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Par Jorge Brites.

Au départ de la Marche pour le climat, sur le parvis de l'Hôtel de Ville, à Paris le 8 septembre 2018.

Au départ de la Marche pour le climat, sur le parvis de l'Hôtel de Ville, à Paris le 8 septembre 2018.

Le 8 septembre dernier avait lieu la fameuse Marche pour le climat, lancée à l’initiative d’un simple activiste des réseaux sociaux, Maxime Lelong, dans la foulée de la démission de Nicolas Hulot du poste de ministre de la Transition écologique et solidaire. Ce rassemblement aurait réuni jusqu’à 100 000 personnes à travers la France, selon les organisateurs, dont près de la moitié à Paris. Bien qu’on soit loin d’une manifestation massive, on peut considérer cette marche comme la première pierre d’une action collective de plus grande ampleur en faveur d’un développement durable et d’une lutte efficace contre le changement climatique. Surtout, elle nous interpelle sur le rôle que nous, en tant que citoyens, pouvons jouer individuellement pour contribuer à un changement positif.

Comme une coïncidence heureuse, deux jours avant la Marche était publié Ça commence par moi, ouvrage dans lequel l'auteur Julien Vidal propose 365 écogestes pour changer les comportements au quotidien. Et depuis plusieurs années, de nombreuses initiatives émergent comme autant d’exemples à suivre par les citoyens en matière de respect de la planète au jour-le-jour : les vidéos et tutorats sur Internet, les ressourceries et recycleries, etc. Sans déresponsabiliser les pouvoirs publics et les acteurs économiques, il semble donc opportun de s’interroger sur notre impact réel et notre place dans le combat écologiste.

L’urgence de la crise écologique que nous vivons est bien connue. De nombreuses organisations, de nombreux scientifiques (de différentes disciplines), de nombreux acteurs de la société civile, nous alertent régulièrement. On parle même de « Sixième phase d’extinction des espèces ». Cette crise écologique planétaire, nous en avions déjà dressé les grandes lignes dans un récent article, en septembre dernier (Démission de Nicolas Hulot : l’urgence d’une économie verte peut-elle s’imposer dans l’action gouvernementale ?). Pour plagier une récente publicité de Danone : « Nous sommes la première génération qui sait ». Et les quelques climato-sceptiques  isolés appuient leur argumentaire sur une base complotiste qui ne convainc plus grand monde. Même sans les données scientifiques, notre jour-le-jour témoigne d’un dérèglement général de la nature : des saisons de plus en plus irrégulières et perturbées, une multiplication des catastrophes naturelles (incendies, ouragans, typhons, tornades, etc.) à travers le monde, la disparition mystérieuse de milliers d’insectes et d’oiseaux, l’engloutissement de plusieurs plages du fait de la montée des eaux, la présence de nombreux déchets (notamment plastiques) ramenés par les vagues, etc.

Pourtant, force est de constater que la réaction des citoyens n’est pas vraiment à la hauteur des enjeux. On voit bien ponctuellement des vagues de protestation sur les réseaux sociaux, sur tel ou tel phénomène ou cause écologique. Mais en fait, pas plus qu’on ne voit d’autres formes d’indignation, en solidarité avec les demandeurs d’asile, en réaction au harcèlement de rue à l’égard des femmes, ou sur des causes lointaines comme les Rohingyas en Birmanie ou les Yésidies en Irak. On en viendrait à se demander si, dans la plupart des cas, l’écologie n’est pas qu’un sujet parmi d’autres qui circule, qui peut passer de mode comme il est apparu. Bien vrai que le thème a fait du chemin, et que par exemple la dernière campagne présidentielle, en France, a vu plusieurs candidats (notamment Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon) parler d’écologie. Mais ces candidats n’ont pas passé le premier tour, et ne totalisaient pas plus de 26% des voix cumulées. Depuis, la cause environnementale n'a pas du tout été au cœur de l’action gouvernementale, et le quinquennat semblait passer le sujet sous silence… jusqu’à la récente démission de Nicolas Hulot. Ce dernier, lors de son interview du 28 août sur France Inter, avait d’ailleurs exprimé son incompréhension totale vis-à-vis de la passivité des citoyens, suite à cette question du journaliste Nicolas Demorand : « Incendies un peu partout dans le monde (Grèce, Suède, États-Unis...) ; inondations suivies de canicules au Japon ; records de température en France... […] Le film-catastrophe est là, sous nos yeux. […] Est-ce que vous pouvez m’expliquer pourquoi, rationnellement, ce n’est pas la mobilisation générale contre ces phénomènes et pour le climat ? » Réponse de Nicolas Hulot : « Je vous ferai une réponse très brève : non. Je ne comprends pas que nous assistions, les uns et les autres, à la gestation d'une tragédie bien annoncée, dans une forme d'indifférence ». Quelques minutes plus tard, il ajoute : « Au quotidien, qui j’ai pour me défendre ? Est-ce que j’ai une société structurée qui descend dans la rue pour défendre la biodiversité ? Est-ce que j’ai une formation politique ? Est-ce que j’ai une union nationale sur un enjeu qui concerne l’avenir de l’humanité, et de nos propres enfants ? Est-ce que les grandes formations politiques et l’opposition sont capables à un moment ou à un autre de se hisser au-dessus de la mêlée pour se rejoindre sur l’essentiel ? Est-ce que la responsabilité, c’est simplement la responsabilité du gouvernement ? Est-ce que c’est simplement la mienne ? »

