Par David brites.
La mobilisation des Gilets jaunes en 2018-2019, et la vague de grèves et de manifestations contre la réforme des retraites en 2019-2020, ont constitué les principaux mouvements de protestation sociale de ces dernières années. À Nuit Debout sur la place de la République, à Paris en 2016, dans le contexte de la contestation de la loi Travail, la « convergence des luttes » était déjà affichée comme un objectif central, comme ce fut le cas ensuite dans certains collectifs de Gilets jaunes. Le postulat étant que la conjonction de toutes les insatisfactions permettrait de renverser la table et de pousser l'exécutif à changer radicalement de politique. Mais cette convergence n'a pas été, et n'est pas au rendez-vous, loin s'en faut. Idem lors de la lutte contre la réforme des retraites : toujours pas de grève générale. Les Gilets jaunes puis les cheminots de la RAPT et de la SNCF ont pu constater à quel point les pans de la société qui ne se sont pas sentis concernés par leurs revendications sont restés globalement démobilisés tout au long de leur mouvement, voire méprisants à leur égard.
Sur le plan politique, les partis qui incarnent une forme de résistance au dogme libéral, mondialisé et libre-échangiste, sont nombreux, le Rassemblement national (RN) et La France Insoumise (LFI) en tête, mais pas seulement. La conséquence en est que l'électorat populaire désireux de revenir sur les régressions sociales et le désengagement de l'État observés depuis les années 1980, est par la force des choses dispatché entre plusieurs votes irréconciliables, grosso modo entre l'extrême-droite et l'extrême-gauche de l'échiquier politique. En Grèce entre 2015 et 2019, et surtout en Italie entre juin 2018 et août 2019, la gauche radicale et la droite souverainiste se sont alliés pour gouverner. En France, l'accession au pouvoir d'un ou de plusieurs courants politiques qui porteraient la voix des catégories sociales les plus vulnérables est-elle possible ?
Depuis de nombreuses années, les différentes fractures qui parcourent la France sont décryptées en long et en large, depuis le fossé entre centres urbains, d'une part, et banlieues/« minorités visibles » d'autre part, jusqu'à la dichotomie entre « France des métropoles » et « France périphérique », en passant par l'abîme entre l'Hexagone et les territoires d'outre-mer. Après les « émeutes de banlieue » de 2005 et 2007, et l'affaire Adama Traoré en 2016 qui a révélé le malaise de nombreux jeunes face aux brutalités policières dans les « quartiers » ; après les émeutes sociales en Guadeloupe et en Martinique, en 2009, celles en Guyane en 2017 et à La Réunion en 2018 ; et après les manifestations contre la loi Travail et le mouvement Nuit Debout à Paris, en 2016 (Le mouvement Nuit Debout s'est-il planté ?) ; après tout cela, le mouvement des Gilets jaunes à partir de novembre 2018 (Gilets jaunes : jacquerie de beaufs « réfractaires au changement » ou révolte de la « France périphérique » ?) n'est que l'énième expression de l'une des fractures lourdes qui fissurent le contrat social sur lequel notre modèle politique jette ses bases. De même que Nuit Debout ambitionnait de lutter contre « la loi Travail et son monde », les Gilets jaunes n'ont pas réclamés un rétropédalage ponctuel du gouvernement, sur une seule mesure : en quelques jours de mobilisation, ils disaient vouloir tout remettre à plat, sur le plan fiscal et social, puis en termes de démocratie (Que demandent les Gilets jaunes, ou comment s'éviter un « Grand débat national » à 12 millions d'euros ?).
D'autres secteurs ou corps de la société ont connu depuis quinze ans des vagues de contestation ou des grèves, certes de moindre ampleur, mais fréquentes et (trop) diffuses : la fonction publique, Air France, les taxis, la SNCF, la RATP, les enseignants, les hôpitaux, les agriculteurs, les livreurs, les étudiants... Tout au long de l'année 2019 encore, et courant 2020, plus de deux-cent services d'urgence hospitaliers ont fait grève dans toute la France pour dénoncer leur manque dramatique de moyens matériels et humains (Grève des Urgences : dans l'indifférence générale, la lutte pour la sauvegarde de services de qualité et des conditions dignes de travail). Même les retraités, à l'appel de plusieurs syndicats, ont manifesté le 11 avril 2019 à Paris, pour dénoncer leur paupérisation. Des fractures sociales qui s'accumulent sans pour autant provoquer un nouveau Mai 68, ni même des grèves d'ampleur façon Front populaire.
