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Par David Brites.

Le 4 octobre dernier, le Parlement européen rejetait une proposition de définition des perturbateurs endocriniens formulée par la Commission européenne, car il jugeait cette dernière trop restrictive et ne permettait pas d'assurer la protection des consommateurs. Alors que nous avions échappé au pire avec la défaite dès le premier tour d'un François Fillon qui souhaitait abroger le « principe de précaution » inscrit dans notre Constitution depuis 2005, l'actualité environnementale se cristallise à présent sur le glyphosate, cet herbicide le plus vendu au monde. D'un côté, Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique, souhaite le supprimer et trouver des alternatives ; de l'autre, de nombreux agriculteurs veulent poursuivre son application pour des raisons de rendements et de compétitivité.

L'idée même que le débat pourrait s'achever sur une victoire des industries agro-alimentaires échappe à la raison, si l'on prend du recul sur la situation sanitaire et environnementale de certains de nos territoires, en zone rurale comme en milieu urbain ou périurbain. Alors qu'il est évident depuis des années que notre modèle va dans le mur, et qu'il faudrait le repenser, non pas brutalement, mais tout de même intégralement, les avancées se font à pas de fourmis et il n'y a qu'à voir le compromis obtenu à la 21ème Conférence des Parties (COP 21) à Paris, en 2015, pour s'en convaincre. Quelques éléments de réflexion sur les changements de paradigme que nous traînons des pieds à adopter.

La formulation d'une définition des perturbateurs endocriniens par un comité technique mis en place par la Commission européenne, en juillet dernier, était très attendue, même si la plupart des ONG militant pour une précaution forte sur ce sujet craignait justement que la définition ne subisse l'influence des lobbies. Or, elle a justement pour but d'identifier de manière précise les substances qui doivent être considérées comme des perturbateurs endocriniens et donc tomber sous le coup des réglementations sanitaires. Voilà pourquoi sa formulation n'est pas accessoire. La réaction du Parlement européen il y a quelques semaines montre que des acteurs au sein même du système restent encore vigilants. Il faut dire que les études se multiplient sur les effets des perturbateurs endocriniens sur l'organisme, certaines substances chimiques étant même écartées de la consommation, comme le bisphénol A. Déjà abordé dans un article de septembre 2014 (Pesticides, insecticides : que trouve-t-on dans nos assiettes... et dans nos cheveux ?), ce débat dure déjà depuis trois ans. Il est revenu sur le devant de la scène en France pendant l'élection présidentielle, le candidat du PS Benoît Hamon faisant de la lutte contre les perturbateurs endocriniens un de ses sujets-phares.

Quant au glyphosate, voilà une épine dans le pied du président Macron qui pourrait bien lui coûter son ministre de la Transition écologique, si d'aventure celui-ci n'obtenait pas gain de cause sur ce dossier. Là-aussi, les enjeux sont considérables. Rappelons que les ventes du Roundup, dont le glyphosate constitue la substance active, représentent entre quatre et cinq milliards d'euros par an pour la firme américaine Monsanto. Or, mercredi 25 octobre, la Commission européenne n'a pas trouvé de solution qui permette de rassembler une majorité d'États-membres sur le sort de cette molécule, renvoyant à plus tard la décision sur cet herbicide dont la licence expire en décembre. Un renouvellement du glyphosate pour cinq ans serait sur la table, mais un vote prévu le 9 novembre permettra sans doute d'y voir plus clair.

Dans le cœur de l'Ariège, au sud de la France.

Les sujets liés à la question du développement durable sont innombrables et en aucun cas cet article ne vise à en faire la liste exhaustive. À quelques semaines de la COP 23 qui doit, à Berlin, affiner la stratégie de mise en œuvre de l'accord de Paris sur le climat, il se veut plutôt un appel à la raison et un coup de projecteur sur les urgences qui s'annoncent. Bien entendu, l'accord de 2015 est un compromis laborieux qui ne répond pas complètement aux enjeux, comme nous l'avions déjà souligné à l'époque (COP 21 : tout reste à faire !), mais il se veut une première pierre et n'empêche pas ceux qui veulent avancer plus vite de le faire. Alors que les catastrophes naturelles se multiplient et que les phénomènes climatiques s'aggravent, les solutions existent, elles sont nombreuses mais certaines restent encore à améliorer, voire tout simplement à découvrir. Il peut s'agir tant de processus de production, de consommation, ou d'incitations intelligentes favorisant les gestes simples mais utiles  et nous en présentions déjà certains exemples il y a quelques années de cela (Les achats responsables : une mine d'or encore méconnue des pouvoirs publics) , ou encore des innovations technologiques (L'innovation garantira-t-elle le développement durable ?). Les défis sont à la fois considérables et passionnants. Un pays comme la France a les capacités intellectuelles et techniques de les relever, mais elle peut aussi apprendre de ses voisins, et des autres continents.

