Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Par Jorge Brites.

Démission de Nicolas Hulot : l’urgence d’une économie verte peut-elle s’imposer dans l’action gouvernementale ?

Les écologistes qui reprochent régulièrement les contradictions d’un Nicolas Hulot ministre d’un gouvernement libéral facilement soumis aux pressions des lobbies agro-industriels, d’un Nicolas Hulot dont la Fondation est financée par les sociétés dont il déplore les impacts environnementaux… ces mêmes écologistes convaincus, peuvent maintenant le remercier. En annonçant sa démission du gouvernement ce mardi 28 août 2018, l’ancienne vedette de l’émission Ushuaïa a en effet reposé la question écologique comme thème de la rentrée politique – même si c’est en rappelant que depuis son arrivée à la tête du ministère de la Transition écologique et solidaire, bien peu a été fait pour répondre à l’urgence de la situation.

C’est lassé « des petits pas » et de se « résigner » que Nicolas Hulot a justifié son départ. Les raisons de sa démission, à savoir la lenteur de l’exécutif à prendre en considération la nécessité d’une réelle transition écologique dans ses priorités, viennent une nouvelle fois nous rappeler l’importance d’intégrer dans le débat économique la question de l’écologie – voire même la nécessité de fusionner les ministères de l’Économie et de l’Écologie, pour penser ensemble le développement économique et la planification écologique. À quand un réveil politique ?

Commençons par donner quelques faits pour rappeler la gravité de la situation que nous vivons. Au cours des dernières 500 millions d’années, la vie sur Terre a presque totalement disparu à cinq reprises, notamment à cause de changements climatiques aux causes naturelles diverses : une intense période glacière, le réveil de volcans et la fameuse météorite qui s’est écrasée dans le Golfe du Mexique il y a environ 65 millions d’années, rayant des espèces entières comme celles des dinosaures. On appelle ces évènements les cinq extinctions massives. Or, depuis quelques années, il est de plus en plus communément admis que nous sommes entrés dans la sixième extinction, que l’on appelle « extinction de l’Holocène », ou « entrée dans l’anthropocène ». Depuis le début du XIXème siècle et en accélération constante depuis les années 1950, les disparitions concernent des espèces animales et végétales de toutes tailles et ont surtout lieu dans les forêts tropicales humides, riches d’une grande biodiversité. Le taux d’extinction actuel pourrait être de 100 à 1 000 fois supérieur au taux moyen naturel constaté dans l’histoire de l’évolution de la biodiversité, et en 2007, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (l’UICN, la principale organisation non gouvernementale mondiale consacrée à la préservation de la nature) évaluait qu’une espèce d’oiseaux sur huit, un mammifère sur quatre, un amphibien sur trois et 70% de toutes les plantes sont en péril, sur les quelques 41 000 espèces qu’elle avait évaluées.

Problème : depuis dix ans, ce constat n’est déjà plus d’actualité. Il s’est largement empiré. Dans une étude publiée le 10 juillet 2017 dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), des chercheurs américains et mexicains parlent même d’« anéantissement biologique ». Ils concluent que les espèces de vertébrés reculent de manière massive sur Terre, à la fois en nombre d’animaux et en étendue. Les mêmes auteurs, en 2015, avaient déjà estimé dans une autre étude, publiée dans la revue Sciences Advances, que les disparitions d’espèces ont été multipliées par 100 depuis 1900, soit un rythme jamais atteint depuis l’extinction des dinosaures il y a plus de 65 millions d’années. Dans leur étude de 2017, les chercheurs ont cherché à quantifier cette fois le déclin, non plus du nombre d’espèces mais de leurs populations. Les chercheurs ont alors mené une vaste analyse sur près de la moitié des espèces de vertébrés connues de 27 600 espèces de mammifères, oiseaux, reptiles et amphibiens terrestres, réparties sur les cinq continents, en utilisant la base de données de la liste rouge de l’UICN, qui constitue l’inventaire mondial le plus complet de l’état de conservation de la biodiversité. Les résultats sont alarmants : 32% des espèces étudiées déclinent en termes de population et d’étendue. Plusieurs mammifères qui se portaient bien il y a tout juste une ou deux décennies, sont à présent en voie de disparition. Tous les continents sont concernés par cette perte de biodiversité. Les zones tropicales sont les plus touchées, parce qu’elles sont également les plus riches en termes de faune, mais les régions tempérées enregistrent des taux similaires voire plus élevés en valeur relative.