Face à la crise écologique, quelle place peut prendre l'action citoyenne ?
Quelques messages lors de la Marche pour le climat, organisée à Paris le 8 septembre 2018 à l'initiative de la société civile. (Crédit photo © Halima Mrabti)

Quelques messages lors de la Marche pour le climat, organisée à Paris le 8 septembre 2018 à l'initiative de la société civile. (Crédit photo © Halima Mrabti)

L’écologie au quotidien : comment se traduisent les changements ?

De façon un peu naturelle, on ne prend conscience du drame qui s’approche que lorsqu'on en ressent directement les effets. Difficile de se représenter les conséquences sur nos vies du changement climatique, quand elles ne s’appliquent pas à nous. Or, les élites politiques et économiques supportent encore bien peu les conséquences du changement climatique ou de la destruction de la biodiversité. Les communautés les plus concernées, des autochtones d’Amazonie qui voient leurs lieux de vie détruits, jusqu’aux habitants des Maldives dont le pays est menacé d'être englouti par les eaux, en passant par les victimes de la pollution par les usines Coca-Cola au Mexique, tout ce petit monde n’a pas pignon sur rue ni une capacité d’influence à l’échelle internationale. Le court terme, seule échéance qui compte lorsqu’on se présente à des élections ou que l’on vise la satisfaction des marchés financiers, reste donc de rigueur dans la prise de décision. Sans oublier les fausses lumières qui estiment que c’est par la croissance que nous sortirons de notre impasse, puisque les solutions à trouver sont d’abord technologiques et reposent donc sur l’innovation – qu'ils associent à la croissance.

La « pyramide des besoins » d'Abraham Maslow (Source : Reporterre).

En outre, chacun a sa zone de confort, et semble réticent à en sortir. Nous l'expliqions déjà dans un article de juin 2017 (La société de consommation en Europe : chronique d'une construction socio-culturelle sans issue durable), cette zone de confort résulte de nos modes de vie, mais aussi d'une construction socio-culturelle mise en place par l'ensemble du système capitaliste, notamment depuis 1945. Les discours écologistes appelant les gens à une conscience citoyenne, à un changement des comportements individuels, prennent pour beaucoup des allures de leçons de morale. On nous demanderait de faire des efforts pour nous emmerder. Du coup, priorité est donnée sur ce qui permet de conserver son confort quotidien. Le site Reporterre, qui s’est récemment interrogé sur les raisons de la passivité générale des citoyens face à l’urgence écologiste, a rappelé la hiérarchie des priorités individuelles établie en 1943 par le psychologue états-unien Abraham Maslow, à travers sa « pyramide des besoins ». Il en ressort que les gens s’intéressent d’abord et avant tout à leurs besoins primaires (dormir, manger, etc.), avant de se pencher sur d’autres besoins moins vitaux : la sécurité, la reconnaissance affective, la reconnaissance sociale, et enfin les causes globales (celles qui nous dépassent).

