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Par David Brites.

Les crises successives que connaît la société occidentale, productiviste et consumériste, la dernière étant celle liée au COVID-19, invitent, tout comme la dégradation avérée des écosystèmes (qui s'accélère depuis quelques années), à remettre en cause la pertinence de notre modèle de développement. D'autant plus que le système capitaliste qui a favorisé la dépendance aux énergies fossiles, depuis la Révolution industrielle, la consommation de masse, dans l'après-guerre, et la libéralisation à marche forcée de l'économie, depuis les années 1980, ne garantit ni bonheur, ni le bien-être des individus. Parmi le cocktail d'éléments à questionner, notre rapport actuel au temps, particulièrement malsain, apparaît comme déterminant, car, basé sur l'idée de croissance et d'optimisation perpétuelles, il est à bien des égards antinomique avec la construction d'un monde post-énergies fossiles qui serait plus frugal, réellement respectueux du vivant et où les liens humains seraient remis en centre de tout. Regard sur une « course contre la montre » incompatible avec la construction d'un modèle de société véritablement alternatif, durable et désirable.

S’il est bien une chose que la crise de COVID-19 nous a permis de reconsidérer, c’est notre rapport au temps. Bien sûr, tout le monde n'a pas pu se plier aux mesures de confinement, ou télétravailler, et l'asymétrie des situations s’est d'ailleurs bien souvent révélée effrayante. Mais pour beaucoup, pour celles et ceux qui ont été en chômage technique ou partiel, qui ont été contraints au confinement, ou qui ont pu télétravailler, ce fut bel et bien l'occasion, au moins lors du premier confinement qui avait suscité une sorte de sidération (qui a depuis laissé la place à de la lassitude), de lever le pied. Dans un monde où il nous est toujours demandé plus de performance, plus d'efficacité, plus de productivité, dans un monde où l'on s'est habitué à obtenir n'importe quel service ou bien de consommation sans délai, grâce à l'instantanéité des communications et à la révolution logistique de la livraison à domicile pour n'importe quoi (et en particulier l'alimentation), un tel ralentissement n’était pas anodin.

Certes, tout ne fut pas bouleversé pendant le confinement. Certains travers ont même été accentués par cette séquence pandémique. On a surconsommé des produits numériques pour pallier l'ennui. Les commandes en ligne ont explosé – en mars 2020, Amazon annonçait des recrutements massifs face au bond des commandes, et la fortune de Jeff Bezos, le PDG d'Amazon, a battu un nouveau record en augmentant de 13 milliards de dollars dans la seule journée du 20 juillet 2020, cumulant alors à 189 milliards de dollars. Il a résulté des mesures de confinement que certains publics déjà vulnérables se sont retrouvés plus désœuvrés, plus isolés encore qu’à l’accoutumé : les personnes en EHPAD, les étudiants précaires, les sans domicile fixe, les migrants sans papiers… Des initiatives de collectivités territoriales, d’associations locales ou de simples citoyens, ont heureusement permis, souvent, d’organiser des actions de solidarité salutaires.

Mais pour beaucoup d’autres, le confinement s’est traduit par un gain en temps. Ce fut l’occasion de prendre du temps pour sa famille, du temps pour se poser. En outre, la consommation de nos outils numériques a pu avoir du bon, quand elle s’est traduite par plus de savoir, plus de culture. Ainsi, des lieux de production culturelle, comme l’Opéra de Paris, ont mis à disposition leurs spectacles en ligne gratuitement, et ce pour toute la durée du premier confinement.

Cette crise fut l’occasion, pour beaucoup, de se retrouver en famille – et pas juste pour un temps consacré, comme lors de vacances scolaires. De se dédier à des choses que l’on n’avait pas forcément le temps de faire d’habitude. Notre époque a érigé le travail comme un vecteur (voire le seul) d’émancipation, pour en fait mieux assujettir l’humain aux intérêts d’un capitalisme hyper-productiviste – quitte à l’épuiser physiquement et mentalement à la tâche. Depuis des décennies, c’est dans cet esprit-là que nos élites politiques, économiques et médiatiques brocardent le principe de réduction du temps de travail. L’amélioration du niveau de vie a été corrélée, tout au long du XXème siècle, à la réduction du temps de travail, quotidien, hebdomadaire, et dans la vie, notamment avec l’abaissement de l’âge de départ à la retraite. Pourtant, les acquis sociaux relatifs au temps de travail sont de plus en plus critiqués et attaqués : les 35 heures sont vues comme la source de tous nos maux, y compris par le centre-gauche (Réforme du Code du travail : quel modèle nous propose-t-on ?), il faut « travailler plus pour gagner plus », les heures supplémentaires sont défiscalisées, l’âge de départ à la retraite est régulièrement reculé, etc.