Durant la manifestation du 1er mai 2019, jour de la Fête du Travail, Gilets jaunes et syndicats ont manifesté, mais les premiers, rejoints par des Black Blocs, ont pour l'essentiel marché en avant du défilé, de façon distincte. Pour l'instant, pas de convergence des luttes. Sur l’une des photos, on peut voir les banderoles du collectif Droit au Logement (DAL) dans la manifestation parisienne du 1er mai 2019. En mars et avril 2016, les militants du DAL avaient été décisifs pour la mise en place de la manifestation statique de Nuit Debout et sa structuration, sur la place de la République à Paris.
Que révèle l'échec de la « convergence des luttes » ?
En 2016, Patrick Farbiaz, auteur et militant écologiste, écrivait dans Nuit debout – Les textes, à propos du sit-in place de la République à Paris : « La loi Travail a été le catalyseur du mouvement. C'est pour s'opposer à elle que se sont unis ceux qui ont occupé, animé et structuré la place de la République. Le mot d'ordre premier a toujours été la convergence des luttes. Même s'il n'a pas un contenu précis, il mobilise l'imaginaire collectif de la place autour des notions de grève générale et de solidarité entre étudiants, lycéens, précaires, salariés. Il construit un nouveau dialogue social entre des composantes qui jusqu'ici se regardaient en chiens de faïence, comme les directions syndicales et les collectifs de base. » Depuis, constat d'échec, et en pleine crise des Gilets jaunes, François Ruffin lui-même a expliqué à plusieurs reprises, comme par exemple à Paris le 29 novembre 2018 : « On se trouvait il y a deux ans, place de la République, pour faire Nuit Debout. Et à ce moment-là, je me demandais : "Mais quand est-ce que ça va bouger chez moi, à Flixecourt, à Albert, à Abbeville ? [...] Aujourd'hui, on a l'inverse. Ça bouge sur les ronds-points d'Albert, ça bouge à Flixecourt, ça bouge à Abbeville, et Paris ne bouge pas. Pour que le mouvement des Gilets jaunes gagne, il y a besoin que Paris bouge à son tour. Donc il faut mettre Paris en éveil. »
Et le député LFI d'ajouter, s'adressant à des Parisiens, dans une forme d'appel à la conscience et à la révolte : « Quand on est à Paris, on est à côté des lieux de pouvoir. Vous savez, les gens de mon coin, quand ils veulent venir toucher un lieu de pouvoir, il faut qu'ils bloquent tout leur samedi, qu'ils paient 15,50 euros de car, et ça leur fait mal dans leur porte-monnaie à la fin du mois. [...] Vous, vous êtes à côté. Tous les soirs, on pourrait aller faire des apéros Facebook ou vin chaud devant le Premier ministre, devant l'Assemblée nationale, devant l'Élysée. [...] Ça, vous pouvez le faire tous les soirs. »
On constate donc une dichotomie urbain-périurbain, Nuit Debout-Gilets jaunes, pour faire court, que l'on peut même élargir en triptyque, entre d'une part les centres urbains, d'autre part les quartiers périphériques (les fameuses « banlieues »), et enfin le périurbain, auquel on pourrait associer la ruralité. On constate une multiplication des mouvements sociaux ces dernières années, sans pour autant que ceux-ci ne se coalisent pour faire valoir leur bon droit. Pourquoi cela ? D'abord, ces mouvements ne surviennent pas toujours en même temps, aux mêmes endroits, et c'est parfois le hasard qui fait qu'ils ne se « croisent » pas. Ensuite et surtout, on parle là de mondes qui s'ignorent, ce qui est illustratif de la fracture sociale et territoriale qui caractérise l'Hexagone depuis plusieurs décennies. S'est établie une distance identitaire et sociale qui s'est creusée entre ces trois ensembles (géographiques), le centre urbain, les banlieues, et le périurbain.
Cette réalité est largement illustrée par le traitement des principales vagues de contestation dans les médias et le regard qu'y porte à chaque fois le reste de la société. Pour faire court, toute protestation issue des banlieues est forcément reliée aux populations issues de l'immigration, les fameuses « minorités visibles », les « jeunes des quartiers », avec tout l'imaginaire contextuel qui va avec : lutte contre les discriminations et l'islamophobie, anti-racisme, bavures policières, montée des communautarismes, trafic de drogue, etc. (Les polémiques, mémorielles, sécuritaires, identitaires, ayant fait suite aux manifestations de juin 2020 organisées par le collectif Adama Traoré – dans le contexte de mouvements de protestation outre-Atlantique, survenues suite à la mort de George Floyd aux États-Unis – l'ont encore magnifiquement illustré.) Un mouvement de revendications observé dans le périurbain ou en milieu rural est vu comme un conglomérat de beaufs « réticents au changement », voire racistes et anti-progressistes, qui s'accrochent à un mode de vie désuet. Quant aux manifestations pour le climat ou des rassemblements comme Nuit Debout, vus de l'extérieur, ils ne sont rien de plus rien de moins que des lubies de bobos privilégiés, gauchistes et utopistes qui sont déconnectés du réel. « Ce qui constitue une nation, ce n'est pas de parler la même langue, ou d'appartenir à un groupe ethnographique commun, c'est d'avoir fait de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l'avenir », écrivait Ernest Renan dans Qu'est-ce qu'une nation ? (1882). Si tant est que banlieues, centres urbains et périurbain/ruralité partagent « de grandes choses dans le passé », la question est à présent de savoir si les populations de ces trois territoires veulent « en faire encore dans l'avenir ». La projection nationale, et donc la lutte collective pour un modèle de société (désiré et partagé), sont-elles possibles quand les gens n'éprouvent pas d'empathie les uns vis-à-vis des autres ?
