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Par Carlos Azambuja.

Cet article propose une réflexion sur le christianisme engagé en Amérique latine, à partir des effets issus de la théologie de la libération. Née dans le contexte d'oppression et d'exclusion sociale des décennies 1960 et 1970, cette théologie se présente comme une réponse pastorale et théologique enracinée dans la vie des pauvres et qui trouve son inspiration dans l'Évangile. À partir d'une méthodologie basée sur l'analyse de la réalité, dans l'écoute de la Parole et dans le compromis transformateur, la théologie de la libération a eu des impacts significatifs sur l'Église, et sur la société latino-américaine dans son ensemble. Cet article explore ses racines historiques, sa pratique pastorale, ses « fruits » sur le long terme, ainsi que ses contributions actuelles face aux nouveaux visages de l'exclusion. Il conclut en affirmant l'actualité d'une théologie engagée pour la justice et la dignité, en dialogue avec les spiritualités populaires, la pensée écologique et l'action sociale libératrice.
L'histoire du christianisme en Amérique latine est marquée par des tensions permanentes entre la foi et la réalité concrète des peuples. Depuis la période coloniale, le continent a porté des blessures ouvertes par la conquête, par l'esclavage et par l'exploitation économique qui ont modelé une structure sociale excluante. La religion, dans cette configuration, a souvent été utilisée comme instrument de légitimation du pouvoir et de contrôle culturel. Pourtant, la même foi chrétienne qui a accompagné le processus de colonisation a aussi alimenté des résistances, inspirant des gestes de solidarité et des espérances de libération entre les opprimés.
Tout au long du XXème siècle, spécialement au cours des décennies 1950 et 1960, la progression des dictatures militaires, la concentration foncière, la pauvreté généralisée et la marginalisation croissante des classes populaires imposèrent de nouveaux défis à l'Église catholique. Surgissent donc des voix prophétiques qui appellent l'institution ecclésiastique à renouer avec l'Évangile de Jésus, à partir de la réalité concrète des pauvres. Dans cette conjoncture de crise et de recherche d'une authenticité évangélique, naît la théologie de la libération, non comme une simple formulation théorique, mais comme le fruit d'une pratique vécue dans les communautés et dans les luttes sociales. Elle émerge de la terre de l'Amérique latine, nourrie par une lecture spirituelle de la Bible, par l'expérience des communautés ecclésiastiques de base et par l'engagement pastoral avec les marginalisés.
Plus que d'interpréter la foi à partir de l'oppression, la théologie de la libération propose un nouveau mode de vivre l'Évangile : à partir des pauvres, avec les pauvres, et pour la libération des pauvres. Cette inversion épistémologique et pastorale transforme le regard théologique, déplaçant le centre de la réflexion des académies ecclésiastiques vers le quotidien des communautés. La figure du pauvre cesse d'être objet de charité et devient sujet historique du salut et de la libération. Comme l'affirmerait le prêtre, philosophe et théologien péruvien Gustavo Gutiérrez (1928-2024), il s'agit d'une réflexion critique à partir de la pratique historique à la lumière de la Parole – une théologie qui naît de la vie et retourne à la vie.
En synthèse, nous prétendons présenter dans cet article une vision panoramique des effets de la théologie engagée dans la vie ecclésiastique, sociale et culturelle en Amérique latine. Plus qu'un courant théologique, la théologie de la libération s'est consolidée comme spiritualité et pratique transformatrice, capable de renouveler la pastorale (c'est-à-dire labranche pratique de la théologie, qui étudie comment mieux faire passer le message de l'Évangile auprès des chrétiens), inspirer des mouvements populaires et rallumer l'espérance dans les cœurs de celles et ceux qui luttent pour la justice, la dignité et la paix.
Rio de Janeiro, Brésil.