Comme on pouvait s’en douter, le déconfinement s’est progressivement traduit par un retour à l’avant-COVID-19, sans véritable rupture, en termes de rapport au temps, à la consommation, aux loisirs, au travail… Voire les effets pervers du premier confinement, comme le recours systématique aux livraisons en ligne, perdurent, alors que ceux plus positifs, c'est-à-dire les retrouvailles avec sa famille et le gain de temps à soi, se sont effilochés au fil des mois. L’écrasante majorité des gens entendent bien retourner au fastfood, commander des plats tout faits, prendre l’avion pour réduire les temps de déplacement, acheter des smartphones et autres tablettes sans souci des impacts socioculturels et environnementaux, bref, se mettre en situation de pouvoir consommer le plus rapidement et le plus facilement possible.

Gare de Lyon, à Paris, il y a quelques jours. L'indication des horaires est omniprésente.
Gare de Lyon, à Paris, il y a quelques jours. L'indication des horaires est omniprésente.
Gare de Lyon, à Paris, il y a quelques jours. L'indication des horaires est omniprésente.

Gare de Lyon, à Paris, il y a quelques jours. L'indication des horaires est omniprésente.

Le bouleversement moderne de notre rapport au temps

Notre rapport au temps est profondément humain. Il est même le résultat de notre développement cognitif. Pour rappel, de façon schématique, notre cerveau se compose principalement de trois parties, comprenant de nombreuses structures reliées entre elles, par un réseau complexe de circuits neuronaux : le cerveau archaïque (aussi appelé « reptilien »), la partie la plus ancienne, qui comprend le tronc cérébral et le cervelet, et gère des fonctions primaires (respiration, rythme cardiaque, pression artérielle, sommeil, équilibre, réactions instinctives face au danger…) ; le cerveau émotionnel (ou « système limbique »), comprenant un ensemble de structures complexes reliées entre elles (l’amygdale, l’hippocampe, l’hypothalamus, le cortex cingulaire, le cortex préfrontal…), qui permettent de ressentir les émotions, tempérées par le néocortex ; et le cerveau supérieur, ou « néocortex », justement. Divisée en lobes (frontal, pariétal, temporal et occipital), cette troisième partie représente 85% du volume cérébral total, et commande la conscience, le langage, les capacités d’apprentissage, les perceptions sensorielles, les commandes motrices volontaires, la présence dans l’espace… et la notion du temps. Le néocortex est à l’origine de la réflexion, du raisonnement, de la créativité, de l’imagination, de la manipulation de concepts, mais aussi de la conscience de soi, de l’empathie, et, ce qui nous intéresse plus ici, de la planification, de la résolution de problèmes.

Ainsi, notre cerveau archaïque gère les rythmes primaires, indispensables à la vie, qui, originellement, structurent notre gestion du temps : le rythme des tétés chez les nouveaux nés, puis les cycles circadiens (jour, nuit, veille, sommeil), supradiens (cycles mensuels, hibernation, migration) et infradiens (appétit, sécrétions hormonales). Mais les parties « supérieures » du cerveau sont celles qui sont à l’origine de la mémoire, qui favorise à la fois l’acquisition du langage, et une modification profonde de nos perceptions visuelle, temporelle et spatiale. Le lobe frontal permet la gestion du temps présent, et de là, la planification.

C’est notamment pour cela que les enfants n’ont pas la même notion du temps que les adultes. Et pour cause, la structure du cerveau qui permet de gérer les émotions, de même que celle (néocortex) qui gère la mémoire et permet de prendre conscience du temps (passé, présent et futur), n’existent tout simplement pas encore à la naissance de l’enfant. Elles prennent forme avec la croissance de l’enfant, durant ses trois ou quatre premières années.

Non pas que les autres vivants n’aient aucune notion du temps, ni même ne planifient rien. Mais la vision qu’ils en ont est fondamentalement différente de celle des humains. En quelque sorte, la conception humaine du temps est également bouleversée par la conscience que nous avons de nous-mêmes, par la possibilité que nous n’existions plus – autrement dit, nous avons conscience de notre propre mort. La conséquence étant qu’au-delà même des instincts primitifs liés à la survie, propres à tous les êtres vivants, l’humain cherche toujours, presque conceptuellement, à repousser l’échéance de la mort. Dans son ouvrage Sapiens – Une brève histoire de l’humanité, publié en 2015, l’historien israélien Yuval Noah Harari explique fort bien les efforts pluriséculaires des humains pour parvenir à la vie éternelle – par l’amélioration de la santé, par le développement du génie biologique, par l’essor de l’intelligence artificielle, etc. Ce rapport à la mort, et donc à la vie, au sens qu’on lui donne, aux réalisations qu’on y compte, est particulier. A-t-on jamais vu un chien, une girafe ou un singe établir une Bucket List, avec des « objectifs », des « choses à faire » avant la fin de sa vie ?

Dans un monde structuré par le système capitaliste, où les relations entre humains sont fortement marquées par le poids des échanges commerciaux, et où les rythmes de vie sont marqués par les cycles de production, de distribution et de consommation post-industriels, le temps prend évidemment une place particulière, puisqu’il est mesuré monétairement. Il devient… de l’argent. Presque littéralement. Le temps de travail, les heures de travail que l’on cumule et que l’on ajoute à son stock de travail déjà réalisé, se traduit par du salaire en plus. Notre épargne, grâce aux intérêts concédés par les banques, ou encore notre capital immobilier, comme autrefois les terres, grâce à la rente locative par exemple, nous confèrent de l’argent à mesure que le temps passe. De la même façon, un prêt à la banque se traduit, au fur et à mesure que le temps passe, par un remboursement de la dette, et par des intérêts à payer.