Autre élément décisif, on ne peut pas négliger l'importance des corporatismes, chaque secteur, chaque métier luttant pour ses propres intérêts, pour la défense de ses acquis sociaux, jalousant parfois les « avantages » des autres – les agents de la RATP, avec leurs fameux « régimes spéciaux de retraite », en savent quelque chose. L'idéologie dominante matraquée depuis la fin des années 1980 dans les médias par une palette de pseudo-experts soi-disant neutres, ainsi que par la classe politique, a très bien imprimé dans l'opinion : les prescripteurs d'opinion sont parvenus à nous convaincre que nous n'étions plus dans une ère de conquête linéaire d'acquis sociaux, mais au contraire de régression généralisée. Et que tous ceux bénéficiant d'« avantages sociaux » étaient des fainéants qu'il fallait mettre au pas.
Dans un tel contexte, chaque secteur, chaque métier cherche à défendre son pré carré, sans qu'une vision globale ne soit portée et pensée à l'échelle collective. La perception que nous avons aujourd'hui de l'un des plus grands mouvements sociaux que la France ait connu depuis l'après-guerre est très illustrative à cet égard. Les grèves de 1995, les plus importantes depuis Mai 68, ont touché la fonction publique, mais aussi le secteur privé, contre le « plan Juppé » sur les retraites et la Sécurité sociale ; La Poste, France Télécom, EDF-GDF, la RATP, la SNCF, l'Éducation nationale, la Santé, ou encore l'administration des finances étaient concernés. Lorsqu'elles sont évoquées dans les médias mainstream, ces mobilisations sont désormais réduites à l'expression d'un d'immobilisme social, à un symptôme de la sclérose de la fonction publique, comme si elles étaient la preuve de l'incapacité des fonctionnaires à « s'adapter » à la mondialisation, en particulier dans les transports ferroviaires et autres secteurs bénéficiant d'un statut particulier. Et ce climat vient largement renforcer l'idée que les fonctionnaires sont une catégorie de la population privilégiée, à l'abri, et que cela n'est pas mérité ; plutôt que de réclamer des filets de sécurité pour tous, un alignement du privé sur le public, on en vient à réclamer l'inverse, c'est-à-dire plus de précarité pour tout le monde. Il en est de même, à une moindre échelle, dans le privé. Le cas des taxis, perçus comme un métier trop rigide qui ne parviendrait pas à s'adapter à l'« ubérisation » de la société, est lui-même très illustratif à cet égard. Les mouvements de lutte de tel ou tel corps de métier sont qualifiés dans les médias mainstream de « corporatistes » – un terme péjoratif de nos jours.
Autre exemple, plus récent : les professions libérales bénéficiaires de régimes autonomes, qui se sont opposées à la réforme des retraites, comme les avocats ou les médecins, se sont mobilisées dans la rue, sans pour autant rejoindre les cortèges issus de la fonction publique ; si le gouvernement leur avait garanti le maintien de leurs régimes autonomes, force est de constater que leur mobilisation se serait arrêtée immédiatement. Là encore, on est loin de la convergence des luttes, de la grève générale, ou d'une quelconque forme de solidarité inter-professionnelle. Et le gouvernement d'Édouard Philippe en savait quelque chose, puisque, dans le cadre de la réforme des retraites, il a cherché à diviser la contestation. D'abord en pointant du doigt les « privilèges » des régimes spéciaux. Ensuite en annonçant, le 11 décembre 2019, que la règle de la retraite par points ne s'appliquerait qu'aux actifs entrés sur le marché du travail à partir de 1975 – et 1985 pour les cheminots, les policiers, les contrôleurs aériens et les gardiens de prison. Enfin, en promettant, dès le lendemain, 12 décembre 2019, aux syndicats policiers un régime dérogatoire, entraînant une suspension de leur mobilisation. D'autres négociations du même type ont suivi dans les semaines suivantes, avec d'autres corps de métier.