Les racines de la théologie de la libération
La théologie de la libération naît dans un moment de profondes transformations historiques, politiques et ecclésiastiques qui ont marqué l'Amérique latine dans la seconde moitié du XXème siècle. Le continent vivait une tension entre la progression des dictatures militaires, le renforcement des inégalités structurelles et l'éveil de nouveaux mouvements populaires qui revendiquaient justice et participation. Dans ce contexte, la foi chrétienne a été poussée à abandonner la posture uniquement d'assistance et à redécouvrir sa force prophétique. Ses racines les plus profondes se trouvent donc dans la prise en compte de la réalité des pauvres, dans l'engagement avec les marginalisés et dans le désir d'une foi incarnée, qui ne se limite pas au culte ou à l'orthodoxie doctrinale, mais se traduise en transformation concrète dans la vie et dans les structures sociales.
Du point de vue ecclésiastique, deux évènements sont décisifs pour comprendre la naissance de cette théologie. Le premier est le Concile Vatican II (1962–1965), convoqué par le pape Jean XXIII, qui représenta une ouverture sans précédent dans l'histoire de l'Église contemporaine. Le Concile proposa une rénovation théologique et pastorale qui remit l'Église en dialogue avec le monde moderne, promouvant la valorisation de la Parole de Dieu, de la participation active du peuple de Dieu et de la lecture des signes des temps comme expression de la présence de l'Esprit dans l'histoire. Cette redécouverte de la dimension historique de la foi offrit à l'Église latino-américaine une nouvelle herméneutique pour lire l'Évangile à partir de la vie concrète des peuples opprimés.
Le second temps décisif est la IInde Conférence générale de l'Épiscopat latino-américain, réalisée à Medellín, en Colombie, en 1968. Medellín fut une véritable Pentecôte latino-américaine : là, les intuitions de Vatican II furent réinterprétées à la lumière des conditions sociales du continent. Les évêques, inspirés par la clameur des pauvres, affirmèrent que « la misère est une injustice criée aux cieux » et que l'Église doit assumer une option préférentielle pour les pauvres, interprétant la pauvreté non seulement comme carence matérielle, mais comme résultat de structures de pêché. Cette lecture historique et structurelle de la réalité a marqué une rupture avec la théologie traditionnelle et lancé les bases pour une nouvelle pratique pastorale et sociale.
C'est dans ce contexte qu'émergent les premières formulations systémiques d'une théologie tournée vers la libération. Le théologien péruvien Gustavo Gutiérrez, dans son œuvre séminale Théologie de la Libération : Perspectives (1971), proposa une nouvelle manière de faire de la théologie – non à partir de concepts abstraits, mas de la pratique historique des opprimés. La théologie, disait-il, doit être « une réflexion critique sur la pratique à la lumière de la foi ». Cette inversion méthodologique a rompu avec la théologie déductive et eurocentrique, inaugurant une épistémologie pastorale enracinée dans la vie et dans l'histoire des pauvres.
D'autres théologiens, comme Hugo Assmann (1933-2008), Leonardo Boff (né en 1938) et Clodovis Boff (né en 1944), brésiliens, Jon Sobrino (né en 1938), salvadorien d'origine espagnole, et Enrique Dussel (1934-2023), argentin naturalisé mexicain, entre beaucoup d'autres, contribuèrent à l'approfondissement de ce mouvement, articulant des considérations bibliques, sociales et spirituelles. Chacun, à sa manière, a cherché à montrer que la libération n'est pas juste un sujet social ou politique, mais le cœur de l'Évangile : le bonne parole du Règne de Dieu se traduit dans la libération intégral de l'être humain et dans la transformation des structures générant mort et exclusion.
La théologie de la libération ne survient donc pas juste comme une critique du système économique ou de la hiérarchie ecclésiastique, mais comme une nouvelle façon d'être Église et de vivre l'Évangile. Son inspiration christologique est centrale : le Christ pauvre, crucifié et ressuscité devient le paradigme de toute pratique libératrice. Suivre Jésus signifie s'engager dans la défense de la vie et dans la construction du Règne de Dieu – compris non comme réalité distante ou purement spirituelle, mais comme horizon historique et scatologique de pleine libération. Ainsi, la foi chrétienne cesse d'être refuge et devient force historique de transformation, unissant spiritualité, engagement politique et espérance scatologique dans une unique et même dynamique.
