle des médias dans cette ascension est indéniable : dans ses premiers temps au gouvernement, il ne faisait pas encore la Une des grands quotidiens. Voire même, il semblait relativement peu apprécié : ex-banquier de chez Rothschild, libéral, bling bling et instigateur d’une loi sur la dérégulation du travail. Sans compter quelques sorties mémorables révélant son décalage avec les Français : par exemple lorsqu’il avait qualifié les employées licenciées des abattoirs de Gad d’« illettrées » (le 17 septembre 2014 sur Europe 1) ; plus tard, quand il soutint que « l’économie du Net est une économie de superstars » et qu'« il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires » (le 7 janvier 2015, lors d’un déplacement au Consumer Electronics show à Las Vegas) ; ou encore le 27 mai dernier, lorsqu’il répondait à un gréviste, dans le village de Lunel dans l’Hérault : « Vous n'allez pas me faire peur avec votre t-shirt. La meilleure façon de se payer un costard, c'est de travailler ».
Depuis, les médias, en le plaçant au cœur de l’actualité politique et people, ont largement contribué à améliorer cette image. Il a été, et de très loin, la personnalité politique la plus médiatisée de ces deux dernières années. Les quotidiens Libération, L’Obs, Le Monde et L’Express totaliseraient ainsi plus de 8.000 articles évoquant Emmanuel Macron de janvier 2015 à janvier 2017. Contre 7.400 pour Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon réunis, dans les mêmes quotidiens et sur la même période, s’il on en croît le site de gauche Le vent se lève dans un article du 2 février 2017.
Dans toute la période qui a précédé l’annonce de sa candidature, cet engouement des médias a été particulièrement frappant. Le jour même de sa démission, le fondateur du mouvement En marche ! faisait les gros titres de la presse. Le JT de France 2 y a consacré 22 minutes, soit les deux tiers de l’émission ! Idem sur TF1 où il était personnellement invité pour une interview d’une durée de 17 minutes.
Le cas d’Emmanuel Macron relève typiquement d’une bulle médiatique. C’est l’intérêt que lui ont porté une grande partie des médias qui a attiré vers lui un socle d’électeurs potentiels. Un indicateur permet de « mesurer » l’ampleur de cette bulle : il suffit de comparer la place du candidat sur les médias mainstream ou traditionnels (taux d’articles), avec celle occupée sur les principaux réseaux sociaux (taux de contenu émis par les internautes). Si le taux dans les médias est significativement supérieur au taux sur les réseaux sociaux, cela signifie que les médias s’intéressent beaucoup à un candidat alors que sa campagne prend beaucoup moins dans la population : c’est donc une bulle médiatique.
Cette méthode a ainsi été récemment utilisée dans une tribune du politologue Thomas Guénolé le 13 février dernier, sur le site Marianne. À l’aide de données analysées via Talkwalker, un outil de veille et d'analyse du web et des réseaux sociaux, par Véronique Reille Soult, directrice de la structure de conseil en communication et marketing Dentsu Consulting, il apparaît qu’en 2016, le phénomène Macron a constitué tout simplement une énorme bulle. Du 1er avril au 31 septembre 2016, il avait en effet 43% de parts de voix dans les médias, contre 17% sur les réseaux sociaux (une différence abyssale). Depuis la fin de 2016 en revanche, ce même phénomène a largement diminué. Ainsi du 1er décembre 2016 au 31 janvier 2017, le candidat était à 20% dans les médias contre 19% dans les réseaux sociaux, c’est-à-dire quasiment le même taux. Une baisse qu’on ne peut pas attribuer à une hausse réelle de l’intérêt des internautes, mais qui s’explique sans doute par la tenue de la primaire de la gauche au mois de janvier, qui a accaparé l’attention des médias. Les résultats des prochains mois seront donc intéressants à observer. En attendant, il est probable que le matraquage médiatique a contribué à consolider la présence de Macron sur la toile, et surtout à le faire progresser dans les études d’opinion, par simple effet d’exposition.
Pourtant, sur le plan des idées (pour le peu qu’on en sait, compte tenu de l’absence de programme qui caractérise jusque-là sa campagne), on ne peut pas dire qu’Emmanuel Macron innove particulièrement : libéral « de gauche », comme la majorité des membres du gouvernement Hollande ; européen convaincu, mais comme la quasi-totalité de ses anciens collègues ; des solutions abstraites, voire dépassées pour répondre à la crise (rouvrir des mines par exemple) ; etc. Hormis l’apparence physique, on a décidément du mal à voir ce qui concrètement a pu séduire à ce point journalistes et éditorialistes, pour qui Macron incarne le « renouveau » et la « modernité ».
Comme toute bulle, celle-ci est potentiellement très fragile. D’autant qu’elle se base essentiellement sur des éléments d’image, des idées générales et des postures convenues – dans la mesure où Macron exprime, jusqu’à présent, assez peu de positions clivantes. Le développement de son programme d’ici mars prochain changera peut-être la donne, mais il est à parier que le candidat à la présidentielle évitera soigneusement toute démarche polarisante. Dans tous les cas, cette surexposition par les médias (qui vient après celle, tout aussi disproportionnée, d'Alain Juppé en 2016), avec tous les impacts potentiels en termes de démocratie, pose une vraie question déontologique. Par une couverture excessive, ils n’assurent plus, collectivement, le pluralisme nécessaire à toute démocratie qui respire.