Les transformations du marché du travail viennent largement appuyer une telle montée des égoïsmes corporatistes et sectoriels. C'est tout l'objet de réformes telles que les lois Travail votées sous François Hollande puis sous Emmanuel Macron, qui visent à démanteler les outils de mobilisation collective et de sociabilisation professionnelle. En 1998, le sociologue Pierre Bourdieu expliquait très justement : « Qu'est-ce que le néolibéralisme ? Un programme de destruction des structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur. » Le travail indépendant, l’émiettement des tâches, l’atomisation des négociations socioprofessionnelles (les ruptures conventionnelles n’ont jamais été aussi importantes, alors que le nombre de recours aux prud’hommes a chuté, par exemple), l’essor de la sous-traitance, se traduisent entre autres par la fin des luttes collectives, le tout au nom de la liberté des individus, du réalisme économique, voire (cerise sur le gâteau) du progrès. Bref, avec la fragmentation accélérée du salariat, la grève générale semble hors de portée. En cela, l'échec de la « convergence des luttes » illustre le succès franc et sans appel, idéologique et pratique, des milieux libéraux. Plus généralement, la montée des individualismes, couplée à l'abrutissement des masses grâce au développement et à la démocratisation d'outils addictifs – comme la télévision, avec ses talk-shows, ses téléréalités et ses séries, ou les smartphones et les réseaux sociaux virtuels –, est venue à point servir les intérêts du capitalisme globalisé.
Manifestation contre la réforme des retraites, le 5 décembre 2019 à Paris. On peut y voir des corps de métier (hospitaliers, pompiers, Justice, etc.) protester contre la réforme des retraites, ainsi que des Gilets jaunes qui ont profité de l'évènement pour rappeler leur revendication en faveur du Référendum d'initiative citoyenne (RIC).
En France, l'impossible rapprochement entre droite et gauche souverainistes
La parcellisation des territoires et l'atomisation des luttes se traduisent sur le plan social, mais également politique. Les votes jettent de plus en plus leurs bases sur leur dimension sociologique et territoriale. Cela était particulièrement marquant lors de la dernière présidentielle, comme nous l'avions analysé à l'époque (Présidentielle de 2017 : quelles leçons tirer du premier tour ?). Certains politologues parlaient alors même d'un « retour du vote de classe ». Mais si dans la rue les contestations sont insuffisantes pour inverser le sens du train de réformes libérales adoptées ces dernières années (et qui ne semble pas prêt de s'arrêter), que dire du domaine politique ? Le résultat du référendum de 2005 sur la Constitution européenne avait indiqué qu'une coalition des mécontentements était possible, mais elle n'a débouché sur rien sur le plan politique.
Amorcée le 17 novembre 2018, le mouvement des Gilets jaunes a été l'occasion de mettre en exergue la crise de représentativité ressentie par une grande partie des Français issus de la « France périphérique » décrite par Christophe Guilluy (Fractures françaises, 2010), par Emmanuel Todd et Hervé Le Brass (Le mystère français, 2013), ou encore par Jérôme Fourquet (L'Archipel français, 2019). Crise de représentativité face à la déconnexion des élites. De fait, la situation partisane actuelle conduit l'électorat populaire, qu'il soit urbain ou rural, dans une impasse, puisqu'il est profondément divisé, désormais réparti – c'était une des leçons de la dernière présidentielle – entre une droite et une gauche souverainistes inconciliables. Inconciliables, pour de multiples raisons. Prenons les deux principales formations concernées, à savoir La France Insoumise à gauche et le Rassemblement national à droite. Outre les ressentiments réciproques opposant les deux leaders politiques que sont Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, évidents dès les débats qui les avaient opposés en février 2011 sur RMC-BFM TV et en février 2012 sur France 2, des différences de fond opposent ces courants, pourtant tous deux souverainistes.
L'un veut revenir sur la construction européenne par constat des dérives européistes (rappelons d'ailleurs que Mélenchon avait voté « oui » au référendum sur le traité de Maastricht), l'autre par principe. Si le programme de LFI liant protectionnisme solidaire, harmonisation fiscale et sociale, révision de la politique monétaire, et investissements publics, trouvait un accueil favorable dans le cadre actuel des institutions communautaires, l'opposition à l'UE se ferait déjà nettement moins sentir à gauche. La France Insoumise n'envisage une sortie unilatérale des traités (le fameux « plan B ») qu'en cas d'impasse, pour chercher de nouvelles alliances géopolitiques (au détriment de l'Allemagne), notamment avec l'Europe méditerranéenne (Y a-t-il encore quelque chose à attendre de l'« autre gauche » en 2017 ?). Le 20 février 2016, sur France 2, Mélenchon ne déclarait-il pas : « Entre la souveraineté des Français et l'euro, je choisis la souveraineté des Français ! » Marine Le Pen, même si elle a modéré son discours anti-européen depuis son débat raté d'entre-deux-tours en 2017, privilégie quant à elle par principe le niveau national, toute délégation de pouvoir à une autre échelle étant perçue comme un dévoiement, une confiscation de la souveraineté de la nation (Front national : la « dédiabolisation » est-elle justifiée ?). Les dysfonctionnements de l'UE servent son argumentation pour mieux revendiquer un retour de souveraineté à l'échelle nationale, mais le FN n'a en fait jamais soutenu la construction européenne, même quand la France y tenait une place prépondérante, jusqu'à la fin des années 80 ; à défaut d'un « frexit » pur et simple, Marine Le Pen réclamerait au moins un véritable retour à un mode de prise de décision strictement inter-gouvernemental au sein de l'UE.