Au total, plus de 50% des animaux auraient disparu depuis quarante ans, estiment les scientifiques. Et si aucune étude comparable n’a encore été menée sur les poissons, les invertébrés et les plantes, le constat de leur disparition rapide est déjà en bonne voie. Selon l’UICN, 42% des espèces d’invertébrés terrestres (papillons, vers de terre, etc.) et 25% de celles d’invertébrés marins (comme les bivalves ou éponges) sont déjà menacés d’extinction.

La responsabilité exclusive de l’humanité

Le souci, c’est que contrairement aux précédentes phases de disparition des espèces, les causes de celle-ci sont imputables, directement ou indirectement, à l’activité d’une seule d'entre elles, à savoir l’homo sapiens… c’est-à-dire nous. Selon l’ONU (dans la 3ème édition de Perspectives mondiales de la diversité biologique), cinq causes majeures expliquent la tragédie que subit notre planète. La première est la dégradation des habitats des espèces sous l’effet de l’agriculture, de l’exploitation forestière, de l’urbanisation ou encore de l’extraction minière. La deuxième est la surexploitation des espèces en raison de la chasse, de la pêche et du braconnage. Viennent ensuite la pollution, l’introduction d’espèces exotiques envahissantes, et plus récemment les changements climatiques résultant des effets de l’ère industrielle.

Derrière ces facteurs, ce sont la surpopulation humaine, et surtout sa surconsommation, qui sont en question. C’est à la fois une mauvaise et une bonne nouvelle : il ne dépend que de nous de stopper la machine. Les solutions sont d’ailleurs connues : réduire la croissance de la population humaine et sa consommation, recourir à des technologies moins destructrices pour l’environnement, endiguer le commerce des espèces en voie de disparition, ou encore soutenir l’effort des pays en développement à maintenir les habitats naturels et à protéger leur biodiversité (et favoriser la restauration des habitats naturels dans les pays où ils ont été anéantis).

Au-delà même du simple respect que nous devons à la nature, il convient de prendre conscience des conséquences désastreuses de sa destruction pour nous-mêmes : déplacements de populations provoqués par la montée des eaux, la désertification et les catastrophes naturelles résultant du réchauffement climatique, dégradation de notre environnement (et notamment des trois composantes essentielles à la vie : l’eau, la terre et l’air), multiplication des maladies respiratoires et des cancers et baisse de la fertilité humaine en raison de la pollution et des perturbateurs endocriniens, raréfaction des ressources naturelles nécessaires à notre bien-être, etc. La liste pourrait être tellement longue qu’il semblerait plus logique de voir des puissances régionales ou internationales déployer leurs armées pour protéger les forêts tropicales de la déforestation, les plages de la pollution ou les réserves animales du braconnage, que pour mener des guerres aux enjeux politiques lointains et extrêmement coûteuses en vies humaines comme on le voit aujourd’hui (certaines guerres ont déjà pour objet le contrôle des ressources naturelles, mais pour leur exploitation, nullement pour leur protection).

Et cet été n’a été que l’illustration de plus de ce qui attend l’humanité, tous continents confondus : les incendies ont brûlé des dizaines de milliers d’hectares à travers le monde (en particulier en Grèce, en Suède et aux États-Unis) ; le Japon a connu des inondations suivies de canicules ; la France a connu des records de température ; etc. La mobilisation n’est pas générale, et au lieu de cela, les sociétés semblent très majoritairement dans une posture de déni, d’indifférence.