Dans le monde occidental désormais dominé par le secteur tertiaire et marqué par la numérisation et la robotisation des relations sociales et des modes de production et consommation, la notion de temps est encore bouleversée. Elle l’a été dès le XIXème avec la Révolution industrielle, l’exemple le plus connu étant l’essor du train, qui réduit les temps de trajet et oblige les États, pour des raisons logistiques évidentes, à harmoniser et à encadrer les fuseaux horaires. Dans son livre, Yuval Noah Harari expliquait, au chapitre « La Révolution permanente » : « Au contraire des paysans et cordonniers du Moyen Âge, l'industrie moderne se soucie peu du soleil ou des saisons. C'est la précision et l'uniformité qu'elle sanctifie. Dans un atelier médiéval, par exemple, chaque cordonnier faisait la totalité du soulier, de la semelle à la boucle. Si l'un prenait du retard dans son travail, il ne paralysait pas les autres. Sur la chaîne de montage d'une usine moderne, en revanche, chaque ouvrier fait marcher une machine qui ne produit qu'une petite partie de la chaussure puis la fait passer à la machine suivante. [...] Tout le monde est [donc] astreint à des horaires précis. » Et l'ensemble de la société s'est adapté à ces nouveaux rythmes. Il en fut ainsi de l'ensemble des services, publics ou privés : l'école, l'administration, l'hôpital, mais aussi le café, le restaurant, la banque, les émissions télévisées, etc. Il résulta de l'accélération des trajets et des échanges tout un réseau mondial d'horaires, synchronisés jusqu'à la plus infime fraction de seconde.

Ce phénomène a été globalement accentué par l’arrivée de la voiture, de l’avion, du train à grande vitesse (TGV), et spécifiquement en ville, des tramways, ou encore du métro. Mais aussi par l’invention du télégraphe, du téléphone, puis d’Internet. Désormais, cette course en avant pour « économiser » du temps a atteint un degré jamais vu dans l’Histoire. Les « gains » de temps se traduisent aussi par des gains d’argent pour les entreprises qui se sont lancées dans la robotisation, la mécanisation et la digitalisation. La robotisation des caisses de supermarché, par exemple, ou encore le check-in en ligne pour prendre l’avion, donnent l’illusion aux consommateurs de gagner du temps, mais ce type de bouleversement, outre de faire disparaître la relation humaine dans la transaction, signifie aussi la disparition du temps travaillé (et donc du salaire) de l’employé qui a été remplacé par une machine.

Enfin, dès le XIXème siècle, l'éclairage urbain, qui passe de plus en plus par l'électrification de masse, a repoussé également les limites de la journée telle que nous la percevons. La possibilité de se balader dehors la nuit, voire de faire des achats le soir ou de mener des activités de loisir, de détente, a révolutionné encore un peu plus notre rapport au temps. Ce qui a évidemment des impacts en termes de sommeil, accentués par l'arrivée de la télévision puis des smartphones dans notre quotidien : en 2013 par exemple, un Américain dormait en moyenne, quotidiennement, 6 heures et 31 minutes, alors que la génération précédente dormait environ 8 heures par nuit, et celle du début du XIXème siècle quelques 10 heures ; en France, entre 1986 et 2010, le temps de sommeil quotidien moyen a diminué de 18 minutes (50 minutes pour la tranche d'âge 15-17 ans). Les répercussions sur la santé sont évidentes : diminution de l'hormone appelée mélatonine (dont la sécrétion est perturbée par la lumière, notamment par la lumière à teinte bleue des écrans que nous utilisons tous les jours), et risques accrus d'obésité, de diabète, de maladies coronariennes... Cette course au temps, stimulée par les outils numériques qui créent des addictions, mais aussi par des produits de consommation qui aident à nous maintenir réveillés (amphétamines, caféine, théine...), a donc des conséquences non négligeables sur nos vies. Après des millénaires à rythmer sa vie sur le cycle jour-nuit, l'humain semble vouloir rester maître de son temps et dépasser les limites imposées par la nature. Comme si dormir moins, c'était vivre plus, et surtout vivre mieux.