Cette différence de paradigme s'ajoute à une perception divergente sur l'identité française, LFI voyant la nation avant tout comme une communauté de destin politique qui aurait émergé avec la Révolution française, le RN considérant, comme de Gaulle en son temps, que la nation française, sans être seulement ethnique, doit rester majoritairement « un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne » (1959) ; d'où une crainte du « Grand remplacement », théorisé par Renaud Camus. Dans cette optique, l'identité prime sur les autres considérations, par exemple certaines libertés individuelles ou la tolérance religieuse (« Libertés publiques » versus « identité française » : se dirige-t-on vers une dichotomie dangereuse ?). Sur cette base, on constate donc un clivage irréconciliable entre les deux formations à propos des politiques liées à l'immigration, à l'intégration, et par extension, à la laïcité. Cela, sans même parler des différences programmatiques sur les questions économiques et écologiques, le RN étant plus libéral et proche des milieux des petits artisans et commerçants, LFI prônant une « planification écologique ».
On pourra rétorquer que ces clivages pourraient être dépassés grâce à la critique commune sur l'UE, et c'est sans doute vrai. En ce sens, d'aucuns sont d'ailleurs tentés de comparer la France et l'Italie pour inviter, dans l'Hexagone, les souverainistes de droite et de gauche à amorcer un rapprochement. En effet, le Mouvement 5 Étoiles, ou M5S (Movimento 5 Stelle), s'est allié, à partir de juin 2018 et pendant plus d'un an, au parti de Matteo Salvini, la Ligue (ex-Ligue du Nord), pour gouverner. En soi, de la même manière que PS et PCF ont, dans les années 70-80, su s'accorder sur un programme commun malgré des divergences fondamentales, le RN et LFI pourraient en théorie négocier des accords de gouvernement ; tout comme pourraient le faire le PS et LFI (en Espagne, les socialistes et Podemos ne l'ont-ils pas fait ?), LREM et Les Républicains (entre 2009 et 2013 en Allemagne, ou entre 2010 et 2015 au Royaume-Uni, conservateurs et libéraux ont aisément su gouverner ensemble), ou encore le RN et Les Républicains (en Autriche entre 2017 et 2019, et en Bulgarie depuis 2017, par exemple, droite et extrême-droite forment des coalitions au pouvoir).
Ces scénarios seraient bien sûr de l'ordre du possible, si le contexte le réclamait, mais une entente LFI-RN est en fait impossible. En effet, le M5S n'est pas une LFI à l'italienne et n'a pas le même rapport à l'extrême-droite. Il ne se réclame pas de la gauche, et a déjà, par le passé, forgé des alliances avec des souverainistes de droite, par exemple durant la mandature 2014-2019, au Parlement européen, où il constituait un eurogroupe avec le UKIP du Britannique Nigel Farage, europhobe et anti-immigration – un rapprochement qui aurait été inenvisageable pour les membres de LFI. Rappelons que la gauche française est très marquée depuis les années 80 par les mouvements de l'antiracisme, à une époque (SOS Racisme est fondé en 1984) où Jean-Marie Le Pen, alors président du Front national, n'hésitait pas à adopter une rhétorique anti-immigration très éloignée du politiquement correct – quand il n'était pas carrément condamné (en 1988 et 1991) pour ses propos négationnistes sur la Seconde Guerre mondiale. Et ces héritages ont la vie dure : l'extrême-gauche se refusera toujours à rejoindre un mouvement qu'elle assimile avec facilité au fascisme (d'où l'adage très mélenchoniste, adressé à l'électorat RN : « Soyez fâchés, mais pas fachos ! »), tandis que l'extrême-droite considère les tenants de cette gauche-là comme les « idiots utiles » du capitalisme mondialisé et les hérauts de l'immigration de masse.
Manifestation contre la réforme des retraites, le 17 décembre 2019 à Paris. Là encore, diverses revendications sont venues rejoindre les cortèges de protestation contre la réforme.
À défaut d'une convergence des luttes sociales, une jonction des électorats ?