Du pouvoir des médias de rendre la justice
D'autres candidats que François Fillon traînent eux-mêmes des « casseroles » ou un passif pour le moins médiocre sur le plan éthique. On peut citer Marine Le Pen qui emploie Louis Aliot, son compagnon et numéro deux du Front National, comme assistant au Parlement européen à hauteur de 5.000 euros brut mensuels pour un simple temps partiel de 17,5 heures par semaine. Ou encore Emmanuel Macron lui-même, la coqueluche des médias, qui aurait consommé 120.000 euros (80% de l’enveloppe budgétaire de représentation du Ministère de l’Économie) avant son départ de Bercy pour financer des prestations sans rapport avec le Ministère, mais en très fort lien avec la préparation de sa candidature présidentielle. Pourtant, les médias ne semblent pas vouloir s’acharner plus que ça sur Emmanuel Macron ou sur Marine Le Pen, et leurs cotes de popularité dans les études d’opinion demeurent stables, voire même bénéficient du « travail » des médias vis-à-vis des autres candidats.
La Justice a certes ouvert une enquête sur l'affaire « Penelope Fillon », mais aucune conclusion n’a encore été rendue. Il n’existe pas de réel contre-pouvoir à celui des groupes médiatiques sur la diffusion de l’information. Le candidat des Républicains l’a lui-même bien compris, et cherche à le pointer du doigt, puisqu’il dénonce à présent la « médiacratie » et la « sondocratie ». Or, que se passera-t-il si, demain, François Fillon est innocenté ? Le mal aura été fait. Rien ne pourra effacer les Unes annonçant sa chute, les séquences de mise en dérision du candidat et de ses partisans, les fausses rumeurs, les divisions provoquées dans son camp, etc. Il ne s’agit pas là de l’innocenter ou de prendre son parti, mais simplement de dire que la Justice s’est saisie du dossier, fait son travail et rendra ses conclusions. Si son camp estime qu'embourbé dans des affaires, il ne devrait pas se présenter, alors il faut en faire une règle pour tous (et d'autres candidatures seraient donc sans doute retirées, à bien des échéances électorales). Pas une saute d’humeur à trois mois de l’élection présidentielle, alors même qu'une primaire qui a fortement mobilisé les électeurs de droite a déjà légitimé sa candidature.
Des sondages instables : la boule de cristal semble fissurée
Rarement une élection présidentielle, en France, n’aura été si chargée d’incertitudes. Cinq candidats peuvent prétendre au second tour : Marine Le Pen, François Fillon, Emmanuel Macron, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, et il est possible que tous les cinq dépassent la barre des 10%, ce qui serait assez inédit. La seule tendance vraiment solide que l’on observe à présent est celle d’une candidate Front national en tête au premier tour avec plus de 25% des voix ; en effet, l'électorat de Marine Le Pen semble le moins volatile de tous. Pour autant, les études d’opinion sont très fluctuantes, et il est probable que le jour venu, on ait bien des surprises.
Un sondage Elabe pour Les Echos et Radio classique rendu public le 1er février 2017, indiquait une perte de popularité importante pour François Fillon, relégué à la troisième position avec à peine 20% des intentions de vote, derrière Emmanuel Macron. Ce dernier bénéficie indéniablement des difficultés du candidat de droite. Toutefois, l’influence des médias peut être relativisée par la percée simultanée de Benoît Hamon. Les journalistes et éditorialistes ne se sont pourtant pas privés pour décrédibiliser son programme, notamment sa conception du travail et du marché de l'emploi, dont découle sa proposition de mettre en place un revenu universel d’existence. Le candidat socialiste recueillerait ainsi 16 à 17% des voix, soit une progression d'une dizaine de points en un mois. Il profite de la dynamique qui accompagne toute victoire électorale, et d’un temps de parole appréciable pour exposer ses idées et ses propositions.
La subjectivité des médias dominants, qui baignent dans un unanimisme affligeant sur les questions européennes et sur les grands débats économiques, n'est pas une nouveauté. Au nom du principe de « réalisme économique », dans un monde globalisé où le travail est soumis à une concurrence déloyale et au risque de délocalisation (sauf que le secteur médiatique y est assez peu soumis finalement… comme c’est pratique !).
Les surprises électorales de ces dernières années (et l’année 2016 n’en a pas manquées) auraient dû suffire à ce que journalistes et commentateurs politiques cessent enfin (!) de jouer aux apprentis-sorciers en nous annonçant, parfois des mois à l’avance, les résultats des élections. Les succès électoraux de Benoît Hamon et de François Fillon eux-mêmes, respectivement aux primaires de la gauche et de la droite, devraient suffire : l’élection n’est jamais jouée d’avance. La persistance des journalistes à adopter cette posture prophétique est la marque d’un manque de respect évident pour le principe de démocratie. Tout comme d’ailleurs leur attitude méprisante quand le peuple vote à l'encontre de leurs opinions. Les commentaires et analyses suite aux référendums sur le Brexit au Royaume-Uni et sur le plan de paix en Colombie, en 2016, étaient à cet égard frappants. De l’avis général, sur bon nombre de médias, il aurait simplement fallu retenir que le référendum était l’arme des populistes et qu’il fallait donc éviter d’y recourir, parce que les gens ne savent pas voter correctement. Chers journalistes, chers commentateurs, qui rarement prenez le temps de réellement comprendre ce qui motive le vote des électeurs, souffrez au moins que votre opinion ne soit pas partagée, ni une évidence, et que ce qui apparaît bon pour vous ne l’est pas nécessairement pour tout le monde. Souffrez également qu’une élection ne soit pas jouée à l’avance, et qu'il n'est pas dans votre rôle de donner votre avis personnel sur tel ou tel choix de société qui a pu être plébiscité ici ou là. Votre métier ne consiste pas à tout bonnement distribuer les bons et mauvais points à la classe politique. Si vous ne pouvez entendre cela, alors assumez votre préférence pour un régime de despotisme éclairé, vous aurez au moins le mérite de la cohérence.