Pourtant, des changements sont déjà à l’œuvre depuis des années, et ils impactent notre quotidien de manière tangible. De la lente progression du tri sélectif aux repas végétariens dans certaines cantines, en passant par la rénovation énergétique des logements, par la multiplication des pistes cyclables ou encore par l’apparition des véhicules électriques et des vélos en libre-service, nos modes de consommation, de transport, de vie sont déjà altérés par de petites révolutions. Mais il manque encore un changement d’échelle. Ces transformations ne sont rien à côté des millions de déchets plastiques encore relâchés par le secteur de la distribution ou de la restauration (un phénomène pointé du doigt avec sa pertinence habituelle par l'émission Cash Investigation, sur France 2 en septembre dernier, dans un reportage intitulé Plastique : la grande intox), à côté des millions de tonnes de CO2 émis par nos industries et par les transports, à côté des déchets nucléaires générés par nos centrales, etc.

À l’échelle des individus, il n’est pas nouveau de constater des changements comportementaux pour des modes de vie plus « vertueux ». Des végétariens, des végétaliens, des militants écologistes, des partisans de la cause animale, il y en a depuis des années. C’est juste qu’ils ont longtemps été assez marginaux, et leurs causes l’objet de railleries. Depuis plusieurs années, l’écologie est de moins en moins perçue comme répressive, culpabilisante et nécessairement punitive – d'autant qu'elle est généralement le gage d'une vie saine. Les écogestes et écoconsommations, même s’ils restent très minoritaires, font leur chemin. Les produits alternatifs, d’origine végétale et biologique, font aujourd’hui florès, et les labels biologiques et issus du commerce équitable sont de plus en plus recherchés, et même les grandes marques de l’agro-alimentaire et de la distribution cherchent à « verdir » leur communication – avec toutes les arnaques et hypocrisies possibles que cela entraîne inévitablement.

Si l’on se réfère à l’initiative Ça commence par moi, lancée par Julien Vidal depuis environ deux ans, on trouvera certes des idées dont on a du mal à mesurer l’impact concret sur l’environnement et sur nos vies : intégrer des réseaux sociaux solidaires tels que UP Campus, faire des compliments, rencontrer ses voisins, privilégier un moteur de recherche dit « écologique » ou « solidaire » comme Ecosia ou Lilo, lire tel ouvrage ou regarder tel film qui parle de développement durable ou de solidarité. D’autres sont nettement plus concrets et nous renvoient, soit à notre rôle de citoyen dans la Cité, soit à notre fonction de consommateur qui a juste intérêt à s’informer et à faire des économies tout en mangeant et en se déplaçant plus sainement. Les exemples sont nombreux : ramasser les déchets autour de chez soi, mesurer sa consommation d’eau et éviter de rester plus de trois minutes sous la douche, privilégier les produits biologiques tout en vérifiant les labels et inscriptions, etc. On pourrait résumer bon nombre de ces conseils par le fait de devenir, simplement, des citoyens plus avertis, mieux informés, plus proactifs vis-à-vis du monde qui nous entoure (pas uniquement avec l’environnement, mais également en termes de solidarité) et plus économes en matière de consommation. L’intérêt de ce type d’initiatives est qu’elles participent à casser les idées reçues selon lesquelles un comportement plus respectueux de la nature et des individus serait nécessairement chronophage, ennuyeux et surtout plus coûteux. En réalité, la plupart des conseils qui sont fournis prennent, au mieux, quelques minutes de la journée et peuvent facilement s’inscrire dans le temps libre… pour peu que les thématiques nous intéressent. Faire de l’écotourisme, ouvrir un compte dans une banque coopérative, acheter du lait de soja plutôt que du lait de vache, par exemple, ne demandent qu’à se renseigner un peu sur Internet, et l’offre devient si variée qu’elle permet de ne pas augmenter sensiblement les coûts.

À l'échelle collective également, les citoyens agissent déjà. Comme nous le constations dans un précédent article d'avril 2016 (« Îlots d'innovation » : quand le citoyen a un temps d'avance sur la classe politique), face à la lenteur de la classe politique à se saisir de certains sujets, c'est sans doute dans les expériences d'innovation et de bonnes pratiques, ce que la philosophe Cynthia Fleury appelle les « îlots d'innovation », que se trouve un levier essentiel de transformation et de transition de notre société vers un système durable. Sorti en salle le 2 décembre 2015, le film Demain, réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent, met largement en avant certaines de ces initiatives, dans l'agriculture (polyculture ou permaculture), l'énergie (modes de circulation doux) ou encore l'économie (avec des expériences de monnaies locales).