En décembre 2010, dans un article du Monde Diplomatique (« Dans la fabrique du mouvement social »), François Ruffin, encore lui, évoquait l'image de deux cortèges qui, à Amiens, le même jour, s'étaient croisés sans se rejoindre. D'un côté, un défilé des ouvriers de Goodyear. De l'autre, une manifestation d'altermondialistes contre une loi antiféministe en Espagne. « C'est, écrivait le journaliste (qui n'était pas encore député), comme si deux mondes, séparés seulement de six kilomètres, se tournaient le dos. Sans possibilité de jonction entre les "durs" des usines et, comme l'ironise un ouvrier, "les bourgeois du centre qui font leur promenade". » Face à l'impossibilité d'un rapprochement entre droite et gauche souverainistes, chaque camp, LFI et le RN en tête, tente de prendre l'ascendant, en « chassant » au-delà de son électorat acquis. Mais les barrières de la sociologie territoriale ont la vie dure.
Le Front national, tout d'abord, a amorcé, depuis qu'il est dirigé par Marine Le Pen en 2011, tout un travail de « dédiabolisation » qui a en partie fonctionné. Il s'est débarrassé de ses figures polémiques, des illuminés au crâne rasé susceptibles de déraper verbalement, et est allé jusqu'à exclure Jean-Marie Le Pen, en 2015. Le FN devait montrer un visage propre et poli, et, à l'image de Florian Philippot, adopter une posture axée sur les questions économiques pour prouver sa crédibilité. Le programme a largement été revisité pour s'adapter aux nouveaux enjeux de l'époque, posant par exemple le parti en héraut de la laïcité (Laïcité : les faux-semblants du Front national), prônant désormais un « État stratège » contre les méfaits de la mondialisation et du libéralisme, ou encore proposant des réformes sociales comme le retour à la retraite à 60 ans – alors même qu'au lancement du FN dans les années 70, Jean-Marie Le Pen combattait le principe de laïcité et se montrait très libéral sur le plan économique et social. Entre autres choses, le ralliement de Nicolas Dupont-Aignan dans l'entre-deux-tours de la présidentielle de 2017 a montré à qui ne voulait pas le voir que des ponts étaient désormais jetés entre droite et extrême-droite. Le changement de nom en 2018 – Rassemblement national s'étant substitué à Front national – n'est que l'une des dernières pierres de ce laborieux travail de « dédiabolisation ».
Mais le parti d'extrême-droite s'est fracassé 1) sur la prestation catastrophique de Marine Le Pen dans le débat du 3 mai 2017, dont la presse, très largement favorable à Macron, s'est alors fait le relais efficace ; 2) sur les réticences exprimées par l'électorat de droite (celui qui a voté pour François Fillon il y a deux ans et demi) sur la question de la sortie de l'euro. À gauche, Le Pen a échoué à convaincre les masses PS/LFI diplômées et de petits fonctionnaires urbains. Certes un sondage publié le 29 mai 2019, confirmé par un autre en octobre 2019, indiquait qu'en cas de second tour Macron-Le Pen en 2022, c'est désormais 61% de l'électorat mélenchoniste qui déclare voter RN. Mais cela veut à peine dire que ces électeurs préfèrent (ou détestent moins) Marine Le Pen au chef de l'État, pas forcément qu'ils adhèrent au programme de cette dernière. D'ailleurs, l'analyse du résultat des européennes de 2019 semble indiquer que moins de 10% des électeurs LFI de 2017 se sont ralliés au vote RN deux ans plus tard (en dépit de l'effondrement du score du mouvement de Mélenchon), ce qui indique une porosité encore faible entre les deux blocs électoraux. Marine Le Pen pourrait donc bien ne pas plus convaincre les sympathisants LFI (ou ex-PS) demain qu'elle ne l'a fait jusqu'à présent. Pour l'heure, la marque « Le Pen » est trop connotée d'extrême-droite. Et justement, ce que dit l'analyse sociologique du vote RN en mai 2019, à l'occasion des européennes, c'est que l'extrême-droite ne parvient pas à sortir du vote ouvrier, qui constitue sa base – la liste conduite par Jordan Bardella en 2019 représentait au moins 40% du vote ouvrier. En effet, les professions dites intermédiaires (techniciens, infirmiers, commerciaux, emplois de gestion ou administratifs, etc.), c'est-à-dire la masse qui n'est classable ni dans la catégorie des ouvriers, ni dans celle des employés, ni dans celle des cadres, n'ont pas plus adhéré au programme du RN en 2019 qu'ils ne l'ont fait en 2017.