Dans l'Hexagone, la question du développement durable se cristallise bien souvent sur le recours ou non au nucléaire. Il s'agit d'élargir le débat à la production et à la consommation d'énergie plus généralement. Car oui, il faudra bien un jour, quel que soit le délai envisagé pour le faire, penser une sortie progressive du nucléaire. Pour une raison toute simple, si tant est que le motif sécuritaire et le problème du traitement des déchets radioactifs ne seraient pas suffisants à eux seuls : la production de nucléaire étant dépendante de l'uranium, la question de la raréfaction de cette ressource finie se posera bien un jour, comme elle devra se poser pour le pétrole. Or, l'Europe traîne encore à prendre à bras-le-corps ce sujet, même s'il est faux de dire que rien n'est fait. Selon un rapport de Bloomberg Energy New Finance publié l'année dernière, 70% de l'électricité en Europe devrait être fournie par les énergies renouvelables d'ici 2014 ; en 2015, elles n'y représentaient « que » 32% de la production électrique. Aux États-Unis, les énergies dites vertes devraient passer de 14% en 2015 à 44% en 2040  cette prévision était antérieure à l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. Et selon le rapport publié par la même organisation en 2017, le vent et le soleil supplanteraient de plus en plus le charbon : en 2030, la plupart des centrales à charbon existantes ne seront plus rentables, et à l'horizon 2040, il est prévu une baisse des coûts de 66% pour le photovoltaïque et de 47% pour l'éolien.

Mais faut-il s'arrêter à ces prédictions, alors qu'on repousse fréquemment les délais de prévision pour la disparition du pétrole  et que de nouvelles réserves d'hydrocarbures sont régulièrement découvertes, et les techniques d'extraction perfectionnées ? Doit-on par ailleurs se contenter de développer les énergies renouvelables comme des supplétifs aux énergies carbonées ? Peut-on sérieusement envisager de conserver les mêmes rythmes de consommation, et se contenter de changer l'énergie fournie ? Changer de paradigme, sur un sujet comme la problématique énergétique, cela passe aussi par penser nos modes de vie de façon plus économe. La frugalité doit entrer dans notre vocabulaire : elle est une condition incontournable à la durabilité de notre modèle de société. Sans pour autant « retourner à la bougie » ou « au temps des cavernes », comme se plaisent à se moquer certains anti-écologistes de comptoir et autres climatosceptiques irréductibles, cela veut dire renoncer au luxe de certains caprices qui représentent un coût considérable pour l'environnement, et donc pour nous : ne pas changer de téléphone, de smartphone ou d'ordinateur au simple prétexte de la nouveauté, militer contre les stratégies industrielles d'« obsolescence programmée », etc. Il s'agit de remettre en cause nos schémas classiques basés sur les notions de croissance, d'émancipation matérielle, de consumérisme, héritées de deux siècles de transformations profondes (La société de consommation en Europe : chronique d'une construction socio-culturelle sans issue durable), pour penser des modes de production, de réutilisation, de consommation alternatifs. La crise qui frappe le monde occidental depuis 2008 a, en outre, servi de révélateur aux multiples dysfonctionnements du système capitaliste, et alors que contrairement aux crises financières et économiques connues jusqu'alors, les riches ne sont pas ressortis moins riches de cette séquence  bien au contraire ! , il est temps, en dépit de l'essoufflement de mouvements contestataires comme les Indignés, de proposer des solutions qui à la fois permettent de sortir des maux de cette crise dont la France n'est jamais vraiment sortie, et de repenser plus globalement le système (L'économie écologique : remède aux maux de la crise).

L'exemple de la production et de la consommation d'énergie est emblématique : alors que l'investissement devrait être à la mesure du défi, il n'évolue, certes positivement, mais qu'à la marge. Au-delà des enjeux sectoriels, deux questions doivent guider les décisions publiques si elles veulent conduire à l'objectif d'épanouissement et de bonheur que nous espérons : 1) Pourquoi travaillons-nous, individuellement ? 2) Pourquoi produisons-nous, collectivement ? Ces deux questions ne relèvent pas que du débat théorique, elles posent clairement sur la table le modèle de société que nous souhaitons construire, pour nous et pour nos enfants. Se lève-t-on le matin pour acquérir toujours plus sur le plan matériel ? Ou pour joindre les deux bouts parce qu'au nom de certains principes qui se veulent « réalistes », on a mis à terre la plupart des filets sociaux que la France pouvait, jusque récemment, se targuer d'avoir ? Pourquoi prétend-on « mettre les gens au travail », quel projet de société prétend-on construire en orientant notre économie de telle ou telle manière ? Produit-on pour que la France rembourse sa dette, ou encore pour qu'elle maintienne son rang en termes de PIB (un indicateur contestable en soi) ? Ou au contraire, n'est-ce pas plutôt pour améliorer la vie des gens, pour bâtir un projet collectif positif et porteur d'espoir en des jours meilleurs ?