Comme nous l’abordions déjà dans un article d’août 2017, la révolution technologique et les bouleversements économiques et sociaux liés à ce phénomène de robotisation massive sont à l'origine d’une grande réflexion sur le rapport de nos sociétés au travail, au temps et aux questions sociales. On observe donc des propositions diverses visant à nous adapter à ces changements (Revenu universel d’existence : un débat serein est-il possible ?). Selon l’Institute for Information Technology de l’Université Rice, au Texas, plus de la moitié de la population mondiale pourrait à terme voir son emploi menacé par la robotisation et les avancées de l’intelligence artificielle. L’informatisation menace surtout les emplois routiniers, dont les tâches prévisibles sont facilement automatisables, pour les emplois de bureau comme pour le travail manuel. Pour rappel, en 2016 par exemple, en Europe, ce sont 10 000 filiales bancaires qui ont été fermées, et 50 000 postes supprimés, du fait du développement des banques en ligne. Et cela vaut pour bien d’autres secteurs. Les commandes, la gestion d’activités en ligne, ont un impact sur le travail de millions de personnes. Le droit du travail en est profondément affecté, comme l’illustrent les phénomènes d’ubérisation et le boom des commandes en ligne. Les régulations entre l’offre et la demande sont de moins en moins le fait d’employés dotés d’un contrat de travail, et de plus en plus celui d'« indépendants » précarisés (qui parachèvent une livraison ou un service commandé en ligne), et, plus inquiétant encore, le fait de « conditions générales d’utilisation », ces fameuses cases que nous cochons (sans jamais lire ce qu’elles induisent) au terme de la plupart des commandes que nous réalisons sur les plateformes en ligne.

On voit bien le lien évident entre ce rapport de plus en plus « comptable » du temps et l’essor de la société productiviste et consumériste. Ces phénomènes sont, nous venons de le voir, accentués par le développement de la numérisation et de la robotisation. C'est vrai également dans le secteur de l'agro-alimentaire, suprêmement concerné par les rythmes temporels de la nature. « Depuis la révolution scientifique et industrielle, la technologie et l’économie ont renforcé mutuellement l’hypothèse que les limites de la nature doivent être dépassées afin de créer abondance et liberté, expliquait la militante écologiste indienne Vandana Shiva dans Écoféminisme (1993). L’agriculture et la production alimentaire illustrent comment le dépassement de ces limites a conduit au démantèlement des systèmes écologiques et sociaux. Pendant des siècles, des sociétés agricoles ont opéré en conformité avec les limites de la nature afin d'assurer la capacité de renouvellement de la vie végétale et de la fertilité des sols. Mais les processus naturels pour ce renouveau furent perçus comme des obstacles qu'il fallait vaincre. Les semences et les engrais produits industriellement furent considérés comme des substituts supérieurs aux semences et à la fertilité naturelles. » Parce qu'elle échappe à l'étape de commercialisation qui, seule, peut apporter des profits aux grandes compagnies de distribution, et, surtout, parce que son rythme est trop lié, trop conditionné à la nature, l'agriculture traditionnelle et de subsistance est déconsidérée par les industriels et les investisseurs libéraux. « Les voies naturelles pour renouveler les plantes sont écartées comme trop lentes et trop "primitives" », précise Vandana Shiva.

De la nécessité de reconsidérer notre rapport au temps

Dans un contexte caractérisé par la réflexion sur le développement durable, doublé du choc lié à la crise du coronavirus, on pourrait résumer ainsi le dilemme qui se pose actuellement à nos sociétés : l’avenir de l’humanité est-il conditionné à l’essor de la 5G, qui doit encore accélérer la diffusion des données numériques et améliorer les connexions Internet, ou à la remise en cause du modèle à l’œuvre depuis des décennies, afin de favoriser les liens humains ? Notre rapport au temps prend une place centrale dans ce débat. Pour changer de modèle, il faut d’abord accepter le principe de « prendre le temps », voire de « perdre du temps ». Tant que les gens n’acceptent pas cette idée, aucune révolution n’est véritablement possible, aucun changement de modèle significatif ne peut être sérieusement envisagé.

Que signifie concrètement revoir notre rapport au temps, « prendre le temps » ? Cela signifie, par exemple, ne pas ériger en modèle de consommation le fait d’obtenir régulièrement des plats préparés livrés au prix de conditions déplorables pour les livreurs et du manque de qualité de la nourriture proposée. Il faut prendre le temps de choisir ses produits, des produits de qualité, et de cuisiner. Se réapproprier l’alimentation. Notre rapport aux saisons, nous l'avons touché du doigt avec la réflexion de Vandana Shiva dans Écoféminisme, a été bouleversé par l’urbanisation, qui a rompu notre lien à la nature, et par la révolution technologique et biologique qui a bouleversé la production agro-alimentaire depuis plus d’un siècle. Et notre maîtrise des saisons et des cycles risque d’encore se dégrader avec les perturbations liées au changement climatique. On a pris l’habitude de manger des fruits et des légumes hors-saison, au point de ne plus savoir lequel est censé pousser ou être ceuilli à telle ou telle saison. Des aliments comme les tomates sont manipulés génétiquement afin de mieux résister aux variations climatiques et au temps qui passe. Idem pour les élevages de viande et de poisson, qui sont organisés afin d’économiser le plus d’espace et de temps, au risque de faire subir aux bêtes des conditions de vie abominables. Leur alimentation et les hormones qu’on leur injecte visent à accélérer leur croissance, de façon purement artificielle. Les scandales dans le secteur sont nombreux et auraient dû depuis longtemps provoquer un électrochoc salutaire. Loin de là. Nous vivons dans un monde où des milliards de consommateurs sont convaincus qu'un supermarché vendant des poulets surgelés produits à la chaîne ou des légumes hors saison est synonyme de « progrès ».