D'où, depuis son échec en 2017, et au vu du plafond de verre qu'elle rencontre vis-à-vis de l'électorat PS/LFI, la volonté de Marine Le Pen de recentrer ses discours sur les questions identitaires plutôt que sur les questions économiques, pour « chasser » sur les terres électorales de la droite – un changement de tonalité symbolisé par le départ de Florian Philippot dès septembre 2017 et par le renforcement du poids des anciens « mégretistes » comme Nicolas Bay dans les instances décisionnelles du parti. Député du Gard, Gilbert Collard ne déclarait-il pas au Parisien, dès mai 2017, à la suite du second tour : « Pour nous, la question de l'euro, c'est terminé. Le peuple a fait son référendum dimanche dernier. Marine doit entendre ce message » ? Il semble bien qu'elle l'ait entendu, puisqu'elle ne fait plus de l'abandon de la monnaie unique une condition sine qua non pour la mise en œuvre de son programme. Elle concède cela à un électorat de droite, plutôt âgé, cœur du vote Fillon à la dernière présidentielle, et qui, tout en se révélant proche du RN sur les questions identitaires et migratoires, n'en demeure pas moins soucieux de ne pas voir son épargne menacée par un éventuel retour au franc.
De son côté, la gauche souverainiste ne désespère pas de coaliser à son profit les électorats populaires, et dénonce même le rôle contreproductif joué à cet égard par le Rassemblement national. Ainsi François Ruffin expliquait-il, sur RMC-BFM TV, cette fois le 27 juin 2017 : « Comment on fait, dans ma circonscription, pour faire se rejoindre les classes populaires des campagnes – Flixecourt par exemple, tout le Val de Nièvre – et les quartiers-Nord d'Amiens ? Aujourd'hui, les classes populaires sont divisées entre d'un côté les enfants d'immigrés et d'un autre côté les petits blancs, les prolétaires, les ouvriers des campagnes. Et si jamais ils sont divisés sur le terrain du vote, si jamais ils sont divisés sur le terrain des luttes, on est condamné à perdre. » Il concluait, lucide : « Tant qu'il y a ce divorce, cette déchirure, on est condamné à perdre. Parce que l'oligarchie est tranquille. Et le Front national produit ça, produit cette division. En plaçant le débat sur un terrain culturel, il produit ce déchirement entre ces classes populaires. » Invité sur France 2 en janvier 2013, le démographe et historien Emmanuel Todd ne disait pas autre chose : « Le problème que pose le Front national, c'est qu'il dit des choses qui en apparence ont l'air économiquement raisonnables. Il parle de protectionnisme, il parle de se recentrer sur la nation française. Mais là où la proposition du Front national est viciée [...] et sans avenir, c'est qu'un recentrage sur un projet national suppose un élément [...] de rêve national et d'une nation grande et généreuse, qui comprend tous les Français, y compris les immigrés et leurs enfants. »
Sans aller jusqu'à adopter une rhétorique réactionnaire comme Nicolas Sarkozy avait pu le faire il y a une quinzaine d'année dans l’optique de capter une part de l’électorat du Front national, Jean-Luc Mélenchon a su, en 2017, adopter une posture plus à même d'attirer les classes populaires qui votent FN, même si in fine il n'y est parvenu que marginalement. Pour cela, il a opté pour un discours qui parle aux catégories socio-professionnelles que la mondialisation a le plus durement touchées (Comment penser l'avenir de la gauche radicale française ?). S'appuyant sur le mouvement La France Insoumise et non sur la coalition du Front de Gauche, réorientant son discours vers le « peuple » plutôt que vers la seule gauche, traitant de la migration comme d’une déchirure pour les migrants plutôt que comme d’une chance pour le territoire d’accueil, chantant La Marseillaise dans ses meetings et non L'Internationale, etc. Dans le discours qu'il prononce le soir même du premier tour, n'emploie-t-il pas même les termes « Mon beau pays, ma belle patrie », ou encore « Patrie bien aimée » ? Alors que la présence de drapeaux tricolores dans les meetings avait été remarquée lors de la campagne de Ségolène Royal en 2007, là encore, la gauche se réapproprie des symboles, des termes dévoyés depuis longtemps par l'extrême-droite. Au terme d’une campagne savamment réfléchie, l’ancien ministre de Lionel Jospin parvenait donc à faire jeu égal avec Marine Le Pen, qui ne l'a distancé que de 620 000 voix (et 1,7 point) au premier tour de 2017.
