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Par Jorge Brites.

Une publicité passe à la télévision, invitant à fêter son anniversaire à Mac Donald, la fameuse franchise de restaurants (pourtant associée à la malbouffe et à l’évasion fiscale) ; une affiche dans le métro invite les gens « joueurs » à faire des paris sportifs, avec un minuscule message de sensibilisation aux addictions (qu’évidemment, à peu près personne ne lit) ; un panneau publicitaire, dans la rue, met en scène un acteur célèbre accusé de violences conjugales, Johny Depp, dans la promotion d’un parfum nommé « Sauvage » ; un écran dans le métro fait tourner en boucle la bande-annonce d’un film, au prix d’un gaspillage d’énergie continu et d’une agression lumineuse à laquelle il est bien difficile d’échapper…

La publicité, omniprésente dans notre quotidien, constitue, avec le crédit à la consommation, la mode et les marques, l’un des principaux leviers de la société de consommation de masse dans laquelle l’Occident, puis le monde dans son ensemble, se sont enfoncés depuis quelques décennies (cf. La société de consommation en Europe : chronique d’une construction socioculturelle sans issue durable). Elle  influence nos modes de vie et d’achats, sciences cognitives et sociales à l’appui, tout en constituant un vecteur de changements culturels central – généralement au bénéfice du grand capital qui la finance, et non au bénéfice d’un plus grand respect du vivant ou de l’humain. Et les montants investis dans la publicité sont à l’image des attentes qu’elle suscite en matière de consommation ; à titre illustratif, rien qu’en France, entre 2019 et 2023, les annonceurs publicitaires auraient dépensé entre 13 et 17 milliards d’euros chaque année. La célèbre marque de soda nord-américaine Coca Cola aurait investi à elle seule plus de cinq milliards de dollars en publicité en 2024.

Les pouvoirs publics, en France et en Europe, réglementent la publicité sur les différents médias depuis plusieurs années, mais sans que ne soit réellement remise en cause le modèle de société consumériste que promeut la publicité dans nos vies. C’est pour lutter contre elle, contre son impact écologique monstrueux et contre les multiples injonctions qu’elle transmet, que s’est constituée il y a plus de 30 ans une association militante, dont le nom est significatif : Résistance à l’Agression Publicitaire. Focus sur cette initiative ambitieuse qui vise à combattre la pub et son monde.

Action de recouvrement durant la journée du 25 mars 2025 à Rouen (Crédit photo © Groupe local de Rouen RAP).

Action de recouvrement durant la journée du 25 mars 2025 à Rouen (Crédit photo © Groupe local de Rouen RAP).

Une diversité d’actions pour prendre le problème de l'agression publicitaire à bras le corps

Le but de l’association est clairement annoncé : lutter contre les effets négatifs, directs et indirects, des activités publicitaires sur l’environnement (gaspillage des ressources, pollution sonore, paysagère et du cadre de vie, déchets, etc.) et sur les citoyennes et citoyens (injonction à la surconsommation, conséquences sur le taux d’obésité, banalisation de la violence, etc.). Pour cela, elle peut compter sur une équipe composée de quatre salariés (à mi-temps) et de dizaines de bénévoles, et sur environ 500 bénévoles sur l’ensemble du territoire national. L’association dispose d’une douzaine de groupes locaux sur le territoire français, ayant une autonomie propre et d’une charte globale de fonctionnement. Ses financements sont divers (tout en évitant les financements publics, pour conserver une indépendance et une liberté de parole vis-à-vis des pouvoirs publics) : outre les contributions de ses centaines d’adhérents, l’association bénéficie du soutien de quelques fondations : la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès humain (FPH), la fondation Un Monde par Tous·tes (affiliée à la Fondation de France), ou encore la Fondation Non-Violence XXI.

Fondée en 1992, Résistance à l’Agression Publicitaire a plus de trois décennies à son actif, contre le système publicitaire. Sa stratégie combine finement des actions de sensibilisation politique et citoyenne et un activisme de terrain qui donne du sens au travail de ses membres. L’association a ainsi, au fil des années, développé plusieurs types d’action, en tête desquelles les différentes mobilisations et campagnes (ponctuelles ou régulières) menées chaque année. On peut citer l'opération « Stop Pub Lumineuse et Omniprésente », qui visait la régulation des messages publicitaires visibles et présents dans l’espace public, ainsi que les transports en commun, et qui s’est concrétisée par exemple par deux actions : le lancement depuis 2017 de la campagne « Stop Pub Vidéo » pour l’interdiction des écrans publicitaires numériques (avec des actions de « recouvrement » par exemple), et en janvier 2023 de la campagne « Zéro Watt pour la Pub » pour l’interdiction de la publicité lumineuse dans son ensemble.