La pratique libératrice : la foi qui devient action
Une des marques distinctives de la théologie de la libération est son accent sur la pratique, entendue comme action transformatrice éclairée par la foi et par la réflexion théologique. Inspirée de la méthodologie pastorale du « Voir-Juger-Agir », systématisée dans le contexte latino-américain par le cardinal belge Joseph Cardijn (1882-1967) et assumée par diverses pastorales sociales, cette approche est devenue fondamentale pour l'action de l'Église auprès des secteurs les plus pauvres de la société.
Voir signifie analyser de façon critique la réalité, avec une attention spéciale aux causes structurelles de la pauvreté et de l'exclusion. Juger consiste à confronter cette réalité avec la Parole de Dieu et avec les principes évangéliques de justice, de fraternité et de dignité humaine. Agir implique l'engagement concret dans des processus de transformation sociale, articulant foi et compromis historique. Cette triade méthodologique rapproche la théologie de la vie réelle des personnes, et rompe avec une vision uniquement spéculative du savoir théologique.
Dans ce contexte, surgissent des pratiques pastorales innovantes et profondément enracinées dans le quotidien du peuple. Les Communautés ecclésiales de base (CEBs), par exemple, deviennent des espaces privilégiés pour l'exercice de la foi communautaire, de la lecture populaire de la Bible et de l'organisation sociale. La spiritualité cultivée dans ces espaces réunit célébration, partage de vie et engagement pour la justice, révélant une expérience d'Église marquée par l'horizontalité, par la solidarité et par la résistance prophétique.
Au-delà des CEBs, diverses pastorales sociales – comme la Pastorale de la Terre, la Pastorale Ouvrière, la Pastorale Carcérale, la Pastorale de la Jeunesse et, plus récemment, la Pastorale des Récupérateurs de déchets (catadores, en portugais) et des Peuples Originaires (comprendre : autochtones) – ont été l'expression concrète du christianisme engagé. Ces expériences, souvent construites dans des contextes hostiles, ont révélé la force de la foi incarnée, sensible à la souffrance humaine et à la clameur de la Terre, capable de nourrir des processus d'organisation populaire et d'émancipation sociale.
La pratique libératrice n'est donc pas qu'une stratégie pastorale, mais un mode d'être Église et de vivre l'Évangile au cœur de l'histoire. Alimentée par l'écoute des pauvres et par la centralité du Règne de Dieu, elle transforme la foi en action et la théologie en espérance concrète. Comme l'affirmait Dom Pedro Casaldáliga (1928-2020), évêque-poète de l'Amazonie, la cause des pauvres est la cause de Dieu.
Marche de la Pastorale Ouvrière de Campinas, dans l'État de São Paulo, au Brésil. (Crédit photo © Gancho, boletim da Pastoral Operaria de Campinas)

Marche de la Pastorale Ouvrière de Campinas, dans l'État de São Paulo, au Brésil. (Crédit photo © Gancho, boletim da Pastoral Operaria de Campinas)

La théologie de la libération et le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre (MST)
Parmi les mouvements sociaux qui ont dialogué profondément avec la théologie de la libération, le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre (MST) a occupé une place centrale. Fondé en 1984, le MST est né de la lutte paysanne pour la terre et pour la dignité, dans un contexte marqué par la concentration foncière, par l'exclusion sociale et par l'autoritarisme hérité des dictatures militaires. Depuis son origine, il a compté avec l'appui et la présence d'agents pastoraux liés à la Commission Pastorale de la Terre (CPT) et à d'autres pastorales sociales, qui ont reconnu dans la lutte pour la réforme agraire une expression concrète de l'Évangile.
La spiritualité du MST présente une forte harmonie avec la mystique libératrice cultivée par la théologie de la libération. Dans les campements et les localités, des croix de bois, des cants populaires, des processions et des assemblées révèlent une religiosité qui unit foi et résistance. Cette mystique n'est pas que parure, elle est constitutive du mouvement : elle alimente l'espoir, renforce l'identité collective et connecte la lutte pour la terre à l'horizon supérieur de la justice du Règne de Dieu. Comme l'affirme Frei Betto (Brésilien né en 1944), la lutte pour la terre est aussi une lutte pour le pain et pour le sens de la vie, puisqu'en effet, Dieu se révèle sur le terrain de l'existence des pauvres.