En matière d’écologie, une prise de conscience gouvernementale quasiment nulle

En juin 2017, Emmanuel Macron lançait son « Make our planet great again », qui reprenait le fameux slogan de Donald Trump « Make America great again », et convainquait Nicolas Hulot de rejoindre l’équipe gouvernementale comme ministre de la Transition écologique et solidaire et ministre d’État. Ce faisant, le fraîchement élu président français souhaitait s’afficher comme le leader de la lutte contre le réchauffement climatique. Depuis lors, qu’est-ce qui explique la démission de Nicolas Hulot, et quel bilan peut-on tirer de cette période ?

On constatera tout d’abord qu’aucune avancée majeure, aucune décision politique n’a encore été prise sous le mandat Macron, laissant penser que la transition écologique est en bonne voie. Aucune grande initiative nationale concrète, telle que le Grenelle de l’Environnement en 2007, qui avait été impulsé par Nicolas Sarkozy et son ministre de l’Écologie Jean-Louis Borloo, ni internationale comme la COP21, reçue à Paris en 2015. Au lieu de ça, beaucoup de concessions. La première et qui a fait beaucoup parler d’elle, concerne de possibles dérogations à l’interdiction du glyphosate d’ici à trois ans. Après la décision controversée de l’Union européenne, en novembre 2017, de renouveler la licence de cet herbicide pour une durée de cinq ans, le chef de l'État avait pourtant promis que cette substance, notamment utilisée par la firme Monsanto, serait bien interdite « au plus tard dans trois ans ». Après des tergiversations gouvernementales, les députés ont finalement, bonnement et simplement, rejeté un amendement publiquement soutenu par Nicolas Hulot, visant à inscrire dans la loi l’interdiction du pesticide.

Le deuxième échec du quinquennat sur le front écologique concerne les perturbateurs endocriniens et l’adoption, au niveau européen le 4 juillet 2017, d’un texte jugé laxiste et inefficace par la communauté scientifique, vis-à-vis de ces substances chimiques omniprésentes dans l’environnement humain. Une concession d’autant plus regrettable qu’elle n’a servi qu’à montrer le peu d’intérêt de l’exécutif sur cette question, alors que derrière, le Parlement européen a ensuite (et heureusement) rejeté ce texte, forçant la Commission européenne à revoir sa copie.

Autre recul, et non des moindres : le report de l’objectif de réduction à 50% de la part du nucléaire dans la production d’énergie, conformément à la Loi sur la transition écologique de 2015 (et qui était pourtant une promesse du président de la République). Suite à un rapport insistant sur les difficultés à approvisionner la France en électricité en cas de fermeture de quatre centrales à charbon et de réacteurs nucléaires, le ministre de la Transition écologique et solidaire a lui-même reconnu, fin 2017, que l’objectif serait difficile à tenir et qu’une nouvelle date serait proposée. Pas de réflexion sur les économies d'énergie à amorcer en conséquence, au lieu de quoi on reporte encore les objectifs fixés.

Sur le plan international, on peut citer l’adoption du CETA, l’accord économique et commercial global signé entre l’Union européenne et le Canada, qui avait certes été signé avant le début du quinquennat, mais sur lequel Nicolas Hulot avait signé une tribune dans Le Monde pour exprimer ses craintes quant aux garde-fous environnementaux. Une fois ministre, il n’a pu empêcher son approbation et son entrée en vigueur provisoire à l’automne 2017. Le « veto climatique » promis par la France pour protéger les mesures pro-environnement du mécanisme d’arbitrage privé, ne s’est donc pas concrétisé.