Résistance à l'Agression Publicitaire : l'association qui lutte pour une « liberté de réception » et contre le consumérisme effréné

C’est très motivant de travailler sur un projet perçu comme très anodin par l’immense majorité de la population (qui pense ne pas voir la publicité). Et donc c’est motivant d’essayer d’aller un peu à contre-courant de ces idées-là.

Thomas Bourgenot, 45 ans, chargé de Plaidoyer de l’association Résistance à l'Agression Publicitaire.

Deux autres campagnes significatives méritent d’être rapportées ici : « Stop Pub Climaticide », qui visait à faire interdire la publicité pour les produits les plus polluants (énergies fossiles, automobile, alimentation à fort impact environnemental, etc.) ; ainsi que « Stop Pub Sexiste », réclamant l’encadrement de la publicité afin de sanctionner toute dérive sexiste et discriminante dans ce secteur – un défi colossal, compte tenu de l’ampleur des publicités porteuses d’une injonction à l’épilation, à la jeunesse, à la minceur, à la séduction, etc. Enfin, de façon régulière, l’association a mis en place depuis plusieurs années une Journée mondiale contre la pub, fixée le 25 mars. S’adaptant aux enjeux du numérique, un groupe de travail s’est récemment mis en place au sein de l’association pour penser la stratégie à mener concernant la publicité en ligne.

Elle mène aussi un travail régulier d’information et de sensibilisation (en milieu scolaire, ou via des conférences, des évènements, etc.) ; des actions non-violentes telles que le recouvrement de panneaux et d’écrans publicitaires, ou l’extinction d’enseignes ; du plaidoyer auprès des pouvoirs publics pour faire évoluer la législation et lutter contre l’introduction de la publicité dans les services publics (en particulier en milieu scolaire, et pour cela, l’association souhaite que l’État s’inspire de la loi Évin adoptée le 10 janvier 1991, qui encadre la vente d’alcool et du tabac)  ; et un travail de veille sur les abus des sociétés multinationales et de l’industrie publicitaire.

Et si la publicité reste omniprésente dans notre quotidien, des micro-victoires sont tout de même remportées : ainsi, en 2016, fut obtenue l’interdiction de la publicité ciblée vers les enfants sur l’audio-visuel public ; en 2021 encore, ont été obtenues l’interdiction de la publicité pour les énergies fossiles, ainsi que l’expérimentation du « Oui Pub » pour les publicités dans les boîtes aux lettres.

Résistance à l'Agression Publicitaire : l'association qui lutte pour une « liberté de réception » et contre le consumérisme effréné

J’avais initialement fait une formation dans le design graphique. Donc ça avait du sens pour moi de critiquer la publicité parce que j’ai appris comment ça fonctionne, quels sont les rouages utilisés en sciences sociales et cognitives pour persuader les gens de modifier leur mode de consommation.
J’ai été bénévole pour RAP cinq ans avant d’être embauchée comme salariée. J’y ai trouvé beaucoup de sens : le sens de ce qu’on fait, l’ambiance très chouette avec les bénévoles et dans l’équipe salariée… La manière de procéder est assez horizontale et anarchiste, donc ça me parle aussi à titre politique. Et en plus c’est ludique, parce qu’on cherche à avoir de la joie militante, et je pense que c’est essentiel pour continuer de lutter contre une machine qui est beaucoup plus grosse que nous.

Cha’ Ribaute, 34 ans, chargée d’animation du réseau à l'association Résistance à l'Agression Publicitaire.

Le défi de parvenir à une « liberté de réception » de la publicité

L’ambition de l’association est globale. Elle promeut une série de mesures de régulation de la publicité (et le respect de la législation actuelle), la « liberté de réception » de la publicité, ainsi que la mise en place d’une autorité indépendante de régulation des activités publicitaires. Dans la rue, cela se traduirait par des annonces plus petites, moins agressives et moins omniprésentes. Dans les boîtes aux lettres, par des autocollants spécifiant que la personne accepte de recevoir de la publicité. Idem pour le démarchage téléphonique, si les gens acceptent d’être déranger par des démarcheurs. Sur Internet, à la télévision et à la radio, ou encore dans les journaux, il s’agirait de revoir le modèle économique des différents médias. Thomas Bourgenot, chargé de Plaidoyer de l’association, que nous avons rencontré le 1er avril 2025, dans leurs locaux du 20ème arrondissement parisien, nous explique le constat de l’association « il y a beaucoup de publicités subies par les gens ». L’association part du postulat que la publicité fonctionne et influence la consommation ; or, la publicité promouvant avant tout la grande distribution, elle entretient un mode de vie qui annonce la mort des centre-ville et l’usage inévitable de la voiture, en portant la consommation vers des centres commerciaux gigantesques, dispersés dans les périphéries urbaines où ils ont contribué à artificialiser les sols. « Les deux secteurs qui annoncent le plus sont la grande distribution et l’automobile, et ces deux-là vont beaucoup ensemble », nous explique encore Thomas. L'association s'attelle précisément à dénoncer les injonctions (plus ou moins subtiles) faites à notre consommation et à nos usages, comme nous le décrit aussi Khaled Gaiji, chargé de mobilisation au sein de l'association : « Notre action permet de montrer la partie cachée de l’iceberg, c’est-à-dire tous les effets négatifs de la publicité. Parce qu’on voit beaucoup l’agression publicitaire comme le fait de voir plein de pubs, mais pour moi le plus important, c’est les dommages écologiques et sociaux qui y sont reliés, par rapport au système de surconsommation qu’il y a derrière, et que les gens ne voient pas. On met tout ça en visibilité. »