C'est dans ce contexte qu'est créée en 1978, par la CPT, la Marche de la Terre (Romaria da Terra en portugais), l'un des évènements les plus significatifs de l'articulation entre foi, mémoire et lutte populaire. Réalisée chaque année dans différentes régions du Brésil, la Marche de la Terre constitue un véritable « Exode contemporain » des pauvres de la campagne, réunissant des milliers de paysans, d'agents pastoraux et leaderships sociaux en pèlerinage. Plus qu'un acte religieux, elle est devenue un espace de dénonciation prophétique des injustices sociales agraires et de proclamation d'une nouvelle société, renforçant la dimension communautaire, l'identité paysanne et la spiritualité libératrice qui alimente le MST. En intégrant du chant, de la prière, de la formation politique et de la célébration eucharistique, la Marche de la Terre réaffirme que la lutte pour la réforme agraire est inséparable de l'attention pour la vie, pour la création et pour la dignité des travailleurs ruraux. La présence du MST a aussi élargi la compréhension pastorale de l'Église. À côté des Communautés ecclésiales de base, les implantations sont devenues des lieux de formation communautaire, d'éducation populaire et d'organisation politique, mettant en évidence le fait que la foi chrétienne ne peut pas se limiter au culte, mais doit se traduire dans l'action historique. Le mouvement, en articulant spiritualité, résistance et organisation sociale, exprime de façon exemplaire les effets de la théologie de libération dans la campagne latino-américaine.
Ainsi, le MST est devenu non pas seulement un acteur politique pertinent, mais aussi un espace théologico-pastoral : en son sein, l'option pour les pauvres prend corps dans des pratiques concrètes de partage de la terre, de défense de la vie et de promotion de la dignité. Sa trajectoire montre que la théologie de la libération n'est pas seulement une réflexion académique ou pastorale, mais une force historique qui continue à inspirer des luttes concrètes et à maintenir vivante l'espérance qu'« un autre monde est possible ».
Fruits et héritages
Au fil des dernières décennies, les « fruits » de la théologie de la libération en Amérique latine ont été abondants et divers, laissant des traces profondes tant dans la vie ecclésiale que dans les processus sociaux et politiques du continent. Plus qu'une proposition théorique, cette théologie a suscité des pratiques concrètes qui ont alimenté l'espérance de milliers de communautés, transformant la manière d'être Église et de vivre l'engagement chrétien.
Sur le plan ecclésial, la théologie de la libération a contribué à une reformulation significative de la pastorale latino-américaine. La centralité de l'option pour les pauvres, la valorisation des cultures locales et la recherche d'une Église incarnée dans les réalités populaires sont devenues des critères directeurs de nombreux diocèses, paroisses et congrégations religieuses. Les Conférences de Puebla (1979), Santo Domingo (1992) et Aparecida (2007) offrirent une continuité aux intuitions de Medellín, renforçant l'urgence d'une évangélisation qui prenne en compte les contextes d'exclusion et de marginalisation.
Cette théologie a aussi laissé un héritage important dans le champ de l'éducation et de la formation, à travers l'éducation populaire inspirée par le Brésilien Paulo Freire (1921-1997). Plusieurs agents pastoraux ont été formés sur la base de méthodologies dialogiques et libératrices, contribuant à la conscience critique des sujets et à l'organisation de communautés jouant un rôle laïque, populaire et féminin. La foi a cessé d'être entendue comme aliénation ou consolation et a désormais été vue comme force de mobilisation, résistance et annonce d'un monde nouveau.