Plusieurs autres dossiers ont constitué des échecs qui ont tout à la fois illustré le manque d’intérêt du gouvernement dans son ensemble pour la cause écologique, et placé le ministre de la Transition écologique et solidaire dans une position de faiblesse. Les État généraux de l’alimentation qui se sont tenus en décembre 2017 n’ont permis aucune avancée sur le climat, ni sur les pesticides, et ont laissé la tenue des débats et les conclusions au ministère de l’Agriculture, soucieux avant tout de ne pas brusquer le monde agricole. Le projet de Loi de finances 2018 a réduit les subventions pour les vélos électriques, jugeant le dispositif trop coûteux, limitant le bonus de 200 euros maximum pour l’achat d’un vélo électrique aux ménages non imposables seulement. En matière de logement, Nicolas Hulot a échoué à imposer son idée de bonus-malus modulé en fonction des performances énergétiques sur la vente des logements. Et à l’occasion de la Loi agriculture et alimentation, c’est encore une fois le ministère de l’Agriculture qui a eu le dernier mot en rejetant l’obligation d’étiquetage Nutri-Score sur les produits alimentaires, destiné à visualiser leur valeur nutritive. Enfin, la baisse (de 400 à 200 euros) du coût du permis de chasse, l'élargissement des périodes de chasse pour certaines espèces et la réouverture des chasses présidentielles dans le domaine de Chambord, annoncés par Emmanuel Macron pour contenter le lobby des chasseurs, alors que Nicolas Hulot y était opposé, la veille de sa démission, semblent avoir été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Démission de Nicolas Hulot : l’urgence d’une économie verte peut-elle s’imposer dans l’action gouvernementale ?

En face, force est de constater que les avancées ont été bien minces : l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes est certes une victoire des écologistes, mais c’est surtout sur la base d’arguments économiques qu’elle a été justifiée par le gouvernement ; le plan quinquennal de rénovation énergétique des bâtiments annoncé au printemps 2018 prévoit certes 500 000 rénovations annuelles, conformément à une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, mais l’ex-ministre a lui-même mis en doute la crédibilité de cet objectif dans la foulée de sa démission. Les autres mesures qui peuvent être mises à crédit de l’action gouvernementale, telles que l’objectif de fin de la vente de véhicules essence ou diesel à l’horizon 2040, l’extension de la prime à la casse ou encore la fin de nouveaux permis d’hydrocarbures en France d’ici à 2040, semblent des avancées bien maigres (ou aux échéances trop lointaines) pour être satisfaisantes. À juste titre, Nicolas Hulot expliquait dans l’entretien par lequel il a annoncé sa démission : « Au quotidien, qui j’ai pour me défendre ? Est-ce que j’ai une société structurée qui descend dans la rue pour défendre la biodiversité ? Est-ce que j’ai une formation politique ? Est-ce que j’ai une union nationale sur un enjeu qui concerne l’avenir de l’humanité, et de nos propres enfants ? Est-ce que les grandes formations politiques et l’opposition sont capables à un moment ou à un autre de se hisser au-dessus de la mêlée pour se rejoindre sur l’essentiel ? Est-ce que la responsabilité, c’est simplement la responsabilité du gouvernement ? Est-ce que c’est simplement la mienne ? […] Nous poursuivons des objectifs qui sont totalement contradictoires et incompatibles. La vérité, elle est celle-là ».

Et de poursuivre ensuite : « Alors nous faisons des petits pas. Et la France en fait beaucoup plus que d’autres pays. Mais est-ce que les petits pas suffisent à endiguer, à inverser et même à s’adapter – parce que nous avons basculé dans la tragédie climatique ? La réponse, elle est non. La question fondamentale qu’il faut se poser : est-ce que nous avons commencé à réduire nos émissions de gaz à effet de serre ? La réponse est non. Est-ce que nous avons commencé à réduire l’utilisation des pesticides ? La réponse est non. Est-ce que nous avons commencé à enrayer l’érosion de la biodiversité ? La réponse est non. Est-ce que nous avons commencé à nous mettre en situation d’arrêter l’artificialisation des sols ? La réponse est non ». Difficile de faire plus clair, et l’annonce de sa démission est juste venue comme une suite logique, si l’on considère l’individu, que l’on peut croire sincèrement ému et engagé dans la cause écologique.