Résistance à l'Agression Publicitaire : l'association qui lutte pour une « liberté de réception » et contre le consumérisme effréné

On a une superbe ambiance dans l’association. Ce qui est bien, c’est que c’est quand même un domaine où il y a beaucoup d’action. On n'est jamais en train de tourner en rond sur des choses théoriques, philosophiques – même si c’est important ! On est beaucoup dans l’action. C’est ce que les anarchistes, à l’époque, appelaient la "propagande par le fait" : on va agir sur notre objet de lutte, ici la publicité, et on se la réapproprie grâce à notre action. Par exemple en remplaçant les affiches publicitaires par d’autres messages, en les détournant… C’est un type d’action qui donne beaucoup de capacités et de pouvoir d’agir aux gens. C’est aussi subversif, puisque ce n’est pas légal de remplacer un message publicitaire.

Khaled Gaiji, chargé de mobilisation à l'association Résistance à l'Agression Publicitaire.

En outre, l'association ajoute à l’enjeu de l’obsolescence programmée celui de l’obsolescence marketing. Celle-ci consiste à développer des stratégies marketing, commerciales et publicitaires qui conditionnent les citoyennes et citoyens au renouvellement prématuré des objets – avant même qu’ils ne soient défectueux. Cette forme d’obsolescence, qui se développe par exemple autour de la mode, ou de produits tels que le smartphone (pensons aux files de clients à chaque sortie d’un nouvel IPhone, en dépit d’innovations très limitées à chaque nouveau modèle), est aussi qualifiée d'« obsolescence esthétique », « culturelle » ou « psychologique ».  « On n’est pas contre la publicité en soi, nous dit Thomas, c’est-à-dire le fait de rendre publiques des informations, ce qui serait un non-sens dans une démocratie, puisqu’une démocratie où il n’y a pas d’information qui circule ne serait pas une bonne démocratie. Par contre, on est très critique sur le système publicitaire tel qu’il est actuellement, à savoir des annonceurs qui paient des agences pour nous infliger des messages publicitaires via des régies publicitaires. » Il ajoute : « On se rend compte qu’il est très difficile de ne pas subir de publicité, et que la publicité telle qu’on l’entend au sens restrictif, est majoritairement très commerciale sur des biens et services qui sont généralement soit très mauvais pour l’individu, soit très mauvais pour l’environnement. […] On aura du mal à changer le comportement des individus face à la consommation tant qu’on recevra autant de messages par jour. Juste changer le système publicitaire ne fera pas changer le monde, mais changer le monde sans changer le système publicitaire, ça nous paraît compliqué. »

Résistance à l'Agression Publicitaire : l'association qui lutte pour une « liberté de réception » et contre le consumérisme effréné

Pour moi, l’antipub, ça rassemble beaucoup de choses, parce que la pub touche à beaucoup de sujets sociaux : l’écologie, le sexisme, la justice sociale, la santé, le racisme… Ça souligne pas mal d’inégalités qu’on retrouve dans la vie de tous les jours, et c’est le bras armé du consumérisme. Ça permet de parler du système dans lequel on vit, le consumérisme et le capitalisme. Plus on s’intéresse à la pub, et plus on voit ce système plus en détails. Donc plus on réfléchit à la pub, et plus on réfléchit à d’autres inégalités sociales. Pour moi, c’est ça qui est important : les messages plus discrets, les injonctions qu’on donne aux gens.

Camille Aboudaram, 35 ans, chargée de campagne « Stop pub climaticide » au sein de l'association Résistance à l'Agression Publicitaire.

*  *  *

Pour aller plus loin, vous inscrire à une session de cours de langue ou soutenir l'association, vous pouvez contacter ou suivre Résistance à l'Agression Publicitaire :

  • Sur le site Internet :
  • Sur le réseau social Mastodon @RAPasso

S'agissant de leur présence sur les réseaux sociaux, l'association Résistance à l'Agression publicitaire a défini une charte d'utilisation, déclinée dans l'article suivant :

Tag(s) : #Société
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