Oui, se fournir auprès de producteurs locaux, ou via des filières courtes, peut prendre un peu plus de temps qu’aller dans un supermarché. Peut-être même est-ce un peu plus cher. Mais ce surcoût, qui se traduit par un gain de qualité, doit nous inviter à un peu plus de sobriété. Il est illusoire de croire que les prix relativement plus bas des produits achetés en supermarchés ne cachent pas, en fait, une facture qu’il nous faudra bien payer un jour ou l’autre. En outre, il y a matière à contester le bienfondé d’un modèle où la surconsommation de produits sucrés ou salés de basse qualité (certaines pâtes à tartiner industrielles, des chips, certains types de bonbons, etc.) serait considérée comme normale.

Ces sujets ont un lien avec notre rapport au temps, et en cela, prendre du temps pour faire les choses soi même, pour comprendre les choses, comprendre les mécanismes de production et de consommation inhérents à notre société, pour déconstruire les certitudes en la matière, est une approche qui s'oppose au capitalisme à tout crin, au tout mercantile. Jusqu'au XIXème siècle, les individus, et notamment les femmes, fabriquaient un grand nombre de biens à la maison : les vêtements, les draps, le savon, la nourriture (y compris des produits transformés comme le beurre, la confiture, etc.), étaient cousus, préparés, cuisinés au sein du logis. Avec la Révolution industrielle, puis plus tard avec la société de consommation de masse, après 1945, nous avons appris que le « progrès » induisait d'avoir tout déjà prêt à l'achat, de préférence en grande surface. Les choses faites à la maison perdaient de la valeur, voire le fait de se défaire des corvées domestiques était valorisant socialement. Ces évolutions ont signifié une dévalorisation de la production féminine (puisque pendant longtemps, les femmes ont été bien moins présentes dans les usines que les hommes, et moins bien payées), et les femmes ont été progressivement relégué à la sphère domestique, dans le seul but de s'occuper du logis (l'entretenir, l'embellir) et d'élever les enfants. Comme l'écrit très bien Silvia Federici, universitaire et militante féministe américano-italienne, dans son essai Caliban et la sorcière (2014), sorties bon gré mal gré de la production, les femmes ont été cantonnée à la reproduction : « Avec l'économie de subsistance qui prédominait dans l'Europe précapitaliste, l'unité entre production et reproduction, typique de toute société reposant sur une production pour l'usage, prit fin. Ces activités portèrent dès lors des rapports sociaux différents et furent sexuellement différenciées. [...] Ces bouleversements historiques, qui culminèrent au XIXème siècle avec l'introduction de la femme au foyer à plein temps, redéfinirent la position des femmes dans la société et vis-à-vis des hommes. La division sexuelle du travail qui en résulta assigna non seulement les femmes au travail reproductif, mais accrut leur dépendance par rapport aux hommes, permettant aux employeurs et à l'État d'utiliser le salaire masculin comme un moyen de maîtriser le travail des femmes. Ainsi, la séparation entre la production des marchandises et la reproduction de la force de travail rendit possible le développement d'un usage spécifiquement capitaliste du salaire et des marchés comme moyen d'accumulation de travail non payé. »

Il faut amorcer une inversion de la hiérarchie des valeurs héritées de la Révolution industrielle et de l'ère de la consommation de masse, pour revaloriser le temps domestique, dédié à l'amélioration de sa consommation, aux dépens de la sphère mercantile. Prendre le temps de se préparer à manger, ne plus aller dans un fastfood ou acheter du tout préparé, réapprendre les rythmes saisonniers des fruits et légumes, voire (quand cela est possible) planter soi même ce qu'on va consommer, prendre ce temps-là, non seulement contribue à une amélioration indéniable de la consommation, mais constitue aussi une démarche citoyenne très forte. Il en va de même dans d'autres domaines : prendre le temps d'aller en librairie acheter un livre, plutôt que de le commander en ligne, de coudre ou de bricoler pour « réparer » plutôt que de tout jeter et racheter, sont autant de démarches qui demandent du temps mais qui sont socialement et écologiquement positives.

La question du temps de travail (dans le mois ou dans la semaine, mais aussi dans la vie) conditionne le temps que l'on peut consacrer à la collectivité, à des actions citoyennes, à du bénévolat, à la réflexion personnelle, aux échanges collectifs, à la participation à des instances ou processus de consultation locale comme les conseils de quartier, les budgets participatifs, etc. Bref, le temps de travail conditionne le fait d'être citoyenne ou citoyen actif ou passif. Et il impacte aussi le temps consacré à l'éducation à ses enfants. Est-ce qu'on s'occupe de son ou de ses enfants dans le peu de temps libre qu'on nous laisse dans la semaine, en début de soirée ou en week-end, ou est-ce qu'on redonne aux enfants un statut de personne à part entière, de citoyenne ou de citoyen en construction, qui mérite que l'on prenne le temps de son éducation ? Le choix de l'âge de départ à la retraite, celui du temps officiel de travail hebdomadaire, l'indemnisation du temps passé au foyer (par la voie d'un revenu universel d'existence, par exemple), notamment pour celles ou ceux qui ont mis en suspens une carrière pour telle ou telle raison personnelle, ou encore le potentiel rallongement des congés parentaux (la France est à la traîne sur le sujet par rapport à plusieurs de ses voisins européens), sont autant d'enjeux qui déterminent notre approche des questions soulevées ci-dessus.