En outre, les individus, même seuls, jouent un rôle sur l'opinion lorsqu'ils parviennent à faire le buzz et à se constituer en forces de proposition, y compris vis-à-vis des acteurs économiques. On peut citer le cas récent de Julien Wosnitza, un jeune Français de 24 ans, devenu militant à l’occasion du mouvement Nuit Debout, et qui se fait depuis lors remarquer pour sa lutte contre la pollution des océans par les déchets plastiques, à travers l’association « Wings of the Ocean ». Son objectif : changer les modes de production des matières plastiques des multinationales, à commencer par la firme Coca-Cola. Le jeune activiste a envoyé une lettre ouverte à la direction de Coca-Cola, leur proposant des solutions concrètes. Parmi ces mesures, il y avait par exemple un retour à la consigne, qui consiste à consommer dans des bouteilles en verre réutilisables ; le fait d’utiliser des pailles en inox (également réutilisables) ; ou encore l’engagement de faire de la dépollution au large des fleuves. Cette dernière proposition partait du constat que près de 90% du plastique qui part dans les océans provient seulement de dix fleuves, dont deux en Afrique et huit en Asie, et qu’il était particulièrement opportun d’agir à leur embouchure pour endiguer le problème – puisqu’une fois parti au large, le plastique est beaucoup plus compliqué à récupérer. Ce travail nécessiterait un financement à hauteur de 100 millions d’euros à l’échelle de la planète, ce qui peut sembler une somme importante en soi, mais représente en réalité 2% du budget annuel de Coca-Cola dédié à la seule communication. Il est à parier que la réaction des multinationales ne sera pas à la hauteur des attentes, mais l’initiative d’un simple citoyen a le mérite d’interpeller les acteurs économiques qui pèsent réellement sur la dégradation de l’environnement, pour les faire réagir, propositions concrètes à l’appui, sur l’impact de leurs activités. Le moins qu’on puisse dire est que le jeu en vaut la chandelle.

La nécessité de maintenir une solidarité sociale et de lutter contre les inégalités

Indiscutablement, les inégalités sociales et la hausse de la précarité ne jouent pas en faveur d’une prise de conscience collective et d’un changement réel des comportements. Et pour cause : difficile de demander à des gens qui ont du mal à joindre les deux bouts de se préoccuper de phénomènes climatiques qui semblent lointains. De même, difficile de demander à une société de se réformer quand les sujets du moment concernent le maintien d’un système efficient de sécurité sociale, l’emploi ou la répartition des richesses par l’impôt, et semblent nettement plus concrets. Parce que le lien n’est pas encore clair entre toutes ces questions et la cause écologiste, et la bataille de la communication n’est pas près d’être gagnée, alors qu’un argumentaire solide devrait suffire à convaincre que les économies d’énergie, le développement de sources renouvelables d’électricité et de carburant, la promotion de la biodiversité, le changement de nos modes de consommation ou encore la réduction des gaspillages peuvent contribuer à répondre à bon nombre de ces défis, en plus d'améliorer notre santé.

Pour respecter la nature, il faut que les individus respectent d’abord l’humain. Pour que chacun se sente responsable sur des enjeux collectifs, il convient que la société n’exclue personne. Or, la politique gouvernementale, en France, ne va pas dans ce sens. Les mesures à l’œuvre depuis le début du quinquennat visent à réduire la contribution des plus aisés à la solidarité nationale tout en culpabilisant les millions de chômeurs ou bénéficiaires d’allocations sociales, et ont donc un effet délétère sur la cohésion sociale. Aucun grand projet collectif, aucune vision générale de la nation, qui associerait chaque composante, n’est proposée par le pouvoir exécutif. Ni autour d’une transition écologique qui permettrait de créer de nouveaux secteurs économiques et des emplois durables. Ni autour d’une société inclusive dans laquelle chacun peut s’épanouir sans être mis au ban s’il n’a pas intégré qu’il est un soldat dans une guerre économique qui implique des sacrifices. Au contraire, depuis un an, les mesures d’allègement de la fiscalité du capital, entrées en vigueur le 1er janvier dernier, ont surtout profité aux 400 000 ménages les plus riches de France, les fameux « 1% ». À titre d’exemple, pour la première fois depuis l’instauration de l’Impôt sur la fortune en 1982, la détention de capital financier va cesser d’être soumise à l’imposition sur la fortune. Or, on sait qu’en France, la détention du patrimoine est très concentrée : d’après l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) en 2015, 90% du patrimoine brut était détenu par 50% des ménages ; 47% par les 10% les mieux dotés ; et 16% par les 1% en tête. Enfin, les 10% des ménages aux plus hauts revenus concentraient 64% de l’ensemble des revenus du patrimoine. Les mesures prises par le présent gouvernement risquent de mécaniquement accentuer la concentration des revenus et des patrimoines aux mains des ménages situés en haut de l’échelle, pour un impact sur l’investissement et l’emploi plus qu’incertain. D’autant que la réforme fiscale était ciblée sur le patrimoine mobilier, avantageant surtout les « très riches » qui concentrent davantage ce type de patrimoine que les autres ménages.