Sur le plan social, les effets de la théologie de la libération ont eu un écho au-delà des murs de l'Église. Ils ont inspirés l'action de leaderships communautaires, l'organisation de mouvements sociaux et la lutte pour la justice agraire, le logement, la santé, l'éducation et le travail digne. Le christianisme latino-américain engagé est devenu une présence active dans les territoires les plus vulnérables, incarnant l'Évangile comme Bonne Nouvelle aux pauvres et comme dénonciation des structures générant mort et exclusion.
Spirituellement, cette tradition a suscité une spiritualité libératrice, marquée par la mystique de la compassion, par la résistance face à la douleur et par l'espérance active. Il s'agit d'une spiritualité qui surgit de terre, s'alimente du partage communautaire et reconnaît dans les pauvres le visage du Christ crussifié et ressuscité. Une spiritualité pascale, qui croit dans la possibilité de résurrection même au milieu des croix imposées par l'histoire.
Les « fruits » de la théologie de la libération demeurent vivants dans les pratiques de base, dans les communautés qui continuent à se réunir autour de la Parole, dans les projets d'économie solidaire, dans les mouvements socio-environnementaux et dans les nouvelles générations qui reprennent cet héritage, en articulation avec les défis contemporains. Héritage vivant, qui ne se fossilise pas dans le passé, mais qui continue à inspirer le présent et à rêver un futur de justice et de fraternité.
La théologie de la libération, même si elle a connu des tensions au fil du temps, reste vivante et nécessaire dans le contexte latino-américain actuel. Ses intuitions fondamentales demeurent pertinentes face aux nouveaux visages de la pauvreté, de l'exclusion et de la violence, qui mettent l'Église au défi de rénover continuellement son engagement pour les marginalisés.
Aujourd'hui, les visages de l'exclusion ont gagné de nouvelles expressions : au-delà de la pauvreté matérielle, il y a la précarisation croissante du travail, l'abandon des jeunesses périphériques, la violence urbaine, le massacre de la population noire, le génocide des peuples autochtones, la crise environnementale et les flux migratoires contraints. Ces phénomènes exigent une théologie qui continue à écouter la clameur des pauvres, mais qui, aussi, s'ouvre à d'autres formes d'oppression et de résistance, promouvant une lecture critique et intersectionnelle de la réalité.
Dans cette perspective, se distingue à partir de 2013 l'action du pape François (1936-2025), dont la pratique pastorale et les écrits ont repris diverses intuitions de la théologie de la libération, avec un nouveau langage et une nouvelle tonalité. Des encycliques comme Laudato Si’ (2015) et Fratelli Tutti (2020), au-delà de l'Exhortation Apostolique Evangelii Gaudium (2013), ont révélé une Église en sortie, attentive aux pauvres, sensible aux questions socio-environnementales et engagée dans le dialogue, la justice et la paix. La convocation d'une Église synodale, plurielle et participative, renforce ce chemin.
Autre point à souligner, le dialogue avec les spiritualités autochtones, afro-descendantes et féminines, qui élargissent l'horizon théologico-pastoral et mettent la théologie classique au défi de reconsidérer les catégories et les structures. La théologie de la libération, en s'ouvrant à ces voix, s'enrichit et se met à jour comme théologie contextuelle et décoloniale, capable d'accueillir la pluralité d'expériences de foi et de lutte.
La dimension écologique de la libération a aussi gagné en importance au cours des dernières décennies. la crise climatique, l'extractivisme prédateur et l'effondrement environnemental ont rendu urgente une écologie de la libération, qui articule justice sociale et attention pour la création. L'« écologie intégrale », proposée par François, réunit le cri de la Terre au cri des pauvres, élargissant la compréhension du Règne de Dieu pour la justice pour tous les êtres.
Finalement, il demeure le défi de former de nouvelles générations d'agents pastoraux, théologiens et leaderships populaires qui maintiennent vivant l'esprit libérateur de l'Évangile. En ces temps de progrès des fondamentalismes religieux et des discours qui dépolitisent la foi, la théologie de la libération continue à être un terrain fertile pour le témoignage chrétien engagé en faveur de la justice et de la dignité humaine.
Plus qu'un chapitre du passé, cette théologie est un horizon pour le futur : un appel à faire de la foi un instrument de libération, à construire des communautés vivantes et solidaires, et à annoncer, avec la vie, qu'un « autre monde est possible » – un monde où le règne de Dieu est marqué par des gestes d'amour, de justice et de fraternité.
Marche de la Pastorale Ouvrière de Campinas, dans l'État de São Paulo, au Brésil. (Crédit photo © Gancho, boletim da Pastoral Operaria de Campinas)

Marche de la Pastorale Ouvrière de Campinas, dans l'État de São Paulo, au Brésil. (Crédit photo © Gancho, boletim da Pastoral Operaria de Campinas)

Contributions de la théologie de la libération aux partis de gauche au Brésil
La théologie de la libération ne s'est pas restreinte à un cadre religieux. Son influence s'étendit aussi au champ religieux, spécialement dans la formation de partis de gauche au Brésil durant la redémocratisation. Dans les années 1970 et 1980, divers militants issus des Communautés ecclésiales de base, des pastorales sociales et d'organisations œcuméniques ont participé à la création et au renforcement de partis engagés en faveur de la justice sociale.
Le Parti des Travailleurs (PT), fondé en 1980, a compté avec la participation décisive de leaderships formés avec la théologie de la libération. Frei Betto, dans ses analyses, souligne (en 2002) que le PT est né comme un espace de convergence entre syndicalistes, intellectuels, mouvements sociaux et chrétiens de base, qui voyaient dans la politique institutionnelle une extension de leur lutte pour les droits et la dignité. Au-delà du PT, des partis comme le PCdoB (Parti Communiste du Brésil) et des secteurs de la gauche socialiste ont aussi dialogué avec des agents liés à la théologie de la libération, spécialement par le biais de l'articulation avec des mouvements populaires. La création de la Centrale Unique des Travailleurs (CUT), en 1983, compta également avec la présence de leaderships forgés dans la pastorale ouvrière et dans la pédagogie inspirée par Paulo Freire.
Ce rapprochement entre foi et politique ne signifia pas la soumission de l'Église à un parti, mais la perception que l'action politique est partie prenante de la foi chrétienne quand celle-ci s'engage en faveur de la transformation sociale. Ainsi, la théologie de la transformation a aidé à ouvrir un chemin pour une pratique politique populaire, critique et participative, que a marqué la redémocratisation brésilienne et contribué à des conquêtes sociales significatives dans les décennies suivantes.
Considérations conclusives
La théologie de la libération, survenue comme une réponse à la clameur des pauvres de l'Amérique latine, est devenue une des expressions les plus authentiques d'un christianisme engagée dans la transformation de la réalité. Loin d'être à peine un courant théologique, elle a configuré une façon d'être Église, profondément enracinée dans l'écoute des pauvres, dans la lecture critique de la réalité et dans la fidélité à l'Évangile de Jésus Christ.
Au long des décennies, ses effets ont été ressentis, pas juste à l'intérieur de l'Église, mais aussi dans les structures sociales et politiques du continent. En intégrant foi et vie, spiritualité et action, Bible et compromis historique, la théologie de la libération a généré des fruits visibles : communautés organisées, leaderships populaires formés, consciences éveillées, solidarité construite.
Aujourd'hui, les défis demeurent. Les formes de l'exclusion se sont multipliées, les visages de la pauvreté se sont diversifiés, et la foi chrétienne continue à être interpelée par des réalités marquées par de la souffrance et de l'injustice. Dans ce contexte, l'héritage de la théologie de la libération continue à être source d'inspiration et de prophétie. Elle nous invite à vivre une foi incarnée, lucide et chargée d'espoir, capable d'unir le cri des pauvres au rêve de Dieu pour un monde plus juste, humain et fraternel.
Réaffirmer la centralité de cette théologie, ce n'est pas regarder vers le passé avec nostalgie, mais répondre au présent avec fidélité et engagement. La libération, comme chemin évangélique, reste un horizon pour toutes celles et tous ceux qui souhaitent faire de la foi une pratique d'amour qui transforme le monde.
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