Révolutionner notre rapport au temps doit évidemment se traduire aussi dans le secteur des transports. Comment penser un monde durable où il resterait possible de prendre l’avion de façon libre, sans aucune limite ? Dans la mesure où une réelle démocratisation de ce mode de transport n'est bien entendu pas soutenable sur le plan écologique, il faut donc, par souci d'équité et de justice, remettre en cause les libertés relatives au secteur aérien en général. Cas contraire, les inégalités resteront criantes. Les idées dans ce domaine sont potentiellement très nombreuses. Le choix de ralentir la machine doit évidemment se traduire par des décisions en termes d'infrastructures. Pourquoi construire un quatrième terminal à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, en Île-de-France, qui se traduira par 40 millions de vols supplémentaires chaque année (l'équivalent de Paris-Orly) ? (La décision du gouvernement, il y a quelques jours, de renoncer à ce projet, n'est pas tant dû aux impératifs écologiques qu'à l'effondrement du trafic aérien depuis le début de la crise liée au COVID-19.) Pourquoi s'acharner à achever la Ligne à Grande Vitesse (LGV) Lyon-Turin en dépit de l'opposition des riverains à la future LGV, mobilisés depuis près d'un quart de siècle ? Idem en ce qui concerne l'agrandissement de l'actuel aéroport Humberto Delgado à Lisbonne, qui connaît déjà des records de passagers (31 millions pour la seule année 2019), et auquel va venir s'ajouter un second aéroport lisboète, à Montijo, en banlieue proche de la capitale portugaise : sans même parler des nuisances pour les habitants de la zone concernée, cela traduit-il une vision soutenable du développement ? Le choix de bâtir de nouvelles autoroutes, de nouvelles infrastructures aéroportuaires, de nouvelles lignes de transmission et de nouveaux câbles Internet, doit être fait de façon transparente, démocratique, et raisonnée. Au-delà, d'autres initiatives sont encore possibles. Souvenons-nous notamment de la proposition de loi déposée en juin 2019 par plusieurs députés, sur initiative de François Ruffin (LFI), visant à interdire l’exploitation de toute ligne aérienne sur lesquelles le train permet un temps de trajet équivalent à celui de l’avion – plus précisément, là où l’avion représente un gain de temps inférieur à 2h30 par rapport au train. Parmi les lignes visées : Paris-Bruxelles (moins d’une heure en train), Paris-Marseille (3h), Paris-Rennes (1h30), Paris-Lyon (2h), ou encore Paris-Nantes (2h). L’objectif affiché était de réduire les émissions de carbone. Évidemment, gouvernement et députés macronistes ont rejeté cette proposition, au nom de la liberté des entreprises du secteur. À présent, il est possible que cette idée fasse son retour dans le projet de loi tiré des travaux de la Convention Citoyenne pour le Climat, réunie en 2019-2020, même si Assemblée nationale et Sénat ont encore l'occasion d'amender le texte dans les prochains mois.

Autre option : conférer à chaque individu un nombre plafond de miles qu’il peut parcourir chaque année en avion – avec possibilité ou non de cumuler les miles, par exemple. Encore une autre piste de réflexion, plus radicale encore, mais d’autant plus ambitieuse : interdire tous les vols commerciaux depuis ou vers les villes ne dépassant pas un certain nombre d’habitants, par exemple un million, ou un demi-million. L’idée sous-jacente étant que les flux aériens, fortement polluants, doivent se concentrer dans les pôles de population les plus importants, et que d’autres modes de transport – le train notamment – doivent compléter si besoin les trajets à effectuer. Prenons un exemple concret. Si l'on souhaite partir en vacances pour Sarajevo (400 000 habitants), en Bosnie-Herzégovine, ou encore pour Ljubljana (280 000 habitants), en Slovénie, il faudrait nécessairement atterrir dans une « grande » ville relativement proche, par exemple à Belgrade (1,375 million), à Vienne (1,9 million d’habitants), ou éventuellement à Zagreb (810 000 habitants) – et compléter le reste du trajet en autocar ou en train. On peut aussi envisager des exceptions, dans le cas où il s'agit de capitales d'État, par exemple. Quoi qu'il en soit, dans un tel format, les compagnies aériennes pourraient elles-mêmes s’adapter et proposer des déplacements multimodaux. Bien sûr, cela rendrait les temps de trajet plus longs. Mais si remettre en cause notre rapport au temps n’induit pas de « prendre le temps », et donc de « perdre du temps », alors cela signifie que l’on n’est pas prêt à changer de modèle. Et faire sien cet enjeu, c’est au contraire aborder plus sereinement d’éventuelles « pertes de temps » – cette formulation étant elle-même sujette à discussion, puisque le temps de trajet en train ou en autocar peut être un temps de lecture, de sommeil, de discussion avec son voisin de siège, de télétravail, etc.