La réussite de Jean-Luc Mélenchon en 2017 a été d'avoir transcendé les clivages sociologiques. Il a réussi à rassembler sur son nom environ 19% des cadres, 22% des employés, 24% des ouvriers et 22% des professions intermédiaires. Il a en outre capté un électorat ouvrier – même si ce n'est pas celui issu des zones du Nord fortement « frontisées » –, ainsi qu'un axe central de professions intermédiaires, sans pour autant avoir comme le FN un énorme déficit de professions intellectuelles et cadres supérieurs. Mais depuis 2017, pour des raisons multiples, notamment les excès caractériels de Jean-Luc Mélenchon lors de la perquisition de son appartement et du siège de LFI en 2018 (qui a participé, comble de l'ironie, à sa diabolisation), le mouvement a vu son électorat s'effriter, révélant sa très forte volatilité. Une évolution qui semble d'autant plus regrettable qu'il était pourtant parvenu à constituer un groupe actif et visible à l'Assemblée nationale. Il est retombé sous la barre des 10% lors des européennes de mai 2019, très loin en-dessous, à 6,31%, posant de sérieux doutes sur sa capacité à reconstituer un véritable front politique populaire. Après un score comme celui-là, tout reste à refaire pour réapparaître comme un mouvement de masse trans-CSP. Entre un PS et un PCF qui se maintiennent dans quelques-uns de leurs bastions lors des élections locales mais s'écroulent à l'échelle nationale, Europe Écologie-Les Verts que le score de 13,48% des voix a momentanément mis en tête de la gauche en mai 2019, et LFI qui n'a pas su tirer un vrai bilan critique de son effondrement électoral, l'avenir de la gauche demeure plus qu'incertain – et l'annonce de la candidature de Jean-Luc Mélenchon, le 8 novembre dernier, n'a en rien permis d'éclaircir la situation. Certes, dans la foulée des européennes de 2019, les écologistes ont encore obtenu de francs succès lors des municipales de juin 2020, notamment à Bordeaux, à Lyon, à Marseille et à Strasbourg, mais cela, dans le contexte particulier du déconfinement post-COVID-19, marqué en outre par une abstention record ; compte tenu de leur passif, peu probable que les écologistes sachent capitaliser sur ces résultats pour faire quoi que ce soit de véritablement fructueux sur le plan politique d'ici 2022, d'autant plus qu'au sein même d'EE-Les Verts, les opinions divergent fortement sur les stratégies d'alliance possibles avec le reste de la gauche, voire sur leur vision de l'écologie, et sur leur rapport au capitalisme et au libre-échange – la cohabitation de personnalités aussi différentes que Yannick Jadot (tête de liste aux européennes de 2019), Éric Piolle (maire de Grenoble depuis 2014) et Julien Bayou (secrétaire national du parti depuis 2019) l'illustre parfaitement. Ce qui caractérise le plus la gauche à ce stade, c'est son morcellement, l'absence totale d'un parti qui en détiendrait le leadership. Comment, dans ces conditions, sans même avoir déjà l'assurance de rassembler sur un seul nom l'ensemble des voix de gauche, espérer dépasser les clivages et séduire un électorat populaire frontiste ?
Objectif politique affiché du député François Ruffin, la jonction des électorats populaires ne semble donc pas pour tout de suite. Pourtant, Ruffin est justement l'une des rares figures politiques qui est apparu populaire à la fois dans le périurbain comme en centre-ville, chez les Gilets jaunes et à Nuit Debout. La posture d'autres membres de LFI, comme Clémentine Autain, qui n'a pas souhaité accompagner les Gilets jaunes (du moins au début du mouvement) au prétexte qu'ils seraient noyautés par des sympathisants d'extrême-droite, constitue une attitude de résignation, comme si ces citoyens-là étaient déjà « perdus ». La victoire de Ruffin aux législatives de 2017, en terre frontiste (dans la Somme), pourrait en inspirer d'autres. Or, les critiques formulées par Clémentine Autain après les européennes, invitant à abandonner « l'état d'esprit polémique et clivant [et] la haine » pour « chercher à construire des passerelles » avec le reste de la gauche, indiquent que le débat sur la ligne idéologique et la posture populiste de ce mouvement politique est encore ouvert. Dans sa déclaration de candidature en novembre dernier, Jean-Luc Mélenchon n'a d'ailleurs, lui aussi, pas (totalement) fermé la porte à d'éventuelles alliances avec le reste de la gauche.
En face, cela a été dit, dans le contexte actuel de forte polarisation politique et sociale (et à moins d'un grand bouleversement), le RN a très peu de chances de rassembler une majorité d'électeurs, et semble pour l'instant partir à la conquête de l'électorat LR plutôt que de l'électorat PS/LFI (provisoirement – et partiellement – capté par Europe Écologie-Les Verts). Il n'en garde pas moins la main pour l'instant, sur le plan électoral, destiné de toute évidence à se retrouver à nouveau au second tour en 2022, sans pour autant briser le fameux « plafond de verre » qui l'empêche toujours de vaincre in fine. Pour les catégories socio-professionnelles menacées par la mondialisation (et par la politique du gouvernement qui en accentue les effets), l'impasse politique est totale, et elle risque bien d'engendrer de nouvelles crises sociales comme on en a connues depuis le début du quinquennat.
Manifestation à Paris, le 9 janvier 2020 contre la réforme des retraites. Toujours divers corps professionnels représentés : éboueurs, salariés de l'industrie chimique... En outre, les protestations visaient également à dénoncer le sort dévolu aux femmes dans le cadre de la réforme.