De l’urgence de lier nos stratégies économique et écologique

L’aveu d’impuissance que révèle cette démission aura peut-être pour résultat de faire reparler d’écologie durant quelques jours, mais comme tous les dossiers, cela passera et le gouvernement reviendra à ses priorités quotidiennes. Le remaniement ministériel semble déjà intéresser davantage les médias que les problèmes de fond. En soi, le sort de Nicolas Hulot n’est pas vraiment ce qui nous intéresse ici, ni l’issue politique de ce quinquennat, tant les enjeux qui sont derrière sont imposants et alarmants. En réalité, c’est tout le paradigme qui régit l’action gouvernementale, dans ce pays et à l’échelle de l’Europe, qui devrait faire l’objet d’une révision profonde. Certains pays ont pris une longueur d’avance et semblent avoir saisi l’ampleur du défi. Au Danemark par exemple, la Ville de Copenhague a lancé un vaste projet basé principalement sur les énergies renouvelables et les voitures électriques, avec l’ambition de devenir la première capitale « neutre en carbone » d’ici à 2025, et 55% des habitants s’y déplacent déjà quotidiennement à vélo. La Norvège, le Danemark et l’Islande sont déjà en capacité de produire 100% de leur électricité à partir des énergies renouvelables, et le Portugal s’apprête à les rejoindre, puisqu’en mars de cette année, le pays a produit pour la première fois plus d’énergies renouvelables que nécessaire (103,6%, selon la société nationale d’électricité Redes Energéticas Nacionais – REN), notamment grâce aux secteurs hydro-électrique (55%) et éolien (44%).

La France se limite encore à une politique de « petits pas », attestant d’un manque de prise de conscience de la gravité des phénomènes en cours.  Les raisons de l’échec d’une politique écologique ambitieuse sont claires : la classe politique française semble cantonnée à une vision court-termiste qui n’est plus adaptée. Pour renverser la vapeur, et retirer toute contradiction apparente entre transition écologique et prospérité économique, il convient de lier les deux. La mise en place d’un véritable ministère de l’Économie et de la Planification écologique, qui lie les enjeux de création d’emplois et de développement avec ceux de préservation des ressources et de l’environnement, pourrait constituer une première action importante. En outre, elle marquerait avec force la volonté politique de nous orienter vers une économie verte.

En toute logique, les actions gouvernementales devraient toutes s’imprégner de la préoccupation écologique. La diplomatie et la coopération internationale doivent privilégier la protection du bien commun mondial. La recherche scientifique et l’innovation numérique doivent être pleinement dédiées à bâtir un système qui permette à toutes et tous de se soigner, de se nourrir, d’être heureux en respectant la nature. La promotion de l’entreprenariat doit privilégier les initiatives en faveur d’une économie circulaire dans laquelle récupérer, recycler, inventer permettent de créer des emplois durables. L’éducation doit intégrer dans ses programmes, très tôt, un apprentissage de l’environnement, un respect et une redécouverte de la nature, etc.