Horloge du marché dans le centre-ville de Romainville, en banlieue parisienne.

Horloge du marché dans le centre-ville de Romainville, en banlieue parisienne.

Penser des contraintes en matière de mobilité est essentiel : si l’on se base uniquement sur la bonne volonté des gens, les efforts resteront insuffisants pour changer les comportements de masse. Les gens qui, de bonne foi, limitent leur consommation de viande, ne vont pas forcément mesurer leur transport, ou modérer leur consommation d’eau ou d’électricité, ou manger local, ou prendre du temps pour autrui, et vice et versa. On comprend bien que dans un monde où l'on nous pousse toujours plus à consommer, il est difficile d’être exemplaire, et encore plus dans tous les domaines. C’est pourquoi la puissance publique est là pour établir des limites, pour inciter des comportements vertueux, pour imposer des réglementations parfois drastiques. Si besoin, elle est là pour diriger l’économie voire planifier la production dans certains secteurs. Et en l'occurrence, elle devrait aussi s'atteler, dans la perspective du franchissement du « pic pétrolier » à brève échéance, à planifier la « descente énergétique », pour reprendre le terme théorisé par Rob Hopkins, enseignant britannique en permaculture, dans Manuel de Transition (2008), afin de penser au mieux et avec anticipation un monde post-énergies fossiles, plus résilient, réellement durable et désirable. Les investissements publics doivent être orientés en ce sens. Par exemple, le choix du développement du TGV depuis plusieurs décennies, aux dépens des lignes « secondaires », au risque d’isoler des petites villes ou des villages, répondait certes aux enjeux d’innovation dans l’industrie du rail, mais aussi à l’impératif affiché de réduire les distances entre les grandes métropoles – et donc de « gagner » du temps. Or, les coûts d’investissement et de maintenance, de même que de mauvaises options dans la gestion de la SNCF ces dernières années, ont entraîné une hausse continue – et de plus en plus insupportable et injustifiable pour nombre de nos concitoyens – du prix du billet de train. Sans renoncer à toutes les lignes à grande vitesse, il y a matière à maintenir un train de qualité (et rapide, tout de même) sans pour autant se contenter du seul TGV.

Changer notre rapport au temps, cela signifie aussi reconsidérer notre temps de travail. Ne pas considérer le fait de produire comme une fin en soi. Ne pas considérer la compétition comme un objectif en soi. Ce monde, le modèle économique et social construit depuis deux siècles, a montré toutes ses limites, à de multiples reprises, les dernières fois lors de la crise de 2007-2008, et à nouveau depuis 2020 avec celle liée au COVID-19. Un meilleur partage du temps de travail entre les individus, et une meilleure répartition des temps de salariat, de loisirs et de bénévolat, semblent incontournables dans un futur de plus en plus dominé par le chômage de masse, par la parcellisation du monde salarié, et par l’importance de la robotisation et de la numérisation. Qui peut penser que les rythmes de travail observés dans certains métiers représentent un avenir souhaitable et durable ?

Certes, plusieurs candidats à l'élection présidentielle de 2017 ont annoncé vouloir déréguler le code du travail relatif au temps quotidien et hebdomadaire (La suppression des 35 heures au Sénat annonce-t-elle la couleur pour 2017 ?), et Emmanuel Macron lui-même, comme ministre de l'Économie puis à la tête de l'État, s'y est attelé à bien des égards (dérogation au travail de nuit, réforme du travail le dimanche, etc.). Mais on constate bien l'impasse dans laquelle ce modèle nous conduit. Du livreur Deliveroo ou Uber Eats, contraint de multiplier les commandes au-delà du raisonnable pour pouvoir obtenir un minimum de revenu pour vivre, à l’infirmière ou à l’aide-soignante qui cumule les heures de travail sans pause et les tâches de soin et administratives, du fait de la réduction des effectifs dans son service, il y a quelque chose qui ne va pas. Dans certains EHPAD ou maisons de retraite, il est demandé au personnel (parfois employé en sous-traitance, donc avec un statut contractuel précaire) de chronométrer ses tâches afin de mesurer sa « productivité » (un quart d'heure pour une toilette, par exemple), comme si le temps passé avec chaque patient ne requiert pas plus qu'une accumulation de gestes mécaniques visant à remplir l'objectif fixé... Dans un autre secteur, la distribution, rappelons-nous du cas de cette employée de 23 ans, à Tourcoing (Nord), qui, en novembre 2016, avait fait une fausse couche en caisse (devant les clients), dans l’Auchan City où elle travaillait, car sa supérieure hiérarchique lui interdisait de quitter son poste, ne serait-ce que pour prendre une pause. On voit bien que, dans la perspective (plus ou moins lointaine) de l’après-coronavirus, il est temps de reconsidérer la hiérarchie des priorités et des professions (La crise du COVID-19 sera-t-elle l'occasion de reconsidérer les métiers « invisibles » à l'aune de leur utilité réelle ?), afin de valoriser les métiers réellement utiles, aux dépens des bullshit jobs et des emplois cadres non-indispensables, mais aussi de repenser le rapport au travail en général.