Pourquoi cette question de la montée des inégalités est cruciale lorsqu’on aborde celle du développement durable ? Parce que la solidarité et l’équité sociale en sont des piliers (au même titre que l'efficacité économique et la protection de l'environnement), et qu’elles constituent des conditions indispensables au sentiment d’une communauté soudée. Parce que cette tendance  d'une montée des inégalités s’ajoute à une explosion de la précarité et à de nombreuses incertitudes sur l’avenir qui nécessiteraient justement une cohésion sociale et nationale particulièrement forte et résiliente. Dans une société soumise à de nombreux changements, entre une construction européenne en berne, une mondialisation sauvage, une révolution numérique qui laisse de nombreuses générations pantoises mais qui ouvre de nouveaux horizons, une multiplication des conflits asymétriques liés au terrorisme, et les pressions migratoires… il apparaît que les interrogations identitaires n’ont souvent comme réponses qu’un malaise collectif et un manque de vision. Or, le sentiment d’appartenance à une communauté solidaire donne du sens à l’action citoyenne. Que celle-ci soit dédiée à la défense de l’environnement, à la solidarité sociale ou à autre chose.

Enfin, n'oublions pas que notre rôle de citoyen se joue aussi dans les urnes, lors des élections. Nous le dénoncions encore récemment (Régressions sociales et environnementales : quand les décisions gouvernementales questionnent notre conscience d'électeur) : s'étonner de la passivité du pouvoir sur ces questions, c'est montrer qu'on ne s'est pas renseigné sur les différents programmes et sur le fond idéologique des différents candidats lors de la dernière élection présidentielle, puisque la plupart des renoncements et des régressions qui s'observent depuis 2017 étaient prévisibles, compte tenu du socle idéologique et des promesses de campagne du candidat Macron. Jouer son rôle de citoyen, prendre sa place dans le jeu démocratique, c'est aussi s'informer comme électeur, et voter en cohérence avec ses idées le moment venu. Chaque grande formation politique jette ses bases sur des valeurs et une lecture des réalités, qui indiquent son niveau d'appropriation de telle ou telle question sociale ou économique. Toujours dans son entretien du mois d'août sur France Inter, Nicolas Hulot précisait justement, à propos du gouvernement et de la communauté internationale dans son ensemble : « On s'évertue à entretenir voire à réanimer un modèle économique marchand qui est la cause de tous [les] désordres. [...] Comment, après la Conférence de Paris, après un diagnostic imparable qui ne cesse de se préciser et de s'aggraver de jour en jour, ce sujet est toujours relégué dans les dernières priorités ? »

Pourquoi les gestes individuels ont leur importance ?

Bien vrai que les individus, pris chacun de leur côté, ont peu d’influence, et qu’il y a peu de chance, à court terme, de voir la fameuse Marche pour le climat donner naissance à un véritable mouvement social structuré, qui débouche sur des actions collectives, telles que des campagnes de boycott efficaces, davantage de manifestations, des mots d’ordre suivis en masse, une grève générale, des actions discrètes, pacifiques ou violentes (une sorte de « terrorisme vert »). De telles actions ont déjà existé mais restent très marginales, et les qualifier de mouvement de masse serait très prématuré. Les habitudes de consommation changent, mais tout cela reste malgré tout assez lent et cantonné à une classe moyenne supérieure, dotée d'un haut niveau d'études et d’un certain capital (financier, culturel). En réalité, sans relai politique, l’impact restera faible.

Pour autant, la place de nos écogestes n’est pas anodine, car ils constituent un premier pas indispensable à une prise de conscience réelle de notre impact collectif. Comme disait le philosophe Confucius en son temps, « celui qui déplace une montagne commence par déplacer de petites pierres ». Changer nos comportements est sans doute le meilleur moyen, non seulement de nous pousser à nous interroger sur les multiples facettes de notre quotidien (notre alimentation, nos modes de transport, nos lectures, nos loisirs, etc.), mais aussi de pousser celles et ceux qui nous entourent à s’interroger eux-mêmes. Quelqu’un qui s’interroge sur ce qu’il consomme et sur son impact environnemental et social, sera probablement bien plus impliqué sur la vie de sa communauté et sur l’action politique, et davantage en mesure d’interpeller nos décideurs et de participer au débat public.

N’oublions pas que c’est aussi l’évolution de la société qui pousse certains candidats au suffrage des urnes à s’approprier certains sujets, à faire des propositions, à répondre à des attentes qu’ils savent croissantes. De même que l’offre en produits et services « durables » ou « responsables » a su augmenter pour répondre à une attente de bon nombre de consommateurs en la matière. Nous sommes des grains de sable, mais si le tiers de la dune refuse de suivre le sens du vent, le paysage s’en trouve déjà altéré. Il est clair que les gestes individuels, aussi nombreux soient-ils, ne renverseront pas la tendance, mais ils ne doivent pas être opposés à la lutte collective et à l’action politique. Les approches sont complémentaires et doivent se nourrir les unes les autres. D’ailleurs, une attitude individuelle s’appuie souvent, déjà, sur une action politique ou collective. Adhérer à une AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) pour recevoir son panier de légumes chez soi nécessite, auparavant, que la législation ait permis la création de structures spécifiques à l’Économie Sociale et Solidaire (ce qui est loin d’être le cas dans tous les pays) et que des producteurs se soient organisés sur cette base. Parrainer une ruche d’abeilles, comme le permet le projet Un toit pour les abeilles, nécessite que des apiculteurs s’organisent et offrent cette possibilité en ligne. Utiliser le vélo ou la trottinette en libre-service nécessite que les collectivités locales le mettent en place et développent les pistes cyclables. Voter pour le budget participatif d'une mairie nécessite que l’équipe municipale mette en place ce mécanisme de participation des habitants, et que les habitants, individuellement ou à travers des associations, soumettent des projets. Au final, aucune action n’est isolée, mais s'inscrit bien dans un cycle d'initiatives politiques, collectives et individuelles.

On pourrait par ailleurs s’attarder longtemps sur les bénéfices, nombreux, qu’individuellement nous gagnerions tous à adopter des modes de vie plus « écoresponsables ». Bénéfices sanitaires d’abord, en limitant notre consommation de viande, de sucre et d’huile de palme, en évitant les aliments produits grâce à des pesticides, en privilégiant les déplacements en vélo ou à pied, en faisant davantage de sport, en mangeant plus de fruits et légumes de saison, en interdisant les produits porteurs de perturbateurs endocriniens, etc. Bénéfices économiques ensuite, en limitant nos gaspillages alimentaires, en eau, en gaz et en électricité, en repensant nos achats de biens et équipements (vêtements, meubles, jouets, matériel électroménager, etc.), en privilégiant des modes de transport propres, en éteignant nos appareils électroniques, etc.

Bénéfices sociaux aussi, en s’engageant dans des démarches bénévoles solidaires, en inscrivant nos comportements dans une approche collective qui donne du sens à nos vies, qui nous fasse rencontrer des gens et permette de retisser du lien social. Bénéfices intellectuels enfin, en nous faisant accepter le principe du changement et en nous faisant sortir de notre zone de confort, en nous poussant simplement à nous interroger sur notre place dans la société et dans la nature, à développer un esprit critique vis-à-vis de nos modes de consommation et de production, à chercher et à vérifier l’information, comme des citoyens vigilants qui respectent la vie. Si un homme averti en vaut deux, disons-nous qu’une société avertie vaut bien une planète en bonne santé.

La Marche pour le climat organisée à Paris le 8 septembre 2018.

La Marche pour le climat organisée à Paris le 8 septembre 2018.

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