Ce changement de paradigme, nous ne pouvons le dissocier de la question des inégalités économiques et sociales. Car ce sont les tenants des moyens de production qui font pression pour que le système ne change pas. Un rapport de l’ONG Oxfam publié le 22 janvier 2018 montrait que la richesse des 1% les plus riches a augmenté de 762 milliards de dollars l’année dernière, soit l’équivalent de sept fois le montant qui permettrait d’éradiquer la pauvreté extrême dans le monde. Les 50% les moins bien lotis de la population mondiale n’ont, quant à eux, touché aucun bénéfice de la croissance mondiale. À une échelle plus précise et à titre d’exemples : porter les salaires des 2,5 millions d’ouvrières et d’ouvriers du textile vietnamien à un niveau décent coûterait 2,2 milliards de dollars par an, soit à peine un tiers des sommes versées aux actionnaires par les cinq plus grands acteurs du secteur en 2016. De la même manière, 10% des dividendes versées par Carrefour à ses actionnaires la même année suffiraient à assurer un niveau de vie décent pour plus de 39 000 travailleurs du secteur du textile au Bangladesh. Quand on voit de tels chiffres qui donnent le vertige, on comprend que le changement est entre les mains d’une minorité bien organisée, qui possède ses lobbies auprès des classes politiques nationales. En claquant la porte du gouvernement, Nicolas Hulot a d’ailleurs souhaité dénoncer le poids de ces derniers dans certains dossiers tels que la transition agricole et l’interdiction du glyphosate.

Nos économies changent radicalement, parfois brusquement et violemment. En 2016, pour la première fois, un camion sans chauffeur a effectué une livraison commerciale aux États-Unis. Depuis, les essais se sont multipliés, ouvrant la voie à un monde où les marchandises se déplaceraient sans intervention humaine directe. Des révolutions technologiques de cette ampleur, nous en connaîtrons probablement de plus en plus. Elles seraient à saluer si elles ne signifiaient pas la mort de nombreux métiers, la disparition de cultures sociales et un chômage structurel de plus en plus difficile à palier sans recourir à du travail précaire. Le débat sur le salaire ou sur le revenu universels pourrait revenir sur la table à l’occasion d’autres campagnes électorales, et trouver davantage d’oreilles attentives, pour mieux répartir la richesse produite par la robotisation de notre économie. Mais cette réflexion de fond sur l’organisation du travail, sur les modes de production et de consommation de l’humanité doit être menée de pair avec la question écologique, sans quoi elle n’aboutira à rien de durable.

Ces changements sont dans notre intérêt, y compris économique, et ce sous une échéance de plus en plus courte. La faune et la flore nous rendent en effet de nombreux services, qu’il s’agisse de la pollinisation, de l’amélioration de la productivité des terres, de l’assainissement de l’air et de l’eau ou du stockage du CO2. Sans compter qu’au-delà du caractère indispensable de la nature à notre propre mode de vie, rien ne nous garantit que nous sortirons indemnes de cette sixième phase d’extinction. Et là, une question de fond se pose à nous : quand bien même l’humanité échappe à cette nouvelle phase de disparition des espèces, est-ce vraiment là le monde dans lequel nous voulons survivre ? Un monde où nous n’aurons pas su respecter la nature et protéger la vie ? Un monde où la quête du profit et les intérêts individuels ont primé sur la notion de bien commun ? Nous savons que la perte d’une espèce est irréversible. Le tigre de Tasmanie ou le dodo de l’île Maurice ne réapparaîtront pas sur la planète. Il n’y a donc pas de retour en arrière. La reconstitution de la vie, après chaque grande disparition des espèces, a pris des millions d’années. Si nous pensons pouvoir nous passer des autres espèces, la nature s’en tire aussi bien sans nous. Il nous reste ce défi, à la fois terrible et formidable, de faire la démonstration que nous sommes en capacité de vivre avec la nature, et non à ses dépens, et que notre seule présence ne saurait constituer une menace pour la vie.

Démission de Nicolas Hulot : l’urgence d’une économie verte peut-elle s’imposer dans l’action gouvernementale ?
La « Marche pour le climat », à Paris le 08 septembre 2018, à l'initiative de la société civile après « une prise de conscience suite à la démission de Nicolas Hulot du gouvernement ».

La « Marche pour le climat », à Paris le 08 septembre 2018, à l'initiative de la société civile après « une prise de conscience suite à la démission de Nicolas Hulot du gouvernement ».

Tag(s) : #Politique
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :