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Par David Brites.

Blocages de routes, destruction de matériels d’usine… Le 21 septembre dernier, éclatait au Bangladesh un mouvement de protestation sociale de grande ampleur. Pendant plusieurs jours, des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes, issues de l’industrie textile bangladaise, ont manifesté, parfois très violemment, pour réclamer une augmentation de salaire. Retour sur ces évènements, victimes d’un gros black-out médiatique !

De l’effondrement du Rana Plaza aux revendications salariales

Face à la répression violente des forces de l'ordre, les manifestations des ouvriers du textile bangladais ont très vite viré à l’émeute. Il faut dire que les enjeux sont considérables pour ces travailleurs, parmi lesquels on trouve une majorité de femmes. Les protestataires réclamaient un salaire minimum de 74 euros par mois, contre 28 euros actuellement. Moins d’un euro par jour, pour dix à douze heures de travail.

Dans ce pays où les grèves ouvrières sont de plus en plus fréquentes ces dernières années, ces revendications sont à remettre en perspective avec la tragédie du 24 avril dernier dans le faubourg de Savar, en périphérie de Dacca, la capitale bangladaise. À cette date, le Rana Plaza, un immeuble délabré abritant des ateliers de confection, s’effondrait. À l’intérieur : des milliers d’ouvriers sous-payés, travaillant pour le compte de diverses marques internationales de vêtements. Le bilan terrible de ce drame (près de 1.200 morts, pour quelques 2.000 rescapés) donna une visibilité mondiale aux conditions de travail déplorables et dangereuses des Bangladais employés dans ce secteur, provoquant dans la foulée un grand mouvement de protestation.

La colère s’exprima alors tant sur la question des conditions de travail que sur celle du salaire misérable des ouvriers. Aucune des timides réponses du gouvernement de l’époque ne suffit à calmer une indignation plus que légitime. Et le 9 mai, puis à nouveau le 9 octobre dernier, des incendies meurtriers dans deux autres immeubles de l’industrie textile, à Dacca, provoquèrent à chaque fois la mort d’une dizaine de personnes, et alimentèrent encore les critiques à l’égard des multinationales concernées et des pouvoirs publics bangladais.

Le Bangladesh est classé au 142ème rang en termes d'IDH (2013).

L’« armée de réserve » du Sud : un système économique global basé sur l’exploitation des masses

La protestation continua, moins visible, pendant plusieurs mois, jusqu’aux émeutes massives de septembre. Elle toucha alors essentiellement la périphérie industrielle de Dacca, en bloquant deux axes routiers et en affectant la production dans au moins 500 usines, pour un coût d’environ 40 millions de dollars. La police fit usage de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc pour disperser les manifestants. Les autorités ont en effet immédiatement exprimé le souhait de mettre un terme à ce mouvement. Car les intérêts en jeu sont considérables, y compris pour la classe politique bangladaise.

Le Bangladesh est le deuxième exportateur de vêtements au monde (très loin derrière la Chine). Il fournit des grands noms tels que Carrefour (français), Walmart (américain), ou encore H&M (suédois). Le secteur est déterminant pour l’économie nationale, puisqu’avec 4.500 usines installées sur le territoire bangladais, il représente 80% des exportations annuelles, soit 27 milliards de dollars. La contestation récente n’est pas une nouveauté dans ce pays de 152 millions d’habitants. Les ouvriers bangladais – leur nombre est évalué à environ trois millions dans l'industrie textile – mènent régulièrement une fronde pour que le Parlement vote une loi sur la sécurisation de leurs lieux et conditions de travail. Une lutte vaine. En effet, les conditions salariales dramatiques des ouvriers bangladais ont été consacrées, en août 2010, par un accord tripartite entre les syndicats, leur propre gouvernement, et les fabricants. Nombre de députés sont propriétaires d’usines et préfèrent sauvegarder un environnement propice à attirer des investissements étrangers. D'éventuelles hausses de salaires, et la modernisation des installations industrielles et des bâtiments d’usine, pourraient ralentir la production ou pousser les marques occidentales, qui font constamment pression pour imposer des délais de livraison particulièrement courts, à chercher d’autres pays où produire leurs vêtements.

Le serpent qui se mord la queue, donc. Les ouvriers bangladais tiennent au maintien des usines textiles, leurs gouvernants aux intérêts qu’ils y trouvent, les fabricants à leurs bénéfices, et les consommateurs occidentaux à leurs produits pas chers. Cette situation n’est pas l’apanage du Bangladesh : Chine, Inde, Cambodge, Viêtnam… Les pays asiatiques sont fortement ancrés dans ce système où ils jouent le rôle d’atelier du monde. Ils concurrencent en cela largement l’industrie textile européenne, turque et maghrébine. Et, à défaut de donner à leurs propres populations les moyens de consommer les biens qu’elles produisent, les autorités de ces pays jettent les bases de leur développement sur l’offre d’une main d’œuvre très bon marché aux grandes firmes de textile internationales.

Quand la pelote de laine bangladaise s’enflamme

Et ce modèle en attire d'autres, y compris en Afrique. L’Éthiopie, notamment, est largement engagée dans cette bataille, puisque le gouvernement d’Addis-Abeba cherche, dans le cadre de son Plan de Croissance et de Transformation quinquennal, à générer d’ici 2015 un milliard de dollars de profits générés par l’exportation. Le potentiel éthiopien reprend les recettes asiatiques : une main-d’œuvre et de l’électricité à des coûts moindres, des exemptions de taxe et des terrains peu chers. La société turque Akya Textile emploie déjà 7.000 personnes dans le pays, le Britannique MNS et même le chausseur chinois Huajian y sont déjà présents, et H&M mène à présent une étude de faisabilité pour y installer des usines. Même si l'Éthiopie ne se classe encore que 111ème exportateur mondial, ses exportations de textile ont décollé de 2.500% en dix ans. D’autres pays d’Afrique subsaharienne devraient suivre la même voie. Car le continent africain bénéficie d’un atout capital : du coton en grande quantité et de première qualité. Le système économique global est donc voué à perdurer.

La contestation sociale, et après ?

Le 26 septembre dernier, la plupart des usines textiles du Bangladesh ont rouvert, même si à cette date, une vingtaine d’usines étaient encore fermées. La protestation a diminué après la promesse d’une augmentation de salaires, mais aussi suite à la menace du gouvernement bangladais de réprimer toute nouvelle manifestation. Le montant de la hausse des salaires reste inconnu, mais il est d’ores et déjà possible de prédire de beaux jours à l’exploitation de la classe ouvrière bangladaise.

Comment expliquer l’absence quasi-totale de ces émeutes sociales dans les grands canaux radio-télévisuels français, en septembre dernier ? Le zapping de l’information et la recherche de buzz ont successivement mis en avant le drame de Rana Plaza, et laissé au banc des JT les revendications sociales des ouvriers bangladais. Le sujet nous concerne pourtant directement, puisque nous portons des vêtements fabriqués dans des usines de textile asiatiques.

Ce type d’« oubli » médiatique a des conséquences graves sur le plan du débat public. En sous-traitant voire en ignorant ces sujets, on évite au citoyen lambda le soin de d'envisager (envisager seulement) de repenser le modèle économique dans lequel il vit. Modèle qui a pour double conséquence, dans ce cas précis, la délocalisation de nos industries et l’exploitation de masses réduites à la misère en Asie et, bientôt, en Afrique.

Tag(s) : #International
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