La plupart des études d'opinion l'indiquent : les Français sont l'un des peuples les plus pessimistes au monde. Une certaine lassitude nous caractérise, quel que soit le bord politique : soit sur l'incapacité de la France à « se réformer », soit sur les sacrifices perpétuels qui sont exigés au nom des impératifs budgétaires ou liés à la mondialisation. Pourtant, il serait faux de dire du peuple Français que son histoire est marquée par l'immobilité. Et l'actualité politique et sociale tend largement à le prouver. Après le phénomène certes éphémère  de Nuit Debout en 2016, les questions évoquées dans cet article ont largement fait l'objet de débats lors de la présidentielle, puisqu'au moins deux candidats de gauche les ont abordés, à savoir Benoît Hamon, avec par exemple le revenu universel d'existence, la lutte contre les perturbateurs endocriniens, et la réduction du temps de travail, et Jean-Luc Mélenchon, avec entre autres l'« économie de la mer », l'instauration de la « règle verte » (qui vise à ne pas épuiser les ressources naturelles), et la mise en place d'un plan de transition énergétique de 50 milliards d'euros. Et si l'échec du candidat de la France Insoumise à passer le premier tour, de même que le score médiocre du candidat PS, montrent que ces sujets ne sont pas encore ancrés dans les mentalités  ou du moins, s'ils sont entendus, ils ne déterminent pas le vote des électeurs , il faut retenir deux choses. Tout d'abord, et en dépit de la vigueur avec laquelle la plupart des grands médias (en général plutôt favorables à François Fillon et surtout à Emmanuel Macron) ont souligné la « radicalité » des programmes de Benoît Hamon et de Jean-Mélenchon, le score réuni des deux représentants de la gauche dépasse la barre des 25%, soit plus d'un Français sur quatre. Ensuite et surtout, comme nous l'avions déjà souligné en avril 2016 (« Îlots d'innovation » : quand le citoyen a un temps d'avance sur la classe politique), nombreux sont les citoyens qui n'attendent pas la décision politique pour faire avancer les choses.

Comme l'expliquait la philosophe Cynthia Fleury sur France 2 en octobre 2014, des « insularités », des « îlots (...) d'innovation sociale » existent déjà... et fonctionnent : « L'économie solidaire sociale, aujourd'hui, non seulement est viable, alors qu'elle a été longtemps utopique, associative, non formalisée, elle devient protocolaire, elle crée des carrières, elle sauve des vies. » Non pas qu'il faille se contenter de cette action de la société civile pour transformer notre modèle, car certaines décisions relèvent du champ politique et ne peuvent pas trouver d'issue heureuse sans que le politique ne prenne ses responsabilités, comme par exemple pour l'adoption d'incitations fiscales favorisant des comportements respectueux de l'écologie, ou encore l'imposition de protections douanières sociales et environnementales. C'est pourquoi le poids du vote ne doit pas être négligé, en aucun cas il n'est anodin : un bulletin déposé dans l'urne a des conséquences concrètes sur les politiques publiques comme sur la vie de millions de nos concitoyens. Toutefois, et en attendant de voir notre classe politique prendre la mesure des décisions à prendre, il faut bien se résoudre à faire le pari de ces insularités, pour au moins une raison : face à la sclérose intellectuelle, à l'apathie et à la pusillanimité de nos dirigeants, c'est bien tout ce qu'il nous reste ! Et en un sens, elles redonnent un sens et un poids à l'action citoyenne.

À Ivry-sur-Seine, en banlieue parisienne.

À Ivry-sur-Seine, en banlieue parisienne.

L'esprit de système et un pragmatisme de long terme doivent nous alerter sur le temps qui est nécessaire pour transformer réellement les modes de production, de distribution et de consommation en France et en Europe. Cela demande de repenser tous les secteurs, ceux de l'énergie déjà mentionné, mais aussi, évidemment, le secteur agro-alimentaire, dont le fonctionnement, ou plutôt le dysfonctionnement, est notoire. Cela ne se traduit pas seulement par de la nourriture de moindre qualité et des situations d'injustice opposant le monde paysan aux grandes entreprises du secteur (de distribution ou semencières, notamment) : rappelons que la France compte 450.000 exploitations agricoles, et 11.000 sociétés agro-alimentaires, pour seulement sept centrales d'achat. Un tel contexte débouche aussi sur des détresses humaines. Rien qu'en octobre 2013, une étude de l'Institut National de Veille Sanitaire révélait qu'un agriculteur se donne la mort tous les deux jours en France  c'est la troisième cause de décès dans cette profession. Juste entre 2007 et 2009, on a compté 500 suicides chez les agriculteurs. Alors qu'un tel constat devrait faire l'effet d'une bombe, on ne parle d'agriculture que lors des rares occasions où sont observées des actions de protestation d'envergure du monde paysan, comme le déversement de fiente, ou des opérations-escargot. Ou pire, dans une émission TV telle que L'amour est dans le pré, qui met avant tout en exergue la solitude des agriculteurs.

C'est une question d'avenir qui ne concerne pas que quelques emplois de paysans, mais bien l'ensemble des Français et des Européens. Loin de nous l'idée de donner un quelconque crédit à des postures telles que celle que Tony Blair avait adoptée pendant les négociations sur le budget européen en 2005 : celui qui était alors chef du gouvernement britannique avait dénoncé les sommes allouées « dans un secteur qui représente 2% des emplois », avant de publier une tribune intitulée De l'argent de l'UE pour des emplois, pas pour des vaches. On peut bien sûr remettre en cause la gestion de la question agricole dans le cadre communautaire, toutefois, minimiser ce secteur relève soit de l'ignorance, soit de la mauvaise foi. Rappelons déjà que derrière un agriculteur, se cachent en fait sept emplois directs. En outre, la survie d'une agriculture nationale et européenne n'impacte évidemment pas que les personnes travaillant dans les différentes branches de l'agro-alimentaire, mais bien toute la société, puisque, par la nature des choses, nous mangeons tous... En outre, la question de l'autonomie alimentaire, dans un monde où on comprend enfin l'importance de la production locale et des circuits courts, est tout bonnement incontournable.

Monsieur Macron, les auteurs de ce blog ne vous tiennent pas pour être un grand visionnaire. Mais le titre de votre livre de campagne, Révolution (2016), suppose au moins une volonté de bouleverser les codes et de bouger les lignes, au nom d'un certain principe de réalité. Ce principe de réalité, ce « pragmatisme », votre gouvernement l'évoque constamment quand il s'agit d'imposer des restrictions budgétaires ou des réformes du marché du travail. Qu'attendez-vous pour l'évoquer aussi au service du développement durable, de notre santé, de notre bien-être, et de la sauvegarde de notre patrimoine naturel commun ?

Sur la côte normande.

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Dans son dernier ouvrage intitulé Histoires de la mer, publié le 13 septembre, l'économiste et écrivain Jacques Attali cherche à démontrer pourquoi la mer est « l'enjeu majeur de notre temps ». Il y insiste sur les potentialités liées aux océans et aux fleuves, trop souvent négligés dans l'Hexagone. Il rappelle également l'urgence d'agir pour préserver les mers, pour sauvegarder des écosystèmes qui peuvent s'avérer des puits de richesses considérables. Une thématique largement reprise par Jean-Luc Mélenchon pendant la présidentielle (avec sa fameuse « économie de la mer »), et qui pose la question de l'exploitation raisonnée des ressources que nous offrent les océans.

L'extrait suivant est issu d'une conférence de mars 2015 conduite par Idriss Aberkane, professeur en géopolitique et en économie de la connaissance à l'École centrale et chercheur à l'Université de Stanford et au CNRS. Il y décrit sa vision de la nature, non comme un ensemble de ressources à exploiter, mais comme une source de connaissances. Ce changement de paradigme doit nous permettre de faire évoluer notre rapport à la nature et au vivant.

Si on voit la nature comme une source de matières premières, tout ce que l’on exploite, cela fait autant en moins pour la nature, et ça la détruit. […] Pendant des années, on nous dit : "ça, ça veut dire que la seule solution, c’est la décroissance." C’est faux. La décroissance, ce n’est pas du développement durable. Dans "développement durable", il y a "développement". C’est durable, mais ce n’est pas du développement. […] À chaque fois que vous dîtes "décroissance" pour enlever le conflit d’intérêt entre croissance et nature, vous faîtes la supposition que la seule façon de faire de la croissance économique avec la nature, c’est les matières premières, et ça c’est faux. Si on exploite la nature comme source de connaissances, il y a beaucoup plus de croissance à faire. Le biomimétisme, c’est simplement la science qui dit : "exploitons la nature comme une source de connaissances plutôt que de matières premières". On ne va pas arrêter complètement, mais on va équilibrer notre rapport à la nature de cette façon.

Idriss Aberkane, conférence de mars 2015.

Tag(s) : #Société
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