Réapprendre à « prendre le temps » doit s’accompagner d’une réflexion sur la sobriété en général. Car ne plus employer son temps pour produire, consommer, produire, consommer, produire, consommer, doit se faire aussi, si l’on reste dans une optique de modèle de société réellement durable, dans un but de réduction de la croissance productiviste et polluante, voire de décroissance. Or, valoriser la notion de sobriété, cela peut se faire dans bien des domaines. L’agro-alimentaire, cela a déjà été dit, mais aussi l’accumulation de biens matériels non-indispensables. Ce qui suppose notamment de questionner la dimension sociale que l’on confère généralement aux choses matérielles. Ne plus considérer qu’avoir une voiture, une télévision, ou le dernier cri du high-tech est une preuve en soi de ce que l’on vaut socialement. La sobriété digitale est une notion essentielle à s’approprier si l’on veut penser de façon crédible un monde réellement durable, compte tenu à la fois de la pollution engendrée par la production de l’ensemble des nouvelles technologies (notamment l’extraction des métaux rares présents dans les smartphones, les tablettes, les voitures ou encore les télévisions), mais aussi de la demande d’énergie considérable nécessaire au bon fonctionnement des outils numériques (flux d’information Internet, mémoire sur le cloud, etc.). En outre, ce sujet n’est pas déconnecté de celui du temps qui passe : l’usage de plus en plus systématique et massif des technologies mobiles affecte considérablement notre notion du temps, de même que notre capacité d’interaction humaine, la socialisation, l'empathie en général (Des smartphones aux réseaux sociaux, les nouvelles technologies prennent-elles le pas sur nos vies ?).

Enfin, nous ne pouvons conclure cet article sans évoquer aussi les leçons politiques à tirer de cette réflexion. Car dans des systèmes démocratiques, la question du temps est centrale. En effet, la démocratie demande du temps. Elle demande de prendre le temps de consulter, de débattre, de se concerter… Le 20 février 2020, dans le contexte du débat sur la réforme des retraites, le député Florian Bachelier (LREM) publiait sur Tweeter : « La démocratie n’a pas de prix, mais elle a un coût. Une journée d’obstruction parlementaire par les députés […], c’est 1,5 million d’euros d’argent public. » Une déclaration qui n’a pas plu au député PS Boris Vallaud, qui a rappelé d’où provenait ce chiffre : « Le budget de l’Assemblée nationale, c’est 578 millions d’euros en 2019. Vous divisez le nombre de jours (365), c’est 1,5 million, que nous siégeons ou que nous ne siégeons pas ». Outre le caractère mensonger du propos de Florian Bachelier, cette anecdote nous montre que la nécessité de prendre le temps du débat, y compris pour un sujet aussi fondamental et structurel que la réforme en profondeur de notre système de retraites, n’est pas une évidence pour tout le monde – et l’usage in fine du 49-3 pour mettre un terme aux débats l’a d’ailleurs parfaitement illustré. Or, nous l'avons dit, la démocratie demande du temps. À toutes les échelles, y compris individuelle et citoyenne, comme nous l'avons abordé précédemment. Et ce temps pris à la discussion, à la réflexion collective, n’est pas une perte, mais bien un gain en informations et en échanges, qui enrichit notre régime politique et renforce sa légitimité.

Notre monde considère toute perte de temps comme un échec, comme une régression, alors que « prendre le temps » – notamment pour ne rien faire, ou pour ne faire aucune activité marchande – est devenu un luxe. La dimension péjorative de termes tels que « glander » ou « procrastiner » le montre d’ailleurs assez bien. Pourtant, la maîtrise du temps reste une illusion, comme le symbolisait, dans la mythologie gréco-romaine, l’ouvrage des Parques, ces trois divinités du destin (la fileuse, la répartitrice et l’inflexible) qui étaient supposées déterminer la durée de la vie, de façon imperturbable et intransigeante. À ne pas faire preuve d’humilité quant à la vie et au(x) rythme(s) qu’elle nous impose naturellement, on en vient à se prendre pour Chronos, ce dieu de l’Antiquité personnifiant le Temps et la Destinée. Mais ce n’est jamais là rien d’autre qu’un mythe.

Cadran solaire à San Cosme y San Damián, ancienne mission jésuite, au Paraguay.
Cadran solaire à San Cosme y San Damián, ancienne mission jésuite, au Paraguay.
Cadran solaire à San Cosme y San Damián, ancienne mission jésuite, au Paraguay.

Cadran solaire à San Cosme y San Damián, ancienne mission jésuite, au Paraguay.

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